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Politiques patrimoniales et touristiques des territoires : Les centres d’interprétation de l’architecture et du patrimoine

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Culture & Musées

Muséologie et recherches sur la culture

23 | 2014

Tourisme et médiations des patrimoines

Politiques patrimoniales et

touristiques des territoires : Les centres d’interprétation de

l’architecture et du patrimoine

Heritage and Tourism Policies of the Territories : The Interpretation Centers for Architecture and Heritage Políticas patrimoniales y turísticas de los territorios : Los centros de interpretación de la Arquitectura y del Patrimonio

N ICOLAS N AVARRO

p. 87-107

https://doi.org/10.4000/culturemusees.1371

Résumés

Français English Español

Intégrés aux labellisations Villes et Pays d’art et d’histoire, les centres d’interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (Ciap) sont devenus un élément phare de cette politique. Ils se donnent pour objectif de proposer une présentation, une « interprétation » d’un territoire aux publics cibles du label que sont les habitants et les touristes. Pourtant la mise en œuvre d’un tel équipement s’avère difficile. Son champ d’action se positionnant à l’interface des politiques culturelles, urbanistiques et touristiques locales, il occupe une place souvent perçue comme à la limite de l’office de tourisme et du musée. Le concept de « centre d’interprétation » lui confère une légitimité. La position centrale accordée au visiteur permet de faire de cet espace un lieu de débat semblable au musée-forum et un outil de réflexivité envers le patrimoine.

Integrated under the label Villes et Pays d’art et d’Histoire − towns and territories having artistic and

historical value −, the interpretation centers for Architecture and Heritage have become a highlight

of this policy.Their aim is to offer a view, an “interpretation” of a territory to their target audience

who is is represented by the local population and the tourists. Nevertheless, the fulfilment of the

project reveals many difficulties. Its sphere of activity is at the interface of the local cultural, urban

and touristic policies. Its position is often seen being at the crossroads of a tourist office and a

museum. The concept of Interpretation Center becomes a means of building its legitimacy. The

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central position given to the visitor transforms this space into a forum of debate similar to the museum as forum and becomes a reflection tool as far as heritage is concerned.

Los centros de interpretación de la Arquitectura y del Patrimonio (Ciap), integrados a la denominación de Ciudades y Países de arte y cultura, son ahora reconocidos como elementos emblemáticos de esta política. Se plantean como objetivo proponer una presentación, una interpretación de un territorio a los públicos objetivos de la mencionada denominación, es decir, los habitantes y los turistas. Sin embargo, la implementación de dicha tarea parece difícil. Al encontrarse su campo de acción en la interfaz de la políticas culturales, urbanísticas y turísticas locales, ésta ocupa un lugar percibido frecuentemente en la frontera entre la oficina de turismo y el museo. El concepto de centro de interpretación es un medio para construir la legitimidad de esta institución. Partir de la posición central del visitante permite hacer de este espacio un lugar de debate parecido al museoforo y una herramienta de reflexión hacia el patrimonio.

Entrées d’index

Mots-clés : interprétation, patrimoine, label, médiation, tourisme Keywords: interpretation, heritage, label, mediation, tourism

Palabras clave: interpretación, patrimonio, denominación, mediación, turismo Notes de la rédaction

Manuscrit reçu le : 1

er

avril 2013

Version révisée après expertise, reçue le : 26 novembre 2013 Article accepté pour publication le : 17 décembre 2013

Texte intégral

Depuis près de vingt ans, la labellisation Ville et Pays d’art et d’histoire (VPAH) engage les collectivités locales dans une réflexion pour la création d’un équipement culturel de référence autour des questions patrimoniales relatives à leur territoire : le centre d’interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (Ciap).

1

Cette nouvelle politique d’équipement entre actuellement dans une phase de réflexion à la direction générale des Patrimoines (DGP) du ministère de la Culture et de la Communication (MCC). Des enquêtes d’évaluation et de réception

1

de ces dispositifs ont ainsi été menées depuis quelques années pour mieux comprendre la forme prise par cet équipement et son fonctionnement. En effet, les Ciap sont intégrés dans une double dynamique :

2

En tant qu’équipement, ils sont majoritairement financés par les collectivités locales. Pour autant, le MCC occupe en regard de ce dispositif un rôle de conseil encore important qui s’est matérialisé par la création d’un mode d’emploi (MCC, 2004) et par une subvention accordée par les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC) au titre de la scénographie du lieu. Celui-ci devient donc à la fois lieu de la matérialisation de la politique du réseau national des VPAH mais aussi d’une politique patrimoniale, souvent nouvelle, à l’échelon local ;

En tant qu’outil de cette politique de réseau, le Ciap doit répondre aux nombreux objectifs fixés par le label et notamment toucher les différents publics cibles de celui-ci, à savoir les scolaires, les habitants et les touristes.

L’analyse actuelle de la politique réalisée par le MCC laisse entrevoir une unité de façade entre les équipements, qui cache plutôt, sur les territoires, une diversité de dynamiques.

Nous allons donc tenter ici d’aller plus loin dans cette analyse en cherchant à comprendre ce qui fait la spécificité du Ciap. Après un retour sur l’analyse menée par le ministère, nous proposerons d’étudier cet équipement à travers son positionnement difficile dans le paysage institutionnel local. Dans un second temps, nous entrerons dans le fonctionnement même du dispositif pour voir de quelle manière il propose une adaptation

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Le dispositif phare de la politique des villes et pays d’art et d’histoire

de la notion « d’interprétation » qui se situe à mi-chemin entre l’idée de musée-forum et la création d’un espace immersif. Cet article se propose de se concentrer sur deux cas principaux : les Ciap d’Annecy et de Chambéry récemment ouverts

2

.

Les centres d’interprétation de l’Architecture et du Patrimoine, installés dans des territoires labellisés Ville et Pays d’art et d’histoire, sont, à la fin de l’année 2012, au nombre de trente

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. Aujourd’hui éléments centraux des conventions VPAH et entendus comme « la matérialisation de cette politique » par le Conseil national des Villes et Pays d’art et d’histoire

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, ils ont pourtant fait l’objet d’une inscription progressive au sein de cette politique.

