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Relations sociales, conduites agressives et réactivité
émotionnelle chez les ongulés : influence des stéroïdes
sexuels
M.F. Bouissou
To cite this version:
M.F. BOUISSOU
INRA Laboratoire du
Comportement
Animal,
37380Nouzilly
Relations
sociales,
conduites
agressives
et
réactivité
émotionnelle
chez les
ongulés :
influence
des
stéroïdes sexuels
Les
hormones sexuelles affectent
de
nombreux
aspects
du
comportement
animal : la
reproduction évidemment,
mais aussi
les
conduites
agressives,
l’établissement de relations de
dominance,
et
la
réactivité
émotionnelle influence de nombreux
comportements
et
intervient dans
l’adaptation
de l’animal
à
sonmilieu.
A côté de leurs effets sur la motivation
sexuelle et la réalisation des conduites de
reproduction
(sexuelles
etparentales),
lessté-roïdes sexuels affectent de nombreux autres
aspects
ducomportement
desanimaux,
comme de celui des
humains ;
parexemple,
les relations
sociales,
les conduitesagres-sives,
lecomportement
territorial,
laréactivi-té
émotionnelle,
lescapacités cognitives,
etc.Les études dans ces domaines ont surtout été faites chez les
Rongeurs
et lesPrimates,
Homme inclus
(voir
les revues deMoyer
1974,
Messent
1976, Rogers 1976,
Brain 1979). LesOngulés
n’ont faitl’objet
que de relativement peud’études,
alors que leurendocrinologie,
enparticulier
celle desespèces domestiques,
est très bien connue(cf.
Levasseur et Thi-bault 1980).Cependant,
nombre des compor-tementsprécédemment
cités etsusceptibles
d’être influencés par les stéroïdes sexuels ont
une
importance pratique
considérable dans lagestion
des groupesd’Ongulés domestiques ;
c’est le cas du
comportement
social(incluant
les conduites
agressives)
et aussi de la réacti-vité émotionnelle.Les
Ongulés domestiques
appartiennent
à desespèces sociales,
mais les méthodes modernesd’élevage
(en
particulier
enélevage
intensif)
ontcomplètement
bouleversé lesstructures sociales
naturelles,
et entraînentpour l’animal des conditions de vie de
plus
enplus
artificielles. La constitution d’unités de tailleimportante
entretenues sur dessur-faces très réduites s’est
généralisée ;
deplus
les groupes constitués parl’Homme,
sur des critèresd’âge,
de sexe ou de niveau depro-duction,
different considérablement de ceuxRésumé
-A côté de leurs effets sur la motivation sexuelle et la réalisation des conduites de
reproduction,
les stéroïdes sexuels affectent de nombreux autres aspects du!om-portement, en particulier les relations sociales, les conduites
agressives
et la réactivité émotionnelle.Nos connaissances dans ce domaine, en ce qui concerne les Ongulés, ne sont que
relativement récentes et souvent fragmentaires, bien que l’importance des
com-portements influencés par les stéroïdes sexuels soit évidente pour la
gestion
desespèces
domestiques.
Il existe des différences sexuelles dans les comportements agressifs, le rôle social
qu’exercent
les individus, et la réactivité émotionnelle. Ces différences sont sous la dépendance des androgènes. On a en effet pu mettre en évidence des variations des comportements territoriaux et agressifs avec les variations naturelles des niveaux hormonaux. Par ailleurs, des interventions telles que la castration ou des traitements hormonaux chez l’adulte, le jeune ou même in utero, ont confirmé l’influence des stéroïdes sexuels. En particulier, les traitements par desandro-gènes accroissent l’aptitude à la dominance des mâles et des femelles, et
rédui-sent les réactions de peur dans les deux sexes en situations sociales ou non sociales. De plus, cet effet persiste après l’arrêt des traitements et il est ainsi pos-sible d’influencer à long terme le rang social d’un animal. Le mode d’action des
androgènes est cependant mal connu.
Compte tenu de la généralisation de l’élevage des mâles en groupes, l’étude des relations entre androgènes et conduites agressives s’avère nécessaire. Par ailleurs,
la réactivité émotionnelle
qui
peutégalement
être influencée par les stéroïdessexuels, intervient dans l’adaptation de l’animal à son milieu. Son étude, ainsi que
que l’on rencontre dans les
espèces
sauvagescorrespondantes :
lejeune
est souventséparé
de sa mère dès la naissance et élevé en
groupes unisexués de
jeunes
de mêmeâge.
