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f 7 Z-LïS Fribourg - Saint-Pétersbourg - Aigle M 5t/t (4)«Sous-bois d'automne», pastel de François Birbaum

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PRO FRIBOURG

Juin 1997 Trimestriel N" 115

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François Birbaum

Premier Maître du joaillier Fabergé 1872-1947

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IMPRESSUM PRO FRIBOURG Stalden 14 1700 Fribourg Tél. 026 - 322 17 40 Fax 026 - 323 23 87 Conditions d'abonnement Ordinaire Fr. 46- De soutien Fr. 60- Réduit (AVS, étudiants, apprentis) Fr. 36.—

CCP 17-6883-3 PRO FRIBOURG

1700 Fribourg ft <1900

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ERIC-ALAIN KOHLER avec la collaboration de TATIANA FABERGÉ EVELINE MARADAN INA SIVOLAP-KAFTANOVA GÉRARD BOURGAREL ALEXANDRE SALZMANN VALENTIN SKOURLOV

FRANÇOIS BIRBAUM Premier Maître du joaillier Fabergé

1872- 1947

(SVJ JTCUcC / ù - ' f 7 Z-LïS

Fribourg - Saint-Pétersbourg - Aigle

M 5t/t

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«Sous-bois d'automne», pastel de François Birbaum. Au cours des années vingt, le peintre s'est attaché à mettre en évidence la symbolique que pouvait receler la nature. Et l'arbre est l'un des symboles forts de la vie, de son cycle éternel.

Il a ainsi proposé une lec¬

ture particulière de fragments de paysages, comme c'est le cas des lapiés (zone d'érosion dans le calcaire) de Famelon, au-dessus de Leysin, dont un détail est reproduit sur la couver¬

ture: l'artiste y a imaginé une sorte de Sinaï avec les Tables de la Loi dans une atmosphère orageuse.

(coll. privée)

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SOMMAIRE

Une œuvre et une destinée 5 Les racines fribourgeoises (par Eveline Maradan) 9 Entre la Basse-Ville et la Ville haute: une enfance à deux niveaux 16 Une terre d'accueil qui récompensait le talent 19 Le «siècle d'argent» et le crépuscule des Romanov 21 Les années de formation: l'esprit curieux de Humboldt

et le rêve fou du baron Stieglitz 25 Le label Fabergé: l'ultime développement d'un art de cour 27 Birbaum et les œufs impériaux 35 Frants Petrovitch: le pédagogue et le censeur 37 Lapidaire et gemmologue 39 Un style national et populaire 44

«Notre Russie» doit faire un effort 46 Une tour d'ivoire sur une mare de sang 50 La Révolution d'Octobre: un espoir pour les arts appliqués 54 Pillé, humilié et arrêté 60 3

«Exilé dans son propre pays» 63

«Incapable d'un travail productif et neurasthénique» 64 Reconversion par la peinture 77 Du jade aux galets du Rhône 81 Le jardin secret 83 Une œuvre totalement dispersée 89 Un mécène et des amis 94 Sur un itinéraire spirituel: l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune 103 La critique et les contemporains 111 Un métier et une méthode 113 Le sens de la destinée et la valeur de l'œuvre 115 Repères biographiques et historiques 117 Bibliographie sommaire 118 L'Association des Amis de François Birbaum 120

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REMERCIEMENTS

Remerciements

pour leurs précieux appuis La Loterie Romande

La Ville d'Aigle La Ville de Fribourg La Ligue suisse du patrimoine national

La Société fribourgeoise d'Art public Les Télécom PTT, direction de Fribourg

Le Service des affaires culturelles de l'Etat de Vaud

La Banque cantonale vaudoise La Fondation Göhner à Zoug

Gratitude pour leur aide dans nos recherches M. Daniel Bourgeois, des Archives fédérales à Berne

M. Martin Nicoulin, directeur, et les collaborateurs de la Bibliothèque can¬

tonale et universitaire de Fribourg Les Archives de l'Etat de Fribourg M™* I. A. Rodimtseva, directrice du Musée et Conservatoire historico-cul- turel national du Kremlin de Moscou qui a autorisé la reproduction des œuvres de Fabergé appartenant à ses collections

M. Alexandre D. Margolis, directeur de la Fondation pour la Renaissance de Saint-Pétersbourg et M™ Elena M. Tarkhanova

Les archives de l'Evêché de Lausanne, Genève et Fribourg Les Archives de la Ville de Lausanne Les Archives de la commune de Montreux

M. Pascal Rudin et la Fondation de la Famille J.J. Mercier de Molin, au Mont-sur-Lausanne

Le Photo-Club d'Aigle

M. Jacques Amiguet, à Aigle, qui a photographié et répertorié plus de 400 tableaux

M™ Anne Bielmann, à Bex, conserva¬

trice du Musée du Chablais M. Jacques Bolomey*, à Yvorne M"* Charlotte Cornioley*. institutrice honoraire, à Aigle

M1" Anne Croset, à Aigle

M™ Georgette Dami* (f 1" janvier 1997), à Aigle

M. André Denoréaz*, à Aigle, qui a compulsé toute la presse locale publiée entre 1920 et 1947

M. Aimé Desarzens*, ancien syndic et député de Bex

M. Jean-Marc Hahling, muséographe, à Aigle

M. Nicolas Isoz, conservateur des Musées vaudois de la vigne et du vin et international de l'étiquette, à Aigle M™ Doris Jakubec, Archives de C.-F.

Ramuz

M" Michèle Kühni, photographe, à Berne

M™ Antoinette Meer*, à Aigle M. Jacques Ménétrey, à Lausanne M. Paul-André Pichard, photographe, à Saint-Triphon (Ollon)

M. & M™ Ruiz-Badanelli, à Fribourg M. Pierre Thomsen", architecte et peintre, à Aigle

M™ Germaine Treyer-Pahud", à Genève

* ont connu personnellement François Birbaum et Marguerite Duperthuis

© Eric-Alain Köhler Editeur:

PRO FRIBOURG, Stalden 14, 1700 Fribourg ISBN 2-88359-018-4

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UNE ŒUVRE ET UNE DESTINÉE

Pour avoir une simple idée de la vie extra¬

ordinaire de l'artiste, du chef d'entreprise, de l'homme qui approchait le tsar et du pastellis¬

te discret qui est mort à Aigle dans l'oubli le plus total, il suffit de suivre à la trace, comme un résumé de sa destinée, les divers noms sous lesquels ses contemporains l'ont connu.

Le jeune fils du boulanger Birbaum est bapti¬

sé Franz Peter dans la Basse-Ville de Fribourg, et dans le même temps François au Collège Saint-Michel, au cœur de la Ville Haute. A partir de 14 ans et jusqu'à l'âge de 50 ans, il signe - en cyrillique - Frants Petrovitch Birbaum, dans la Russie où les tsars Alexandre III et Nicolas II le connaissent personnellement.

Animé par l'idée que le travail, une for¬

mation permanente et le développement de nouvelles techniques à partir d'anciennes méthodes de production peuvent assurer le développement de la Russie, il mène une exis¬

tence de «civilisateur»: Birbaum est à la fois pédagogue et censeur.

Au point que la révolution d'Octobre le trou¬

ve prêt à mettre son savoir-faire et son énergie au service des Soviets, malgré la disparition de son épouse, morte dans la famine et les priva¬

tions de l'hiver 1918. Emprisonné par la sinistre Tchéka qui tente de lui faire dire où étaient dis¬

simulés les trésors cachés du joaillier russe, il sent qu'il n'a plus sa place dans sa seconde patrie. Il revient avec le dernier convoi organi¬

sé de rapatriés pour se retrouver «en exil dans son propre pays». Dans les années vingt, veuf, humilié et dépouillé de tous ses biens, il traver¬

se une brève période de profond désespoir. Il prend alors tout simplement le nom de François Birbaum.

Le petit collégien fribourgeois fait le voyage de Saint-Pétersbourg à 14 ans et devient, à l'âge de 23 ans, designer chez Fabergé, fort d'une culture et d'un métier qui fascinent les Russes autant que son patron. Il devient ainsi le premier Maître («master» en russe) d'une firme exceptionnelle.

Frants Petrovitch - les dernières recherches en Russie le montrent - donne à Fabergé tout son lustre: il apporte à Cari et à ses fils le lien fort qui noue la gerbe d'une production foison¬

nante. Birbaum a des idées claires, des conceptions nouvelles et des exigences de qualité, techniques et artistiques, qui assurent au joaillier des tsars une renommée certes méritée, mais qui lui doit beaucoup. Birbaum écrit d'ailleurs simplement qu'il a dessiné et collaboré à la réalisation de «plus de la moitié des œufs impériaux».

Cet héritage est encore loin de lui être rendu par tout le petit monde qui tourne autour de Fabergé et spécule sur les pièces originales - et des faux I - de la firme de Saint-Pétersbourg.