4

Suite à l’appellation Ville d’art qui proposait, à partir de 1967, des visites guidées agréées par le ministère du Tourisme dans les villes à secteurs protégés, Max Querrien, responsable de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, organe gérant le label, engage une réflexion pour étendre les champs d’application de cette appellation conduisant à la création en 1985 d’une nouvelle forme de conventionnement, le label VPAH

5

. Liant des collectivités locales – villes, communauté de communes, syndicat mixte... – avec le ministère de la Culture et de la Communication, l’objectif de cette convention se décline en trois points principaux :

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« sensibiliser les habitants à leur cadre de vie et inciter à un tourisme de qualité ;

« initier le jeune public à l’architecture, au patrimoine et à l’urbanisme ;

« présenter la ville ou le pays dans un centre d’interprétation de l’Architecture et du Patrimoine

6

».

Cette évolution illustre le passage d’une première politique touristique à l’échelle nationale – l’appellation Ville d’art – à celle d’une politique d’animation inscrite dans une volonté d’accès renouvelé au patrimoine (le label VPAH). Ce label marque ainsi l’introduction d’un désir de médiation au sein des premières politiques patrimoniales centrées sur une volonté de protection (loi de 1913 sur les monuments historiques, politique des sites ou des secteurs sauvegardés ; Poirrier, 2002). Le développement d’outils multiples de médiation doit permettre la mise en œuvre de cette nouvelle forme de politique. Les services d’animation de l’architecture et du patrimoine

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s’éloignent alors progressivement du produit phare que représente la visite guidée – même si celle-ci représente encore près de deux tiers des types d’activités – pour proposer une plus grande diversité d’actions (Navarro, 2013). Avant même le développement des Ciap, ils se positionnent ainsi à la fois comme émetteur d’une politique de médiation et de diffusion du patrimoine par des ateliers pédagogiques, des expositions temporaires et des conférences, mais également comme organe de recherche grâce à la réalisation de colloques, de journées d’étude qui permettent une réflexion à la fois sur le patrimoine et ses évolutions et sur le label et sa mise en œuvre.

6

Le concept de Ciap émerge alors progressivement au sein de cette politique comme le lieu de référence permettant la centralisation de toutes ces activités. Les premières conventions en 1985 ne font pas encore état de cet équipement comme un de leurs objectifs. Ce n’est qu’autour de l’an 2000 que son inscription devient régulière. Les premiers exemples précédant cette date ne sont d’ailleurs pas encore nommés Ciap mais

« Exposition permanente » ou « Salles du patrimoine » : il s’agit de simples salles d’exposition présentant le patrimoine du territoire. La politique se développe après l’an 2000 avec sept créations durant les cinq premières années de la décennie. Depuis cette date, la politique s’est nettement accélérée avec près d’une vingtaine de nouveaux

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Tableau 1. Structure des centres d’interprétation de l’architecture et du patrimoine

établissements construits. La lecture des bilans d’activité des VPAH pour l’année 2010 laisse ainsi entrevoir de nombreux projets en cours – près d’une trentaine – permettant d’espérer atteindre l’objectif voulu par l’administration centrale : une cinquantaine d’ouvertures dans les prochaines années

8

.

Le passage de la salle du patrimoine au Ciap marque une normalisation dans la construction de l’équipement qui prend effet avec la réalisation « d’un mode d’emploi » en 2004 (MCC, 2004). Désormais, la procédure se rapproche de celle des musées de France avec la nécessité de réalisation préalable d’un Projet scientifique et culturel (PSC) et d’un projet architectural et scénographique dont les objectifs sont d’exposer les choix, d’expliciter les orientations et de définir les moyens nécessaires à leur mise en œuvre (ibid. : 29). Toutefois, l’ampleur du projet conduit à une durée de gestation assez importante. En moyenne, le projet est lancé huit ans après la labellisation du territoire, les travaux ne débutant qu’un an plus tard. Le lancement du PSC et de la scénographie se font approximativement un an et demi plus tard, pour une ouverture une année après.

8

Le mode d’emploi des Ciap prévoit les équipements qu’il doit contenir : l’exposition permanente, l’exposition temporaire, l’(les) atelier(s), le service de documentation, le(s) bureau(x), la salle de conférence et la boutique. L’enquête d’évaluation des Ciap a permis de réaliser une analyse structurelle qui illustre le rapport entre l’existant et ces recommandations.

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Recommandation Ciap existant du mode d’emploi (moyenne)

Surface minimum

Surface maximum

Nb de Ciap répondants

Surface totale 310 379 100 1 500 19

Exposition

permanente 150 150 65 350 18

Exposition

temporaire 50 100 20 400 16

Ateliers

pédagogiques 40 60 25 100 17

Centre de

documentation 30 44 17 100 9

Bureaux 20 50 20 100 18

Les dix-neuf Ciap enquêtés semblent ainsi correspondre, en moyenne, aux préconisations du mode d’emploi. Toutefois, l’analyse montre une extrême diversité.

L’espace d’exposition permanente est le cœur du lieu, toujours présent, et représente la majorité de sa surface. Le Ciap est donc avant tout un lieu d’exposition du territoire et de son patrimoine. Si la majorité des lieux enquêtés possède une surface d’exposition temporaire et des ateliers, certains, les plus anciens, conservent la structure d’une « salle du patrimoine » où seule l’exposition permanente est présente. Parallèlement, la dimension pédagogique est permise par la présence d’espaces d’ateliers, mais ceux-ci peuvent être partagés avec une autre structure et ne se situent pas toujours au sein même du bâtiment. Les normes déclarées par le mode d’emploi voient ainsi une adaptation importante sur le terrain. Malgré les préconisations d’avoir un centre de documentation et une salle de conférence pour compléter les fonctions du lieu – fonction de recherche –, moins de la moitié en possèdent. La majorité des établissements concentrent donc leurs activités autour de l’exposition.

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Ces analyses peuvent conduire à un premier constat. Bien qu’initiés par une politique ministérielle, les Ciap sont par la suite réinvestis par les collectivités locales comme équipement soutenant leur politique culturelle. Le décalage entre les normes impulsées

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Une difficile insertion dans les politiques publiques

Un lieu difficilement identifiable dans l’espace urbain

par le ministère et les résultats sur le terrain semble ainsi en partie explicable par les difficultés à trouver un rôle spécifique au Ciap face aux autres institutions déjà présentes sur le territoire.

Le choix du lieu, de son positionnement dans la ville est une dimension importante permettant de faire du Ciap un élément de médiation du patrimoine. Il devient alors l’outil et le témoin d’une stratégie communicationnelle mise en place par l’émetteur, la collectivité locale, qui en le rendant visible démontre son insertion au cœur des équipements de son territoire. Pourtant, cette insertion physique du lieu cache mal des tensions parfois sous-jacentes avec d’autres politiques locales.

