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Laissez dormir les fantômes du passé, Nelly BARON MAUROUX

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Academic year: 2021

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Ce roman est le produit de mon imagination. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est purement fortuite.

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Hélène

La nuit est tombée. Je tâte distraitement la clé qui se trouve dans la poche de ma veste. Chambre numéro 207, deuxième étage. J’emprunte sans réfléchir le vieil escalier en bois qui me conduira à destination. Deux étages, c’est faisable, malgré mon dos fatigué et mes jambes lasses. La journée a été longue. Nous sommes arrivées dans cet hôtel, mes amies et moi, en début d’après-midi. Un chauffeur est venu nous chercher à la gare de "Prajoli", jolie petite ville sise dans les Alpes.

Une fois les formalités accomplies à la réception, je déposé mon unique bagage dans ma petite pièce. Contrairement aux autres, j’ai réservé une chambre à un seul lit, aspirant avant tout à une tranquillité reposante. Elle est coquette, toute boisée, en accord avec le style chalet de l’établissement. La fenêtre s’ouvre sur une vue dégagée, permettant aux montagnes de se découper finement à l’horizon. Le couvre-lit blanc cassé et les rideaux assortis égaient élégamment les lieux. L’ameublement ne présente par ailleurs rien d’original. Un lit confortable, une ancienne armoire repeinte dans les tons naturels, un petit bureau, un divan agrémenté de coussins

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colorés, une commode et une télévision murale, seul élément moderne apparent. Tout est harmonieux. Pas le temps de m’attarder. Je prends juste quelques minutes pour changer de tenue et enfiler des chaussures de montagne confortables.

Notre petite équipe est partante pour une courte excursion qui nous amène sur les hauteurs, afin de nous restaurer dans un "chalet d’alpage". A l’entrée est accrochée une "poya" (cf glossaire en dernière page), peinture naïve qui représente la montée à l’alpage des troupeaux. Rien n’y manque : ni les majestueuses vaches avec leurs sonnailles ni - tiré par un mulet - le "train du chalet", char bleu contenant les meubles et les ustensiles nécessaires à la vie en alpage et aux travaux, tels que malles des armaillis, tabourets, baquets et seaux à traire, fouet, tranche-caillé, passoire, baratte, châssis pour le transport du fromage, chaudron, botte-cul, etc. Même la couverture rouge, signifiant que le troupeau est franc de dettes, est représentée.

Il fait beau. Le soleil rayonne au zénith et la température est agréable. Nous sommes au mois de septembre et profitons de ce bel été indien. Une atmosphère amicale et décontractée règne à notre

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table d’hôtes. La spécialité de la maison, les "macaronis à la crème" est reconnue par les spécialistes du coin et pour une fois nous nous régalons sans penser aux calories englouties. Son service terminé, le patron nous rejoint sur la terrasse boisée. Son fidèle accordéon l’accompagne et les heures s’écoulent dans un joyeux brouhaha de musique et de pas de danse.

La descente s’avère quelque peu périlleuse. Non qu’elle soit abrupte et raide, ni spécialement caillouteuse, mais avec les petits verres de vin blanc dégustés tout au long des chaudes heures de l’après-midi, nos pas ne sont plus très assurés et nos têtes nous jouent de mauvais tours. Nous rigolons bêtement comme des adolescentes à la moindre vue d’une chèvre, d’une vache ou encore d’un agile écureuil brun sautant de branche en branche. Heureusement tout se passe bien, mais notre retour a duré deux fois le temps prévu, soit trois bonnes heures.

Il est dix-huit heures passées lorsque nous atteignons une petite auberge. Notre hôtel se situe un peu à l’extérieur, il faut encore compter une bonne demi-heure pour y arriver. Mais c’est sans

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compter sur l’humeur joyeuse de mes amies. Elles décident de finir dignement cette inoubliable journée. Nous nous engouffrons dans un carnotzet typique où, malgré notre peu d’appétit, nous commandons quelques salades et … des frites ! Allez savoir pourquoi, on a toutes une envie irrésistible de frites. Notre commande suscite bien l’étonnement du serveur mais, certainement habitué aux excentricités de clients venus de tous les coins du monde, il note soigneusement les désirs de "ces dames". Les apéros ne sont pas de refus, ainsi que – par la suite – un petit rosé bien frais.

Nos voisins de table proviennent sans aucun doute possible de l’Italie toute proche. Leur accent ne peut que les trahir. Ils sont jeunes, insouciants, fêtards. Charmeurs comme seuls savent l’être les gens du sud, ils commencent à nous interpeller et finissent à notre table. La bonne humeur règne, les histoires drôles fusent, nous oublions nos soucis et nos maris restés à la maison. C’est notre sortie de contemporaines, alors vive la vie.

Si bien que me voilà sur les escaliers en bois de l’hôtel (mes copines sont montées en ascenseur, bien que leurs chambres se situent au premier mais moi j’ai la

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phobie de ces engins), fatiguée, un peu branlante et n’attendant que mon lit pour une bonne nuit réparatrice.

Arrivée devant la chambre 207 je sors ma clé et essaie d’ouvrir la porte. Elle ne bouge pas. Une voix sourde provenant de l’autre côté me surprend. Je recule et vérifie le numéro affiché. C’est bien ma chambre. Enfin, ce qui devrait être ma chambre. Soudain, la porte s’entrouvre et une tête hirsute apparaît.

- Voulez-quoi à c’te heure ? Voyez pas que je dors ?

Eh non, mon brave Monsieur, je ne peux voir à travers les cloisons et puis, c’est ma chambre, me dis-je en aparté.

Mais je réponds :

- Que faites-vous ici, c’est bien le no 207 non ? - Ben oui, mais on me l’a attribué pas plus tard qu’il y a quelques heures, alors filez et laissez-moi me reposer.

Désemparée, j’examine la clé que je tiens dans ma main : chambre no 507 ! Mais c’est impossible. Je me souviens très bien avoir grimpé deux étages pour y poser ma valise et non pas cinq. Comment se fait-il

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alors que ce personnage ait été installé chez moi ? Et pourquoi la clé no 507 se trouve-t-elle dans ma main ? Quelqu’un aurait-il procédé à un échange à mon insu ? Mais qui et pourquoi ? Je n’ai été en contact avec personne sauf à la buvette d’alpage et au restaurant. Je me perds en conjectures.

La réception est fermée à cette heure tardive (il est une heure du matin), je n’ai pas d’autre choix que de monter les trois étages suivants pour me trouver sous les combles et repérer la chambre 507.

Identique à l’autre, elle m’apparaît cependant légèrement plus petite. Les meubles sont les mêmes, la seule différence est le vasistas du toit qui remplace la fenêtre. J’aime les espaces ouverts et – bien qu’il fasse nuit – je me sens oppressée dans ce nouvel endroit.

Trop fatiguée pour réfléchir plus avant et ne voyant pas qui contacter – j’ignore où sont passées mes amies – je décide d’aller me coucher. On verra bien demain.

A peine endormie, un "je ne sais quoi" d’inhabituel me réveille. Peureuse de nature je n’ose plus bouger. Je tends l’oreille. Un bruit imperceptible, tel un gémissement sourd, me parvient de l’autre côté de

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la pièce. Une faible lumière traverse le vasistas. Le bruit cesse.

Alors je perçois une légère odeur très étrange. Je n’arrive pas à définir clairement ce que c’est. Un arôme vanillé mêlé d’abricot, un peu mentholé ? Cet effluve pénètre de plus en plus mes sens et me procure même un petit mal de tête.

Ouvrant légèrement les yeux sans bouger de ma position latérale, j’essaie d’apercevoir ce qui se passe au fond de la chambre. Bizarrement, elle me semble nettement plus grande. Une couche apparaît en retrait contre le mur du fond. Je distingue une silhouette assise qui me regarde fixement. Une jeune fille, une jeune femme ? Impossible à dire. De cette apparition sortent les petits gémissements que j’ai entendus auparavant.

Je dois rêver ou c’est mon imagination qui me joue des tours. Je me mords la langue pour confirmer être bien réveillée. Un goût de sang se répand dans ma bouche.

La silhouette ne bouge pas. Son regard fixe transperce l’obscurité. C’est comme si elle voulait me communiquer quelque chose. Sans aucun doute possible, c’est son odeur qui se répand dans l’espace.