Les animaux des deux sexes sont leplus
sou-vent
séparés
définitivement et les groupessont
fréquemment
remaniés. Al’opposé,
dans d’autres cas, les animaux sont élevés en casesindividuelles ce
qui,
pour des animaux sociaux comme le sont lesOngulés
domes-tiques,
est une situation tout aussi anormale. Tout ceci a desconséquences
défavorables,
enparticulier
un accroissement del’agressivité
intra-spécifique
pouvant
allerjusqu’à
des mutilations ou aucannibalisme,
despertur-bations des processus
d’ontogenèse
etd’atta-chement,
aboutissant à des troubles ducom-portement
social,
sexuel et maternelet,
enfin,
à des réactions de stress. La
production
estbien évidemment affectée : réduction de la vitesse de
croissance, augmentation
de l’indice deconsommation,
chute de laproduction
lai-tière,
problèmes
defertilité, pathologies
diverses et mortalité.La réactivité émotionnelle
(qui
inclut les réactions depeur)
peut
être considéréecomme une variable intermédiaire
qui
inter-vient dans tous lescomportements
fondamen-taux
(social, sexuel,
parental...),
mais
égale-ment dans la relation
Homme-Animal,
lesapprentissages,
etplus
généralement
dansl’adaptation
de l’animal à son milieu. Uneréactivité émotionnelle élevée
peut
conduire àl’apparition
decomportements
inadaptés
voirepathologiques
et à un état de stressayant
pourconséquences
à la fois despertes
économiques
et une diminution du bien-être.L’élevage
moderne se caractériseégalement
par une réduction extrême des contacts entre l’éleveur et ses
animaux,
cequi
entraî-ne uentraî-ne absence de familiarisation etparfois
des réactions de peur intense de l’animal.
Une réactivité émotionnelle
élevée,
favorisant les réactions de peur, et/ou une tendance àl’agressivité
peuvent
poser desproblèmes
lors des inévitablesmanipulations
et,
outre despertes
detemps,
être source d’accidentsgraves tant pour les animaux que pour les
humains.
Cet article fait le
point
des connaissancessur l’influence des stéroïdes sexuels dans les
relations
sociales,
sur les conduitesagres-sives et la réactivité émotionnelle chez les
Ongulés
sauvages etdomestiques.
1
/ Influence
des
stéroïdes
sexuels
surles relations
sociales
La castration des animaux
domestiques,
dans le but de contrôler leurcomportement
sexuel mais aussi de réduire leurcomporte-ment
agressif,
remonte àl’Antiquité ;
cecimet en évidence la relation intuitive que
l’Homme avait faite entre ces
comportements
et la
présence
des organes sexuels bien avant toute étudesystématique.
l.i
/
Différences sexuelles dans
les
comportements
agressif
et
territorial
Dans
pratiquement
toutes lesespèces
de Mammifères de la souris àl’Homme,
le sexemâle est le
plus
agressif
(cf.
revue deMoyer
1974). Les
Ongulés
ne font pasexception
à cetterègle,
et il est d’observation courante queles
taureaux,
étalons,
béliers et boucs sontplus
agressifs
etplus
difficiles àmanipuler
que leurs castratsrespectifs.
Les cervidésmâles
(cerf,
chevreuil)
entretenus encaptivité
sont
également
réputés
agressifs
etpotentiel-lement
dangereux.
Le folklore de nombreuxpays, en
particulier
méditerranéens etasia-tiques,
a d’ailleurs mis àprofit
cetteagressivi-té inter-mâles lors de combats
organisés
enspectacles (par
exemple
combats de béliers oude
dromadaires).
Uneexception
estconstituée,
enSuisse,
par les combats de vachesqui
sontorganisés
chaque
année dans leValais,
lors de la montée àl’alpage
et lors du retour dans la vallée.Certaines
espèces,
comme les chevaux oules
cervidés, présentent
despostures
decom-bat sexuellement
dimorphiques :
parexemple
les étalons se dressent sur lespostérieurs
etfrappent
avec lesantérieurs,
alors que lesjuments
frappent
presque exclusivement avecles
postérieurs.
Les cerfs mâles s’affrontent etluttent avec les bois
(pendant
lapériode
où ilssont
nettoyés),
alors que les femelles sedres-sent sur les
postérieurs.
La
possession
et la défense d’unterritoire,
en
particulier
par le marquageolfactif,
sont presque exclusivementl’apanage
des mâles.Enfin,
comme dans d’autresespèces
(y
com-pris
l’Homme),
les différences sexuelles dans lescomportements
à caractèreagressif
appa-raissent très tôt : les
jeunes
mâles sontplus
impliqués
dans des« jeux
detype
agressif,
pseudo-luttes,
etc. Ceci a été mis en évidencechez le
jeune
zébu(Reinhardt
et al1978),
1.