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Il est donc important, dans un premier temps, pour le Ciap de parvenir à se distinguer et à se rendre visible dans l’espace urbain. De ce fait, la réalisation de l’équipement se complète du nécessaire développement d’une signalisation qui doit marquer le Ciap pour en faire un signe et en permettre l’appropriation par les différents publics (Veschambre, 2008). Ce marquage prend alors la forme d’une signalisation directionnelle ou

« orientationnelle » (Jacobi & Le Roy, 2013) qui a pour objectif d’aider le visiteur à repérer l’équipement dans l’espace urbain. Nous pouvons relever pour les Ciap deux modalités de mises en œuvre de cette signalisation.

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La première est celle d’une signalisation dont le but est d’indiquer la direction dans laquelle se situe le lieu. Pourtant, sur le terrain, seul un Ciap sur deux est signalé dans la ville. À Annecy, le Ciap occupant un édifice majeur, le palais de l’Île, n’est pas signalé en tant que tel. À Chambéry, il n’est signalé qu’à partir de l’office de tourisme et du monument historique le plus proche de lui, la cathédrale Saint-François-de-Sales : le bâtiment est ici uniquement inclus dans des parcours touristiques et le Ciap ne se distingue pas des autres étapes de ce parcours. L’animateur de l’architecture et du patrimoine de la ville explique en effet la difficulté à placer une signalétique à la fois en raison du régime du secteur sauvegardé du centre historique de la ville mais aussi en raison de la dimension non prioritaire de cet élément du parcours pour les services de l’urbanisme et les décideurs politiques

9

.

14

La seconde modalité de signalisation du bâtiment consiste en la mise en place d’une signalétique attachée physiquement à l’édifice. Elle donne des indications visibles qui permettent au passant de lire la fonction de l’édifice. Plus souvent présente que la signalisation directionnelle, elle se positionne naturellement en façade sous la forme d’un panneau ou d’un kakémono. À Chambéry, une plaque en cuivre a été posée, deux ans après l’ouverture, sur le muret fermant la cour côté rue. Une autre signalétique est présente sur la porte d’entrée pour indiquer les horaires d’ouverture et le fait que le Ciap sert de point de départ pour les visites guidées.

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Ce marquage est un élément concourant à faire du Ciap un lieu symbole de la politique patrimoniale. La question de la dénomination de l’établissement peut être éclairante à ce titre. En effet, l’édifice est souvent désigné par l’appellation historique du bâtiment plus que par sa fonction actuelle de Ciap. Au Pays de Coëvrons-Mayenne, il est avant tout le château de Sainte-Suzanne ; à Chambéry, il est désigné comme Hôtel de Cordon ; à Carpentras, il est nommé Patrimonia : l’appellation Ciap ne venant que comme sous-titre à

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Un positionnement stratégique dans la ville : un outil touristique ?

ces désignations. Il est même totalement absent de la signalétique de celui d’Annecy qui n’est présenté que sous le nom de Palais de l’Île. La fonction de Ciap est alors juxtaposée avec celle de monument, ce qu’explicite bien le sous-titre d’un panneau de signalisation à Annecy : « Découvrez un monument et un territoire, exposition architecture et patrimoine, salles historiques, activités. » Il semble alors difficile pour le public d’avoir une connaissance a priori de ces institutions.

Toutefois, une distinction existe entre le public local et les touristes : les locaux sont plus familiers de la politique VPAH (55 %) que les touristes (32 %)

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. Le rapport de quotidienneté engagé par la présence visible du Ciap dans le territoire est peut-être une des causes de cette plus grande familiarité. En revanche, l’absence ou la quasi-absence de présentation du Ciap dans les guides touristiques nationaux peut conduire à une méconnaissance du dispositif de la part des touristes. Ceci est confirmé par le fait que la visite du Ciap est majoritairement une visite non programmée puisque plus de la moitié des visiteurs-touristes ont pris leur décision de visite dans la journée. L’emplacement géographique du Ciap dans le territoire représente donc un enjeu primordial pour rendre le lieu familier du public local et un élément incontournable de la pratique de visites des touristes. Pour autant, sa mise en visibilité ne semble pas toujours être évidente.

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Afin de répondre aux enjeux de l’attraction du public local et du public touristique, le Ciap doit se situer au cœur des flux urbains mais également des flux touristiques. Le mode d’emploi a émis des recommandations très claires quant à cette localisation : « Proximité des secteurs marchands et piétonniers » et « Zone à forte densité » (MCC, 2004 : 58). Face à ces préconisations et en lien avec les objectifs d’attirer de nombreux publics, comment les Ciap se positionnent-ils pour capter ces différents flux ?

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Tous les Ciap existants sont situés soit dans le centre-ville dans le cas des Villes d’art et d’histoire, soit dans le centre-ville de la ville-centre dans le cas des Pays d’art et d’histoire (Le Puy-enVelay, Pays de Pézenas) afin de les placer au cœur de la vie urbaine. Les positionner près des voies de communication permet de capter les flux de population : près d’un parking ou d’une desserte de transport en commun – la gare SNCF à Vitré –, à proximité d’une des artères les plus importantes de la ville – l’avenue Lafayette à Rochefort, la place Saint-Louis à Vienne. Cette centralité correspond à une intention de placer le Ciap au cœur d’un espace de promenade très fréquenté. C’est ainsi qu’à Chambéry et à Annecy, le Ciap est situé dans une zone piétonne et marchande, s’inscrivant au cœur du quotidien des habitants et de la déambulation des touristes dans la ville. Il tente ainsi d’atteindre son objectif « d’équipement culturel de proximité

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». Dans une volonté d’être proche des flux touristiques, le voisinage avec un établissement très fréquenté permet d’inclure le Ciap au cœur des pratiques touristiques du territoire : c’est ainsi le cas à Figeac où il est proche du musée Champollion ou à Chalon-sur-Saône du musée Nicéphore-Niépce. Parallèlement, ils sont fréquemment à proximité d’un lieu patrimonial emblématique : la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, le château de Dinan, la cathédrale Saint-François-de-Sales et la Fontaine des éléphants à Chambéry...

