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Un nouveau Clint Eastwood sans Eastwood

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Patrick Brion

Un nouveau Clint Eastwood sans Eastwood

L

Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood

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affiche du film donne admirablement le ton de la dernière œuvre de Clint East- wood. On y voit une statue représentant une jeune fille dont chaque bras soutient une sorte de plat. Au-dessous figure une citation empruntée à la deuxième épître aux Corinthiens (5:8) : « Nous sommes plein de hardiesse et préférons quitter ce corps pour aller demeurer

auprès du Seigneur. »

Cette statue peut symboliser à la fois l'être humain à mi-chemin entre la vie et la mort, d'une part, et, de l'autre, la justice. Minuit dans le jardin du bien et du mal parle, en effet, de la mort - il y a un assassinat - et de la justice - l'inculpé est-il coupable ?

Vingtième film mis en scène par Clint Eastwood, cette dernière œuvre est aussi la première depuis Bird (1988) dans laquelle l'acteur-cinéaste ne joue pas, comme s'il tenait à s'effacer plus que jamais devant ses personnages.

Le film s'inspire d'un fait divers survenu le 2 mai 1981, le meurtre par Jim Williams de son amant.

Williams a-t-il agi, comme il l'a toujours soutenu, en situation de légitime défense ? Etait-ce un acci- dent ? Etait-ce au contraire le geste prémédité d'un homme riche qui se débarrasse d'un jeune protégé devenu gênant ? Il y eut quatre procès avant que Williams ne soit finalement reconnu innocent.

Minuit dans le jardin du bien et du mal commence avec l'arrivée de John Kelso à Savan- nah, en Géorgie. Kelso a été envoyé par son journal, Town and Country, pour écrire un article sur Jim Williams, un dandy homosexuel, amateur d'art et tourné vers le passé. Sa demeure, la légendaire Mercer House, est le lieu de brillantes

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fêtes. Mais c'est également là que Williams abattra son amant. Kelso se transformera alors en investi- gateur criminel pour tenter de mieux cerner la personnalité de Williams et de savoir ce qui s'est réellement passé au moment du meurtre. Il va alors découvrir que l'univers qui l'entoure est un monde d'apparence, ambigu et complexe. Loin des grandes métropoles modernes de l'Amérique, Savannah semble vivre comme au siècle passé presque comme avant cette guerre de Sécession qui l'a - contrairement à Atlanta - miracu- leusement épargnée. S'il a été dans ses films policiers urbains le peintre le plus lucide de l'Amérique moderne, Clint Eastwood n'a jamais caché son goût pour la province américaine - celle de Sur la route de Madison - ou pour des intrigues légèrement décalées dans le temps, comme Bird, Chasseur blanc, cœur noir et, bien évidemment, ses propres westerns.

En parlant de Savannah, Eastwood reconnaît lui-même que, * là-bas, les excentriques et les personnages hauts en couleur s'épanouissent

comme des plantes en serre. Dans un Sud qu'on associe souvent à l'intolérance et à la ségréga- tion, Savannah est remarquablement tolérante».

John Kelso va dès lors aller de surprise en surprise. Doit-il croire Minerva, la prêtresse vau- doue, qui lui explique que, «pour comprendre les vivants, il est indispensable de communier avec les morts » ? Le culte vaudou n'est-il qu'une apparence ou bien l'une des pistes crédibles qui conduisent à la vérité ?

Qui est, au fond de lui-même, ce Jim Williams ? Un homme raffiné, délicieusement décadent, amateur de peintures, que son art de vivre et ses réceptions ont promu arbitre des élégances ?

Certes, Williams est cet homme, mais il est aussi un personnage plus ambigu dont la vie et les pulsions sexuelles cachent de sombres zones d'ombre. Le contraire d'un Rhett Butler...

Savannah est

remarquablement tolérante

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Le règne de l'ambiguïté

Eastwood a eu l'idée de génie de confier le rôle à Kevin Spacey, l'un des meilleurs comédiens hollywoodiens d'aujourd'hui. Kevin Spacey n'était-il pas récemment le sériai killer à l'esprit diabolique de Seven et l'énigmatique Keyser Sôse d'Usual Suspects ? Deux références cinématogra- phiques auxquelles il est impossible de ne pas songer et dont la présence enrichit immédiate- ment le personnage et le film.

Si la personnalité de Williams est complexe, celle des autres protagonistes rencontrés par Kelso l'est souvent tout autant. A l'image de Mr. Glover qui promène un chien fantôme par une laisse atta- chée à un collier suspendu dans le vide... Que penser de Luther Driggers, un fou qui élève des mouches qui vivent autour de lui ? Clint Eastwood donne par ailleurs le rôle de Mandy Nichols, la jeune femme qui va séduire Kelso, à Alison, sa propre fille, qu'on avait pu voir dans la Corde raide, comme s'il tenait ainsi à renforcer les rapports entre son héros et lui-même. Il choisit également de faire jouer son propre rôle à la flamboyante Lady Chablis, un authentique tra- vesti, longiligne, provocant, hautain et chaleu- reux.