Justice ne lui est guère mieux rendue par tous ceux qui salivent à l'idée d'utiliser à leur profit la renommée d'une marque aussi prestigieuse pour lancer de nouveaux produits de luxe ou de grande consommation...

Il est vrai que François Birbaum n'a jamais rien fait pour qu'on le retrouve un jour sur le devant de la scène. Il a toujours mis l'entier de son talent à la disposition de son patron, se contentant des fruits de ses propres recher¬

ches (elles vont de la minéralogie à l'art du lapidaire, des émaux à l'évolution des styles, de l'histoire des arts appliqués à l'élargisse¬

ment de leur champ d'application). Dans son immense bibliothèque et au milieu de ses col¬

lections, Birbaum n'a pas non plus vu évoluer la société russe.

Isolé dans sa tour d'ivoire, il n'a pas tiré de leçon de l'humiliante défaite de son pays d'adoption face au Japon, ni d'ailleurs de la révolution avortée de 1905: on entassait pour¬

tant les cadavres devant sa porte ou presque.

Ce rêve du travail et de la formation profes¬

sionnelle qui allaient, enfin, civiliser la grande et riche Russie, Frants Petrovitch l'a encore caressé alors que la première guerre mondia¬

le éclatait et que la mobilisation vidait les ate¬

liers de leurs meilleurs artisans. Birbaum a une

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1*1 *

François Birbaum dans la plaine du Rhône près d'Aigle vers 1940. A ses côtés, les boîtes de pas¬

tels qui lui permettaient de fixer les nuances de cou¬

leurs nécessaires à une élaboration plus détaillée de son sujet. Les finitions et les détails étaient peau¬

finés en atelier. La photo¬

graphie a été prise par son ami et confident, le relieur René Amiguet d'Aigle, qui confectionnait autour des œuvres de Birbaum des sortes de petites boîtes sous verre.

Les pastels étaient ainsi protégés et pouvaient ultérieurement être enca¬

drés, sans risquer de se détériorer.

(archives Ruiz-Badanelli)

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La Dent-Favre, dans la chaîne qui court des Muverans aux Dents-de- Morcles (frontière des Alpes vaudoises et valai- sannes). La haute mon¬

tagne, dans ce qu'elle peut avoir d'exclusivement minéral, a fasciné François Birbaum. Dans ce jardin secret d'altitude, où le temps qui passe prend une autre dimension qu'en plaine, il s'est attaché à rendre le côté monumental de son sujet, tout en in¬

sistant sur les conditions particulières de lumière liées à l'instant précis où il peignait.

(coll. privée)

fois encore joué le jeu et participé à la conver¬

sion de Fabergé, chez qui l'on s'est mis à pro¬

duire des seringues, des fusées d'artillerie et de la vaisselle de campagne pour les officiers.

Après la révolution d'Octobre, dont on sait aujourd'hui qu'elle a fait durablement basculer toute une partie du monde, Birbaum se dit qu'il a peut-être la chance unique de pouvoir mettre sur pied des manufactures où l'on dote¬

ra le prolétariat d'objets et d'ustensiles à la fois pratiques et beaux: un vrai songe de profes¬

seur Nimbus. Car autour de lui, l'économie s'écroule et le ravitaillement a disparu. Le ventre creux dans des locaux non chauffés, il participe cependant aux délibérations stériles - et souvent cocasses - de plusieurs soviets, en caressant des rêves d'avenir radieux.

De retour en Suisse, il tentera de mettre son savoir-faire à la disposition des entreprises de sa branche: personne ne voudra de lui. Il pense alors à un prochain retour «chez lui», à Pétrograd, car il suppose bien à tort que la révolution ne va pas durer.

Le réveil est aussi tardif que brutal. Mais comme Job, François Birbaum va transcender la misère morale et matérielle dans laquelle il

se trouve. Il va rayonner dans un petit cercle d'amis fidèles, grâce à une spiritualité faite de courage et de sérénité. Durant la dernière guerre, il aide encore très discrètement des réfugiés juifs à passer la frontière franco-suis¬

se près de Finhaut. Auparavant, il avait doté l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune de fabu¬

leux objets liturgiques «pauvres» et surtout créé une œuvre totalement méconnue, faite essentiellement de pastels qui chantent la nature et le bonheur d'aller dans le sens de la vie. Dans ses meilleures pièces, il y prend har¬

diment le contre-pied du «mythe salvateur» de la montagne et du «réduit helvétique», se rap¬

prochant ainsi d'autres novateurs, comme les frères Gubler dans le Riedertal uranais.

Mort dans l'oubli en 1947, François Birbaum nous lègue une destinée et une oeuvre totale¬

ment dispersée dont les leçons sont d'une étonnante actualité, parce qu'elles s'appuient avec générosité sur deux mondes de richesse et de pauvreté qui ne sont antagonistes qu'en apparence, comme le savent bien les théolo¬

giens. Peut-être fallait-il un purgatoire de 50 ans pour prendre enfin la mesure d'un homme et d'une œuvre aussi attachants?

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Les œufs signés Fabergé offerts à la tsarine Alexandra Féodorovna par Nicolas II ont été réunis dans cette vitrine aujour¬

d'hui légendaire. La collec¬

tion a fait l'objet d'une pré¬

sentation publique une seule et unique fois en mars 1902, dans le palais de von Dervis. L'ensemble est aujourd'hui dispersé.

Certains de ces joyaux ont pu être conservés en Russie, grâce à la clair¬

voyance opiniâtre d'un conservateur du Musée du Kremlin, qui a réussi à garder jalousement ces trésors, plutôt que d'appor¬

ter des devises fortes au moulin de la révolution pro¬

létarienne.

(archives des Musées du Kremlin)

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LES RACINES FRIBOURGEOISES par Eveline Maradan

De 1848 à 1856, le radicalisme appuyé par les troupes fédérales avait tenté de faire table rase du passé. Après la défaite des Radicaux en 1856, un régime conservateur s'installe dans le canton. Tout esprit un tant soit peu indépendant était suspect, seules les forces les plus traditionnelles avaient droit de cité. En 1881, les conservateurs catholiques prennent le pouvoir au parlement, conquièrent la ville de Fribourg l'année suivante avant de contrôler le gouvernement en 1886, année où Georges Python s'installe durablement au Conseil d'Etat. Face au Kulturkampf et au triomphe en Suisse du progressisme, Fribourg s'érige en citadelle. Au milieu des terres protestantes, Fribourg vit dans un isolement qui n'a rien de splendide, hormis le gothique flamboyant et le rayonnement lumineux des vitraux de ses églises. En ce temps-là, les conservateurs et la pauvreté régnaient en maîtres sur le canton. La seule manière politiquement correcte d'échap¬

per alors aux rigueurs du climat et du clergé, à l'étroitesse du territoire et des esprits, à l'ingra¬

titude de la terre et des nantis était l'émigration.

Une identité sur le fil de la frontière linguistique

Quelques mots sur les parents de François Birbaum. Pierre Eusèbe, né le 12 (ou 13) juin 1839 et décédé le 12 octobre 1889 à Fribourg1, était le fils légitime d'Udlaric (Uldarich), origi¬

naire de Tavel et d'Anna née Zamofing origi¬

naire elle aussi de Tavel, dont les parents habitaient alors encore à Tavel en Singine. La famille Birbaum était dite de Tafers bei Wölgeswyl et les Zamofing de Tafers bei Zeig (Seeli). Selon certains documents la famille Birbaum est dite d'Alterswil. La raison en est qu'Alterswil devint définitivement paroisse autonome de Tavel en 1895. Un plan cadastral de 1864 montre toujours une forte implantation Notes: de la famille Birbaum dans cette localité, voir en page 119 représentée alors par les différentes proprié¬

tés de Martin, Ulrich et des enfants de Peter Birbaum «von Wolgiswyl». Pierre Eusèbe avait épousé en premières noces à Tavel, le 27 avril 1863, Elisabeth Philomène Zahno, elle-même originaire de cette localité, où elle décéda le 18 décembre 1864. Et c'est l'année suivante que Pierre Eusèbe vint résider à Fribourg2.

Le 7 novembre 1870, Pierre Eusèbe épou¬

se en l'église Saint-Julien de Matran Marie- Anne-Victorine (Victoire), née le 20 décembre 1845 à Fribourg et décédée le 12 août 1886, fille légitime de François-Pierre-Bruno Uldry, né le 25 octobre 18133, originaire de Fribourg et Tavel et d'Anne-Marie née Sudan, dite Nanette de Bulle, née le 18 juillet 1818, décé¬

dée le 6 novembre 1888. C'est l'abbé Aloyse Uldry (1822-1888), oncle de la mariée4 et curé de Matran, qui bénit le jeune couple. Aloyse joua par la suite un grand rôle dans la forma¬

tion artistique de son petit neveu5.

