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Fumeurs très dépendants et psychotraumatismes : une étude en médecine générale et en tabacologie libérale

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016 24

The authors developed several contentions in this study which aimed to demonstrate new perspectives concerning those members of the population who present with a complex addiction (hard-core smokers):

» Do psychotraumatic disorders exist within the population of hard-core smokers?

» Within the smoking population, was the craving phenomenon associated with the malfunctioning of the cortical control, as it is known to occur in cases of traumatic dissociation?

» Is it legitimate to suggest that the EMDR and the Ericksonian hypnosis, brief and problem-solving therapies validated within the context of the treatment of psychotraumatic disorders, tend to strengthen the efficiency of the recommended strategies by the HAS regarding smoking-cessation in this specific population?

Two observational studies have been carried out:1 prospective study in consultations of general medical practice (n=150 patients of all kind) and 1 retrospective study in consultations of private tobaccology practice (n=199 smoking patients).

The authors then suggest modifications to change the initial evaluation of addiction to tobacco as well as the therapeutic approach to adopt within the decision tree. To conclude, the authors ask future questions to be resolved and directions for future research.

Fumeurs très dépendants et psychotraumatismes :

une étude en médecine générale et en tabacologie libérale

Hard-core smokers and psychological traumas:

a study in general and private tobaccology practice, or “who are truly the hard-core smokers?”

G. Errard-Dubois*, N. Jan**

HYPOTHÈSES DE TRAVAIL

Les fumeurs de tabac ne sont pas tous concernés par une dépendance, et s’ils le sont, celle-ci n’est pas aussi forte ni aussi complexe pour tous. Les moyens à mettre en œuvre pour arrêter de fumer sont donc aussi divers qu’il y a de formes de dépendance, et il est évident qu’une évaluation initiale rigoureuse de ses déterminants chez chaque fumeur est une étape primordiale d’un parcours de sevrage.

Les fumeurs dépendants ont intérêt à avoir recours à des professionnels de santé formés aux approches recommandées par l’HAS  (6) . On a montré que l’association de ces diff érentes approches, selon un équilibre judicieusement choisi par le professionnel, en alliance avec ce dernier, sur les bases d’un contrat thérapeutique avec le patient, augmente les chances de devenir abstinent et de le rester.

Toutefois, il apparaît, dans toutes les études sur le sevrage tabagique, que les scores d’abstinence restent faibles et peu satisfaisants : 6 % à 1 an sans accompagnement, 26 % à 1 an, avec accom- pagnement. Ces chiff res témoignent de façon certaine du fait que la dépendance tabagique est le phénomène addictif le plus complexe à traiter.

Une catégorie particulière de fumeurs est identi- fi ée depuis quelques années : les fumeurs les plus dépendants, encore appelés “hard-core smokers”.

Dans l’objectif de porter un nouvel éclairage sur ce sujet, nous nous sommes interrogés dans ce travail sur plusieurs points :

➣ Qu’a-t-on encore à découvrir sur ce qui carac- térise ces fumeurs à dépendance complexe ?

➣ Peut-on envisager qu’ils ont vécu, dans leur parcours de vie, des psychotraumatismes, qu’ils souff rent d’un état de stress post-traumatique chronique (ESPTc)  [7-12] passé inaperçu, masqué par l’usage de tabac ou en arrière-plan d’une symptomatologie “macroscopique”, entrant dans une autre nosographie psychiatrique, tels l’anxiété ou l’état dépressif ?

➣ Peut-on rapprocher le phénomène de craving (ou défi cit de la régulation émotionnelle) des hard-core smokers d’un dysfonctionnement du contrôle cortical, connu chez les sujets victimes de psychotraumatismes (dissociation trauma- tique)  [7, 8] ?

Une catégorie particulière de fumeurs est identifi ée depuis quelques années : les fumeurs les plus dépendants, encore appelés “hard-core smokers”, qui, malgré la mise en œuvre des moyens recommandés par la Haute Autorité de santé (HAS) et les autorités scientifi ques, ne parviennent pas à arrêter totalement de fumer, c’est- à-dire à obtenir une abstinence totale, ou qui vivent ce temps d’abstinence comme un réel combat, ou encore qui rechutent de façon récurrente, en particulier du fait de phénomènes de craving puissants (1-5) .