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Que faire ? Allumer et me lever pour aller vérifier ? Soudain, la figure humaine se met debout et semble vouloir s’approcher de mon lit. Mais elle est stoppée net dans son mouvement. Je réalise qu’elle est menottée. Ce qui veut dire qu’elle est prisonnière et certainement surveillée. Par quelqu’un. Quelqu’un qui peut me vouloir du mal.

Avant d’avoir pu prendre une décision quant à l’attitude à adopter, je perçois un léger grincement. Stupéfaite, je réalise qu’un mur coulissant se déploie et obstrue le passage vers ce coin secret. Mon mal de tête empire soudainement. Mon crâne semble exploser. Le trou noir.

C’est un rayon de soleil qui me réveille. La chambre est illuminée par la clarté du jour entrant par la fenêtre. J’ai dû oublier de tirer les rideaux… mais – non – il n’y avait ni fenêtre ni rideaux hier soir lorsque je me suis couchée !

Je n’arrive plus à me souvenir clairement de ma nuit. Je me rappelle notre sortie, mon ivresse, les escaliers. Soudain, les réminiscences se font plus précises. La chambre, mais oui, j’en suis certaine, la confusion des numéros, ma montée au cinquième

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étage, la mansarde et cette étrange apparition au fond de la pièce.

Je me lève péniblement. Il est huit heures. J’ouvre la porte pour vérifier dans quelle pièce je me trouve. Numéro 207. Je n’y comprends plus rien. C’est impossible, il y avait un homme dans cette chambre cette nuit.

A l’évidence, j’ai dû faire un cauchemar. Pourtant, tout me semble si réel. Je tâte ma langue et ressent un léger picotement là où je me suis mordue. Il y a aussi cette odeur persistante qui me poursuit. Peut-on ressentir des fragrances quand Peut-on rêve ?

Il faut que je tire cette affaire au clair. Alors je passe en vitesse sous la douche, m’habille prestement et descends prendre le petit-déjeuner. Mes amies sont déjà attablées et me saluent gaiement. En voyant ma mine tristounette et soucieuse, elles me posent toutes sortes de questions. Je réponds évasivement, je veux d’abord m’assurer de quelques points importants avant de leur relater mon invraisemblable histoire.

Alors, une fois nos assiettes vidées, je prétexte un coup de téléphone important à donner (en fait je réalise par la suite qu’il n’y a pas de réseau dans ce

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coin perdu) et remonte les deux étages jusqu’à ma chambre.

Tout est normal. Le lit défait, la salle de bains en désordre, ma valise posée sur un porte-bagages. J’ai bien dormi là et cependant…

Discrètement je grimpe les trois étages restant pour atteindre les combles. La petite galerie donne sur une paroi en bois. Seul le côté gauche laisse apparaître une porte anonyme. Pas de chambre numéro 507. Je suis perplexe. Je longe les murs, tous recouverts de panneaux boisés, cherchant une éventuelle ouverture. Rien. Soudain, la petite porte latérale s’ouvre et apparaît une personne se présentant comme Adam, homme à tout faire de l’hôtel.

Il me lance un regard étonné :

- Que faites-vous ici, Madame, me questionne-t-il. Vous vous êtes certainement trompée. Puis-je vous aider ?

Je bafouille, confuse :

- On m’a dit qu’il y avait la chambre 507 à cet étage et je crois que c’est celle de mon amie. Mais je ne la trouve pas.

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- Désolé, il n’y a aucune chambre d’hôtel au dernier étage. Moi seul y loge.

- Pourtant, cette nuit, j’ai accompagné ma copine et j’ai bien cru ...

- Non, vous faites erreur. C’est certainement de la chambre 407 que vous voulez parler.

Devant mon air dubitatif, il ouvre spontanément la porte de sa petite cellule et m‘invite à y entrer.

- Regardez, il n’y a que cette pièce où je dors et une salle d’eau attenante. Constatez par vous-même. Elle ne donne accès à aucun autre lieu et surtout impossible de la louer à un client.

Devant l’évidence je ne peux que reculer et renoncer. Mais quelque chose m’obsède. Cet homme n’est pas net. Il doit avoir environ vingt ans. Son aspect ne concorde pas avec le métier qu’il est sensé exercer. J’ai observé ses mains ; elles ne correspondent pas au travail manuel qu’un homme à tout faire, tel qu’il prétend l’être, exerce. Son attitude hautaine, son élocution, un accent à peine perceptible, un je ne sais quoi de condescendant me paraissent suspects. Rien de vraiment concret, juste une intuition.

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Il me semble aussi quelque peu familier. Je suis sûre d’avoir déjà vu son portrait quelque part. Là encore, aucune certitude, juste une impression de "déjà vu". Lorsque je rejoins mes amies, mon air préoccupé ne leur échappe pas. Elles me questionnent et j’invente une réponse évasive, comme quoi j’ai de mauvaises nouvelles de ma maman, qui doit faire face à des investigations médicales suite à un petit malaise cardiaque. Ce qui est vrai, sauf la gravité exagérée que j’y attribue.

La journée promet pourtant d’être belle, avec un ciel radieux, une température idéale, des couleurs d’automne flamboyantes qui nous incitent à continuer l’exploration des environs.

Je mets de côté toute suspicion et décide de profiter pleinement de cette journée décontractée.

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Adam

Décidément, elle nous apporte la poisse, cette femme. Fallait que je tombe pile sur elle en quittant ma chambre. Elle est maligne, aucun doute là-dessus. Va falloir jouer serré et ne pas lui laisser le temps de fureter partout. Heureusement que j’ai un plan B bien établi. Ce n’est pas parce que tout a échoué hier soir qu’on va laisser tomber.

Eva ne devait en aucun cas la voir. Pourquoi a-t-elle fait coulisser cette satanée paroi ? Tout est à recommencer. Il faut que j’arrive à la convaincre qu’il est indispensable d’impliquer cette "Hélène".

Je vais retrouver l’équipe sans tarder. Rien ne doit être laissé au hasard cette fois-ci. Je remplacerai bien Hélène par une autre personne, mais après toutes les recherches faites, c’est la seule qui convienne.

Pour l’amener ici aussi c’était un tour de force. Heureusement qu’elle ne se doute de rien. Son amie Clara n’avait guère le choix, après le chantage qui lui a été fait en menaçant sa famille. Cette tactique marche toujours. Elle a intérêt à se taire, je ne vais pas hésiter à mettre nos menaces à exécution. Mais

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elle a fait ce qu’il fallait et l’a amenée ici, sa copine, comme exigé.

Faut dire aussi que cela fait des mois, voire des années, que nous mettons au point cette opération. Alors prudence.

Je sais qu’Eva a peur, mais au fond elle est consciente du fait que c’est l’unique solution pour la sauver. Je ne veux pas la perdre, on est unis depuis si longtemps. J’ai dû me résoudre à la confiner dans ce petit coin de chambre, pour sa propre sécurité. Je lui ai pourtant expliqué très précisément en quoi consistait l’opération et le but ultime de cette intervention, elle recule devant le risque. J’essaie de la rassurer. Ce qui est certain c’est que je vais tout tenter pour la garder en vie, afin d’agrandir notre dynastie et renforcer notre idéologie. Une société inédite va renaître grâce à notre grand Maître.

Pourquoi Eva est-elle devenue malade alors que moi je me porte bien ? Nous avons subi les mêmes traitements innovants tous les deux. Une réussite, secrète bien entendue. Pour le moment. Si le monde savait !

Je n’ai que vingt ans mais je suis venu au monde pour réussir là où mon illustre prédécesseur a échoué. Eva

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aussi. Nous sommes nombreux, très nombreux, à partager le même but. Personne, en-dehors des initiés, ne soupçonne la finalité de cette entreprise. Il faut y mettre quelques sacrifices, la loi du plus fort fait raison. Dommage que la première à payer le prix fort soit la petite dame que je viens de croiser. Hélène. Sa troublante ressemblance avec ma bien-aimée ne rend pas la tâche facile. Mais c’est justement à cause de cette similitude qu’elle – et elle seule – a été sélectionnée, bien qu’elle soit plus âgée. Même traits de visage, même corpulence, même couleur de peau et – encore plus intéressant – même groupe sanguin et une entière compatibilité de donneuse l’ont désignée après de longues et pénibles recherches.