2
/ Variations des
comportements
agressifs
et
territoriaux
enrelation
avecles variations
naturelles des niveaux
hormonaux
a / Chez le mâle
Tous les
Ongulés
sauvages vivant au-delà du 20èmeparallèle
(Nord
ouSud)
ont unereproduction
saisonnière(période
derut).
Leschangements
dans lecomportement
des mâles sont alorsgénéralement
spectacu-laires : le
comportement
territorial se met enplace
chez les cervidés et lesantilopes
territo-riales ets’accompagne
d’un accroissementd’agressivité.
Chez lesespèces
nonterrito-riales,
comme les moutons sauvages, lesmâles se
dispersent
et l’accroissementd’agressivité
entre eux estégalement
larègle.
On estime que chez le boeufmusqué
5 à 10 % des mâles meurentchaque
année desbles-sures reçues durant la
période
de rut(Wilkin-son et Shank
1976).
Dans lapopulation
de cerfsélaphe
de l’île deRhum,
23 % des mâlessont blessés durant cette
période,
dont 6 % de manièrepermanente
d’après
Clutton-Brooket al (1979).
Il est bien établi que les variations
d’agres-sivité et de
comportement
territorial sontassociées à l’activité
sexuelle, qui
elle-même reflète les variations des taux circulantsd’an-drogènes.
Dans lepassé,
ou pour certainesespèces
sauvages, seules des mesuresindi-rectes ont été ou sont
disponibles : poids
destesticules,
diamètre des tubes séminifères ou caractères sexuels secondaires tels que lesbois des cervidés.
Actuellement,
les méthodes fiables dedosage
dans leplasma
ontpermis
de relier de manière non
ambiguë
lesvaria-tions
d’agressivité
et les tauxd’androgènes,
en
particulier
chez le bélier(Illius
et al1976,
Lincoln et Davidson1977 ;
figure
1),
l’étalon(Kirkpatrick
et al1977),
le chevreuil(Sempé-ré et al
1980 ;
figure
2).
Cependant,
chez letaureau,
il a étéimpos-sible de mettre en relation les différences
individuelles
d’agressivité
et les niveaux de testostérone(Price
et al1986).
Chez les
espèces
sauvages,l’éléphant
et le dromadaire offrent deuxexemples
remar-quables
de relation entreagression
ettesto-stéronémie. Le
phénomène
du « musth » chezl’éléphant
d’Asiedomestiqué,
se traduit pardes
épisodes agressifs
et une sécrétionabon-dante des
glandes temporales
chez les mâles adultes. Pendant cespériodes
ils sontextrê-mement
dangereux
pour l’Homme et ne peu-ventplus
être utilisés pour le travail. Il a étéclairement établi que le « musth » est associé
à de très
importants
taux de testostérone(30
à 65
ng/ml
contre environ 1ng/ml
en dehorsde ces
périodes).
Unphénomène
analogue
aété décrit chez le dromadaire
(Yagil
et Etzion1980).
Le cerf
élaphe
d’Europe
offre un bonexemple
du contrôle hormonal ducomporte-ment social
(Lincoln
1971,
Lincoln et al1970,
1972).
Dans cetteespèce,
unepartie
de l’effetdes hormones sur le
comportement
social passe par un caractère sexuelsecondaire,
l’aspect
desbois, qui
est sous contrôle directdes
androgènes.
La pousse desbois,
initiale-ment recouverts d’un tissu hautementvascu-larisé
(le velours)
commence alors que lestaux de testostérone
plasmatique
sont auplus
bas.Généralement,
la croissance des bois est terminée enjuillet,
alors que latesto-stéronémie
augmente.
Ledépouillement
des velours survient au début du mois desep-tembre,
sous l’influence desandrogènes.
Lesbois sont
complètement
«nettoyés
», eteffi-caces pour la
période
du rut enseptembre-octobre dans nos
régions.
L’effondrement destaux de testostérone en février-mars est
suivi,
un mois
après,
de la chute des bois.Le
type
de combats entre mâlesdépend
de l’état des bois :lorsque
les bois sont «net-toyés
», les animauxs’affrontent,
alors quelorsqu’ils
ontperdu
leursbois,
ou que ceux-ciChez le
bélier,
l’étalon et lechevreuil,
les variationsd’agressivité
suivent les variations des taux circulantsd’androgènes.
antérieurs pour
l’attaque
et ladéfense ;
lespostures
de menacechangent également.