Ce sont ces fumeurs en grande diffi culté que nous rencontrons dans les services de médecine, atteints de pathologies sévères, évoluées, conséquences d’une longue et forte exposition à la fumée de tabac (cardiologie, pneumologie, diabétologie, néphrologie, cancérologie, etc.). Ce sont aussi ces fumeurs qui, malheureusement, viennent alourdir le coût fi nancier de l’addiction tabagique. Ces fumeurs dont on n’a pas exploré tous les aspects de la dépendance complexe, pour laquelle on n’a pas trouvé les solutions de guérison, représentent donc un vrai sujet de santé publique à l’intérieur de la maladie tabagique .

Nous avons le devoir de mieux les caractériser, afi n d’améliorer les scores de maintien dans l’abstinence et la pérennité de celle-ci.

Nous avons mené une étude en médecine générale et en tabacologie libérale pour comprendre l’impact possible de psychotraumatismes, d’un état de stress post- traumatique (ESPT), chez ces sujets fumeurs très dépendants.

* Cabinet libéral de tabacologie, Esvres-sur-Indre.

** Cabinet de médecine générale, Loches.

Mots-clés : Dépendance tabagique complexe, hard-core smokers et stratégies de sevrage tabagique, craving, défi cit de la régulation émotionnelle, affects négatifs, troubles psychotraumatiques, contrôle cortical, dissociation traumatique, hypnothérapie ericksonienne, EMDR, arbre décisionnel

Keywords: hard-core smokers quitting process, craving, lack of emotional control, negative affects, psychotraumatic disorders, cortical control, traumatic dissociation, Ericksonian hypnosis therapy, EMDR, decision tree

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016

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Figure 1. Traumatismes chez les non-fumeurs et les fumeurs réguliers.

8,62 % 7,50 %

17,50 %

89,66 % 75,00 %

Trauma physique (TP)

chez les non-fumeurs Trauma physique (TP) chez les fumeurs réguliers

1,72 %

TP–

TP+

TP ?

5,17 %

42,50 % 12,50 %

63,79 % 45,00 %

Trauma moral (TM)

chez les non-fumeurs Trauma moral (TM)

chez les fumeurs réguliers

31,03 %

TM–

TM+

TM ?

1,72 % 5,00 %

22,50 %

91,38 % 72,50 %

Trauma sexuel (TS)

chez les non-fumeurs Trauma sexuel (TS) chez les fumeurs réguliers

6,90 %

TS–

TS+

TS ?

Figure 2. Résultats au test de Fagerström.

81,4 % (162)

18,6 % (37)

Test de Fagerström (file active 2014 : 199 patients)

≤ 7/10 entre 8 et 10

Figure 3. Mesure du monoxyde de carbone.

4,55 % (9) 49,49 %

(98)

46,96 % (91)

Mesure du CO (file active 2014 : 198 patients)

CO ≥ 30 ppm CO < 10 ppm 10 ppm ≤ CO < 30 ppm

A

C

B

➣Si on peut montrer que de tels psychotrau- matismes constituent une caractéristique signi- ficativement fréquente chez ces fumeurs très dépendants, est-il légitime de proposer que l’Eye Movement Desensitization and Reproces- sing (EMDR) therapy et l’hypnothérapie erick- sonienne, thérapies brèves et solutionnistes, viennent renforcer chez eux l’efficacité des stra- tégies recommandées par l’HAS pour obtenir et maintenir une abstinence durable (13-16) ? Afin de commencer à répondre à ces diffé- rentes questions, et avant de proposer des stratégies nouvelles d’accompagnement pour cette catégorie de fumeurs à fort risque de rechute, 2 études ont été réalisées : une étude prospective dans une consultation de médecine générale (n = 150) et une étude rétrospective dans une consultation de tabacologie libérale (n = 199).