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Hélène

Malgré les rires et la bonne humeur de mes compagnes, malgré le paysage enchanteur et le magnifique lac de montagne que nous avons atteint, je n’arrive pas à me débarrasser du mystère entourant la nuit dernière.

Je tourne et retourne la situation dans ma tête. Je suis sûre d’une chose : je n’ai pas rêvé, ce n’était pas un cauchemar. Je m’oblige à évacuer le problème et à participer au mieux aux visites programmées.

Nos pas nous ont amenées sur les hauteurs. Après environ trois heures d’ascension, nous voilà devant un petit lac en forme de cœur, du limon tout autour, un glacier au fond. L’eau est glacée et d’une couleur gris-bleu inhabituelle. Nous avons apporté notre propre encas préparé à la maison et le dégustons assises autour d’une table et de bancs installés pile au bon endroit. La vue sur les montagnes déjà enneigées est magnifique et l’air d’une rare pureté. Quelques vaches paissent encore paisiblement, bientôt ce sera la désalpe.

J’oublie mes soucis. Nous décidons de faire le tour du lac, promenade facile qui dure une bonne heure. Puis nous entamons le chemin du retour, nous

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arrêtant au passage dans une buvette accueillante entourée de chèvres. Elles nous accompagnent tout au long de la descente.

Retour à l’hôtel où nous changeons de tenue pour notre dernière soirée. Un restaurant gastronomique réputé pour ses plats accompagnés de fleurs et d’herbes sauvages nous attend non loin de là avec ses spécialités connues loin à la ronde.

Depuis mon rapide passage dans ma chambre, je me sens oppressée. Mon humeur dégringole, ça ne va pas. J’ai un mauvais pressentiment.

Je ne veux pas inquiéter mes amies, mais quelque chose me pousse aux confidences. Je leur relate tant bien que mal mes mésaventures passées, la rencontre avec Adam, l’homme à tout faire, la disparition de la chambre 507, la jeune femme dans le lit.

Elles ont l’air sceptiques, vu l’état dans lequel nous sommes rentrées. Elles attribuent les évènements à une certaine ivresse et m’assurent que ça ne peut être qu’un cauchemar.

Toutes sauf Clara. Elle devient blanche comme un linge et rapetisse dans son coin. Elle ne pipe mot mais je vois bien à son mal-être que quelque chose

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la tracasse. Afin de ne pas alourdir cette soirée et de finir notre petite escapade en beauté, je passe à un autre sujet et les réjouissances continuent dans une bonne humeur retrouvée, du moins en apparence en ce qui me concerne. Je questionnerai Clara plus tard.

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Une amitié à cinq

Hélène et Clara se connaissent depuis la maternelle. Leurs parents étaient domiciliés dans le même quartier huppé d’une agglomération internationale située au bord d’un grand lac. Dans un pays neutre et prospère, relativement sûr et tranquille.

Le papa d’Hélène est patron d’une grande entreprise de constructions métalliques. Sa maman, passionnée de chevaux, tient un élevage réputé et participe régulièrement à des concours hippiques.

Les parents de Clara sont, tous deux, gérants d’un grand restaurant. Lui, chef réputé, dirige une équipe de fins cuisiniers, elle s’occupe de l’accueil de la clientèle et du service.

Les deux fillettes se sont connues à la petite école du quartier. Très vite complémentaires, elles ne se sont plus quittées. Toutes deux enfants uniques, elles ont trouvé l’une en l’autre la sœur tant désirée. A l’école primaire, elles ont bien été séparées dans des classes différentes, mais cela n’a en rien changé leur attachement et leur amitié. A la récréation, lors de sorties, de fêtes, d’anniversaires, impossible d’apercevoir l’une sans l’autre.

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A l’adolescence, il y eut bien quelques nuages et querelles, dues avant tout à des coups de cœur et rivalités amoureuses. A chaque fois cependant, elles se sont réconciliées et retrouvées.

Malgré leurs choix professionnels divergents, elles se sont inscrites à l’Université de leur cité. Pourquoi s’expatrier puisque les facultés de cette institution répondaient en tous points à leurs désirs réciproques ?

Hélène se dirige vers la diplomatie. Travailler dans une ambassade la séduit. Elle s’est inscrite en HEC. Clara projette de devenir journaliste. Elle opte pour les Lettres.

C’est au Campus qu’elles rencontrent Julie, Anna et Béatrice. Bien que n’étant pas dans les mêmes filières académiques, elles se trouvent de multiples points communs et forment, à elles cinq, un petit clan soudé.

Que de sorties, de fêtes partagées, de visites et de vacances en commun ! Pendant longtemps tout s’est fait en groupe. Le club des cinq reconstitué.

La fin de leurs études apporte évidemment des changements. Chacune doit suivre dorénavant son propre chemin. Mais cela n’altère en rien leur amitié.

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Avec les moyens modernes de communication il est facile de rester en contact. Elles s’échangent régulièrement les dernières nouvelles et chacune est au courant de la vie des autres.

Le premier stage d’Hélène dans une ambassade se déroule à Londres. Elle est ravie. Elle adopte rapidement cette grande cité où grouillent les activités. Son travail lui demande beaucoup d’investissement personnel. Elle est la collaboratrice personnelle de l’ambassadeur et se doit d’être régulièrement à son côté lors de réceptions, de dîners, de soirées. Elle se fait rapidement un cercle d’amis et se sent parfaitement chez elle à Londres. Elle rentre régulièrement dans son pays et revoit avec bonheur ses anciennes amies. Elle n’affiche aucun "petit ami ", elle a bien des flirts de temps à autre, mais se donne le temps de rencontrer la bonne personne.

On ne reste pas longtemps au même endroit dans la diplomatie. Après trois ans, elle est mutée à Berlin. Bien que triste à l’idée de quitter ses nouvelles racines, elle est enthousiaste de rallier Berlin, qu’elle a visitée il y a quelques années avec ses copines.

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L’Ambassade lui a trouvé un joli petit appartement. Son travail consiste à organiser et mener à bien toutes les activités officielles de la Mission. Elle n’est heureusement pas seule à assumer ces responsabilités, elle partage ce job avec Werner, le secrétaire général, son supérieur. Jeune cadre chic et bon genre, mais avec un côté secret qu’elle découvre peu à peu. Sous ses airs sérieux et posés se cache un individu un peu fou, avide de vivre, fêtard à ses heures, croquant la vie et ses opportunités à pleines dents.

Leur activité commune les rapproche et quelques mois à peine après l’installation d’Hélène ils aménagent ensemble. Werner leur trouve un bel appartement en ville, leur évitant de longs transports en commun pour se rendre à leur travail. Lorsqu’ils veulent s’évader pendant leurs congés, ils louent une voiture. A de rares occasions ils peuvent profiter d’un des véhicules à disposition des diplomates. Le mariage, auquel sont conviées – outre de nombreux invités - ses amies n’est plus qu’une formalité et la naissance d’une petite Andrea ne tarde guère.

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Hélène se trouve prise dans un tourbillon. Clara, Julie, Anna et Béatrice la côtoient de loin, apercevant parfois des photos du couple dans un magazine ou dans une interview télévisée. Les contacts se font plus rares, mais les cinq copines se promettent de passer quelques jours ensemble pour leurs trente ans respectifs.

Une fois ses études de Lettres terminées, Clara s’inscrit dans une école de journalisme. Une longue année de stages et perfectionnements débute. Elle commence à écrire quelques articles dans un journal local. Elle ne trouve pas tout de suite un poste fixe, mais multiplie les stages dans diverses revues, journaux, magazines spécialisés en politique intérieure.

Lorsque se présente l’opportunité de rallier une formation à la télévision, elle n’hésite pas un seul instant. Elle en rêve depuis longtemps !

L’engagement temporaire se transforme en poste fixe. Elle est maintenant présentatrice du téléjournal. Elle aussi s’est mariée, après quelques années de fréquentation avec Benoît, bijoutier de la place. Tout son monde a été réuni pour cette belle cérémonie. Les amies de toujours se sont retrouvées comme si

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elles ne s’étaient jamais quittées. Que de temps à rattraper ! L’arrivée de jumeaux, Théo et Emile, complète le bonheur du couple.