Le fait que, d’une
part,
lecomportement
des animauxchange brusquement
lors de la chute des bois alors que leschangements
hor-monaux sont
progressifs
et que, d’autrepart,
il y a peu dechangements
comportementaux
pendant
lapériode
où les bois sontnettoyés
alors
qu’il
y a degrandes
variations des niveauxhormonaux,
a conduit à penser quele
comportement
n’estqu’indirectement
influencé par les niveauxd’androgènes,
etdirectement influencé par le
développement
des bois. Ceci a été confirmé par lamanipula-tion
expérimentale
des niveaux hormonaux(castration,
implants),
ou la modification del’aspect
des bois sans modification desniveaux hormonaux
(amputation, adjonction
d’andouillers) :
les étudesexpérimentales
(voir
plus
loin)
ont montré que lecomporte-ment
change
dès lechangement d’aspect
desbois,
et que lamanipulation
des niveauxhor-monaux n’a d’effet
qui
si elle induit unchan-gement
d’aspect
des bois.Alors que la relation directe entre
andro-gènes,
comportement
agressif
et territorialest bien
documentée,
celle entreandrogènes
et rang social n’a été que peu étudiée mêmechez l’animal
domestique.
b / Chez lafemelle
Il existe relativement peu de données en ce
qui
concerne les relations entre statut hormo-nal etagressivité
chez lesOngulés
femelles.Quelques
étudesrapportent
un accroissementd’agressivité
lors de l’oestrus chez labrebis,
lajument,
la femelle du dromadaire. Nous n’avonspersonnellement
pas mis en évidence un telphénomène
chez lavache,
bien que larecherche de contact de la femelle en oestrus
la conduise à être
plus fréquemment
impli-quée
dans des interactionsagonistiques,
et que laprésence
d’une ouplusieurs
femellesen oestrus dans un groupe entraîne une
plus
grande
agitation
générale
(Bouissou 1975).
Chez les
Rongeurs,
les femelles allaitantessont
beaucoup
plus agressives
que les femelles non allaitantes dans une variété detests
d’agressivité.
Aucune donnée de cetype
n’existe pour les
Ongulés,
bien que la femellesuitée
puisse
se montreragressive
pourdéfendre son
jeune.
1.
3
/
Effet de la
manipulation
expérimentale
des niveaux
hormonaux
surles
comportements
agressifs
Les corrélations observées entre les niveaux hormonaux et lescomportements
agressifs
n’impliquent
pas de relation de cause à effet. Pour étudier les relations causales entrehor-mones et
comportement,
il estimpératif
demanipuler
l’une des variables(par exemple :
les niveauxhormonaux)
etd’apprécier
leschangements parallèles
de l’autre(le
compor-tement).
Lamanipulation
expérimentale
des niveaux hormonaux inclut leursuppression
par castration ou
ovariectomie,
ainsiqu’un
apport
exogène
sous formed’injections
oud’im-plants,
chezl’adulte,
chez lejeune
animal oumême in utero.
a / Castration
Bien que la castration des animaux
domes-tiques
pour en faciliter lamanipulation
etl’utilisation pour le travail soit
pratiquée
depuis l’Antiquité,
curieusement,
peud’études
systématiques
ont été effectuéespour en
apprécier
l’effet sur les relationsintraspécifiques.
Hinch
(1978)
et Hinch et al(1982)
ontmon-tré que les taureaux sont socialement
plus
actifs que les boeufs et initientplus
d’interac-tionsagressives,
la différence étant surtoutapparente
au-delà de 15 mois. Les distances sociales sontsupérieures
pour les taureaux.Cependant,
une autre étudecomparative
ducomportement
de taureaux et de boeufs castrés àl’âge
de 3 mois ou de 12 mois aplus
actifs et dominants parrapport
auxcas-trés,
n’étaient pasplus agressifs
que lesboeufs ni entre eux, ni vis-à-vis des animaux castrés
qu’ils
dominent(figure
3).
Parcontre,
ils
présentent
une très faiblefréquence
de fuites(non
consécutives à uneagression)
parcomparaison
aux deux autrescatégories
d’animaux
(figure
4),
et une très forte propor-tion d’absence deréponse
à uneagression ;
enconséquence,
laplupart
des luttes restent entre eux sans issue(figure
5 ;
Bouissou et al 1986). Une récente étude aégalement
montréune absence de différence dans le
comporte-ment
agressif
de béliers et de mâles castrés avantl’âge
de 3 mois(Bouissou,
nonpublié ;
figure
6).