LE POIDS

DES PSYCHOTRAUMATISMES

Ces 2 études observationnelles permettent d’avancer les éléments suivants : sous réserve des limites liées à sa réalisation (petit effectif de l’échantillon, courte période, absence de relevé des non-répondeurs), d’après l’étude en médecine générale portant sur une popu-

lation consultante, âgée de 15 à 75 ans, inter- rogée, sur une période de 15 jours, sur l’existence de psychotraumatismes, on peut affirmer que ces événements se retrouvent dans des propor- tions élevées chez les fumeurs actifs (60 %), soit presque 2 fois plus que chez les consultants n’ayant jamais fumé (34 %) [figure 1].

Dans le cadre de l’étude réalisée auprès d’une population de patients fumeurs consultant en tabacologie libérale (58 % de femmes et 42 % d’hommes), âgés de 14 à plus de 65 ans, reçus de janvier à décembre 2014, soit venus spontanément demander un accompagnement à l’arrêt du tabac, soit adressés par un médecin pour l’instauration d’un sevrage tabagique, on constate que les fumeurs consultants sont majoritairement très dépendants (Fagerström en 6 items) [figure 2], qu’ils inhalent très fortement (figure 3), et qu’ils sont souvent polyconsom- mateurs d’autres substances psychoactives (figure 4, p. 26).

Ils ont fait de nombreuses tentatives d’arrêt du tabac avant de consulter, et présentent de très fortes vulnérabilités psychopathologiques, avec des indicateurs chiffrés élevés de dépression ou d’anxiété (score de Beck > 7 dans 48 % des cas ; score de Hamilton-anxiété > 15 dans 63 % des cas ; prescription d’un traitement psychotrope dans 69 % des cas).

Il semble en particulier que la note anxieuse fortement marquée soit plus caractéristique

que la note dépressive dans cette population de fumeurs (figure 5, p. 26).

La population de cette étude comprend donc bien une forte proportion de hard-core smokers, et, contrairement à ce qui est constaté et décrit dans les consultations hospitalières de tabaco- logie en France, ces sujets ne se limitent pas à une catégorie de personnes en situation de précarité sociale : moins de 16 % des fumeurs reçus dans cette consultation libérale bénéfi-

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016 26 20,6 %

(41) 79,4 %

(158)

31,1 % (62)

Consommations

(file active 2014 : 199 patients)

Tabac seul Tabac et cannabis Tabac et mésusage d’alcool Figure 4. Consommations d’autres substances que le tabac.

Figure 6. Hard-core smokers bénéficiant ou

non de la CMU. Figure 7. Antécédents de psychotraumatismes.

Figure 5. Résultats aux scores de Beck et de Hamilton-anxiété.

84 % (167)

16 % (32)

Précarité sociale (file active 2014 : 199 patients)

Bénéficiaire de la CMU Non bénéficiaire de la CMU

76,9 % (153) 23,1 %

(46)

(file active 2014 : 199 patients)

Antécédent Aucun antécédent

Figure 8. État de stress post-traumatique selon le DSM-5.

68 % (136) 88 %

(136)

Antécédent de psychotraumatisme

(153 patients)

File active (199 patients)

Signes d’ESPT

Aucun signe d’ESPT

Beck ≥ 7

47,7 % Beck < 7

52,3 %

File active (199 patients) Beck < 7 (104 patients) Beck ≥ 7 (95 patients)

Hamilton ≥ 15 62,8 % Hamilton < 15

37,2 %

File active (199 patients) Hamilton < 15 (74 patients) Hamilton ≥ 15 (125 patients)

cient de la CMU (figure 6). La précarité sociale, comme marqueur significatif des hard-core smokers, serait par conséquent à reconsidérer.

Dans cette file active de 199 fumeurs, 76,9 % des sujets ont vécu, lorsqu’on les interroge précisément, 1 ou plusieurs psychotrauma- tismes, de type I ou II (figure 7).

Quatre-vingt-huit pour cent des patients concernés par des événements psychotrauma- tiques ont des symptômes caractérisés d’ESPTc (68 % de la file active totale) [figure 8].