Authentique célébrité locale, liée à l'histoire, Lady Chablis pulvérise dès lors dans chacune de ses apparitions les frontières des apparences, ses provocations n'étant paradoxalement que le reflet le plus fidèle de sa réelle personnalité.

Clint Eastwood se garde bien d'ailleurs d'assener aux spectateurs sa vérité ; au contraire, il montre que rien n'est jamais simple et que la vérité peut se révéler multiforme. D'ailleurs, comme s'il pouvait y avoir plusieurs solutions, Kelso finit lui-même par dire à Williams :

« Croyez ce que vous voulez et je croirai ce que je sais. »

Minuit dans le jardin du bien et du mal a été mal accueilli par le public et la presse aux Etats-Unis, aussi peu habitués l'un que l'autre aux sujets

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ambigus et déroutés par l'originalité de la carrière de Clint Eastwood.

En effet, en vingt-six ans, de Play Misty for me (1971) à ce dernier film, Eastwood est passé du western au polar urbain, de la chronique roma- nesque et provinciale à l'évocation musicale avec une rigueur de plus en plus affirmée. Au lieu de se contenter de tourner une nouvelle aventure de

« Dirty » Harry, Eastwood choisit, à la manière des plus grands auteurs de l'Hollywood d'hier, de se remettre en question et de casser volontairement le rythme de sa carrière en changeant de genre, quitte à dérouter un public qui le préfère en vengeur armé d'un magnum et une critique tou- jours en retard aux Etats-Unis d'une décennie en ce qui concerne ses propres auteurs.

Il est d'ailleurs rarissime de voir un acteur devenir metteur en scène et mener une double carrière avec une telle intelligence et une telle maîtrise, déjouant au passage les idées reçues. Ceux qui voyaient en l'interprète de l'Inspecteur Harry l'archétype d'un cinéma réactionnaire, prêt à pourfendre les représentants asociaux de la so- ciété américaine, découvraient quelques mois plus tard le cinéaste sensible de Breezy. Le belli- cisme apparent du Maître de guerre est vite contredit par Impitoyable, l'un des très rares westerns à décrire avec un aussi grand réalisme la souffrance des blessures qui ne tuent pas, et le temps que l'on met à mourir dans un Far West moins idéalisé que jamais.

Producteur, metteur en scène et acteur, Clint Eastwood est pourtant parvenu, malgré l'exi- gence dont il témoigne dans le choix de ses sujets, à conserver à Hollywood une place exception- nelle. Surtout dans une ville où l'originalité et la notion d'auteur demeurent toujours suspectes.

Sans doute pour rassurer ses producteurs, East- wood adapte ici un livre qui s'est révélé un surprenant best-seller. L'auteur, John Berendt, s'y attachait à l'intrigue criminelle comme pouvait le

A Hollywood, l'originalité est toujours suspecte

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Lenteur et sérénité : dans le souvenir d'une

Amérique anachronique

faire Truman Capote dans De sang-froid. East- wood, avec l'aide de son scénariste John Lee Hancock, choisit de condenser les quatre procès en un seul afin de ne pas alourdir la longueur du film mais, parallèlement, se réserve la liberté de choisir le rythme qui lui convient, et Minuit dans le jardin du bien et du mal dure ainsi cent cinquante-cinq minutes. Alors que ses collègues, d'Oliver Stone à Quentin Tarentino, tournent des œuvres aussi longues mais affligées d'un montage paroxystique, Eastwood prend volontairement son temps.

Renonçant à des montages syncopés, à des el- lipses brutales et à des ruptures de ton, Eastwood apparaît lui aussi comme un étranger, de passage dans ce Sud, qui cherche à en humer le parfum et à en saisir les contradictions psychologiques et historiques.

Jamais ennuyeux ni répétitif, le film se déroule lentement et sereinement, bercé par des chansons du patrimoine musical. Les artères enfiévrées de San Francisco laissent ici la place à des arbres en fleurs et au souvenir d'une Amérique anachro- nique, et John Kelso comprend bientôt qu'il ne saura jamais la vérité s'il n'accepte pas de croire par moments à cette magie dont le culte vaudou est l'une des manifestations.

Que les innombrables lecteurs du livre à succès de John Berendt n'aient pas tous eu la curiosité de voir le traitement qu'Eastwood avait pu faire subir au sujet est symptomatique de la place - ambiguë elle aussi - qu'occupe le cinéaste dans l'Amérique contemporaine, une Amérique qui le soupçonne - avec raison - de vouloir la sur- prendre et même de la déranger.

Plus il vieillit - il a aujourd'hui soixante-huit ans -, plus Eastwood manifeste son inquiétude devant la vie et la mort, la vérité et les apparences. Une démarche qui, en effet, n'est pas faite pour rassu- rer les amateurs de comédies faciles et de sitcoms télévisées. •

Références

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