La castration des cerfs mâles entraîne la chute des bois environ 20
jours
plus
tard ;
ilsrepoussent
immédiatement mais restentdéfi-nitivement en velours. Les animaux castrés
étudiés par Lincoln et al
(1970,
1972) ont étérelégués
en bas de lahiérarchie,
ils ontrega-gné quelques places lorsque
les autres mâlesont
également
été envelours,
mais n’ontjamais
retrouvé leur statut initial.b / Traitements hormonaux chez l’adulte et
le jeune
Les résultats des études concernant l’effet d’un traitement par les stéroïdes sexuels chez
les mâles sont variables selon les
auteurs,
lesespèces,
les stéroïdes utilisés(androgènes
aromatisables ou non aromatisables oucestrogènes). Cependant,
on observe assezgénéralement
un accroissement del’agressi-vité consécutif à un traitement de
Contrairement aux
comportements
sexuels,
lafréquence
descomportements
agressifs
nediffère
pas entre béliers entiers et castrés.
l’oestradiol. C’est le cas chez le mouton
(Matt-ner
1976,
Lincoln et Davidson1977,
Parrott1978,
1983),
les cervidés(Lincoln
et al1970,
1972),
et,
d’après
certainsauteurs,
chez les bovins(Dykeman
et al1982).
Le traitement par des
androgènes
de boeufs castrés à 3 moisaugmente
leuraptitude
à la dominance : alorsqu’ils
étaient dominés de manière constante par des taureaux ou desmâles castrés à 12
mois,
ils deviennentcapables,
après
traitement,
de lesdominer,
etce
malgré
unelongue
expérience
de défaite.De
plus,
lafréquence
des fuitesspontanées
diminue,
et lafréquence
d’absence deréponse
aux
agressions
augmente
de manièredras-tique
(Bouissou,
résultats nonpubliés).
Chez le bélier
castré,
un traitement de70
jours
avec 10mg/jour
depropionate
detes-tostérone ne modifie pas la
fréquence
desFigure 6. Comportement
sexuel etagressif
de béliers et de mâles castrés.*
** : Différence
significative
à P < 0,001.conduites
agressives (Bouissou,
résultats nonpubliés).
Les effets d’un traitement
d’androgènes
(ou
d’oestrogènes)
chez la femelle intacte ouova-riectomisée ont été étudiés chez la biche
(Fletcher
1978),
lajument
(Cougouille-Gauf-freteau et al
1981)
et la vache(Bouissou
1978, 1985, 1990,
Bouissou et Gaudioso 1982). Le traitement des femelles de ces troisespèces
par desandrogènes
(et
également
pardes
œstrogènes
dans le cas de lavache)
leurconfère une
aptitude
à la dominancesupé-rieure
qui
les conduit à inverser toutes ou lamajorité
des relations de dominance au seinde leur groupe, et à en devenir les animaux
dominants ou tout au moins à
acquérir
unrang social élevé
(figure
7).
Chez lavache,
lorsque plusieurs
animaux sont traitéssimul-tanément,
leurspositions
socialesrespectives
ne sont pas modifiées. Dans l’une ou l’autre
espèce,
il estremarquable
que la structuresociale modifiée sous l’influence du
traite-ment
persiste
longtemps
après
l’arrêt de cedernier
(parfois plus
d’unan).
Chez lajument,
lescomportements
detype
mâleacquis
à la suite du traitement(par exemple
le «herding
» et les combatsérigés) persistent
également.
Chez la
vache,
il est en outrepossible
d’in-fluencer les relations socialesfutures
par untraitement effectué dans le
jeune
âge :
desgénisses
ayant
reçu avant lapuberté
un trai-tementd’androgènes pendant
3mois,
domi-nent dans 85 % des cas,
lorsqu’elles
sontadultes,
des animaux non familiers nontrai-tés. Plus
surprenant
encore, onpeut
influen-cer laposition
sociale future de vachestrai-tées à
l’âge
adulte : dans tous les cas, ellesdomineront des
sujets
inconnus non traités.Dans ces deux cas, on ne
peut
invoquer
lerôle
joué
parl’expérience (par exemple
le fait d’avoir exercé un rôle de dominant sousl’in-fluence du traitement)
puisque
les animaux traités vivaient en groupes au seindesquels
ily avait un ordre de
dominance,
et avaient donc desexpériences
sociales différentes(de
dominants ou de
dominés).
Dans aucune des
espèces étudiées,
leschangements
dans les relations de dominance n’ont pu être attribués à uneaugmentation
d’agressivité.
Il semblequ’il
faille attribuer laplus grande aptitude
à la dominance desani-maux traités à une diminution des réactions
de crainte vis-à-vis de leurs
supérieurs
et,
dans le cas des
vaches,
à une indifférencevis-à-vis des
attaques
dont elles sontl’objet.
c / Traitements
hormonaux pendant
la
période fcetale
ou néonataleLa
présence
d’androgènes
durant lapériode
critique
de la différenciation sexuelle estres-ponsable
des modalités masculines desécré-tion des
gonadotrophines
et ducomportement
sexuel mâle(Jost
1965). Cettepériode
a lieuin utero chez le
mouton,
maispeut
s’étendre àla
période
néonatale chez lesRongeurs.