Lorsqu’il y a eu psychotraumatisme et que des signes d’ESPTc surviennent, il s’agit dans 15 % des cas de violences sexuelles, dans 46 % des cas, d’abandons ou de négligences sévères dans l’en- fance, dans 15 % des cas, de violences physiques et, dans 71 % des cas, de violences morales : certains patients ont vécu plusieurs types de psychotraumatismes (figure 9). Soixante- seize pour cent des fumeurs de cette file active concernés par un psychotraumatisme ont un score de Hamilton-anxiété supérieur à 15, et 53 % ont un score de Beck supérieur à 7.

Près de 90 % des fumeurs de la file active ayant un score de Beck élevé ont vécu 1 ou plusieurs psychotraumatismes, et près de 89 % de ceux qui ont un score de Hamilton-anxiété élevé ont ce type d’antécédent. Une fois de plus, il semble que la note anxieuse forte soit encore plus caractéristique de l’existence d’un psycho- traumatisme qu’une note dépressive forte (figure 10).

Il semble donc que la principale et première

“précarité” chez les fumeurs très dépendants, ou hard-core smokers, soit d’ordre psychotrau- matique et psychoaffectif. Cela permet de mieux comprendre le réel handicap social et sanitaire de cette population : il peut se voir comme la conséquence, non obligatoire, d’une maladie des affects/d’une mauvaise régulation des émotions, elle-même conséquence des psycho- traumatismes passés inaperçus (ESPT passés à la chronicité, non pris en charge ni traités).

Nous en concluons que nous ne pouvons plus en médecine, encore moins en tabacologie, en rester au repérage initial d’une dépression ou

d’une anxiété, ni même d’indicateurs de forte dépendance.

Il conviendrait selon nous d’aller rechercher, dans le bilan initial de toute demande d’accom- pagnement au sevrage chez un fumeur dépen- dant, un ou des antécédents d’événements ou de situations psychotraumatiques, puis de déceler les signes cliniques évocateurs d’ESPTc.

Nous proposons de poser une simple question au cours de tout bilan initial chez un fumeur :

“Avez-vous déjà vécu un ou des situations ou événements qui seraient pour vous des violences physiques, psychiques/morales ou sexuelles ?”

Il conviendrait aussi de réinterroger le patient sur ce type d’événements et de chercher à nouveau un ESPT, au décours même de la démarche thérapeutique de sevrage, devant la survenue d’un craving, de rechutes apparem- ment non expliquées, impulsives, non contrô- lées, impossibles à prévenir par les approches usuelles et consensuelles en tabacologie, surtout lorsque le “climat émotionnel” semble prépon- dérant dans ces rechutes.

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016

27 12,06 %

24 35,10 %

70

File active (199 patients)

18 % 36

54,80 % 109

Violences morales Violences

physiques Abandons

ou carences affectives graves Violences

sexuelles

15,70 %

24 45,70 %

70

Antécédents de psychotraumatismes (153 patients)

16,30 % 36

71,20 % 109

Violences morales Violences

physiques Abandons

ou carences affectives graves Violences

sexuelles

Figure 9. Types de psychotraumatismes vécus par les patients.

10,5 % (10)

89,5 % (85)

11,2 % (14)

88,8 % (111)

Beck ≥ 7

(95 patients) Hamilton ≥ 15 (125 patients)

Aucun antécédent de psychotraumatisme Antécédent de psychotraumatisme

Figure 10. Note anxieuse forte plus caractéris- tique que la dépressive.

A B

Enfin, cette notion de psychotraumatisme est, selon nous, à rechercher de façon appuyée, lorsque sont présents chez le fumeur, initiale- ment ou au cours d’un sevrage, des idées suici- daires et/ou des antécédents de tentatives de suicides.

INTÉRÊT PRATIQUE DE CETTE RECHERCHE D’UN ESPT

Quel intérêt pratique à rechercher un ESPT chez un fumeur dépendant ? Les ESPT relèvent aujourd’hui de traitements précis, que sont l’Eye Movement Desensitization and Repro- cessing therapy (EMDR), désensibilisation par les mouvements oculaires et retraitement, et l’hypnothérapie ericksonienne (13-16). Il devient donc urgent de les proposer aux fumeurs à dépendance complexe qui en ont besoin.