Officiellement francophone, le couple vivait ensemble depuis 1865 dans une chambre que Marie-Victoire occupait depuis sa naissance au numéro 22 du quartier de La Neuveville. Ce lieu a une histoire puisqu'il s'agit de l'Abbaye des Tailleurs, qui correspondait alors au Saint Home Bon, une auberge dont le propriétaire était Nicolas Jungo6. Il s'agit de l'actuel 39 rue de La Neuveville. Au même endroit vivait l'in¬

génieur Bernard Ritter. Toutefois, Pierre Eusèbe Birbaum qui tient une boulangerie en ce lieu depuis le 28 avril 1866 semble être parti le 14 avril 1868 avant de reprendre son commerce le 20 décembre 18707.

Dans le quartier où ils résident, franco¬

phones et germanophones coexistent dans la diversité des métiers. Pierre Eusèbe se décla¬

ra francophone en 1870 et de langue alleman¬

de en 1880.

Les Birbaum ont alors pour voisins des confiseurs, menuisiers, domestiques et autres journaliers. Les métiers de la campagne - qui

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jouxte la Vieille-Ville - se mêlent aux tra¬

vailleurs de la cité. Qu'elles soient mar¬

chandes, repasseuses ou couvreuses de cha¬

peaux de paille, les femmes sont nombreuses à travailler. Comme Pierre Eusèbe, de nom¬

breux Singinois venus de leur tout proche district se sont partiellement francisés. Son beau-père François-Pierre-Bruno Uldry, vit à proximité avec son épouse, et sa fille Reine, née le 19 mai 1852, ainsi que son fils Louis- Aloyse, né le 2 octobre 1848, au rez-de- chaussée et au 1er étage d'une maison qu'il possède en copropriété avec son frère Aloys.

les héritiers de sa sœur Reine, et les enfants de son frère François-Pierre, au N° 74 (actuel N° 88) de La Neuveville8.

Le quartier de La Neuveville était autrefois le centre des industries fribourgeoises, les draps

et les cuirs en particulier. Depuis la construc¬

tion du Grand Pont suspendu et de l'arrivée du chemin de fer, les activités commerciales et industrielles quittent la Vieille-Ville pour se concentrer dans la Haute Ville. Ce n'est qu'à partir de 1881 que Paul Blancpain est en mesure de commencer le développement de la brasserie Cardinal qui se trouve alors rue de La Neuveville. Le jeune Georges Blancpain fut d'ailleurs le condisciple de Birbaum au Collège Saint-Michel. Il faudra attendre 1891 pour que la Route Neuve relie directement le quartier de La Neuveville à la gare.

Jusqu'alors, pour rejoindre le Bourg et le reste de la ville, il fallait soit emprunter les marches du Court-Chemin ou la rue de la Grand-Fontaine, soit encore, par un long détour, passer par le quartier surpeuplé de

Vers 1880, le quartier de La Neuveville, avec son auberge des Tailleurs, dans la Basse-Ville de Fribourg. On voit (en haut à droite) l'Hôtel de Ville de Fribourg.

(archives Pro Fribourg)

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l'Auge et la rampe si pentue du Stalden. Placé à l'écart du trafic «les rues des bords de la Sarine deviennent un ghetto des classes populaires qui forment plus de la moitié de la population active de la capitale».

En décembre 1870, sans doute en prévision des futures naissances, la famille Birbaum se déplace de quelques centaines de mètres, franchit le pont Saint-Jean sur la Sarine et occupe un logement plus grand au 106 de la Planche-Supérieure, l'actuel N° 37, juste à côté de l'auberge et brasserie de l'Epée.

Pierre Eusèbe Birbaum était propriétaire de cette maison qui possédait également un four et une cave voûtée9. La place dite Planche- Supérieure, où se tenait encore le marché au bétail, est un vaste espace pentu et triangulai¬

re, au bas duquel coule la Fontaine de Saint- Jean-Baptiste, oeuvre de Hans Gieng, datant de 1547. A mi-chemin des demeures succes¬

sives de la famille Birbaum se trouve l'église Saint-Jean, consacrée en 1264, accordée aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. A noter que jusqu'en 1511 l'église ainsi que la Planche-Supérieure et la Planche-Inférieure étaient situées dans la paroisse de Tavel, sépa¬

rée de celle de Saint-Nicolas par la Sarine.

Le 1er novembre 1870, l'église de Saint-Jean fut érigée en rectorat avec juridiction sur la Planche et La Neuveville, puis finalement agrandie en 1885.

Enfant, François Birbaum put y admirer des restes de peintures murales, des calvaires et des consoles, des sculptures polychromes du XVIe siècle.

Jean-Vincent Bornet, fils du professeur Louis Bornet y devint curé et chanoine le 15 avril 188010. Au moment où naît François Birbaum sévit «l'immense crise» des années 1870.

Le 6 septembre 1872, très précisément à 10 heures du matin, François-Pierre voit le jour à Fribourg (l'année même où Cari Fabergé, âgé de 26 ans, prend la direction de la firme familiale). Il naquit à Fribourg et non à Alterswil

comme on le prétend communément. Le curé Tobias Loffing qui signa l'acte de mariage de ses parents deux ans plus tôt, ratifie l'acte de baptême du premier fruit de cette union. Le 7 septembre, le chanoine Flenri-Joseph Ems, jeune recteur de l'église Saint-Jean-Baptiste de Fribourg baptise l'enfant qui eut pour mar¬

raine sa grand-mère Anne-Marie Birbaum et pour parrain Jean-Pierre-Bruno Uldry.

Quartier chargé d'histoire et peuplé d'arti¬

sans et d'ouvriers proches de la campagne, la Planche-Supérieure est alors un endroit où s'imbriquent étroitement francophones et germanophones, brasseurs et petits artisans.

Dans son foyer, sept personnes partageaient un deux-pièces. Outre François et ses pa¬

rents, trois autres enfants: Anette, née le 29 avril 1875, Louis, né le 14 mai 1877, Albert, né le 15 mai 1879 et une domestique. Un cin¬

quième enfant, Reine, née le 15 août 1880, était alors en pension chez Piller en l'Auge11. Grâce au recensement de 1880, nous connaissons les noms et l'origine sociale des voisins. Dans la même maison vivaient un tein¬

turier bernois, de langue française, Louis Zbinden, sa femme et son fils, une famille Jungo germanophone dont le chef de famille était manœuvre. En tout 17 personnes demeu¬

raient dans cette habitation.

Bref séjour au Collège Saint-Michel

Son père étant boulanger, F. Birbaum n'était pas appelé a priori à s'élever facilement dans la société.

L'imaginaire collectif du peuple fribour- geois, plus tenté par le mysticisme que par la création artistique, suspecté de conduire à l'émancipation des esprits, ne pouvait le conduire naturellement vers cette voie. Son oncle, Aloyse Uldry, semble avoir joué un grand rôle dans son éveil à l'art. Le jeune garçon fréquenta le Collège Saint-Michel, haut

11

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lieu de mémoire du canton. Il s'agissait alors d'un passage obligé pour tout écolier doué.

Outre un solide bagage intellectuel, il marquait généralement à jamais l'esprit de celui qui y passait. Ce Collège «est peut-être celui qui, par ses origines et l'ensemble de son passé, présente la plus forte individualité»12 affirme J.-B. Jaccoud dans sa notice.

Au moment où le jeune Birbaum entre au Collège Saint-Michel, la prestigieuse institution fondée par les Jésuites sort à peine d'une grave crise. Ecole cantonale sous le régime radical (1848-1856), la réorganisation du Collège n'alla pas sans peine. Trouvant avec difficulté son équilibre intérieur, en prise à l'autoritarisme du régime conservateur, «le Collège connaîtra donc, surtout entre 1870 et 1882, une crise encore aggravée par l'agita¬

tion politique et religieuse de cette époque en Suisse. Six recteurs se succèdent en douze ans, sans dominer une situation de plus en plus chaotique (...) Finalement, la loi du 18 juillet 1882, rend au Collège une large autono¬

mie, dispensant le directeur de l'Instruction publique d'Intervenir dans tous les détails et mettant en vérité le recteur à la tête de la mai¬

son»13. La finance d'inscription était alors de 5 francs pour les Fribourgeois. Au niveau de la discipline, il était défendu aux élèves «de se baigner à la Sarine», de se trouver hors de chez eux le soir, de pénétrer dans une biblio¬

thèque publique.

Birbaum fréquente successivement les pre¬

mier et deuxième cours de la section indus¬

trielle, en 1884-1885. D'origine récente, réor¬

ganisée en 1872, et n'ayant pénétré au Collège qu'avec peine, «cette section n'a pu bénéficier de l'ancienne fondation, mais elle a joui des faveurs du gouvernement et du public»". La section industrielle (école réale) se subdivisait après la deuxième année que Birbaum n'acheva jamais. Pour être admis en 1rs industrielle, il fallait avoir 12 ans révolus.