Chezces
derniers,
l’effet d’un traitement hormonalcompor-tements
agressifs
est bien documentée(cf.
revues de Leshner
1975,
Brain 1979). Demême,
chez lesPrimates,
la masculinisation des femelles par un traitementprénatal
d’an-drogènes
provoque à la fois des modificationsanatomiques
et uneagressivité
accrue(Dix-son
1980).
La masculinisation de certains
aspects
ducomportement
de brebis par un traitement inutero a
également
été mis en évidence.L’im-plantation
de 1 g de testostérone chez des brebis entre le 30‘’ et le120
e
jour
degestation
provoque une masculinisation des organes
génitaux
externes et de laposture
de miction urinaire de leurs filles. Al’âge adulte,
cesfemelles
présentent
des éléments de compor-tement sexuelmâle,
et unefréquence
d’agres-sion
supérieure
aux témoins(Clarke 1977).
Chez les
espèces
àgestation
multiple
(porc,
certaines races de
moutons)
onpeut
sedemander si le
comportement
des femelles nepourrait
pas être modifié par lesandrogènes
sécrétés par leurs
frères,
àl’image
de cequi
aété mis en évidence chez la souris. Ce
problè-me n’a reçu que peu d’attention chez lemou-ton,
alorsqu’il
est connu que le fœtus mâlesécrète des taux
importants
d’androgènes
(Attal 1969).
Sachs et Harris(1978)
n’ont pastrouvé de différences entre des agneaux
femelles
jumelles
d’un mâle ou d’une femelle.Récemment
cependant, Fitzgerald
et al(1993)
ont mis en évidence une influence del’environnement intra-utérin
(taille
etcompo-sition de la
portée)
sur lecomportement
sexuel du bélier adulte.
L’exemple
leplus classique
de masculinisa-tion des fœtus femelles est lephénomène
du free-martinisme chez les bovins. Près de 90 %Le traitement des vaches et des
juments
par desdes femelles nées
jumelles
d’un mâleprésen-tent divers
degrés
de masculinisation et sontle
plus
souvent stériles. Peu d’études ducom-portement
de telles femelles ont eu lieu. Nousn’avons
personnellement
pas mis en évidencede différences de
comportement
agonistique
nid’aptitude
à la dominance encomparant
desgroupes de 8 femelles free-martin
(FM)
et de 8 témoins(T)
et des groupes mixtes(FM
xT)
(Bouissou
etGaudioso,
nonpublié).
Chez le
mâle,
un traitement néonatal pardes
cestrogènes
ne modifie pas lecomporte-ment
agressif
(Bass
etal 1977).
2
/
Influence
des
stéroïdes
sexuels
surla réactivité
émotionnelle
La manifestation des
comportements
«fon-damentaux
» (social, sexuel,
parental,
alimen-taire)
est contrôlée par un certain nombre de facteursspécifiques
de ces conduites :équi-libre endocrinien
particulier,
informations sensorielles fournies par le milieu et lescongénères,
ainsi que parl’expérience
passée,
etc. Mais elle
dépend également
depara-mètres
plus
généraux
tels que lescaractéris-tiques
psychologiques
desanimaux,
souventdésignées
par les termes de «personnalité
»,
«
tempérament
», etc. Parmi cescaractéris-tiques figure
la réactivité émotionnellequi
peut
influencer toutes ces conduites. Nousprendrons
ici « réactivité émotionnelle » dansle sens restrictif de «
susceptibilité
àmanifes-ter des réactions de peur ou d’anxiété ». La
réactivité émotionnelle rend
compte
enpartie
des différences interindividuelles et de la variabilité
comportementale.
Elle intervientégalement
dans lesapprentissages,
la rela-tion Homme-Animal et enfin dans lescapaci-tés
d’adaptation
des individus à leur milieu. Si l’étude de la réactivité émotionnelle adonné lieu à de nombreuses recherches chez les
Rongeurs
enparticulier,
ce n’est que trèsrécemment
qu’elle
a faitl’objet
detravaux,
fort peu nombreux au
demeurant,
chez lesOngulés domestiques.
Or,
dans cesespèces,
on saitqu’elle joue
un rôle fondamental dansl’acquisition
du rang social chez les bovins(Bouissou 1978,
1985, 1990,
Bouissou et Gau-dioso1982),
etqu’elle
intervientégalement
dans la relation Homme-Animal(Boissy
etBouissou
1988),
lescapacités
d’apprentissage
(cheval :
Heird et al1986,
bovins :Boissy
etLe Neindre
1990),
les conduites dereproduc-tion,
enparticulier
chez dessujets
sansexpé-rience
(cheval :
Arnold1985,
ovins : Putu1990,
porc :Kilgour
et Dalton1984).