Nous dégageons dans ce travail, 6 indications particulières à l’instauration d’une hypnothé- rapie chez un fumeur à dépendance complexe :

➣à chaque fois qu’on identifie des antécé- dents de psychotraumatismes et/ou des signes cliniques d’ESPTc, en particulier en cas de repé- rage d’un fort risque suicidaire (antécédents de tentatives de suicide, idées suicidaires) ;

➣lorsque le fumeur, pourtant très motivé pour un sevrage, et bien soulagé par un traitement pharmacologique adapté, ne parvient pas à commencer une abstinence complète et main- tient longtemps de petites consommations de tabac ;

➣lorsque, pourtant très motivé pour un sevrage, il a pu parvenir à une abstinence complète quelque temps, mais fait de multiples faux pas et consomme à nouveau (craving puissant) en raison d’une mauvaise gestion de ses affects négatifs ;

➣lorsque, toujours très motivé, il parvient à maintenir, moyennant des efforts majeurs, une abstinence, n’y trouve aucun avantage évident, et présente une hyperactivation émotionnelle et neurovégétative récurrente, menaçant grave- ment le pronostic du sevrage et rendant sa vie difficile ;

➣lorsque, réellement abstinent, il révèle au cours de son sevrage des manifestations physiques majeures venant gravement gêner sa qualité de vie, non soulagés par des traite- ments habituels : troubles majeurs du sommeil (sommeil très court, interrompu, cauchemars fréquents avec flash-backs, etc.), troubles diges- tifs majeurs (constipation, douleurs abdomi- nales), douleurs physiques importantes (appareil osseux et musculoligamentaire, céphalées, etc.)…

➣lorsque, s’abstenant de consommer du tabac et bien aidé sur le plan pharmacologique par un traitement de substitution, il “bascule” ou

“glisse” vers un autre comportement addictif : mésusage de l’alcool, jeu pathologique, addiction au travail, trouble des conduites alimentaires, automutilations compulsives, etc.

Le phénomène de craving serait-il donc une nouvelle hypothèse étiologique ? Les hard- core smokers sont en effet particulièrement

“empêchés” dans leur démarche de sevrage par des consommations compulsives puis- santes survenant toujours sur un déficit de la régulation des émotions (craving). Dans ces cas, la mise en œuvre des thérapies cognitivo- compor tementales (TCC) avec restructuration cognitive et émotionnelle semble très difficile, voire impossible. Par ailleurs, ces fumeurs sont fréquemment concernés par des psychotrau- matismes. Nous émettons une nouvelle hypo- thèse explicative du craving comme phénomène pathognomonique de l’addiction, qui demande- rait à être explorée et étudiée.

Le sujet post-traumatique présente, on le sait maintenant, du fait du phénomène double d’hyper activation spontanée du système limbique devant certaines situations de la vie courante (réactivation anxieuse et/ou émotion- nelle post-traumatique) et de dissociation cortico- limbique, une hyperactivation dopa- minergique avec hyperréactivité. Ils présentent aussi des dysfonctionnements des voies modu- latrices de la transmission neuronale que sont les voies sérotoninergiques, endomorphiniques et gabaergiques, très sollicitées pour “se mettre à distance”, ou se dissocier des émotions (émotions = sources de danger et risque de mort physique → impulsivité, compulsion, obsession). Et, surtout, ils ont une mobilisa- tion du cortex vers la dissociation comme seule réponse possible en face des situations dites de réactivation, à la place d’un “contrôle analytique”

rationnel et efficace.

Le “cortex” d’un “fumeur addict” et “post- traumatique” n’aurait donc appris, devant toute situation apparentée selon lui à un nouveau danger, qu’à se couper des voies de l’émotion, oubliant qu’il est censé savoir et pouvoir analyser la situation, construire une solution, générer puis commander une action réfléchie.