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La présence du Ciap au cœur des flux touristiques est alors renforcée par les liens privilégiés entretenus avec l’office de tourisme. Si près de la totalité des Ciap partage leur bâtiment avec d’autres structures, l’office de tourisme est la plus fréquente – avec huit occurrences. Cette relation tourisme/patrimoine se traduit depuis quelques années par une volonté de démarche commune au sein de la politique nationale des VPAH en vue de la création d’une convention-type entre les offices de tourisme et les services de l’animation de l’architecture et du patrimoine. Ces liens renforcés se concrétisent dans la manière dont les visiteurs ont pris connaissance du Ciap : près de 45 % d’entre eux ont découvert le lieu par des communications touristiques, c’est-à-dire soit par une visite à

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Un nouvel équipement culturel au cœur des territoires ?

l’office de tourisme, soit par un guide ou dépliant touristiques. Cette forme de prise de connaissance est naturellement majoritaire chez les touristes (54 %). Moins utilisée par les locaux, elle reste encore la plus courante (38 %), mais est très vite suivie par le bouche-à- oreille (20 %) puis la presse et les médias (11 %). Ces différences de prise de connaissance du lieu dessinent deux rapports à l’établissement : les touristes visitent le Ciap comme un point de leur parcours touristique tandis que les locaux incluent ce lieu à la fois dans des pratiques de visites mais également dans des pratiques quotidiennes.

Mais cette grande proximité entre Ciap et office de tourisme n’est pas sans créer des tensions du côté des organisations. En effet, le partage d’un même bâtiment a souvent pour conséquence la mutualisation des services d’accueil. Les agents de l’office de tourisme deviennent alors ceux de l’accueil du Ciap. Cette nouvelle fonction, n’entraînant en règle générale aucun recrutement supplémentaire, conduit à une surcharge de travail de ces agents préexistants. Dans d’autres cas, l’office de tourisme devient l’organe de gestion de l’ensemble des visites guidées du territoire – visites proposées par le service de la VPAH mais aussi visites proposées par les professionnels du tourisme

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. Le visiteur n’a alors aucun contact direct avec le service VPAH avant le début de sa visite.

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L’exemple de Chambéry éclaire tout particulièrement ces problématiques de lien entre office de tourisme et VPAH. En 2002, la municipalité décide de transférer la gestion du label et des guides conférenciers à un établissement public à caractère industriel et commercial (Chambéry-Promotion) afin de parer aux rapports conflictuels entre guides et office de tourisme

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. Ceci a pour effet une séparation entre tourisme et patrimoine durant plus d’une dizaine d’années avant que la décision ne soit prise d’intégrer l’office de tourisme à Chambéry-Promotion en 2013. Ces revirements de situation montrent bien le difficile positionnement du service Art et Histoire et donc du Ciap face à la politique touristique des territoires. Le Ciap forme-t-il au final une excroissance de l’office de tourisme ? À qui doit revenir la gestion des guides conférenciers et du planning des visites ? Si chaque territoire propose des solutions spécifiques à ces questions, il n’en reste pas moins que celles-ci interrogent clairement la dimension touristique de cette politique d’équipement.

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En complément de ce positionnement stratégique géographique, la création du Ciap l’inclut dans le réseau des acteurs et institutions culturels de la ville. L’articulation avec les autres équipements de la collectivité territoriale − musée, médiathèque... − doit alors permettre de densifier le maillage culturel du territoire.

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Partager le bâtiment avec d’autres structures est une première modalité d’imbrication, comme celle déjà analysée du Ciap et de l’office de tourisme. Elle se complète également d’un rapport parfois étroit avec d’autres services municipaux, principalement à dominante culturelle : le service de la culture, le service de la conservation des musées, le service des archives. Le bâtiment est parfois également partagé avec une autre institution culturelle ou patrimoniale : celui de Pézenas abrite la « Scénovision Molière », un parcours spectacle autour du dramaturge, celui de Rochefort le musée d’Art et d’Histoire de la ville, celui d’Annecy le site des vieilles prisons du Palais de l’Île... Cette proximité avec d’autres structures peut devenir le gage d’une complémentarité avec d’autres services et conduire ponctuellement à une mutualisation des moyens : qu’il s’agisse du service d’accueil à Pézenas ou du service des publics communs avec les autres institutions culturelles à Rochefort.

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Parallèlement à ces liens physiques, c’est aussi par le développement de partenariats institutionnels que le réseau culturel du territoire se trouve renforcé. Lors de la réalisation d’expositions ou de visites, les services des Ciap collaborent régulièrement avec les musées locaux − prêts d’objets, connaissances scientifiques des conservateurs... −, avec les

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L’interprétation au sein des Ciap : entre musée-forum et espace immersif

archives municipales et départementales et les bibliothèques/médiathèques − recherches documentaires, prêts de documents... L’importance de la mission de médiation de l’architecture et du cadre de vie contemporain des Ciap se matérialise par des partenariats avec les Conseils de l’architecture d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), organismes départementaux de statut associatif dont l’objectif est la promotion, le conseil et la sensibilisation à l’architecture. Enfin, plus ponctuellement, des partenariats sont formalisés avec des acteurs associatifs du monde de la culture et du patrimoine − société archéologique −, ou bien avec des services sociaux − centre communal d’action sociale, maison des jeunes et de la culture. Ces liens sont ainsi particulièrement explicites à Annecy où le service de l’animation de l’architecture et du patrimoine a été placé au sein de la direction du Patrimoine et des musées de l’agglomération. Le responsable du Ciap possède la double casquette d’animateur de l’architecture et du patrimoine et de responsable du service des publics du Musée-Château

14

.

Mais cet entremêlement de relations n’est pas sans créer des tensions au sein des collectivités. Les animateurs de l’architecture et du patrimoine témoignent de difficultés fréquentes dans l’intégration de leur politique de médiation patrimoniale au sein de la politique du territoire. Accusation de concurrence de la part d’institutions déjà établies telles que musées, CAUE, ou encore non-reconnaissance de leurs compétences de la part des services de l’urbanisme

15

... Ces tensions montrent que l’introduction de cette nouvelle forme de politique locale doit encore trouver sa place face à des politiques déjà présentes.

Situés à l’articulation des politiques culturelles, touristiques et urbanistiques, les services de l’animation de l’architecture et du patrimoine – et à travers eux les Ciap – doivent encore trouver leur légitimité et leur champ d’action spécifique au sein des politiques locales.

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Cette spécificité des Ciap passe par l’affirmation d’une nouvelle forme d’institutions. Le recours à l’appellation « centre d’interprétation » a ainsi permis la distinction avec les musées et les offices de tourisme.