Parailleurs,
une réactivité émotionnelle élevéeentraînant des réactions de peur intense
peut,
dans certains cas, conduire à des acci-dents tant pour les animaux que pour les*
score : mesure synthétique de la peur intégrant
26 comportements ayant été interprétés en terme de
peur. Plus le score est élevé plus l’animal est
consi-déré comme peureux.
humains,
àl’apparition
decomportements
inadaptés,
voire mêmepathologiques,
et à unétat de stress
ayant
pourconséquences
à la fois despertes économiques
et unediminu-tion du bien-être.
Nous avons mis au
point
une batteried’épreuves
destinées àquantifier
les réac-tions de peur dans diverses situations àcaractère
anxiogène
chez les bovins(Boissy
etBouissou
1992,
1995)
et les ovins(Romeyer
etBouissou
1992).
Les situations sont baséessur des stimuli
classiquement
reconnus pourengendrer
la peur : l’isolementsocial,
lanou-veauté,
un effet desurprise
et laprésence
d’un humain. Nous avons pu mettre enévi-dence,
dans uneespèce
comme dansl’autre,
que la peur est un
phénomène
unitaire ;
end’autres termes un animal
réagira
selon unemême tendance à différentes situations
effrayantes. Cependant
de nombreux facteursgénétiques (sexe,
race)
ouépigénétiques
(âge,
expérience,
etc.)
sontsusceptibles
de moduler la réactivité émotionnelle et les stéroïdessexuels,
enparticulier,
semblentimpliqués.
Nous avons vu
précédemment
que lesmâles ou les femelles traités par des
andro-gènes
ont uneaptitude
à la dominancesupé-rieure,
et que celle-cipeut
s’expliquer
par unediminution de la crainte vis-à-vis des
congé-nères. Nous avons alors émis
l’hypothèse
queles
androgènes pourraient
réduire les réac-tions de peur de manièreplus générale,
dans des situations non sociales.La
première
démarche a consisté à compa-rer des ovins mâles et femelles dans la batte-ried’épreuves précédemment
mise aupoint.
Les résultats montrent que les mâles sont
moins peureux que les femelles. Leurs
« scores » * de peur sont
significativement
inférieurs,
sauf pour le test enprésence
del’homme
(figure
8) ;
cependant,
même dans ceFigure
8. Différences sexuelles dans les réactions de peur d’ovins confrontés à des situationsanxiogènes.
Le score est une mesuresynthétique
de la peur
intégrant
26 comportements reliés à la peur. Plus le score est élevé,plus
l’animal estconsidéré comme peureux.
**
test,
de nombreuxcomportements
individuelsvont dans le même sens
(Vandenheede
etBouissou
1993a).
Ces différences
peuvent
être attribuées à laprésence
d’androgènes.
Eneffet,
lacomparai-son de mâles entiers ou castrés avant
l’âge
de 3mois,
montre que lespremiers
sont moinspeureux. De
plus,
le traitement par desandrogènes
des animaux castrés abolit cettedifférence en diminuant
significativement
leurs réactions de peur
(Bouissou
etVanden-heede,
nonpublié ; figure
9).
Chez les bovinsmâles,
les animaux entiers ou castrés à 1 anprésentent
une latence d’entrée inférieuredans un environnement inconnu et une
acti-vité locomotrice moins
importante
que desanimaux castrés avant
l’âge
de 3mois,
cequi
indique
un niveau de peur moins élevé(Bouissou
etDemurger,
nonpublié).
Enfin,
des vaches traitées par des
androgènes
(à
des dosesidentiques
à cellesprovoquant
les modifications du rangsocial)
présentent
des réactions de peur moindres que les témoinsdans diverses
situations,
et enparticulier
face à la nouveauté
(Boissy
et Bouissou1994 ;
figure
10).
Il en est de même de brebisrecevant un traitement de testostérone
(Van-denheede et Bouissou
1993b ;
figure
11). Deplus,
dans cette dernièreespèce,
la réduction de la peurpersiste longtemps
(8 mois)
après
l’arrêt du traitement.
Conclusion
Bien que
fragmentaire,
la connaissance de l’influence des stéroïdes sexuels sur lesconduites
agressives
estcependant
la mieux documentée chez lesOngulés. Malgré
les dif-férencesspécifiques
etméthodologiques,
il semblecependant
bien établi que, dans unecertaine mesure, le
comportement
agressif
des mâles soit sous ladépendance
desandro-gènes.