Le cerveau de tels sujets ne serait donc plus

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016

Première étape = évaluation

Interrogatoire, recherche d’antécédents de PT, mesure du Co, échelles psychométriques, dépendance comportementale, dépendance gestuelle, dépendance psychologique, dépendance pharmacologique, trouble de la régulation émotionnelle, trouble des affects, idées suicidaires, antécédent de TS

Cas

Il n’existe pas de dépendance pharmacologique

Changements cognitifs et comportementaux

Outils gestuel et/ou sensoriel

Hypnose classique suggestive (ancrage des solutions)

TSN oraux

Suivi : 9-12 mois

Abstinence En cas de rechute

Revenir à démarche

Réévaluer Réinterroger :

2 A ? 2 B ? 2 C ?

Abstinence En cas de rechute

Réinterroger : 2 B ? 2 C ? +

±

±

±

Cas

Il n’existe pas de dépendance pharmacologique Bien interroger le patient initialement

On ne retrouve ni antécédent de PT, ni idées suicidaires, ni TS

On retrouve la notion de PT

(avec ou sans idées suicidaires et /ou TS) Pas d’ATCD de PT à l’interrogatoire mais rechutes nombreuses sur les troubles de la régulation

émotionnelle Suivre les recommandations de l’HAS :

TSN ou varénicline

± IRS, TCC de première et deuxième

générations Et le patient

se sent capable d’amorcer la démarche

de sevrage [1]

Et le patient ne se sent pas capable d’amorcer la démarche

de sevrage Et

en même temps Suivre les recommandations

de l’HAS

Recommandations de l’HAS : traitement pharmacologique,

TCC de première et deuxième générations

En cours de suivi survient 1 des 5 indications*SI

ou en cas de trouble de la régulation émotionnelle

HE+ EMDR= HE : stabiliser et sécuriser EMDR : désensibiliser HE : réassocier

HE : stabiliser et sécuriser EMDR : désensibiliser les PT HE : réassocier

Puis TCC de première, deuxième

ou troisième génération : accueillir les émotions, restructurer : cognitions et comportement

Co : monoxyde de carbone ;

EMDR : Eye movement desensitization and reprocessing ; HAS : Haute Autorité de santé ;

HE : hypnose ericksonienne ;

IRS : inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ; PT : psychotraumatisme ;

TCC : thérapie cognitivo-comportementale ; TS : tentative de suicide ;

TSN : traitement substitutif nicotinique Commencer

par le traitement des troubles de la régulation émotionnelle et des troubles

psychotraumatiques

recommandation de l’HASPuis TCC de deuxième+ ou troisième génération

= HE+ EMDR=

[2]

Hypnose classique suggestive

Suivi : 9-12 mois

Si nécessaire hypnose ericksonienne pour solutions personnelles

A

2 2B

Suivre la démarche du cas [2]2B

C 2

* Les 5 indications à une hypnose ericksonienne 1. Fumeur ne parvenant pas à instaurer une abstinence complète

2. Patient faisant de multiples faux pas, cravings puissants, sur de mauvaises gestions de ses affects négatifs 3. Patient abstinent avec efforts majeurs, aucun avantage perçu, hyperactivation émotionnelle

4. Patient abstinent avec manifestations physiques majeures et mauvaise qualité de vie 5. Patient basculant vers un autre comportement addictif

Figure 11. Un nouvel arbre décisionnel pour la prise en charge des fumeurs.

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Le Courrier des addictions (18) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2016 28

“contrôlant”, mais “dissociant”, réactif et compulsif. Il devient impossible pour eux d’analyser ou de penser une situation de façon rationnelle, et encore moins de mettre en place une restructuration cognitive (thérapie cogni- tivo-comportementale).

CONCLUSION

Il semblerait donc que des stratégies de soin permettant d’abord de “réassocier” le sujet, c’est-à-dire de “reconnecter” cortex et système limbique (cortex associatif), soient une étape prioritaire et incontournable pour espérer le sortir du phénomène de craving et obtenir une abstinence durable en évitant les rechutes.