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Le centre d’interprétation est décrit par Serge Chaumier et Daniel Jacobi comme proposant un renversement de la dynamique de l’objet développée par le musée vers un positionnement du public au centre du dispositif (Chaumier & Jacobi, 2009 : 12). Or, l’enquête de réception réalisée durant l’été 2011 auprès des Ciap montre de nombreuses variations entre les sites dans les typologies de visiteurs accueillis : celui d’Annecy présente une part de public de passage s’élevant à 81 % tandis qu’elle s’élève à 46 % à Vienne. La nature même des territoires, plus ou moins touristiques, en lien avec une saisonnalité d’enquête (l’été) favorisant la présence d’un public touristique, peut expliquer, en partie seulement, ces différences. Ce constat est renforcé par le lien déclaré par le visiteur avec le territoire qu’il visite. Le visiteur du Ciap d’Annecy se déclare moins facilement lié à ce territoire (37 %) que celui de Vienne (61 %), et la nature du lien déclaré diffère entre ces deux lieux : à Annecy, le visiteur est lié au territoire principalement par son entourage (28 %) et son histoire personnelle (20 %) tandis que le visiteur du Ciap de Vienne y est lié parce qu’il y habite (45 %) et par ses passions (25 %). Ces résultats contrastés auprès de deux sites permettent d’émettre l’hypothèse d’une différence de hiérarchie des fonctions du Ciap dans ces deux territoires : à Annecy, le Ciap se positionne en premier lieu comme un complément à la visite touristique ; à Vienne, il est majoritairement un établissement à destination du public local.

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Il est intéressant de voir alors quel rapport les visiteurs entretiennent avec ce lieu.

L’analyse des missions dévolues à l’édifice par les visiteurs est intéressante : alors que 16 % des visiteurs accordaient un rôle pour le rayonnement culturel du territoire au monument

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Un espace-forum : entre accessibilité et lieu de débat public

national qu’ils visitaient

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, ils sont près de 27 % à attribuer au Ciap cette même fonction.

Cette différence est encore plus importante si l’on ne s’intéresse qu’au public local, puisque 33 % de celui-ci donne ce rôle à l’établissement. Le Ciap forme donc un outil qui est représentatif du patrimoine mais plus globalement de son territoire. Il est ainsi possible de modéliser trois types de missions qui lui sont attribuées en fonction de la provenance des visiteurs : les habitants le perçoivent plutôt comme un lieu de présentation de la diversité du patrimoine au service du rayonnement du territoire, les touristes nationaux comme un lieu de transmission de savoir et de présentation d’un patrimoine d’exception, les touristes étrangers comme un lieu permettant le dialogue interculturel et où la qualité de service est importante.

Comment ces établissements, dont nous avons vu la difficulté à trouver leur place dans le territoire, parviennent-ils à répondre à ces attentes multiples ? Nous proposons de voir dans ces lieux, en tant que microcosme du territoire qu’ils représentent, une nouvelle mobilisation du concept de l’interprétation adaptée à des problématiques renouvelées, qui serait à la jonction du « musée-forum » et d’une muséologie immersive.

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Pour répondre aux attentes de tous les publics, le Ciap cherche à ce que chacun y trouve sa place. La notion d’ouverture revient fréquemment dans la caractérisation des établissements par ses producteurs : « espace de rencontre », « lieu d’accueil »,

« interface » sont par exemple des expressions employées par Odile Caylux lorsqu’elle relate son expérience en tant qu’animatrice de l’architecture et du patrimoine de la ville d’Arles (Chaumier & Jacobi, 2009 : 167-172). Cette ouverture peut s’entendre comme une interprétation du concept de « musée-forum » développée par Duncan Cameron (Cameron, 1992 [1968]) et se caractérise par une ouverture physique et symbolique du bâtiment.

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En termes d’accessibilité physique, elle se traduit par une volonté d’éliminer tous les éléments qui peuvent faire obstacle au visiteur. Le Ciap de Chambéry propose ainsi un rez- de-chaussée formant une véritable « traboule » entre rue et cour à la manière de la majorité des immeubles du centre historique. Une action forte en faveur d’une accessibilité aux personnes en situation de handicap, liée à la politique nationale

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, conduit, malgré les contraintes de l’ancienneté du bâti, à une accessibilité physique dans la très grande majorité des édifices (15 sur 18). Des outils de médiation spécifiques sont proposés pour les visiteurs aux handicaps sensoriels et/ou mentaux − objets tactiles, balises sonores, boucles magnétiques... L’ouverture physique se mesure également en termes d’amplitude horaire. Variant fortement d’un site à l’autre, de 210 à près de 365 jours par an, elle se répartit généralement en trois saisonnalités distinctes : haute/moyenne/basse saisons. Elle suit donc davantage les pratiques touristiques que les pratiques des habitants et le calendrier local. Ce que confirment les différences de volume hebdomadaire entre les basses et hautes saisons, pouvant aller du simple au double.

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L’accessibilité se réfléchit aussi en termes de gratuité de l’accès. Le Ciap est un lieu gratuit pour tous les visiteurs, qu’ils viennent pour une visite des expositions permanentes ou pour une animation. Seules les visites guidées sont en principe payantes. Jacqueline Eidelman et Benoît Céroux ont montré que la gratuité forme un levier pour un élargissement et une fidélisation des publics des institutions culturelles (Eidelman &

Céroux, 2009). Elle devient un outil de mobilisation de nouveaux publics. La rencontre de la gratuité et du positionnement du bâtiment au cœur des flux urbains doit favoriser cette conquête du public et sa fidélisation. Cette politique de gratuité n’est toutefois pas toujours appliquée, principalement dans le cas de Ciap situés dans des monuments historiques majeurs du territoire : palais de l’Île à Annecy, château de Sainte-Suzanne pour le Pays de Coëvrons-Mayenne. À Vienne, l’exposition permanente − la salle du

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Une démarche immersive : une adaptation de la notion d’interprétation

« L’interprétation est une activité éducative qui veut dévoiler la signification des choses et leurs relations par l’utilisation des objets d’origine, l’expérience personnelle ou divers moyens d’illustration plutôt que par la seule communication de

renseignements concrets. » (Tilden, 2008 [1975].)

patrimoine − est gratuite tandis que l’exposition temporaire − au cloître Saint-André-le- Bas − est payante car inscrite dans le réseau − payant − des musées de la ville.

Le rôle symbolique de l’accessibilité se cristallise dans la manière dont les visiteurs qualifient leur visite : l’adjectif « bien accueilli » est celui qui revient en premier, cité à hauteur de 78 %, soit deux fois plus que le deuxième terme cité. L’accueil est l’élément qui impacte le plus la satisfaction du visiteur car cité par plus de 55 % d’entre eux dans les raisons de leur ressenti après la visite. L’ouverture physique du bâtiment est donc un moyen d’abaisser les barrières pouvant empêcher la visite et d’impacter positivement la satisfaction du visiteur.