Clara poste souvent des messages à son amie Hélène. Leur intérêt commun pour la politique les rapproche et leurs expériences professionnelles spécifiques les enrichissent toutes deux.

Leur sortie de jubilé est programmée pour la mi-septembre. C’est Hélène, rodée dans ce domaine, qui prend en charge l’organisation.

Julie s’est greffée la première au duo formé par Hélène et Clara. Par un pur hasard, elle s’est trouvée sur la route des inséparables copines, lorsque Clara s’est fait arracher son téléphone portable par un jeune délinquant. Ni une ni deux, coursant le coupable, elle l’a non seulement rattrapé mais mis KO. Il faut préciser qu’elle est ceinture noire de karaté, sport qu’elle pratique assidûment depuis sa jeunesse. Julie est grande, robuste, sa peau claire et ses cheveux roux laissent deviner l’origine irlandaise de ses grands-parents.

Pour la remercier, Hélène et Clara lui proposent d’aller boire un verre. Dès lors, leur amitié s’est développée au fil du temps. Il faut la connaître, Julie,

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avec son franc-parler, son fort caractère, ses mots parfois blessants. Sous sa carapace se cache pourtant une amie fidèle, prête à aider, joyeuse et entraînante.

Après des études de sociologie, elle s’est présentée au concours d’entrée de la Police judiciaire. Une dure formation l’attendait. Elle a tenu bon.

Une fois ses preuves faites, la voilà active dans le secteur des drogues. Elle est souvent confrontée à des situations dramatiques, oscille constamment entre prévention et répression. De nouvelles substances naissent tous les jours, il faut traiter avec les indics, infiltrer des réseaux, protéger la jeunesse. Julie s’implique entièrement dans son métier. Sa vie privée consiste en quelques sorties avec Hélène, Clara et par la suite Anna et Béatrice. Aucun petit ami à l’horizon. Julie tient à son indépendance et ne veut impliquer aucune famille dans ses horaires diaboliques et les dangers de son travail.

Elle se passionne pour l’histoire, surtout les tragiques évènements de la deuxième guerre mondiale. L’injustice la révulse. Le racisme la rebute. Eliminer un peuple à cause de son appartenance religieuse dépasse son entendement. C’est un peu pour toutes

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ces raisons qu’elle a choisi d’entrer dans la Police. Justicière en son âme et conscience, elle veut sauver les opprimés, aider les reclus, protéger les plus faibles. Combat inégal relevé de jour en jour, mais Julie, en guerrière infatigable, s’obstine dans la voie choisie.

Son père, lui aussi policier, en est très fier et la soutient entièrement, malgré les dangers de cette profession et l’implication personnelle qu’on doit y apporter. Sa mère, secrétaire médicale, est plus nuancée ; elle aurait préféré que sa seule fille choisisse un métier plus facile. Elle vit dans une peur continuelle de perdre son enfant, d’autant plus que le frère de Julie, Edouard, s’est exilé aux Etats-Unis où il est devenu responsable d’une chaîne de fast-food.

Anna a rejoint le groupe lors d’une fête d’anniversaire. Son copain d’alors y avait été invité et elle l’avait accompagné. Timide, elle reste un peu à l’écart des réjouissances et observe avec intérêt le ballet des convives. C’est alors qu’un relent acre, à peine perceptible, l’attire à la cuisine. Anna a l’odorat particulièrement développé. Personne d’autre n’a détecté ce léger remugle. C’est l’huile restée au fond

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d’une poêle qui a pris feu. Sans paniquer, Anna la recouvre d’un grand couvercle attrapé sur le plan de travail. Le feu s’éteint de suite. Le tintamarre attire quelques invités. Réalisant que grâce à elle une catastrophe a été évitée, tous se mettent à la féliciter et à la remercier.

Par la suite Anna s’intègre naturellement dans le groupe déjà formé. Elle étudie la biologie.

Son père est décédé juste avant qu’elle n’entame ses études. Sa mère, Allemande, tient un salon de coiffure et peine à nouer les deux bouts. Elle est l’aînée de trois filles et connaît parfaitement le fonctionnement parfois compliqué de l’esprit féminin.

Une fois ses études terminées, elle intègre un groupe de recherche sur le cerveau d’une grande université. Ce qui suscite particulièrement sa curiosité, ce sont les interactions occasionnées par les diverses fragrances sur cet organe essentiel et mystérieux. Retours plaisants et envoûtants ou, au contraire, repoussants et répugnants. Se trouver soudain propulsé dans des souvenirs d’enfance en humant un parfum de gâteau aux pommes, se revoir au bord de la mer en sentant une vague odeur d’ambiance

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marine, se promener dans un parc fleuri au printemps en respirant une senteur de rose.

Lorsqu’un parfumeur célèbre lui propose de participer à l’élaboration d’une nouvelle essence, elle n’hésite pas une seconde. Ce n’est pas un nouveau travail, mais une occupation accessoire, prise sur son temps libre, mais qui la passionne.

Anna vit avec Karl, lui aussi d’origine allemande. Ils se sont connus il y a peu et n’envisagent guère de convoler en justes noces pour le moment. Pas le temps. Outre son occupation au laboratoire de recherche, sa passion de "nez", son couple, Anna doit gérer la vie de son petit garçon de cinq ans, Romain, né d’une précédente relation.

Pourtant elle garde un contact régulier, bien qu’espacé, avec ses anciennes amies. Elle se réjouit particulièrement du répit que lui accordera leur weekend à cinq.

Parlons maintenant de Béatrice. Arrivée de son Brésil natal a l’âge de douze ans, elle a rapidement acquis les rudiments de français et a suivi, avec une année de retard, la scolarité obligatoire. Son père est traducteur dans une grande multinationale, quant à sa mère elle est pâtissière.

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Béatrice est très belle, métissée, une peau cacao mate, des mouvements gracieux, une chevelure ondulée noire qui luit au soleil. Pourtant, elle est timorée, doute souvent de ses capacités, gère mal d’être le point d’intérêt. Probablement des réminiscences d’écolière, où elle était souvent mise de côté soit par l’ignorance de la langue, la couleur de sa peau ou la différence de son éducation.

Intelligente, elle a pu poursuivre ses études en Lettres et a opté pour l’enseignement au degré secondaire. Elle est professeur d’espagnol et d’anglais.

Sa rencontre avec les quatre autres copines s’est faite lors d’une occasion plutôt comique. Le bal de fin d’année battait son plein. Béatrice avait revêtu une belle robe confectionnée par ses soins. Elle était resplendissante. En se levant pour aller danser, elle ne s’est pas aperçue qu’un méchant clou dépassait d’un des pieds de sa chaise. Sa longue jupe s’y accroche et se déchire de haut en bas. Béatrice devient rouge écarlate, elle ne sait plus où se cacher, se rassied péniblement sur son siège en tentant de camoufler sa demi nudité. Hélène, assise un peu plus loin, a suivi la scène comme tant d’autres. C’est la

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seule à se lever précipitamment et à offrir galamment son grand châle à la malheureuse pour qu’elle puisse s’y envelopper. Puis elle l’accompagne au vestiaire. Il doit bien y avoir un moyen de remédier au désastre.

Béatrice est en pleurs. Quelle honte, elle qui aime la discrétion, la voici le point de mire de tous.

Apercevant Hélène, Clara, Julie et Anna se précipitent elles aussi pour aider l’infortunée.

Avec quelques épingles à nourrice, une large ceinture noire et plusieurs points de couture donnés par la responsable de la garde-robe, le désastre se transforme en réussite. Le châle rouge se convertit en ravissante longue jupe, la ceinture faisant ressortir la finesse de la taille. Un chapeau melon noir complète le tableau et donne un air de gitane à Béatrice.

C’est ainsi qu’un cinquième élément se greffe sur le groupe d’amies.

Béatrice s’est mariée à peine ses études terminées avec Alex, banquier responsable d’une succursale d’une grande institution de la place.

Le couple a trois enfants : Jeanne sept ans, Colin six ans et Caro quatre ans.

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Béatrice est très assidue et prend régulièrement des nouvelles de ses amies. Elle ne les revoit que rarement, mais un lien indestructible l’attache à ses secouristes ! Quelle joie de les retrouver en septembre !