L’étude des relations entreandro-gènes,
conduitesagressives
et dominance chez lesespèces
domestiques,
s’avèrenéces-saire dans la mesure où l’on assiste à une
généralisation
del’élevage
des mâles en grou-pe.Chez les femelles de toutes les
espèces
étu-diées,
lesandrogènes
provoquent
des modifi-cations de l’ordre socialqui
nepeuvent
pasêtre
expliquées
par un accroissementd’agres-sivité.
L’hypothèse
d’une réduction d’émotivi-té émise dans le cas de la vache s’est trouvéevérifiée. En
effet,
lesandrogènes
réduisent les réactions de peur dans des situations nonLes réactions de
peur sont plus
sociales chez les mâles comme chez les
femelles,
et leur effet est durable. Le mode d’action desandrogènes
sur cesphénomènes
est encore mal connu.
Bien que les stéroïdes sexuels ne soient pas
le seul facteur de variation de la réactivité
émotionnelle,
sa modification sous l’influencedes fluctuations des niveaux hormonaux doit
être
prise
en considération pourexpliquer
lesdifférences sexuelles
et,
dans un même sexe,les différences individuelles. Par
ailleurs,
onpeut
émettrel’hypothèse qu’une
partie
del’action des hormones sur les conduites de
reproduction
passe par une modulation del’état émotionnel de l’individu. L’étude des variations de la réactivité émotionnelle sous
l’influence de
l’équilibre
endocrinienconsti-tue un
complément logique
et nécessaire à l’étude de l’action des stéroïdes dans cescom-portements.
Enfin,
la réactivité émotionnelleest,
nousl’avons vu, une variable intermédiaire
qui
peut
influencer tous lescomportements
et estimpliquée
dansl’adaptation
des animaux à leur milieu. Son étude ainsi que celle de sesfacteurs de variation s’inscrit donc dans le cadre des recherches
qui
visent àdévelopper
destechniques d’élevage
respectueuses
du bien-être animal.Les
Ongulés,
et enparticulier
leursrepré-sentants
domestiques,
constituent un modèleparticulièrement
intéressant pour étudier les relations entre hormones etcomportement.
En
effet,
leurphysiologie
est bien connue etleur taille facilite les interventions telles que des
prélèvements sanguins
sériés ;
l’anatomie du SNC estégalement
bien connue chez lesovins,
et des étudesneurophysiologiques
etneuropharmacologiques
sontenvisageables.
De
plus,
lesOngulés
présentent
unegrande
diversité dans leurs structures sociales
(espèces
territoriales ou non, groupes mixteshiérarchisés, harems,
etc.) que l’on neretrou-ve pas chez les
Rongeurs
communément utili-sés dans cetype
d’études. Le rôle social desmâles et femelles y est très différent et les conduites
agressives
sontparfois
sexuelle-ment
dimorphiques.
Ils constituent donc unmodèle alternatif et les résultats obtenus
peuvent
avoir desimplications
pratiques.
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Social
relationships, aggressive
behaviour and emotionalreactivity
inUngulates : influences
of sex
steroids.Aside from their effects on sexual motivation and
reproductive behaviour,
sex steroids influence avariety
of otherbehaviours, especially
socialrelationships, agonistic
behaviour and emotionalreactivity
Our
knowledge
of the hormonal influences onthese behaviours in
ungulates
is somewhatfrag-mentary
despite
the fact that the endocrinesys-tem of the domestic
species
is well known.Howe-ver, the
importance
ofunderstanding
thebehaviours that are
susceptible
to be influencedby
sex steroids is evident for the efficientmana-gement
of domesticspecies.
There are well established sex differences in
aggressive behaviour,
dominanceability,
social role and fear reactions. These differences areinfluenced
by androgens.
Variations inagonistic
and territorial behaviour related to natural variations in hormonal levels have been demons-trated in manyspecies. Experimental
manipula-tion of hormonal levels
by
castration andhormo-ne
replacement therapy,
andexperimental
hor-monal treatments have confirmed the role of sex
steroids. In
particular,
treatment of both males and females withandrogens
enhances their dominanceability
and reduces their fearreac-tions in both social and non social situations.
Moreover,
this effectpersists long
after the end oftreatment. It is
possible
to influence the future social rank of an animalby giving
it such atreat-ment.
However,
the mechanismsby
which andro-gens act remain unclear.Since male animals are
being increasingly
rearedin groups, the
study
of therelationship
betweenandrogens
andaggressiveness
is ofparticular
interest. Inaddition,
emotionalreactivity
is involved in theability
of the animals toadapt
totheir environment. The
study
of the factors(including
sexsteroids)
capable
ofinfluencing
this intermediate variable is therefore
important
in order todevelop
management
techniques
which take animal welfare into account.