34

Volontairement affiché comme un lieu de réflexion, le Ciap développe une offre de conférences et d’expositions en lien direct avec l’actualité architecturale et urbanistique du territoire, devenant un espace de présentation des projets et/ou de leur interprétation par des artistes

18

. Le Ciap est parfois le cadre d’une permanence des services territoriaux de l’architecture et du patrimoine et particulièrement de l’Architecte des bâtiments de France (ABF) dont l’accord doit être obtenu avant tous travaux prévus dans un secteur protégé. À Chambéry, le Ciap est devenu le lieu de consultance de l’architecte-conseil de la ville et permet de faciliter les contacts entre services tout en devenant une interface entre les pétitionnaires et le service de l’urbanisme de la ville

19

. L’établissement devient alors le lieu d’un échange concret, un lieu de débat, jouant « le rôle d’un espace public local » (Girault

& Débart, 2001 : 148). C’est donc par une volonté d’actualisation des questions patrimoniales et de leur présentation au sein du Ciap, « par la confrontation, l’expérimentation et le débat public » (Cameron, 1992 [1968] : 90), qu’il est possible d’en faire un « forum ».

35

La prépondérance de l’ouverture, dans toutes ses acceptions, de l’établissement auprès des visiteurs peut se juger à l’aune de l’univers de ressentis le plus fréquemment mobilisé : l’univers des valeurs arrive largement devant celui de la connaissance

20

. Ce que les visiteurs ressentent du lieu est donc moins de l’ordre d’un lieu de transmission de savoir que d’un lieu où ils se sentent à leur place.

36

Mais en dehors de ces aspects stratégiques et programmatiques, c’est aussi par la mise en exposition, par le développement d’une muséologie particulière que les Ciap favorisent les liens entre les publics et le lieu. Leur appellation dénote en effet l’inscription dans une tradition de la muséologie ou de la médiation culturelle − l’interprétation − de laquelle il propose une nouvelle pratique. Cette tradition est issue d’une démarche de communication culturelle engagée dans les parcs naturels d’Amérique du Nord et plus particulièrement des États-Unis. L’organisation de visites au sein de ces parcs par des guides-interprètes a été théorisée sous l’appellation « interprétation » par Freeman Tilden :

37

Cette nouvelle acception de l’interprétation est perceptible dans l’emploi fréquent du terme « sensibilisation ». Ce dernier ne vise pas à retranscrire un processus de transmission de savoirs mais bien une relation sensible entre le visiteur et un patrimoine.

Cette construction d’un rapport entre le visiteur et le monde conduit ainsi à envisager les Ciap comme le lieu d’une muséologie de point de vue (Davallon, 1992). Centrée sur le visiteur, elle se bâtit en tant que rencontre entre le point de vue sur un sujet que l’instance de production propose au visiteur et le point de vue que le visiteur va pouvoir se forger au

38

(11)

Un outil centré sur la réflexivité des habitants

cours de la visite, visite qu’il faut ici entendre à la fois comme la visite à l’intérieur de l’institution, mais aussi et surtout celle effectuée dans le territoire que le Ciap illustre.

La dimension iconique du bâtiment devient alors un outil pour le renforcement de l’immersion du visiteur au sein d’un monde utopique recréé par l’exposition et favorisant la production de son propre point de vue. En effet, si les Ciap sont abrités dans des bâtiments de natures très diverses − hôtel particulier, bâtiment religieux, bâtiment civil...

−, ils sont toujours situés dans un « monument » au sens rieglien du terme

21

. C’est pourquoi il est fréquemment l’objet d’une protection au titre de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques − inscrit à Pézenas et à Moulins, classé au Puy-en-Velay, à Annecy... − ou bien inclus dans le périmètre d’un secteur préservé − le secteur sauvegardé de Chambéry, de Loches, de Montauban, la zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager de Rochefort, de Vienne... Le choix du bâtiment témoigne donc d’un double fonctionnement sémiotique (Peirce, 1992). En premier lieu indiciel, car, élément du patrimoine, il est l’indice de son monde d’origine (Davallon, 2006). En un second temps, iconique : l’édifice est choisi pour sa représentativité du patrimoine du territoire.

39

Le cas de Chambéry, un des derniers équipements réalisés, est à ce titre exemplaire.

Situé dans un hôtel particulier, l’Hôtel de Cordon, il est semblable à ceux du quartier environnant formant le secteur sauvegardé de la ville. Il devient représentatif de cet ensemble. Cette iconicité se retrouve alors dans le développement muséographique du Ciap. En effet, la restauration du bâtiment a permis la redécouverte de décorations anciennes typiques des hôtels particuliers chambériens − peintures murales, plafond à poutraison composite. Le discours expographique se décompose alors en deux discours complémentaires : le premier présente l’histoire du patrimoine de la ville − le discours du Ciap −, le second présente l’histoire spécifique de l’Hôtel de Cordon dans une forme de mise en abyme des discours où le second devient une illustration par l’exemple du premier.

40

Le dispositif muséographique dit du « cabinet de curiosité » en complète la dimension immersive. Cette salle se compose d’un pan de mur présentant des artefacts illustrant le patrimoine et l’histoire de la ville, sur lequel sont projetées des images. Un environnement sonore et un éclairage en pénombre contribuent à donner à l’ensemble une dimension immersive. En l’absence de tout texte explicatif autre que le texte introductif, c’est alors par son propre point de vue que le visiteur parvient à reconstruire un discours dans la salle, à se « raconter » sa propre vision de Chambéry.

41

Cette dimension immersive doit s’appréhender différemment en fonction des publics visés : pour un public local, elle propose une lecture de son propre environnement dans une volonté réflexive ; pour un public de touristes, elle touche à une dimension communicationnelle des institutions muséales liée au remplacement d’une mission essentiellement pédagogique (Poli, 2002 : 31). Ces deux orientations sont à la fois deux formes de réception effectives mais également deux stratégies mises en place par les producteurs en fonction de ces publics cibles.

42

Toutefois, si l’enjeu communicationnel lié au public de touristes se résout dans une pratique de visite unique, il doit, dans le cas du public local, tendre vers une fidélisation de l’audience.

43

Pourtant, après leur visite, seuls 23 % des visiteurs des Ciap déclarent vouloir revenir pour une nouvelle visite. Ce chiffre, moins important que pour les visites guidées des VPAH − qui s’élèvent à 40 % −, est à nuancer en fonction des types de publics et des types d’établissements. En effet, si les publics de touristes déclarent, de manière évidente, avoir peu l’intention de revenir (18 %), le public local est lui naturellement plus fidèle (37 %) et est surtout prêt à compléter sa visite de l’établissement avec un autre dispositif de médiation − conférence ou site internet, 18 %. Mais la différence est encore plus frappante

44

(12)

Conclusion

entre certains sites : à Annecy, seuls 10 % des visiteurs ont l’intention de revenir, tandis qu’ils sont plus de 50 % à Vienne.