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Hélène

C’est en rentrant à l’hôtel, après notre copieux repas, que la crise éclate.

Clara s’arrête soudain et se met à sangloter.

Nous restons pétrifiées devant ce rapide revirement et la prenons dans nos bras.

- Raconte-nous, implore Béatrice toujours maternelle, que t’arrive-t-il ?

Clara se mouche discrètement et, tout en essuyant ses larmes, nous résume les faits suivants :

- C’est par rapport à ce que tu nous as raconté, Hélène. Oui, les évènements de la nuit passée, le mystère de la chambre 207, ta rencontre avec cet homme bizarre, Adam. Je jure que je ne sais pas de quoi il s’agit mais, malgré moi, j’y suis pour quelque chose.

- Toi, s’exclame Julie, c’est impossible. Comment pourrais-tu être impliquée ?

- C’est compliqué, réplique Clara, je ne voulais pas, ils m’ont obligée…

- Qui t’a obligée et à quoi, intervient à nouveau Julie.

- Laissez-moi expliquer, chuchote Clara d’une voix à peine audible.

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- Il y a quelques semaines, en rentrant de mon boulot, juste devant ma maison, me voilà accostée par deux inconnus. Ils ne m’inspirent pas de crainte, ils semblent être des personnes banales. Bien habillés, polis, corrects. Je pense naïvement qu’ils veulent juste un renseignement.

- Vous êtes bien la présentatrice du téléjournal Clara ?

- Oui, mais pourquoi…

- Votre meilleure amie s’appelle Hélène et travaille à Berlin ?

- …

- Alors écoutez-nous bien.

Ils commencent à me serrer de près. Une peur sournoise s’insinue progressivement en moi Que me veulent-ils ?

Sentant mon angoisse, l’un d’entre eux reprend : - On ne vous veut aucun mal. C’est juste un petit service qu’on vous demande. On sait que vos amies et vous envisagez de passer un weekend sur le bord du lac d’Annecy pour fêter vos anniversaires. J’ai raison, n’est-ce pas ?

Comment peut-il être au courant ? Comment connaît-il mes amies et nos projets ?

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Il continue :

- Voilà, on veut que vous bouleversiez vos plans. Vous devez absolument convaincre votre petit groupe de changer d’endroit et de programmer votre sortie au 15 septembre.

- …mais…

- Je ne vous demande pas votre avis. Vous allez toutes vous rendre à l’endroit indiqué sur cette carte, vous verrez c’est très agréable. C’est un ancien hôtel tout en bois dans une magnifique région de montagne. Pas loin d’ici. C’est calme et reposant. Il y a de belles excursions à faire. Vous arriverez aisément à convaincre les autres.

Je reste bouche bée, je n’y comprends rien.

- De toute façon, vous n’avez pas le choix. Ici ou ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien faire ! Nous connaissons tout de vous, de votre activité, de votre famille. Nous avons aussi pris de jolies photos de votre petite Andrea. Alors, ne faites aucun faux pas et ne vous avisez pas d’informer la police ou qui que ce soit d’autre. Ni vos amies et surtout pas la belle Julie. On saura vous retrouver le cas échéant et vous faire payer votre trahison.

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La menace est claire. Je suis pétrifiée. Ces hommes connaissent tout de moi, de nous. Je ne comprends pas les raisons qui les poussent à nous acculer ainsi. Ils disparaissent aussi silencieusement qu’ils sont apparus.

J’ai tourné et retourné le problème dans ma tête pendant des jours. J’ai hésité, je me suis révoltée. C’était inutile, j’ai fini par céder et vous faire changer de plan. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Je ne comprends toujours pas ce qu’ils te veulent, cette bande, Hélène. Mais quand tu nous as raconté les évènements de la nuit dernière, j’ai vraiment commencé à avoir peur.

Nous restons sans voix. L’évidence nous frappe. Je n’ai pas fait de cauchemar, je n’ai rien inventé, des faits bizarres et programmés se sont bel et bien passés la dernière nuit.

J’en veux tout de même à Clara de sa duperie, de son manque de confiance, de sa lâcheté. Mais qu’aurais-je fait à sa place ? De toute façon, il est trop tard pour les regrets.

Comment sont-ils au courant de tous ces détails sur nous, comment nous connaissent-ils, que veulent-ils ?

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Ce sont les questions qui fusent. Seule Julie émet une hypothèse :

- Ils t’auront repérée dans des magazines people, suppose-t-elle et ensuite ils auront enquêté sur toi, pour des raisons que nous ignorons. C’est facile de nos jours d’infiltrer tes données personnelles, les ordinateurs sont perméables. Les journaux ont certainement parlé de toi, de ta vie, même si tu restes très discrète. Ils doivent avoir des informateurs.

- Mais pourquoi, pourquoi moi ? Personne n’a de réponse.

- De toute façon, on ne peut rien faire ce soir. Rentrons à l’hôtel, suggère à nouveau Julie. Il est près de minuit, on est dans un endroit perdu, il n’y a pas de poste de police à proximité, nous n’avons pas de voiture. Les rares restaurants sont fermés. La réception est déserte à cette heure, et surtout, comme nous l’avons découvert, aucun réseau de téléphonie mobile n’est disponible. Alors que faire ? Elle a raison, Julie. Si ces hommes nous ont attirées ici, c’est pour une raison précise. Nous allons devoir nous montrer prudentes. J’ai vraiment peur. Il reste une nuit à passer dans cet hôtel.

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- Voilà ce qu’on va faire, déclare à nouveau Julie, la mieux placée pour évaluer la situation.

- On va quitter l’hôtel dès notre réveil. Plus tôt sera le mieux, puisque c’est précisément ici qu’on t’a attirée, Hélène. Pour l’heure impossible de te laisser dormir seule. Je vais chercher quelques affaires et te rejoindre dans ta chambre. Vous ne le savez pas, mais j’ai une arme…

- J’ai juste un lit à une place, où vas-tu te coucher ?

- Il y a bien un divan, non, alors le problème est réglé. On va toutes essayer de passer une nuit calme, Hélène, surtout n’ouvre à personne en m’attendant et ne traîne pas.

Son discours sensé nous a quelque peu apaisées. Pour se rassurer, Clara, Anna et Béatrice décident d’un commun accord de se regrouper dans une seule chambre au premier étage.

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Julie

Je me dépêche de rassembler le nécessaire. Anna, qui partage la chambre avec moi, fait de même pour rejoindre Clara et Béatrice.

Le temps de trouver ma chemise de nuit, mes affaires de toilette, une lampe de poche (j’en ai toujours une avec moi), mes médicaments et je suis prête. Cela ne m’a pris que quelques minutes.

L’ascenseur se fait prier. Bizarre, il n’y a personne d’autre à s’en servir à cette heure tardive. Je grimpe l’étage qui me sépare du deuxième quatre à quatre. J’y arrive rapidement, tourne à droite dans le long couloir et repère la chambre 207. Je frappe discrètement :

- C’est moi, ouvre vite !

Pas de réponse. Peut-être qu’Hélène est aux toilettes ou en train de se changer. Je tape un peu plus fort. Rien. Je m’impatiente. J’essaie d’ouvrir la porte, mais elle est verrouillée. Je tambourine cette fois avec force contre la cloison. Aucune réaction. C’est bizarre, Hélène vient de monter. Un mauvais pressentiment s’empare de moi.

Aucun bruit ne me parvient des chambres voisines. A la réflexion, depuis notre arrivée, nous n’avons

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croisé personne. Sauf Hélène qui a vu sa chambre occupée par un quelconque bonhomme et ce bizarre homme à tout faire : Adam.

Je n’ai pas suivi une formation de policière pour rien. Je sors ma carte de crédit, quelques manipulations et la porte d’ouvre. Sur une chambre vide. Où est passée Hélène ?

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Adam

Les cinq amies sont parties se promener. Tant mieux, cela nous laisse la liberté de peaufiner notre plan. Je prends l’ascenseur pour descendre au sous-sol. Sous la plaque de l’installateur est caché un petit bouton permettant d’y accéder à l’aide d’une clé spéciale. C’est la seule entrée excepté un tunnel secret creusé sous le jardin. Les escaliers ont été supprimés.