Pour entrer au Collège, François Birbaum dut

subir, comme tous les nouveaux élèves, un examen d'admission en langue française, en arithmétique, en histoire et en géographie. Les cours qui se déroulaient dans le bâtiment du lycée préparaient l'entrée à l'Ecole polytech¬

nique et à une carrière d'ingénieur. Troisième de sa classe, il y suit des cours d'instruction religieuse qui lui valent la première année un prix. Dans ce bastion du catholicisme, la reli¬

gion représentait «le fondement et la base d'une bonne éducation et de toute instruction solide». Chaque matin, les élèves assistaient à la messe15.

Il se distingua également en histoire - branche enseignée alors par Jean Gremaud - et, ce qui nous intéresse le plus ici, en calli¬

graphie où il obtint un 7 (très bien) tout comme en dessin académique. «Bon» en langue fran¬

çaise, il est «médiocre» en allemand, «assez bon» en mathématiques et «bon» en géo¬

graphie16. L'année suivante, il commença l'an¬

glais, la comptabilité, la botanique et le dessin technique. Le dessin était une branche acces¬

soire, considérée comme une branche de luxe. Le professeur de dessin était alors François Bonnet, un Français formé à l'Académie de Rome qui se rattachait à l'éco¬

le française de 1860. Selon J.-B. Jaccoud, ce maître très populaire parmi les enfants «excel¬

lait dans les croquis, les pochades, les com¬

positions fantastiques; il a laissé d'intéres¬

santes aquarelles et quelques tableaux à l'hui¬

le remarquables par les effets de lumière et une certaine fraîcheur de couleur». Quant au dessin technique, il était donné par Casimir Niquille, de 1883 à 189017. On ose imaginer que les professeurs fribourgeois de Birbaum contribuèrent à en faire le designer de Fabergé qu'il devint quelques années plus tard.

Les camarades fribourgeois du jeune Birbaum ont pour nom Xavier Fasel, Jean Egger, Auguste Winckler, Jean Lehmann et l'année suivante, ses autres camarades de classe fribourgeois seront Alexandre Reyff,

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Alexandre Mauron, etThéobald Jenny, comme lui originaires d'Alterswil. Les tableaux des prix et des notes de mérite, pour l'année 1885-86, signalent qu'il a quitté l'école pendant l'année scolaire18. Ainsi abandonna-t-il la «maison bien aimée» dont parle Léon Savary, laquelle

abrita ce que l'écrivain fribourgeois nomme

«nos années précieuses»19. Le recteur R.

Horner lui délivra, comme aux autres élèves qui quittaient le Collège, un témoignage d'études et de conduite.

La rue de La Neuveville à la fin du siècle dernier:

c'est le décor de l'enfance de François Birbaum.

(archives Pro Fribourg)

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Le quartier de la Planche- Supérieure à la fin du XIXe siècle. Il s'y tient une foire au bétail qui occupe tout l'espace et qui donne une idée de l'ani¬

mation dans la Basse-Ville.

La maison natale de François Birbaum est sur la gauche. Dans cette maison claire, à droite de la trouée dans l'alignement des façades, la boulan¬

gerie paternelle était au rez-de-chaussée.

(archives Pro Fribourg)

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Un passeport de précepteur

Gros producteur d'hommes et faible pour¬

voyeur d'emplois, le canton de Fribourg exportait en masse ses éléments en sur¬

nombre. A la fin du XIXe siècle, le débouché traditionnel que représente le service militaire étranger est quasiment tari. Autres temps, autres mœurs, il n'était plus question de se laisser séduire par l'attrait des régiments colo¬

rés au service des rois étrangers. Seule une porte étroite de caserne restait ouverte pour les esprits aventureux ou idéalistes: celle de la garde pontificale ou celle de la Légion étran¬

gère. Toutefois, le courant migratoire reste essentiel au maintien de l'équilibre intérieur du canton et le franchissement des frontières reste alors naturellement l'un des rares moyens de s'offrir une perspective pour qui n'a pas la chance de naître dans le milieu des notables. Pour ceux qu'animait faiblement une âme guerrière restait la possibilité d'être employé comme domestique en terre étran¬

gère. Pris entre l'épée et la serviette, quelques solides têtes trouvèrent une échappée hono¬

rable hors de Suisse comme enseignant. Plus modestement des milliers de dames partirent comme bonnes d'enfants ou ménagères. A ce titre, la Russie représentait alors une terre de conquête, aussi bien pour les lettrés cher¬

chant à se placer comme précepteur (ou préceptrices) que pour des vignerons, comme certains Vaudois de Chabaz.

Pour se rendre à Saint-Pétersbourg, François-Pierre Birbaum, qualifié à 14 ans de

«précepteur», obtint le passeport N° 632 et le livret accompagnant N° 38, qu'il paya 50 cen¬

times. Ce document délivré par la chancellerie fribourgeoise était valable du 5 octobre 1886 - jour de la rentrée des classes à Saint-Michel - au 5 octobre 1889. Ce passeport nous offre quelques renseignements non dépourvus d'in¬

térêt sur l'aspect physique de cet adolescent de 14 ans, dont on ne nous donne pas encore

la taille puisqu'il est encore en pleine crois¬

sance. Jeune homme aux cheveux bruns, avec un nez et une bouche «proportionnés», il possédait un «menton ordinaire», un front

«découvert» et un visage «rond», le tout sans signes particuliers20.

D'autres membres de la famille Birbaum émigrèrent en Russie à cette époque, comme en témoigne le registre des passeports. Amélie, née Blanc et veuve de Philippe, se rend au pays des Tsars en 1877 et volt son passeport renouvelé en 1881 et en 1885. Son fils, le com¬

mis-négociant Antoine Birbaum rejoint sa mère à Saint-Pétersbourg en juin 1877 et voit lui aussi son passeport renouvelé en 1881 et 188421.

François Birbaum perdit rapidement ses principales attaches parentales helvétiques.

Sa mère était morte peu avant son départ, son grand oncle bienfaiteur la suivit dans la tombe en 1888 et son père rendit l'âme l'année sui¬

vante. François Birbaum s'établit à Saint- Pétersbourg, que ses compatriotes tessinois, tel Domenico Trezzini, avaient contribué à bâtir au temps de Pierre le Grand. Plus proche de Birbaum dans le temps et dans l'esthétique, l'orfèvre genevois Jérémié Pauzié (1719-1779) fut à Saint-Pétersbourg, où il se rendit à pied, le concepteur de la fabuleuse couronne réali¬

sée pour le sacre de Catherine II. Plusieurs membres de la famille Duval de Genève s'éta¬

blirent durablement comme joailliers de la Cour des bords de la Néva de 1745 à 181722. Finalement héritier de cette tradition, Birbaum contribua à la fin du XIXe siècle à apporter ses lettres de noblesse à une émigration civile si peu spectaculaire à l'époque. Tandis qu'autre¬

fois ses compatriotes versaient le sang sur les champs de bataille de l'Europe et jusqu'en Russie, Birbaum fit couler l'or et l'argent dans l'atelier Fabergé.

Eveline Maradan

(18)

ENTRE LA BASSE-VILLE ET LA VILLE HAUTE UNE ENFANCE À DEUX NIVEAUX

François Bonnet a assuré l'enseignement du dessin du Collège Saint-Michel.

On lui doit cette vue de Fribourg tirée d'un album de croquis intitulée «En chemin de fer de Lausanne à Berne», daté de 1870, avec un texte de Victor Tissot, Lithographie Spengler, Lausanne.

(archives Gérard Bourgarel) Des données chiffrées sont rares pour

brosser un tableau fidèle des conditions qui prévalaient dans la Basse-Ville de Fribourg entre 1872 et 1886, c'est-à-dire entre la nais¬

sance de François Birbaum et son départ en Russie. Et rien ne vient éclairer la chronique ou les détails de la vie quotidienne au sein de la famille du jeune Franz Peter Birbaum. Mais un effarant rapport bilingue du «Bureau de sta¬

tistique du canton de Fribourg», publié en 1908, donne une idée plus précise du niveau de confort et de l'état de la santé publique en ville de Fribourg, à la fin du XIXe siècle. La toute première enquête sur les «logements locatifs vers 1900» du professeur Hans Schorer montre, dans toute la sécheresse des chiffres, que les conditions de vie étaient par¬

ticulièrement précaires dans la Basse-Ville, puisque les familles s'entassaient dans des logements minuscules dépourvus de commo¬

dités: dans le quartier de l'Auge, le 93% des

logements est constitué d'une ou deux pièces, souvent sans cuisine. A La Neuveville, ce sont 88,5% des habitations qui n'ont qu'une ou deux pièces. «La proportion est de 3 per¬

sonnes par logement d'une pièce» et 61 % des logements sont occupés par 5 à 8 individus.