Cette fidélisation du public local doit ainsi être permise par une approche réflexive, qui place les questions patrimoniales au cœur du quotidien des habitants. Cette approche peut se mesurer à travers les motivations à la visite du Ciap. Si l’écrasante majorité des visiteurs

− locaux comme touristes − viennent pour le savoir qu’ils peuvent y trouver, on remarque une variation dans les autres motivations mobilisées : les visiteurs locaux recherchent moins l’émotion dans leur visite que le partage et la discussion tandis que les touristes favorisent une dimension émotionnelle et sensitive à travers le dépaysement et le plaisir.

Ces différentes sources de motivation à la visite démontrent deux formes d’appropriation symbolique du lieu (Ripoll & Veschambre, 2005) : celle du touriste est une approche traditionnelle d’un rapport sensible aux choses tandis que celle de l’habitant fait de ce lieu non seulement un forum, mais aussi un réceptacle d’une réflexion sur son quotidien et son rapport à l’espace.

45

Appréhender le Ciap dans une perspective communicationnelle permet de mieux saisir les différents rapports symboliques au lieu. Entendu comme un média, de la manière dont Jean Davallon a pu décrire l’exposition (Davallon, 2000), il est à la fois l’objet de stratégies communicationnelles de la part de l’émetteur et de réceptions différenciées. Le développement d’un fonctionnement immersif de l’exposition permet de répondre à la fois à la demande d’émotion voulue par le touriste et à la nécessité réflexive accordée à l’établissement pour le public local.

46

La dimension immersive des Ciap semble donc être une réponse formulée aux attentes et réceptions différenciées en fonction de la nature de l’audience. Ce constat renforce ainsi la réflexion engagée autour de ces formes nouvelles d’institution qui partent non plus de l’objet patrimonial mais du point de vue du visiteur dont les centres d’interprétation font partie (Chaumier & Jacobi, 2009).

47

Les distinctions que nous avons pu relever dans la production même de ces établissements et dans leur réception posent alors la question de la nature de cette politique. En effet, envisagée comme une politique nationale du patrimoine du point de vue du MCC – et des DRAC – et normalisée dans le mode d’emploi, elle semble être également et surtout une politique locale d’aménagement du territoire par le patrimoine.

Cette adaptation à l’échelon local donne une première double lecture à cette politique.

48

Une seconde dichotomie existe, cette fois-ci au niveau local. Si le Ciap doit être un espace d’accueil pour tous les publics, la réception qui en est faite dépend grandement de la nature du public et du patrimoine dans le territoire, ce qui influence le rôle donné à l’établissement dans la politique locale. Il se retrouve ainsi à la jonction de diverses politiques : urbanistique, touristique, d’aménagement territorial, socioculturelle...

L’établissement oscille entre nouvelle attraction touristique et pôle culturel complétant le maillage territorial. Ces fonctions différenciées, liées à une multitude de publics cibles, conduisent les collectivités locales à proposer des adaptations du modèle voulu par l’administration centrale en raison de la spécificité de leur territoire. Mais surtout, ce positionnement de l’établissement au sein des politiques publiques illustre les difficultés plus générales de la place d’un service de l’animation du patrimoine au cœur des politiques publiques locales. Les témoignages des acteurs de cette politique et particulièrement des animateurs de l’architecture et du patrimoine montrent à la fois la lente émergence de ces services − ce qu’illustre la longue durée de création des Ciap − et la difficile reconnaissance d’une compétence spécifique.

49

(13)

Bibliographie

Notes

1 Enquête À l’écoute des visiteurs du département de la Politique des publics du ministère de la

Culture et de la Communication auprès des visiteurs en visite guidée et dans les Ciap, dans une région française en 2010 (Pays de la Loire), dans trois régions françaises en 2011 (Aquitaine, Poitou- Charentes, Rhône-Alpes) (Jonchery, 2012). Enquête sur les Ciap (Navarro, 2012) et Enquête Ciap et Cameron (Duncan). 1992. « Le musée temple ou forum », p. 259-270, in Vagues : Une anthologie de la nouvelle muséologie, volume 1 / sous la direction d’André Desvallées. Macon : Éd. W : MNES.

[Première éd. en 1968.]

Chaumier (Serge) & Jacobi (Daniel). 2009. Exposer des idées : Du musée au Centre d’interprétation. Paris : Complicités.

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DOI : 10.3406/pumus.1992.1017

Davallon (Jean). 2000. L’Exposition à l’œuvre : Stratégies de communication et médiation symbolique. Paris : L’Harmattan.

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<http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/Cetudes-09_2.pdf>. Consulté le 10 février 2014.

Eidelman (Jacqueline) & Jonchery (Anne). 2010. « À l’écoute des visiteurs » dans les musées et monuments nationaux. Résultats de l’enquête 2010. Rapport de synthèse pour le département de la Politique des publics du ministère de la Culture et de la Communication.

Girault (Yves) & Débart (Cécile). 2001. « Le musée forum, un difficile consensus : L’exemple du Muséum national d’histoire naturelle ». Quaderni, 46, p. 147-162.

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Jonchery (Anne). 2012. « À l’écoute des visiteurs » dans les Villes et Pays d’art et d’histoire.

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Navarro (Nicolas). À paraître. « Le label Ville et Pays d’art et d’histoire : Un outil territorial d’appropriation du patrimoine ? », in Labellisation et mise en marque des territoires / sous la direction de Mauricette Fournier. Clermont-Ferrand : Presses universitaires de Clermont.

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[Première éd. en 1903.]

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Veschambre (Vincent). 2008. Traces et Mémoires urbaines : Enjeux sociaux de la

patrimonialisation et de la démolition. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

(14)

scénographie (Petit & Astruc, 2012) commanditée par le bureau de la promotion de l’architecture et des réseaux en 2012.

2 Tout en s’appuyant sur les données recueillies par le MCC qui permettent d’avoir une vision

générale de cette politique, nous avons choisi de nous concentrer sur des Ciap de la région Rhône- Alpes. Il s’agit en effet d’une région particulièrement dynamique dans la politique des VPAH et des Ciap en raison d’une animation très forte coordonnée par le conseiller DRAC de la région en charge du réseau. Ces terrains sont également l’objet d’un travail de thèse en cours au sein du programme de muséologie, médiation, patrimoine en co-tutelle entre l’École du Louvre, l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse et l’université du Québec à Montréal sous la direction de Jacqueline Eidelman et Yves Bergeron.