Un long corridor blanc, à peine éclairé, m’accueille. Une enfilade de pièces à droite et à gauche. Une salle d’opération. Je me dirige vers le fond. La porte de la dernière pièce est ouverte.

Eva, diaphane et à moitié endormie, est couchée sur un lit d’hôpital. Je l’ai amenée ici tôt ce matin. L’équipe médicale qu’elle connaît depuis longtemps s’est occupée d’elle tout au long de la journée. Il y a urgence maintenant. Enormément de préparations sont nécessaires avant l’intervention.

Eva sent ma présence. Quelque chose

d’indestructible nous réunit depuis toujours. Par-delà toutes les frontières, même celle de la mort. Elle sourit tristement, sa blancheur n’est pas seulement due à sa dégradation physique, mais aussi à sa peur.

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Elle est terrifiée. C’est vrai que l’opération qu’elle va subir n’a été tentée que récemment sur des humains. Je la rassure du mieux que je peux. Bien qu’un doute s’empare de moi, je la persuade que tout est sous contrôle. Le chirurgien qui va s’occuper d’elle travaille avec l’équipe de notre grand ponte Heinrich depuis très, très longtemps.

Eva a dix-neuf ans, moi vingt. Si nous sommes nés, c’est grâce à ce grand scientifique. Il est vieux maintenant et a connu la deuxième guerre mondiale. Dont il a tiré ses propres enseignements. C’est sous sa conduite que nous avons été élevés. Il nous a tout appris. Nous lui sommes dévoués corps et âmes. Depuis plus de quarante ans, un groupe s’est constitué autour de lui. Partageant ses idées et son but.

Notre naissance reste un mystère. De fait, nous n’existons pas. Dans aucun document officiel, aucune mairie, aucune école.

Vous souvenez-vous de la naissance de Dolly, la première brebis clonée ? Heinrich a procédé à des tentatives similaires depuis bien plus longtemps. En avance sur tous ses concurrents. Il procédait à ses essais en secret, le sujet était encore tabou.

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Je suis né une année, Eva deux ans après cette réussite que le monde admirait. Tous deux par clonage. Personne n’en a rien su. La finalité de ces renaissances ne devait apparaître que bien plus tard. Nous n’en sommes qu’à mi-parcours. Il reste beaucoup d’obstacles à franchir.

Heureusement que personne n’a remarqué, jusqu’à présent, nos ressemblances avec nos géniteurs. Je suis identique en tous points à l’homme dont on a prélevé quelques cellules afin de les cloner. Quelques cellules précieuses provenant d’un souvenir gardé par Heinrich depuis des années : quelques cheveux. La même chose est valable pour Eva. Elle revit grâce à de petits bouts d’os retrouvés après la guerre. Nous sommes issus d’Adolf Shrek et de Fiona Cruella, sa compagne.

Après avoir quitté Eva en lui promettant de revenir avant de regagner les étages, je me rends dans le bureau de Heinrich. Il a dépassé les quatre-vingts ans, mais reste solide comme un roc. Il a gardé toutes ses facultés intellectuelles. Le projet qu’il a développé et dont nous faisons partie intégrante est l’œuvre de sa vie.

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Il ne se lève pas quand j’entre. Il me fixe de ses yeux bleus perçants et me détaille de haut en bas.

- Cette nuit a été un échec. Il ne reste plus qu’aujourd’hui pour réussir. Ne me déçois pas, l’avenir du monde est entre tes mains. Entre vos mains, toi, Eva et notre équipe.

Tu réalises qu’il est urgent de modifier le genre humain ? Tu as reçu une éducation assez poussée pour concevoir que nous courrons à notre perte si rien n’est changé. Des guerres partout, la richesse d’un côté, la pauvreté de l’autre. Afin de survivre les populations en viennent à s’entretuer. Ce n’est que le commencement. La démographie galopante ne va pas s’arrêter. Comment nourrir tous ces peuples, comment survivre, comment diriger des croyances, des races, des caractères si divers ? L’unique solution c’est celle que nous avons choisie : privilégier une seule race d’élus. Ce que voulait ton géniteur Shrek lors de la première guerre mondiale, Les théories de fraternité, d’égalité et d’antiracisme ne font pas leurs preuves sur le long terme.

Nécessité fait loi. Dans tous les règnes. La loi du plus fort. Les plus forts, c’est nous.

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Dès qu’Eva sera remise sur pied, votre programme commencera.

Je ne peux qu’adhérer à ces concepts. Ils sont devenus miens.

Notre programme inclut des armes ultra sophistiquées, des interventions rapides aussi bien physiques que psychiques, des produits bien plus inquiétants que les gaz utilisés dans les camps, des moyens directs de contaminations universelles, Après avoir quitté Heinrich, je retourne voir ma bien-aimée. Je lui explique encore une fois, patiemment, comment va se dérouler l’intervention sensé la sauver. Pour cela nous avons besoin d’Hélène.

C’est la donneuse parfaite. Trouvée après des années de recherches intensives. Dénichée grâce à Internet et ensuite à l’exploration de son ADN.

- Tu sais que nous avons réalisé avec succès cette intervention tout d’abord sur de nombreux animaux, dont des singes et ensuite sur plusieurs humains. Après les premiers échecs, nos interventions présentent un taux de réussite de près de 100%.

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On va t’endormir. Tu vas partir dans des rêves rassurants et agréables grâce à notre programme de contrôle des influx nerveux.

C’est ton corps qui est malade. Pas ton cerveau. N’aie crainte, la séparation s’effectuera avec beaucoup de minutie. Ta moelle épinière sera protégée. On va faire de même avec Hélène. Seulement elle, elle ne va pas survivre.

Tu sais que ta précieuse tête sera implantée sur le corps de la donneuse. Elle te ressemble beaucoup. Même taille, même corpulence, même finesse. Tu t’y feras rapidement. Bien sûr, elle a dix ans de plus que toi, mais en l’état actuel son corps est bien mieux conservé que le tien.

Pourquoi ton anatomie s’est-elle soudainement dégradée ? Impossible à dire. Peut-être un léger défaut dans une des cellules clonées.

Mais tu resteras bel et bien Eva, même avec un nouveau corps. Nous pourrons avoir des enfants et contribuer à la continuation de notre lignée. Le peuple qui va naître, que nous dirigerons avec l’aide de Heinrich et de ses adhérents, est sur le point de devenir réalité.

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Hélène semble rassurée. Ses yeux se ferment, elle s’endort. Je m’en vais sur la pointe des pieds.

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Julie

Je hurle. Clara, Anna et Béatrice accourent. La pièce vide nous fait face, ouverte sur rien ni personne. Nous nous regardons, effarées et stupéfaites.

Comment est-il possible que notre amie Hélène ait pu disparaître si rapidement ? Nous venions de nous quitter, il ne m’a fallu que quelques minutes pour grimper l’étage séparant nos chambres et la voici envolée.

Nous inspectons soigneusement la pièce, la salle de bains, les murs, à la recherche du moindre indice. Rien. Ses affaires sont toujours là, sa valise, ses habits, ses produits de toilette.

Soudain nous retrouvons le sac à main qu’elle portait tout à l’heure, jeté négligemment dans un coin. Il est intact, portefeuille, portemonnaie, photos, ainsi que tout le petit bazar transporté par chacune d’entre nous, tout y est.

Mues par la même idée, nous nous lançons dans l’escalier pour atteindre le fameux cinquième étage, avec son étrange chambre 507. Chou blanc. Il n’y a aucune chambre, même la petite pièce décrite par Hélène, d’où est sorti cet homme à tout faire du nom d’Adam, a disparu. Nous tâtons le mur de planches

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qui en fait le tour. Nous tapotons, à l’écoute d’un son quelque peu différent, nous collons nos oreilles contre la paroi pour y déceler d’éventuels bruits. Un effluve particulier parvient à notre conscience, mais ce n’est pas la fragrance d’Hélène. C’est une vague odeur de vanille/abricot mentholée. C’est Anna qui l’a humée en premier.