Au bas de l'échelle sociale et dans toute la ville de Fribourg, Hans Schorer fait remarquer que près de 2000 personnes s'entassent dans 331 petits appartements: il évoque une

«insuffisance absolue du logement». Un triste record est même atteint, écrit-il, avec «10 per¬

sonnes par logement d'une pièce! La chambre est occupée par 10 personnes, 4 adultes et 6 enfants; elle sert de chambre à coucher et de chambre à manger. Le volume de la chambre est de 65 mètres cubes, la longueur de 5,8 mètres, la largeur de 4,7 mètres (...) Le prix du loyer annuel se monte à 132 francs». Ailleurs,

«le lieu d'aisance se trouve dans la cuisine fai¬

sant partie du logement».

(19)

Le professeur Hans Schorer note ainsi que

«l'insuffisance des cabinets d'aisance, la mal¬

propreté, l'air insalubre caractérisent, presque à titre de règle générale, les logements bon¬

dés. L'absence de toute règle d'hygiène doit causer ici bien des ravages. Ceux-ci seraient beaucoup plus grands encore si dans le fond, la population n'était robuste et douée d'une grande force de résistance physique». Et de mettre en évidence les trois principales causes de la mortalité infantile dans les plus anciens quartiers de la ville que sont la tuber¬

culose, les pneumonies et les gastro-entérites:

plus de 73 cas de tuberculose mortelle en 1906 et 1907 (17 dans le quartier de La Neuveville, autant à l'Auge, 21 au Bourg et 18 aux Places). Hans Schorer remarque encore que cette promiscuité et ces conditions de vie déplorables ont des conséquences «tant au point de vue social qu'à celui de la moralité et de l'hygiène (...): le père de famille, le soutien de ménage, déserte le foyer pour l'auberge ou

le cabaret, où il trouvera toujours plus de confort; les plaintes sur les ravages de l'alcoo¬

lisme dans la Basse-Ville se font entendre sans cesse».

Ces accablantes données sur le logement, réunies au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, font dire à Hans Schorer que

«dans le quartier de La Neuveville, nous ne rencontrons pas de rentiers, ni de fonction¬

naires; en l'Auge, ils se retrouvent en quantité infime; quant aux commerçants, domiciliés dans ces deux quartiers, il ne s'agit ici que de détaillants retenus dans ce milieu par les exi¬

gences de leur commerce, pratiqué dans un voisinage immédiat».

Le statisticien relève, dans ses conclusions, que si les loyers fribourgeois sont inférieurs à ceux des autres villes de la Confédération,

«des écarts (...) pareils à ceux rencontrés dans la Basse-Ville et dans la Ville-Haute ne se retrouvent dans aucune des villes suisses où des enquêtes sur le logement ont été faites et

Le collégien Birbaum obtint un prix de religion lors de sa première année au Collège Saint- Michel. Les bulletins scolaires annuels détaillés en témoignent.

(archives cantonales Fribourg)

SECTION INDUSTRIELLE PREMIER COURS

Tableau des prix et des élèves distingués 1. Instruction religieuse :

Prix : JJirbunni, Fi:mc;.>is.

II. Progrés : OlUKTX JVRXSliKrNCMIvN'I 1. Langue française.

Sinioiiii. I .nciis.

Desp'inl. KmmiimiH.

2. Langue allemande.

Siiriuna. Ixiiiis.

Comic. Ignace.

Spir.htig. («oui«.

3. Mathématiques.

Spîchlig. I-oiiis.

4. Histoire.

JSirlwuiii, Fraiu;oi*

Sjiirhtl«. f»tii«.

5. Ocographie.

Simoun. I.oui$.

Spichtic, !xuiis.

Fitvro. Einilf.

Furroi". .lowpli.

Ktff'r, .loan.

•'«into. Ignaci'.

F:i.<el. Xavier.

Schmvoy. Jean.

0. Calligraphie.

K«gcr. .i <'iih.

Siliioiiu. Lmiis.

Birl'iuim. Fran<;oi?.

Spiclilig. I/mK 7. Destin aoaâémiqno.

Simon», l.niiis.

Ejjeer. .'«in.

L.'hmsuiii. J<MH.

SclK'rwey. .lean.

Sonn, AIWi.

Tableau des classes ot des notes do mérite nom* DK« i-:lï-:yes s ils lii|| & I ' '& • — \ .9 s 7. : ï a

Simon«. I^oui? <lo Lonirno (Tcssin). .Louis, de SUtiw (Nidwaldmt), 0 : ">

:!. liiiimum. François. d'Aliorawyl. .

». Srbiwçy. Jean, do fînin ....

•>. Kitrrer. -iosepli, de Silcricn (Uri) Ü. l-'avro, Kmili;, «le l'ont (près Omit) . 7. Eiti:pr, -lo:in. d« Fribourg ....

■ • Winklcr. August«, do Fributirg . .

!l. Conno, Ignnw. i1« Fi'il>our({ . . . i'. <lc Krtbourfl . . . . .. .. ...

t.Dfspoiit.Kmwiaiiuel.d'EchailensfVuiicl) ■ 0 U « i f>

2. Sdiulor, lîugtne, de Hagatx (iSMiîtll) . ' -I 5 5 i 0 •. Serin, Albert, do Ration (ArgoYie) . . " I. ■lenirv. Tliéobald, d'Altfimvyl . . .

">■ Kssol, Xavier, de Fribourg .... ■ . Kling, Albert, de Wildegg (Ar^ivic;

1 il S

For#«. Kdoimrd,<rAré»|iiipa {î'érou) A quitté pendant l'année scolaire :

OhftrtM, de Zfjiig.

(20)

où existent par conséquent des indications concernant les quartiers occupés par le prolé¬

tariat et ceux occupés par d'autres éléments de population». Ainsi, «c'est aux maisons de la Basse-Ville que revient l'honneur probléma¬

tique d'avoir fourni matière à des observations relevées par des membres de la commission militaire anglaise qui a visité la Suisse, en automne 1907; ces messieurs, après consta¬

tation faite que nulle part en Suisse l'on ne rencontre la misère, la misère profonde, telle qu'elle frappe les yeux en Angleterre, tiennent à ajouter: Cependant le hasard nous a fait connaître des trous malpropres, situés en des¬

sous du pont suspendu, à Fribourg, écrivait la

«Neue Zürcher Zeitung» (19 septembre 1907).

On notera qu'il faut des voix anglaises pour que le chef du Bureau de statistique ose, en 1908, montrer du doigt ces conditions de vie 18 déplorables.

Dès lors, on comprend mieux que l'émi¬

gration ait offert une alternative enviable à la vie dans la Basse-Ville. Et il ne fait guère de

doute qu'à l'âge de 14 ans, le jeune Franz Peter Birbaum de La Neuveville ait pu envi¬

sager, le cœur léger, de quitter la «caverne de Fribourg», comme la définissait la NZZ.

D'autant plus facilement qu'il devenait - quo¬

tidiennement, mais pour quelques heures seulement - un jeune homme «privilégié»

dans la Ville-Haute. Car au Collège Saint- Michel, il pouvait sans difficulté comparer son sort à celui de ses camarades d'études plus fortunés. Le jeune collégien a rapidement dû tirer les conséquences de cette enfance litté¬

ralement vécue à deux niveaux: tout d'abord, le salut ne pouvait arriver que par le travail le plus acharné et, ensuite, seuls un savoir éten¬

du et des connaissances très pointues allaient être susceptibles d'assurer sa promo¬

tion sociale et lui permettraient d'accéder à cette élite qu'il fréquentait quotidiennement, sans pour autant lui appartenir. C'est dans ces conditions et dans cet état d'esprit qu'il part pour Saint-Pétersbourg, à l'automne 1886.

äP •séâèsiiÂ'::

La gare de Wirballen à la frontière russe, lieu de passage obligé de tous les émigrés. L'attente pour en sortir, après d'intermi¬

nables formalités bureau¬

cratiques, policières et douanières, pouvait durer plusieurs jours. On y trouvait donc des hôtels, des restaurants et des entrepôts pour abriter les marchandises. C'est la porte de la Russie qu'a franchie François Birbaum à l'automne 1886.

(archives Pro Fribourg)

(21)

UNE TERRE D'ACCUEIL

QUI RÉCOMPENSAIT LE TALENT

La «Maison suisse» à Saint-Pétersbourg: une ins¬

titution charitable fondée en 1889 à Vassili-Ostrov avec les 23900 roubles récoltés auprès de la colo¬

nie suisse. Elle était gérée par la Société suisse de Bienfaisance. Birbaum n'a laissé aucune trace dans les actes de cette associa¬

tion. Il semble qu'il n'ait jamais participé active¬

ment à aucune des asso¬

ciations d'émigrés d'origine suisse: il avait probablement rompu tout contact avec son pays natal.

(archives Gérard Bourgarel)

Lorsqu'en 1886 François Birbaum quitte Fribourg pour Saint-Pétersbourg, il ne fait que suivre une voie d'émigration que de nombreux Suisses connaissent bien: la principale tour du Kremlin, à Moscou, n'a-t-elle pas été cons¬

truite par le Tessinois Pietro Soliari, arrivé en 1490? Le Genevois Lefort ne devient-il pas amiral?