3 Chiffre provenant du bureau de la promotion de l’architecture et des réseaux de la direction des

patrimoines. Ces trente sites ont été interrogés lors d’une enquête par questionnaire auprès des animateurs de l’architecture et du patrimoine responsables des sites entre décembre 2011 et juillet 2012, en vue de faire un état des lieux des établissements existants. Les deux tiers ont répondu à l’enquête.

4 Conseil national des Villes et Pays d’art et d’histoire, le 20 janvier 2011.

5 Le réseau des VPAH compte à la fin de l’année 2012 167 territoires, dont 109 villes et 58 pays.

6 Objectifs de la convention, site internet des VPAH. Publication en ligne : http://www.vpah.culture.fr/label/label.htm. Consulté le 25 février 2013.

7 Service dirigé par un animateur de l’architecture et du patrimoine qui a en charge la mise en œuvre

de la convention VPAH au sein de la collectivité locale signataire.

8 Réunion des conseillers des directions régionales des Affaires culturelles chargés des VPAH, 3

décembre 2010.

9 Entretien avec l’animateur de l’architecture et du patrimoine de Chambéry, 30 juillet 2013.

10 Enquête À l’écoute des visiteurs auprès des visiteurs des centres d’interprétation de l’architecture

et du patrimoine de cinq villes labellisées VPAH (Annecy, Chambéry, Rochefort, Saintes et Vienne) (n = 414) durant les mois de juillet, août et septembre 2011 (Jonchery, 2012). Pour l’analyse de cette enquête, nous utiliserons deux prismes : la distinction entre le public local (n = 112) et le public touriste (n = 262) ; et la distinction entre deux Ciap, celui d’Annecy (n = 261) et celui de Vienne (n = 103).

11 Brochure de l’Hôtel de Cordon, centre d’interprétation de l’Architecture et du Patrimoine de

Chambéry, 2012.

12 C’est le cas, entre autres, à Annecy. Entretien avec l’animateur de l’architecture et du patrimoine

d’Annecy, 8 juillet 2013.

13 Entretien avec l’animateur de l’architecture et du patrimoine de Chambéry, 30 juillet 2013.

14 Entretien avec l’animateur de l’architecture et du patrimoine d’Annecy, 8 juillet 2013.

15 Entretiens réalisés auprès d’animateurs de l’architecture et du patrimoine et d’acteurs de

l’urbanisme, du tourisme et de la culture au sein de plusieurs territoires labellisées VPAH en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes.

16 Enquête À l’écoute des visiteurs du département de la Politique des publics du ministère de la

Culture et de la Communication auprès des visiteurs de monuments réalisées dans quatre monuments du Centre des monuments nationaux (CMN) durant les mois d’octobre et de novembre 2010 (Eidelman & Jonchery, 2010).

17 Le ministère de la Culture et de la Communication engage une politique forte en faveur des

personnes en situation de handicap. Cette politique est par ailleurs renforcée par l’obligation légale pour tout nouveau bâtiment accueillant du public d’une accessibilité en direction de ces publics handicapés ; obligation qui concerne donc tout particulièrement les Ciap en tant qu’équipement récent des collectivités : loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

18 À titre d’exemple, parmi les expositions accueillies au Ciap d’Annecy, nous retrouvons la

présentation de l’actualité urbanistique de la ville mais aussi des productions artistiques en lien direct avec la ville :

– en 2005, l’exposition XX

e

, un siècle d’architecture dans l’agglomération d’Annecy présentant les résultats d’un inventaire du patrimoine contemporain ;

– au printemps 2006, l’exposition Choix contemporains, architectures et urbanismes sur le territoire de l’agglomération d’Annecy portant précisément sur les projets urbains de la ville ; – à l’été 2006, l’exposition de photographies anciennes Autour des frères Seeberger (1870-1940) ; – en 2006-2007, l’exposition Bouge la ville, 40 ans de skateboard et de musiques amplifiées ; – en 2007, une exposition de photographies de Christian Poncet sur le haras national d’Annecy.

19 Entretien avec l’animateur de l’architecture et du patrimoine de Chambéry, 30 juillet 2013.

(15)

20 Les univers de ressentis sont calculés en fonction des réponses données par les visiteurs à la

question leur demandant la qualification de leurs ressentis. Une vingtaine d’items proposés − adjectifs tels que « bien accueilli », « concerné », « content », « impressionné », « déçu », « fatigué »

− sont classés suivant trois univers : l’univers de la connaissance, l’univers des valeurs et l’univers des émotions.

21 Alois Riegl a défini les monuments historiques à partir d’un système de valeurs qui met en avant

la dimension symbolique du patrimoine par rapport au temps et au public (Riegl, 1984 [1903]).

Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Navarro, « Politiques patrimoniales et touristiques des territoires : Les centres d’interprétation de l’architecture et du patrimoine », Culture & Musées, 23 | 2014, 87-107.

Référence électronique

Nicolas Navarro, « Politiques patrimoniales et touristiques des territoires : Les centres

d’interprétation de l’architecture et du patrimoine », Culture & Musées [En ligne], 23 | 2014, mis en ligne le 19 juin 2018, consulté le 20 juin 2021. URL :

http://journals.openedition.org/culturemusees/1371 ; DOI : https://doi.org/10.4000/culturemusees.1371

Cet article est cité par

Navarro, Nicolas. (2016) Le label « Ville et Pays d’art et d’histoire » en France : une double opérativité symbolique du patrimoine. Communiquer. Revue de

communication sociale et publique. DOI: 10.4000/communiquer.1865

Navarro, Nicolas. (2017) Renouveler la promesse touristique. Ethnologies, 38. DOI:

10.7202/1041593ar

Auteur

Nicolas Navarro

Détenteur d’un master d’histoire de l’art et d’un master de muséologie, Nicolas Navarro poursuit actuellement un doctorat dans le programme international de muséologie, médiation, patrimoine en cotutelle entre l’École du Louvre, l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, et l’université du Québec à Montréal. Sa recherche porte sur les politiques à destination du patrimoine urbain et particulièrement sur le label national Ville et Pays d’art et d’histoire afin d’étudier l’insertion des problématiques de médiation culturelle au sein des politiques patrimoniales locales. Membre de l’équipe Culture et Communication au sein du Centre Norbert Élias (UMR 8562-EHESS-UAPV- CNRS) et membre du Celat, Nicolas Navarro est également Ater en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.

nicolas.navarro[at]univ-avignon.fr

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