Elle s’exclame :

- Rappelez-vous, Hélène nous a parlé du parfum que dégageait cette jeune femme aperçue dans le coin de sa chambre. Celle qui semblait vouloir lui dire quelque chose et qui la regardait fixement. Celle qui était menottée au lit

Maintenant qu’elle le dit, je m’en souviens parfaitement. Nous tombons toutes d’accord, cette inconnue existe bel et bien et a séjourné pas loin d’ici.

Que faire, notre amie est forcément dans cet hôtel, cachée quelque part. Entre le moment où nous sommes retournées ensemble au chalet et celui de la disparition mystérieuse d’Hélène, aucun bruit de moteur, aucun son incongru, aucun cri ne nous ont alertées.

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Nous décidons d’inspecter tous les étages. Pour cela, nous nous divisons en deux groupes : Clara et Béatrice, Anna et moi.

Au quatrième, nous ouvrons les portes accessibles l’une après l’autre. Nous hurlons le nom d’Hélène à pleins poumons. Tant pis si nous réveillons d’autres hôtes. Mais rien ne bouge. Tout reste silencieux. Bizarre, logiquement il aurait dû y avoir des réactions, des réclamations, des visages inquiets ou furieux apparaissant çà et là. Rien. Les chambres, toutes identiques, sont vides. Pas seulement vides d’occupants, mais vides tout court. Aucun lit, aucun meuble.

Les autres niveaux présentent la même déficience. Comment se fait-il que nous n’ayons jamais remarqué l’absence de touristes ? Il n’y a que nos chambres, sises au premier étage et celle d’Hélène, au troisième, qui sont agencées.

L’hôtel est déserté. La réception est vide. Nos cerveaux tournent à cent à l’heure. Que faire ?

Apercevant le téléphone fixe de l’accueil, Clara le soulève. Bonne réaction, il faut avertir la Police. Aucun son n’échappe de l’appareil. Les lignes sont coupées.

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Il nous reste à explorer le sous-sol. Il y en a obligatoirement un. Cet hôtel doit bien posséder des cuisines, une buanderie, des entrepôts, des caves. Malgré notre recherche assidue, nous ne trouvons aucun passage pour y accéder. Peut-être l’ascenseur y mène-t-il ? Nous jetons un rapide coup d’œil dans la cabine, tout en gardant la porte ouverte. Il n’y a pas de bouton au-dessous du rez-de-chaussée.

Il faut absolument localiser notre amie. Nous ne pouvons attendre le matin. On est toutes sûres qu’elle court un grand danger.

Anna s’agite. Elle me demande de rouvrir la porte de l’ascenseur.

- Sentez, s’exclame-t-elle. Il y a de nouveau cette bizarre odeur vanille/abricot/menthe.

Effectivement, presque imperceptible pourtant, nous arrivons à humer cette légère senteur inhabituelle. Ce qui veut dire que la fille porteuse de ce parfum a transité par le monte-charge. Pour aller où ? D’elle non plus, aucune trace.

Nous ne sommes pas plus avancées pour autant. Il y a des secrets que cet endroit veut nous cacher.

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Soudain les lampes s’éteignent. Il ne manquait plus que ça ! Sans lumière, impossible de se diriger. Julie porte bien sûr toujours sa lampe de poche, mais nous ne voulons pas la solliciter trop longtemps de peur de la voir s’éteindre.

- Allons au jardin, suggère Anna, peut-être qu’il y a une cache à l’extérieur. La nuit est claire et on y verra au-moins quelque chose.

Nous sortons prudemment l’une derrière l’autre. Julie prend la précaution de caler la massive porte d’entrée afin qu’elle reste ouverte. On ne sait jamais, ce bâtiment diabolique nous réserve peut-être encore d’autres surprises.

Le parc est faiblement éclairé par un rayon de lune timide et les étoiles. Un silence lourd règne. Nous nous mettons à chuchoter.

- Mieux vaut rester ensemble, énonce Clara, tu as toujours ton pistolet Julie ?

- Aucun souci, il est dans la poche de ma veste. Mais tu as raison, restons groupées.

Nous explorons les lieux avec précaution. Rien. Le parc est étonnamment bien entretenu, le gazon tondu, les arbres élagués, les feuilles mortes entassées dans un coin.

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Au fond, une grande haie délimite la propriété. Nous en longeons les bords lorsque soudain, Anna s’arrête.

- Voilà de nouveau cette senteur, déclare-t-elle. Elle provient de là-bas, dans le taillis.

L’odeur est imperceptible pour nos narines inexpérimentées. Mais Anna est catégorique, elle sent des effluves sortir de quelque part.

En s’approchant, nous découvrons, sous une grande pierre, un trou muni d’une grille permettant d’accéder à un tunnel. Vraisemblablement un conduit d’aération. Tout juste assez grand pour laisser passer une personne mince et agile.

- Peut-être aussi une entrée secrète au sous-sol, intervient Clara. Il faut l’explorer.

Le mystère s’épaissit. Cela commence à devenir extrêmement dangereux. Comme aucune autre piste ne semble se présenter, nous n’avons pas le choix. C’est prendre le risque de se faire attirer dans un piège ou alors abandonner.

- OK, on y va, répond Julie. Mais moi d’abord, je suis armée. Il faut aussi qu’il y en ait une de vous qui reste dehors, à faire le guet, à nous alerter si quelque chose se passe et à avertir les autorités si nous ne revenons pas.

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C’est Béatrice qui restera à l’extérieur. Anna nous est indispensable par son odorat, Clara connaît le mieux Hélène et ses habitudes, quant à moi je suis de la police.

Nous avançons péniblement en rampant dans cet étroit canal. C’est plein de poussière et de toiles d’araignées. Je déteste les araignées et sentir leurs filaments dans mes cheveux me fait frémir.

Pendant un long moment, nous n’apercevons rien. Le tube est enterré. Puis une faible lumière commence à scintiller. J’évalue que nous avons parcouru la distance séparant le trou d’accès de l’hôtel.

Soudain la lumière se fait plus intense sous nos pieds. Sous le grillage je distingue un long corridor sombre. Accroupie, j’avance lentement, sans faire de bruit, Clara et Anna sur mes talons.

Des branchements amènent régulièrement à d’autres pièces. Seule je les explore. La plupart sont vides. Le bout de la galerie est proche. Jetant un coup d’œil à ma gauche, j’aperçois, sous mes pieds, un grand bureau confortable. Tout autour des dispositifs divers : ordinateurs de dernière génération, caméras surveillant du personnel dans un vaste espace clair, grands écrans détaillant des vues prises par "Google

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Earth". Et d’autres, dont j’ignore l’utilité. Un vieil homme est assis dans le fauteuil en cuir derrière une imposante table en bois. Il sommeille. Ses cheveux, coupés ras, laissent deviner sa blancheur. Il semble tout ridé, mais impose par sa carrure et sa taille. Retournant sur mes pas je me dirige vers la droite. C’est alors que j’aperçois une grande salle. Visiblement une salle d’opération. Une infirmière s’y affaire. Elle prépare certainement une intervention. A côté apparaît une petite chambre avec un lit d’hôpital. Sur lequel est couchée une forme couverte d’un drap jusqu’au menton. Loin derrière moi Anna s’impatiente :

- Je la sens à nouveau, cette odeur, elle provient de là-dessous, chuchote-t-elle.

Moi aussi, maintenant, je perçois distinctement ce drôle de parfum. La personne allongée sur ce lit doit être celle qu’Hélène a aperçue. Sans aucun doute c’est elle qui va être opérée.

Mais alors, que vient faire notre amie là-dedans ? Pourquoi a-t-elle été enlevée ? Que va-t-on lui demander ?

Je rampe toujours. Mais où est-elle, ils ont bien dû la cacher dans ce sous-sol ?

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Enfin je l’aperçois. Dans une sorte de cellule mal éclairée. Menottée à une chaise en bois. J’essaie d’attirer discrètement son attention. Hélène ne m’entend pas, elle est plongée dans ses pensées. Personne aux alentours. Je gratte un peu plus fort le treillis me séparant d’elle. Enfin, intriguée, elle lève la tête. Lorsqu’elle m’aperçoit avec, derrière moi Anna et Clara, elle fait un bond sur sa chaise. Catastrophe, elle a oublié les menottes. La chaise tombe et elle avec.

Nous restons pétrifiées, persuadées que quelqu’un va accourir. Rien ne se passe. Alors j’essaie de casser le grillage avec mes pieds. Il résiste. Je me sens idiote et impuissante.