C’est clairement ici que l’ hypnothérapie erick- sonienne trouve sa place : elle permet, après substitution fi nement adaptée en cas d’états de manque nicotinique, d’aller, dans un second temps du soin, sécuriser et stabiliser les sujets atteints d’ESPT en réactivant dans leur système limbique leurs ressources émotionnelles posi- tives et personnelles. L’hypnose peut enfi n, après que l’ EMDR a permis de “désensibiliser” les impacts émotionnels négatifs des traumatismes subis, “réassocier et réorganiser de façon effi - cace les ressources positives” du sujet . Nous suggérons que, chez de tels fumeurs, la restructuration par des TCC n’intervienne qu’ à l’issue de ce processus de soins – après traite- ment des psychotraumatismes –, pour “défaire”

les automatismes cognitifs et comportementaux, et autoriser de nouveaux apprentissages en cas d’événements de la vie “normale” du sujet.

En perspective : ce travail et les hypothèses émises nous invitent à susciter une recherche sérieuse chez les fumeurs à dépendance complexe, dont nous savons maintenant qu’ils sont vraisemblablement confrontés à une pathologie des affects (déficit de régulation des émotions), c’est-à-dire à des ESPT. Il nous faudrait en particulier confi rmer de façon signi- ficative les liens entre psychotraumatismes, ESPT et difficulté à obtenir une abstinence durable chez le fumeur (rechutes et craving).

Enfi n, on pourrait recourir à la neuro-imagerie pour valider les transformations que l’EMDR et l’hypnothérapie ericksonienne viennent opérer dans le cortex associatif et dans les voies cortico- limbiques, chez des sujets post-traumatiques concernés par une addiction tabagique.

G. Errard-Dubois déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

N. Jan n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

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dans les violences de masse. Bruxelles : De Boeck Uni- versité, 2009.

TAPAJ, POUR LA RÉINSERTION PAR LE TRAVAIL

Au cours de la journée nationale du Travail alternatif payé à la journée (TAPAJ), du 2 juin dernier, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addic- tives (Mildeca) a annoncé la naissance de “TAPAJ France” dont le dispositif sera déployé dans 10 nouvelles villes d’ici la fi n de cette année.

Ce dispositif innovant correspond à l’une des orientations du plan gouvernemental 2013-2017 qui a fi xé, parmi ses priorités stratégiques, en termes de réduction des risques, “l’insertion socioprofessionnelle des usagers de drogues”.

Le programme TAPAJ s’adresse, en eff et, à un public jeune, en errance, le plus souvent poly-

consommateur de substances psychoactives et qui ne recourt pas, pour diverses raisons, aux structures d’accompagnement et de soins. Il leur propose d’avoir accès à quelques heures de travail moyennant un salaire versé le jour même, ce qui permet une entrée progres- sive dans le monde du travail, dans le cadre d’une prise en charge globale de leur situation médico-psychosociale. Il les amène ainsi à amé- liorer leur connaissance d’eux-mêmes et de leurs conditions de vie, à développer leur confi ance et leur estime personnelle et celles des autres, ainsi que leurs habiletés personnelles et pro- fessionnelles.

Modélisé en juin 2012, à l’initiative du Comité d’étude et d’information sur la drogue et les addictions (CEID) de Bordeaux, et ouvert

offi ciellement en juin 2013 dans cette ville, l’essaimage de TAPAJ se fait à ce jour dans 12 villes de France avec l’appui de la Fédéra- tion addiction. Juridiquement, TAPAJ s’appuie sur le partenariat entre une structure médico- sociale (Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie [CSAPA] en ambulatoire ou Centre d’accueil et d’accom- pagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues [CAARUD]), ou une

“association intermédiaire” (structure de l’in- sertion par l’activité économique, employeur juridique des jeunes) et une entreprise ou un service public .

L’expérimentation concernait, fi n 2015, 12 sites en France et 153 jeunes. Dix autres villes volon- taires sont entrées “dans la boucle” en 2016, tandis qu’on compte 10 autres candidatures.

“L’année 2016 constitue un nouveau tournant, grâce à la création d’une tête de réseau, TAPAJ France, association cofi nancée par la Fondation de France et la Mildeca, et qui va poursuivre le déploiement de ce dispositif, en lieu et place de la Fédération addiction”, expliquent les responsable du dispositif à la Mildeca.

Nouvel arbre décisionnel pour la prise en charge des fumeurs EN LIGNE

Références

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