Et depuis le début du XVIIIe siècle, les architectes qui ont participé à l'édification de Saint-Pétersbourg sont souvent tessinois.

Domenico Tresini fut ainsi chargé de la construction des remparts entre la mer et la ville. Il construisit ensuite toute une série de bâtiments officiels, parmi lesquels la cathédra¬

le Pierre et Paul, le bâtiment qui abrite aujour¬

d'hui l'Université de Saint-Pétersbourg ou encore le Palais d'Eté du tsar Pierre Ier.

La Russie offrait à ses immigrés une terre vierge sur laquelle ils ont pu bâtir une vie nouvelle: les étrangers y jouissaient d'une confiance tout à fait étonnante, d'une totale liberté religieuse et y trouvaient le plus souvent une situation matérielle enviable.

La rencontre entre ces spécialistes euro¬

péens et leur hôtes russes a le plus souvent été faite d'émerveillement mutuel, tandis que se soudaient leurs cultures pour donner tour à tour le baroque, le classicisme et l'art déco russes. Cette seconde patrie leur laissait les coudées franches et leur offrait aussi l'occa¬

sion de s'épanouir aux plus hauts postes de l'Etat. Au XVIIIe siècle, on comptait une vingtaine de Suisses comme membres de l'Académie de Saint-Pétersbourg. Et lorsque Napoléon envahit la Russie, l'armée du tsar était sous les ordres d'un Ecossais (Barclay de Tolly), le chancelier d'Etat était autrichien (Nesselrode), on trouvait un Suisse dans la diplomatie (Ribeaupierre) et, plus tard, le futur tsar Alexandre Ier a bénéficié de l'enseigne¬

ment du Vaudois de la Harpe. A partir du milieu du XIXe siècle, toute la Russie lisait l'heure sur des montres Moser et Bourré.

Quant aux arts appliqués, et plus particu¬

lièrement l'orfèvrerie et la bijouterie, ils ont permis à de nombreux Suisses de réaliser d'intéressantes synthèses entre les traditions

19

(22)

russes et les techniques européennes. Ainsi, la superbe couronne de Catherine II a-t-elle été réalisée par le Suisse Pauzier et les bijoux de Duval, Loubié ou Addor sont-ils considérés comme de purs chefs-d'œuvre.

Les immigrés qui réussissaient le mieux étaient également ceux qui s'intégraient le plus facilement et le plus complètement: ils apportaient certes les connaissances profes¬

sionnelles dont le pays avait besoin, mais ils parlaient russe, comprenaient la mentalité russe et russifiaient leurs noms, quand ils ne prenaient pas la nationalité de leur pays d'accueil. C'était sans doute la meilleure manière de rendre hommage à l'hospitalité d'une nation ouverte qui savait récompenser le talent.

Le jeune François Birbaum n'est pas arrivé avec un métier très pointu. Mais il a eu le pri¬

vilège de compléter sa formation dans un milieu très cosmopolite. Il est ainsi devenu Frants Petrovitch (Birbaum), un nom qu'il gardera bien après son retour en Suisse et qu'il continuait d'utiliser dans sa correspon-

ï;

dance avec d'autres réfugiés ou avec des connaissances et amis restés en URSS.

Si l'on en croit les manuscrits, les articles de revues spécialisées et les documents conservés dans les archives de Russie, Birbaum s'est assimilé sans problème, mais sans doute au prix d'un énorme travail per¬

sonnel. Il parlait et écrivait d'ailleurs le russe avec une richesse de vocabulaire et une syn¬

taxe parfaite qui stupéfient encore les cher¬

cheurs d'aujourd'hui et qui ne facilitent pas la tâche des traducteurs.

Il n'a jusqu'ici pas été possible de retrouver des documents indiquant comment et par qui Birbaum fut accueilli à Saint-Pétersbourg. On ne sait pas non plus quelles écoles ou institu¬

tions il a fréquentées dès son arrivée, pas plus que la famille dans laquelle il aurait été «pré¬

cepteur» à l'âge de 14 ans, comme l'indique son passeport fribourgeois. Il est certain que son passage a dû laisser des traces dans les papiers de diverses administrations tsaristes.

Mais si les archives russes ont été soigneuse¬

ment conservées durant la période soviétique, elles ne sont accessibles que depuis très peu de temps. Les actes établis par la police, qui représentent un volume gigantesque, n'ont ainsi pas encore livré tous leurs secrets.

Nous avons toutefois une certitude abso¬

lue: François Birbaum s'est retrouvé dans un milieu cultivé, curieux et studieux qui lui a permis non seulement d'apprendre son métier de designer, mais d'accumuler des connais¬

sances très vastes d'histoire de l'art et des techniques qui sont tout à fait hors norme.

La Russie: une économie à deux vitesses où l'on transporte en char et sur des routes sans revê¬

tement des produits fabriqués industriellement.

(archives Pro Fribourg)

(23)

LE «SIÈCLE D'ARGENT»

ET LE CRÉPUSCULE DES ROMANOV

Lorsque François Birbaum s'installe à Saint- Pétersbourg, les artistes russes et plus parti¬

culièrement ceux qui vivent dans la capitale de l'empire russe, sont en train de régler son compte à l'académisme classique, au conser¬

vatisme de l'art officiel. Cette fin du XIXe siècle bouillonne d'idées, d'utopies et de théories qui s'enrichissent certes des apports de l'Occident, mais qui puisent avant tout dans les racines slaves que fournissent en abon¬

dance les trois piliers de la société russe:

l'Eglise orthodoxe, la commune villageoise et l'autocratie.

En schématisant à l'extrême, on pourrait dire que le débat trouve sa source dans l'op¬

position manifestée entre occidentalistes et slavophiles qui marque le règne de Nicolas Ier

(1825-1855) et qui perdure de nos jours.

Pour saisir les grandes lignes de ce déve¬

loppement auquel participent aussi bien les écrivains que les peintres ou les musiciens, il faut voir que la place centrale dans l'art russe, au cours du dernier quart de siècle, appartient à la Société des Expositions artistiques ambu¬

lantes (les «Ambulants»).

Ceux-ci se sont libérés des conventions académiques et ont ouvert à la peinture des thèmes empruntés à la réalité qui les envi¬

ronnait: on assiste ainsi à la découverte du paysage russe par Ivan Schischkine ou Isaac Lévitane, qui va profondément marquer le jeune Frants Petrovitch Birbaum.

Comme tous les mouvements artistiques, les Ambulants enthousiasmèrent, puis s'es¬

soufflèrent. Ce qu'il y avait de neuf et de pro¬

prement révolutionnaire dans leur approche de l'art s'est lentement tari au profit de la rou¬

tine, des clichés.

Dès 1880, la génération suivante est à la recherche de voies nouvelles. «Nous voulions davantage de vérité, une intelligence plus fine de la nature, moins de conventions, d'inven¬

tions gratuites, de poncifs, davantage de raffi¬

nement, de professionnalisme» écrivait Igor

Grabar, alors peintre débutant et futur historien d'art. Cette quête d'une authenticité renouve¬

lée se manifeste alors par l'apparition du grou¬

pe du «Monde de l'Art» (Mir iskoustva) animé par Serge Diaghilev. Elle s'accompagne d'un foisonnement absolument incroyable de mou¬

vements divers - et parfois très antagonistes - qui balancent entre le culte de l'esthétisme - l'art pour l'art - et la nécessité de se ressour¬

cer dans la spiritualité russe, ou à défaut le folklore, comme le disent Hélène A. Borisova et Gregory Sternine dans leur ouvrage consa¬

cré à L'Art Nouveau russe.

Toujours en restant schématique à l'extrê¬

me, on trouve ainsi d'un côté les sermons d'un Tolstoï vieillissant et, de l'autre, les adeptes d'un symbolisme élargi. Pour le premier, l'es¬

thétisme était parfaitement haïssable, car la primauté doit appartenir à des valeurs spiri¬

tuelles contenues dans des principes moraux et religieux. Il s'agit au contraire, pour les seconds, d'ouvrir le plus largement possible des fenêtres sur une vision symbolique du monde. Plus brièvement: créer du rêve. Et l'on pourrait ajouter: à tout prix!

La question sociale, qui a agité le milieu du XIXe siècle, notamment autour des idées de l'écrivain Herzen, est bien oubliée. Peu impor¬

tent donc les lendemains qui chantent, comme l'annonce sans pudeur - mais prophé¬

tiquement - Serge Diaghilev, le leader du mouvement et le futur animateur des Ballets Russes, lors d'un toast prononcé à l'inaugu¬

ration du nouvel Hôtel Métropole, en 1905:

«Nous sommes les témoins d'un mouvement historique qui prend la mesure de ce qui va finir dans une nouvelle culture, encore incon¬

nue. C'est la raison pour laquelle, sans crainte et sans incrédulité, je lève mon verre aux murailles ruinées des magnifiques palais, comme je le fais pour ce qui est voulu ou ordonné dans la nouvelle esthétique. Et tout ce que moi, comme jouisseur impénitent, je désire, c'est que ce combat inévitable ne

(24)

détériore pas l'esthétique de la vie et que la mort soit aussi belle et rayonnante que la Résurrection».