Clara vient à ma rescousse. Comme par magie elle sort un couteau suisse de sa poche. Il ne nous a jamais été aussi utile.

Lorsque le carré découpé est assez grand, je le tords et saute souplement sur le sol. Aucun bruit autre que nos souffles haletants n’est perceptible. Ma formation de policière m’a donné des automatismes. Je dispose toujours de menottes et d’une clé universelle. Bien utile en cette occasion. Je délivre aussi vite que possible Hélène de ses entraves et lui

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fait signe de nous suivre. Heureusement elle ne semble pas droguée. Elle hoche la tête et se joint à moi. Anna est restée dans le boyau. Afin de lui permettre d’attraper le bord de la grille, Hélène grimpe sur mon dos.

A ce moment précis, la porte s’ouvre sur… aucun doute, ce ne peut être que l’homme à tout faire, Adam. Il me semble très jeune. Quelque chose de malsain se dégage de sa personne. Une longue mèche de cheveux bruns lui traverse le front. Au-dessus de ses lèvres une moustache encore peu fournie apparaît.

A qui me fait-il penser ce mec ? Il me semble familier, mais je n’arrive pas à lui coller une identité.

- Shrek, me chuchote la voix d’Hélène. Il lui ressemble à s’y méprendre.

Elle réussit à s’agripper et avec l’aide d’Anna et de Clara elle se hisse à l’intérieur du conduit.

L’homme s’apprête à pousser un cri. Mais je le devance, lui balance une prise de karaté apprise à l’école de police et l’immobilise à terre. Il se débat tant qu’il peut mais n’arrive pas à se libérer. Je pourrais le tuer…

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Finalement je me contente de l’assommer. Je redresse la chaise, l’assieds dessus et referme promptement les menottes sur ses poignets. Il sera tranquille pour un bon moment. Si personne d’autre ne vient.

Ce qui n’est pas le cas. Des pas précipités se font entendre. Apparaît une petite infirmière toute blonde. Elle s’arrête pile à notre vue. Elle se tourne et s’apprête à se sauver en poussant un petit cri. Avant qu’elle réalise ce qui lui arrive, je la neutralise. Je lui colle le sparadrap recouvrant la bouche d’Hélène sur les lèvres et lui assène encore un coup sur la tête. Pour plus de sûreté.

Il est temps de filer en vitesse. Malgré les mains tendues de mes copines je n’arrive pas à atteindre le bord de notre galerie, Mon cerveau tourne à toute vitesse.

Poussant le clone de Shrek – Adam - d’un coup sec, je libère la chaise et m’en sers pour arriver à la bonne hauteur. Elles se mettent à deux pour me hisser. Il était temps.

- Filons avant que quelqu’un ne donne l’alerte, on n’a pas beaucoup de temps.

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Malgré nos efforts nous n’avançons pas vite. C’est Clara qui est en tête de file. Nos pantalons sont troués et nos genoux écorchés. Nos mains saignent de partout. Il ne faut pas s’y attarder, la douleur cède sous l’urgence de la situation.

Le trajet nous semble interminable ! Pourvu que nos deux prisonniers n’aient pas été découverts.

Finalement une pâle lueur apparaît. Une ombre nous attend au bout : Béatrice.

Elle nous aide à sortir de ce trou que nous recouvrons de la grille intacte.

Il faut filer.

- Où se cacher ? Dès qu’on se sera aperçu du contre-enlèvement de notre amie, on va avoir droit à une chasse aux sorcières. Le premier endroit à être fouillé sera le parc et ses environs.

- Si on se cachait dans l’hôtel, suggère Hélène, ils ne penseront jamais qu’on y sera retournées.

Ce n’est pas une mauvaise solution. Nous n’avons guère le choix.

L’hôtel est toujours silencieux. L’une derrière l’autre nous franchissons la porte – que nous laissons ouverte – et nous faufilons à l’intérieur.

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Mais où trouver refuge ? Peut-être que nos ennemis ne vont pas y penser avant d’avoir ratissé l’extérieur, mais ils vont tout de même finir par venir fouiller par ici.

Dans les chambres vides aucune chance de pouvoir se dissimuler. Les pièces où nous avons séjournées seront, elles aussi, mises à sac. L’ascenseur n’offre aucune possibilité. Reste…

- La chambre 507 s’exclame Hélène ! J’interviens :

- Il n’y a plus de chambre 507, elle est barricadée par une cloison impossible à ouvrir.

- Si, répond mon ami, je sais comment faire. Tout en nous dirigeant vers les combles, elle nous explique avoir épié le fonctionnement ingénieux pour isoler la cachette des yeux indésirables.

Arrivées devant la cloison, elle s’accroupit, soulève une planche du parquet et libère une petite boîte électronique sur laquelle il faut taper un code.

Sans hésitation, elle inscrit les sept chiffres et signes nécessaires.

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- Comment connais-tu ce système et comment as-tu fait pour te souvenir du cryptogramme demande Béatrice, stupéfaite.

- En résumé, lorsque j’ai été enfermée, j’ai observé tous les détails qui pouvaient me servir à fuir. Adam, alias Shrek, a bien essayé de me droguer, mais j’ai déjoué sa tentative et recrachant discrètement le médicament dans ma main. Il n’y a vu que du feu ! Ensuite j’ai fait semblant de m’assoupir. Vous savez que je fais de l’autohypnose et cela permet à mon corps de devenir mou et insensible.

Lorsqu’ils ont estimé que je devais être comateuse, ils ont soulevé mon bras, ma jambe. Ils ont dû être convaincus que je n’étais plus qu’une poupée de chiffons.

Mes yeux à peine ouverts m’ont permis de suivre leur manœuvre pour tout d’abord ouvrir la porte et ensuite faire coulisser la paroi cachant leur installation secrète. Comme il me croyait endormie, Adam a énuméré à haute voix, en allemand, les chiffres et symboles du code à son acolyte. Etant donné que j’habite Berlin, j’ai bien sûr tout compris.

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Pour retenir ce code compliqué, j’ai un truc. Je m’imagine un grand appartement comportant de multiples pièces. Je me vois entrer dans cet espace et j’attribue une lettre à chaque salle. Par exemple, pour M, un prénom commençant par cette lettre, comme Monique. C’est plus facile à retenir. La chambre de Monique, la chambre de Robert. Pour les symboles c’est presque le même principe. Entre deux chambres, je vois par exemple un petit oiseau portant un

!

ou un chat avec sur son dos une

*

. Cela créé une petite histoire facile à retenir.

Arrivés sur le palier, le même processus s’est répété. J’avais bien repéré leur astuce avec la planche démontable et le système de sécurité.

Nous voici toutes cinq bien à l’abri derrière la cloison. Nous avons découvert un bouton rouge servant à sécuriser l’accès de l’intérieur. Ainsi personne, même en connaissant les chiffres, ne pourrait plus y accéder.

Au fond de la pièce se dessine la couchette sur laquelle Eva, la compagne d’Adam, était assise. A côté une petite porte donne accès à la pièce occupée par ce dernier.

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- Leur plan est diabolique, constate Hélène, soudainement lasse et abattue. Tu te rends compte, ils veulent me trancher la tête pour la remplacer par celle de cette Eva. Tant pis pour moi, je n’ai qu’à crever ! C’est de la pure barbarie !

Nous mettons en commun les pièces du puzzle que nous avons rassemblées. Il en ressort que nous avons affaire à une organisation bien rodée. D’après les installations sophistiquées aperçues dans le bureau de Heinrich – elle dispose d’un réseau mondial et d’un QG quelque part dans une grande capitale. Ce petit hôtel n’a servi très probablement que le temps d’une opération précise.

Le calme avant la tempête ne dure guère. La découverte de la disparition d’Hélène ainsi que la neutralisation de nos deux victimes en est la cause. Nous ne pouvons voir l’extérieur, mais entendons des cris, des ordres, des bruits de pas précipités dans le parc. Un léger ronflement de moteur. Les recherches ont commencé.

Soudain Clara se manifeste.

- Lorsqu’ils auront fini de fouiller le parc et les alentours, ils vont certainement recommencer l’examen des chambres. Ils vont comprendre que

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