L'un des plus importants représentants de ce mouvement du «Monde de l'Art», Alexandre Benois (un ami de Birbaum, et dont le frère travaillait également chez Fabergé) résume, en 1916, ce parcours étonnant:

«Nous brûlions du désir de libérer l'art russe de la tutelle de la littérature et d'inspirer à la société l'amour de l'essence même de l'art.

C'est avec cet objectif que nous avons appro¬

ché l'ennemi. Pour nous, les ennemis étaient tous ceux qui n'estimaient pas l'art pour l'art, ceux qui accrochaient des ailes à une Rossinante ou attelaient le Pégase sacré au chariot des idéaux sociaux ou enfin ceux qui niaient carrément le pégasisme. Nous avons alors adressé au monde artistique l'appel suivant: «Talents de toutes les tendances, réunissez-vous».

Cette élite culturelle et sociale - on a accu¬

sé le «Monde de l'Art» de n'être constitué que d'oisifs et de fils à papa - voyage beaucoup et connaît parfaitement ce qui se fait dans les principales capitales d'Europe et d'Amérique, où surgissent l'Art Nouveau, le Jugendstil et Beardsley en Angleterre. Elle réagit passion¬

nément lorsque Tolstoï publie, en 1898, son traité Qu'est-ce que l'art ? Elle y oppose un art synthétique, destiné à couvrir les besoins cul¬

turels profonds du pays, en liaison avec la foi traditionnelle et doté d'une mission civilisatri¬

ce. On a alors parlé d'un art «national roman¬

tique» qu'illustrent parfaitement Bilibine, Bakst ou Benois.

En fait, la scène était occupée par un petit nombre d'artistes très remuants qui se produi¬

sent devant un public réduit à une partie de la vieille noblesse et une frange de grands bour¬

geois, de commerçants, d'entrepreneurs et d'industriels, tous immensément enrichis par les excellentes affaires que l'on pouvait faire dans ce pays gigantesque.

Le «boom» économique

Quelques chiffres donnent une idée de l'économie dans cette société en pleine trans¬

formation où les différences sociales sont énormes. Sur les 125,6 millions d'habitants recensés en 1890, seuls 3 millions sont de grands propriétaires, des entrepreneurs ou de hauts fonctionnaires. En 1887, on estime que plus de 80% de la population vit de l'agricul¬

ture, alors qu'à la même époque, cette pro¬

portion n'est que de 23% en Angleterre et de 45% en Allemagne.

Ce ruban bleu, blanc, rouge et jaune a été retrouvé dans l'un des livres de la bibliothèque de François Birbaum. Il représente le tsar Alexandre III (1845-1894),

qui a mené de manière très autoritaire à la fois un programme de russifica¬

tion et de modernisation du pays. Birbaum a connu personnellement Nicolas II, son successeur, et s'est beaucoup intéressé au style et à la manière dont l'image du couronnement a été établie par les différents arts appliqués.

(fonds Birbaum)

(25)

La présence étrangère à Saint-Pétersbourg était partout palpable: ce bâti¬

ment abritait la Société bernoise de Crédit et au rez-de-chaussée une banque française. La capitale attirait irrésistible¬

ment tous les milieux européens des affaires, de la finance et du commerce qui se devaient d'avoir pignon sur rue à la porte de l'immense Russie.

(archives Pro Fribourg)

Ce qui est nouveau en Russie, c'est l'émer¬

gence d'une petite bourgeoisie que l'on peut estimer à un peu plus de 20 millions de per¬

sonnes réparties dans toutes les grandes villes du pays, à la suite de la montée en force d'une économie qui s'industrialise brusque¬

ment: alors qu'en 1877, le pays ne produisait que 23 millions de pouds (1 poud représente 16,3 kg) de minerai de fer, il en produit 176 millions en 1900. La progression est sem¬

blable pour le charbon, qui passe de 110 mil¬

lions de pouds à 985 durant la même période.

De très grandes entreprises voient le jour et emploient, en 1895, près de la moitié des ouvriers dans des industries de plus de 1000 travailleurs: il y a 3 millions d'ouvriers et 100000 nouveaux postes de travail à pourvoir chaque année!

Enfin, la Russie exploite les richesses natu¬

relles de son «Far West». Il se situe en Transcaucasie pour le pétrole, où la produc¬

tion passe de 210000 tonnes en 1877 à près d'un million en 1900 et, ce qui nous intéresse, dans l'Oural et en Sibérie pour les minéraux et les gemmes: Ekaterinenbourg devient le centre d'une vaste zone minière qui fournit la néphrite et la jadéite, les diamants et les éme- raudes, le platine et d'autres métaux précieux dont le pays fait une ample consommation.

Un coup d'œil sur les chemins de fer donne également une idée du délirant maelstrom

économique qui agite la Russie durant ce

«Siècle d'Argent». Alors qu'aux Etats-Unis l'accroissement du trafic ferroviaire entre 1890 et 1900 s'élève à un peu plus de 25%, cette augmentation est de 76% en Russie et de seulement 3% en Angleterre.

Mais tout ce développement est parfaite¬

ment anarchique: le pays manque de capi¬

taux, les investissements sont faits au petit bonheur et sont souvent orientés sur des voies peu rentables ou carrément ruineuses. Les capitaux étrangers ne vont pas en priorité à la réalisation d'objectifs stratégiques planifiés et coordonnés (trop ici et pas assez ailleurs, comme ce fut le cas avec la construction des chemins de fer, qui n'ont pas correctement pu servir à la défense du pays en 1914). Et sur¬

tout, note Valentin Gitermann dans sa volumi¬

neuse Histoire de la Russie, le pouvoir d'achat des Russes est insuffisant pour pouvoir absor¬

ber les produits de son industrie. Avec une insouciance qui paraît aujourd'hui incroyable et dans une ambiance rutilante de tragédie wagnérienne (le crépuscule des Romanov), les élites font ainsi courir le pays à une catas¬

trophe programmée.

Elles vivent en vase clos dans leurs palais d'hiver et leurs datchas d'été, en gaspillant à tour de bras les ressources et les finances d'un pays sur lequel elles régnent sans parta- ge.-On n'a jamais vu une société plus allègre¬

ment dépensière, plus assoiffée de plaisirs et de nouveautés que celle des nantis de cette période: les artistes vont très largement béné¬

ficier de cette manne qui paraît inépuisable pour bâtir, décorer et créer les œuvres et les monuments de la Russie nouvelle, au profit de cette population immensément riche de 3 mil¬

lions de privilégiés, dont la plus grande partie vit et fait la fête à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Kiev et Odessa.

On peut aujourd'hui dire que si le servage - la manifestation la plus évidente de l'arriéra¬

tion de la Russie - avait été aboli en 1861 par

(26)

Alexandre II et si quelques timides réformes en matière d'éducation, d'administration et de régime légal avaient été adoptées, la structure rigide de la société russe empêchait tout changement profond dans la répartition des richesses et du savoir. Mais elle favorisait l'émergence d'une nouvelle catégorie de gens hautement compétents - des Russes, mais aussi beaucoup d'étrangers - qui faisaient tourner l'industrie ou dirigeaient le commerce.

Ce sont eux qui ont chargé jusqu'à la gueule - et avec le sentiment du devoir accompli - une véritable machine infernale. Cette bombe a fait long feu en 1905. Mais la révolution de 1917 l'a fait exploser: elle les a impitoyablement broyés, sans respect pour leurs compétences ou leur utilité. Dans les deux cas, le luxe invrai¬

semblable et l'arrogance déployés par la peti¬

te minorité des richissimes nantis s'étaient chargés d'allumer la mèche...

C'est dans cette ambiance survoltée, dyna¬

mique et intellectuellement très tonique que Frants Petrovitch Birbaum débarque. Il com¬

plète son bagage de connaissances, devient ensuite le premier Maître de la firme Fabergé et le bras droit discret de son illustre patron. Il traverse ainsi une longue période de croissan¬

ce continue, dans une économie qui s'embal¬

lera même entre 1905 et août 1914.

Titre de la revue «Art et Vie», à laquelle Birbaum a collaboré à de nom¬

breuses reprises pour faire connaître ses idées d'har¬

monie et de beauté, ses jugements très tranchés et sa conception des arts appliqués.

(archives Skourlov)

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LES ANNÉES DE FORMATION:

L'ESPRIT CURIEUX DE HUMBOLDT ET LE RÊVE FOU DU BARON STIEGLITZ

Aucun document de première main ne vient éclairer la période de formation de Frants Petrovitch Birbaum, entre sa 14° et sa 20e

année. Tout au plus sait-on, par une lettre d'Eugène Fabergé (le fils aîné de Cari), écrite alors qu'il s'était réfugié en Suisse, que le jeune homme a suivi les cours de l'Institut impérial d'Encouragement des Arts à Saint- Pétersbourg.

Sans pouvoir l'affirmer catégoriquement, il y serait arrivé au bénéfice d'une bourse, après avoir été le lauréat d'un concours international.

C'est ce que Birbaum lui-même aurait déclaré à Pierre Thomsen, l'un de ses amis d'Aigle. Il aurait ainsi reçu une invitation de la Russie, bien désireuse d'attirer chez elle des jeunes gens de qualité recrutés dans tout l'Occident.

Ce que l'on connaît mieux, par contre, ce sont les deux fondements sur lesquels reposait l'enseignement dont il a pu profiter. Le premier appartient à l'idéologie scientifique et positi¬

viste développée au XIXe siècle. Et le second relève d'un ambitieux mondialisme volon¬

tariste, désireux d'embrasser d'une manière encyclopédique le savoir de tous les temps et de toutes les civilisations, pour en tirer les arts et les techniques du futur. Ceci peut se résu¬

mer à la soif de connaissances et à la volonté de les partager de deux hommes: Alexandre de Humboldt et le baron Stieglitz.

Pour le premier, «la Nature, considérée rationnellement, c'est-à-dire soumise dans son ensemble au travail de la pensée, est l'unité dans la diversité des phénomènes, l'harmonie entre les choses créées, qui diffèrent par leur forme, par leur constitution propre, par les forces qui les animent, c'est le Tout pénétré d'un souffle de vie». Ces considérations du savant prussien Alexandre de Humboldt, datées de 1827, expriment le fondement de la pensée dont se nourrit le XIXe siècle en Russie.

Le naturaliste allemand, à qui l'on avait deman¬

dé s'il était possible de frapper monnaie avec les tonnes de platine découvert dans l'Oural,

fut invité deux ans plus tard par Nicolas Ier. Le tsar pensait que la physique du globe pourrait apporter à la Russie un enrichissement, s'il donnait à Humboldt l'occasion de visiter l'Oural et la Sibérie.

En compagnie d'un minéralogiste (C. Rose) et d'un biologiste (C. G. Ehrenberg), l'expédi¬

tion du savant quitte Saint-Pétersbourg. Elle parcourra 15000 km en six mois et Humboldt pourra se convaincre de la richesse prodi¬

gieuse du lointain sous-sol russe de l'Oural, de la chaîne sino-russe de l'Altaï et de la plaine sibérienne: il a, en effet, été très impressionné par la grosseur des pépites d'or «trouvées à quelques pouces sous le gazon» et la taille des pépites de platine «de plusieurs pouces de long». Humboldt contribue également à localiser de très riches gisements de dia¬

mants, jusqu'ici inconnus, en mettant en paral¬

lèle ce qu'il avait pu observer en Amazonie et la géologie de la Sibérie. A son retour, il est accueilli à Saint-Pétersbourg comme un héros par le tsar et par la Cour. Et Humboldt, adulé comme le «savant-citoyen du monde», ainsi que le définissent Jean-Paul Duviols et Charles Minguet, présente à l'Académie des sciences russe un rapport qui non seulement fera date, mais qui, surtout, marquera durable¬

ment les esprits: la Russie peut tout, à condi¬

tion que chacun retrousse ses manches....

A cette première vision très optimiste du monde s'ajoutera la volonté d'ouverture des pédagogues chargés de préparer l'élite tra¬

vailleuse de Russie. Et c'est là qu'intervient le baron Stieglitz, créateur de l'Ecole centrale des arts industriels et du musée qui portent son nom. Persuadé que l'industrie recèle des potentialités énormes, à condition d'avoir le personnel et les cadres nécessaires, ce Russe d'origine allemande a vu que les Anglais tiraient les bonnes conclusions de la première Exposition universelle de Crystal Palace, à Londres en 1851. On y présentait avec admiration les deux «fées modernes»

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qu'étaient la vapeur et l'électricité. Mais on savait aussi qu'il leur fallait des spécialistes formés pour qu'elles donnent ce que l'on attendait. Il souhaite donc doter la Russie d'une école semblable à celles qui s'ouvrent en Europe occidentale.

En 1876, le très habile homme d'affaires Alexandre Ludvigovitch, baron Stieglitz, offre ainsi à l'Etat un million de roubles - une somme colossale - pour créer une Ecole d'Arts indus¬

triels. Son beau-fils, A. A. Polovstov, est secré¬

taire d'Etat, industriel et collectionneur d'art. Il a les yeux largement ouverts sur le monde: il prend énergiquement les choses en main pour faire aboutir un projet qui a tout son assentiment. N'écrit-il pas dans son journal, en 1875, que «la Russie sera heureuse lorsque les hommes d'affaires offriront leur argent dans des buts de formation et d'éducation, sans aucun espoir de contrepartie»? En 1881, on inaugure un bâtiment fabuleux (aujourd'hui bien décrépit et vidé de sa substance), qui abrite l'«Ecole centrale des Arts industriels du baron Stieglitz». Elle est dotée d'un musée et d'une bibliothèque que viennent compléter, quelques années plus tard les ateliers et labo¬

ratoires nécessaires à un enseignement théo¬

rique et pratique très particulier. Il est surtout très novateur, puisqu'il est littéralement donné à côté de chefs-d'œuvre. Les arts appliqués de tous les temps et de toutes les civilisations connues y sont représentés: céramiques, émaux, verrerie, porcelaines, meubles, tapis, bijoux, etc.

Ce luxueux musée-école suscite une énorme vague d'intérêt et d'enthousiasme:

tout y est si neuf et si original. Ses collections s'enrichissent spontanément de donations incroyables: tous les grands de Russie veulent être de la partie! L'archéologue Schliemann - le découvreur de Troie - lui offre les trouvailles de ses fouilles sur la colline de Gessarlyk; la noblesse et les hommes d'affaires lui confient des trésors: des collectionneurs parcourent

fébrilement l'Europe et l'Asie pour enrichir ce musée destiné à transmettre et à diffuser le Savoir et le Bon Goût.

A sa mort, le très altruiste baron lègue encore une somme faramineuse - plus de 9,6 millions de roubles-or - pour assurer l'in¬

dépendance et l'avenir de son œuvre.

Son musée est fait autour d'une immense halle éclairée par une gigantesque verrière, un stupéfiant défi architectural à l'hiver russe.

Il est entouré d'un labyrinthe de salles spécia¬

lement décorées selon des époques précises:

la Grèce antique, la Renaissance italienne, le style Henri II, etc. En 1902, on y dénombre plus de 50000 pièces de tous les temps, qui sont analysées, étudiées, cataloguées et copiées. Car le musée-école s'est fait une spécialité de ces copies, pour lesquelles il met en œuvre et perfectionne différentes métho¬

des, dont la toute récente galvanoplastie.

Les étudiants et le corps enseignant qu'abrite cette institution véritablement unique en son genre disposent à la fois des œuvres originales et d'une immense documentation qui permettent de mettre sur pied ou de suivre un enseignement systématique. Les meilleurs esprits provenant des écoles et instituts d'Etat affluent dans cette exaltante Babel des arts appliqués du monde entier: les académiciens eux-mêmes y accourent, tant les ambitions les plus folles semblent réalisables, tant le raffine¬

ment est grand.

Birbaum et sa première épouse, Elisaveta Lakovlevna Alexandrova, seront du nombre.

Ils y développeront leurs propres recherches et y enseigneront, au milieu de ces fabuleux trésors d'art sacré et profane, parmi les pièces les plus sophistiquées destinées aux élites de tous les temps et parmi les témoignages plus humbles des arts appliqués populaires. Frants Petrovitch en fera directement bénéficier la firme Fabergé, qui connaît son âge d'or et va de défi en défi dans ses réalisations les plus complexes.

Page 27, en bas à droite:

Les cadres de Fabergé:

Frants Petrovitch Birbaum est le troisième à partir de la droite. Il est à côté de Jacobson (miniaturiste et dessinateur des objets destinés à la cour du Siam), Jan Liebert, Nicolas Petrov (le fameux

émailleur). Cette illustra¬

tion provient des archives de Julia Guseva, petite fille de Jacobson. La photo a visiblement été coupée. On peut supposer que Fabergé devait y figurer: il fut une époque, en URSS, où il pouvait être compromettant d'avoir chez soi un portrait du grand patron.

Figure

Tableau des prix et des élèves distingués  1. Instruction religieuse :
table culte en Occident, porté par de grandes  ventes aux enchères carillonnées et un  marché avide d'exclusivités
table jubilation l'éphémère de l'instant, la  lumière fugitive et les sites cachés, secrets et  propices à la méditation

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