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La démocratie en péril?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Patrick Brion

La démocratie en péril ?

s

Jugé coupable deClintEastwood

ArUngton Road deMarkPellington

eXistenZ de David Cronenberg

ans être l'une des œuvres majeures de la carrière de Clint Eastwood, Jugé coupable est beaucoup plus qu'un film à thèse ou qu'un film policier de série. Le sujet aurait pu le laisser croire : un journaliste sur le retour a vingt- quatre heures pour tenter d'arracher à la mort un accusé qu'il croit être innocent. L'action se passe à Oakland, la ville où Clint Eastwood a passé son enfance et son adolescence et, en dehors même de son contexte purement criminel, le film va se révéler une passionnante comédie de mœurs.

Jugé coupable se déroule en fait sur trois niveaux.

D'un côté, une réflexion sur l'innocence et la peine de mort. Mais, même là, le propos d'Eastwood est plus ambigu qu'il ne paraît. Il peut être facile de voir dans la condamnation à la peine capitale de Frank Beachum l'image d'un Noir devenu un bouc émissaire idéal. Eastwood - ou du moins son personnage - prouvera que, si Beachum est innocent, c'est néanmoins un autre Noir qui est le véritable assassin. Le même Eastwood rappelle, par ailleurs, dans une très inté- ressante interview donnée à Positif, qu'il est parfai- tement favorable à la peine de mort dans le cas de crimes odieux. Parallèlement, le cinéaste brosse, à la Frank Capra, la personnalité d'un journaliste sus- ceptible de se passionner pour une cause perdue et de faire triompher la vérité. Qui est, en effet, ce Steve Everett ? Certes pas une des stars du Washington Post, mais un besogneux qui travaille pour YOakland Tribune, Dans le roman original, le héros avait trente-trois ans ; ici, il a l'âge de Clint Eastwood - soixante-neuf ans -, et le cinéaste se plaît presque à accuser cette différence, se mon- trant torse nu, ridé, usé et vieilli. Cet Everett, miné

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par l'alcool et le tabac, sera pourtant celui par qui la vérité éclatera. Même si cyniquement il recon- naît que « tout le monde ment et [qu'il n'est] là que pour prendre note de leurs mensonges », c'est lui qui,

face à une femme procureur, persuadée de la culpa- bilité de l'accusé, à un pasteur obnubilé par sa propre image et à des témoins imprécis, mènera une folle course contre la mort, permettant in extremis - comme dans les films de Frank Capra - à la démocratie de triompher.

Jugé coupable est aussi une brillante comédie de mœurs - Eastwood s'est volontiers référé à Howard Hawks - et, à ce titre, l'idée de faire d'Everett l'amant de la femme de son chef de ser- vice est particulièrement ironique. Everett est d'ailleurs un héros complexe, pris entre un travail auquel il ne croit plus toujours et un foyer passa- blement compliqué. C'est ainsi qu'Everett est obligé - il le lui a promis - d'emmener sa fille au zoo pour voir l'hippopotame, alors même qu'il n'a que quelques heures pour découvrir la vérité. Clint Eastwood joue avec virtuosité sur ce mélange des tons et des genres, combinant à de pures scènes de comédie - les séquences du journal - une intrigue qui repose sur la prochaine mise à mort d'un homme qui est, peut-être, innocent du crime pour lequel il a été condamné.

Jugé coupable ne possède ni la splendeur roma- nesque de Sur la route de Madison, ni le sens du tragique d'Impitoyable, mais aujourd'hui le cinéma de Clint Eastwood possède une telle qualité que même ses films mineurs - ou qui le semblent... - ont une force et une lucidité qui manquent à la plupart des auteurs contemporains, et qui le rattachent directement aux grands cinéastes d'hier.

Les films de Clint Eastwood ont une force et une lucidité qui manquent à beaucoup d'autres

Comme Capra, Clint Eastwood pense donc que la démocratie peut encore l'emporter, et que la justice finira toujours par triompher. Mark Pellington, le metteur en scène à'Arlington Road, en est visiblement beaucoup moins sûr. L'action se

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Bien sous tous rapports, mais prêt à faire sauter le siège du FBI

déroule dans un des faubourgs - bourgeois - de Washington. Un jeune professeur d'histoire (Jeff Bridges) est amené à se porter au secours du fils d'un de ses voisins. Cette brutale situation conduit les deux familles à se rencontrer, à se revoir et, dans un premier temps, à sympathiser. Mais, peu à peu, Faraday, le professeur, volontiers prêt à criti- quer l'administration depuis que sa femme a été tuée au cours d'une bavure du FBI, commence à soupçonner son voisin, Oliver Lang (Tim Robbins), d'être un individu dangereux. D'un coup, le rythme du film s'accélère et la description d'une Amérique bourgeoise devient un thriller politique.

Lang est en effet tout simplement un terroriste»

d'extrême droite, non pas un membre voyant du Ku Klux Klan prêt à lyncher des Noirs ou à dresser des croix enflammées, mais un Américain en com- plet, vivant en famille dans une petite maison de la banlieue urbaine, et qui étudie méthodiquement et stratégiquement comment faire sauter le siège du FBI. Les racistes antisémites jouant à la guérilla le dimanche en forêt sont ici remplacés par des yup- pies tout aussi dangereux qui commencent par cri- tiquer les institutions et le pouvoir fédéral, avant de s'en prendre directement à eux. L'absence d'un happy end et le fait que le FBI et la presse, réunis dans la même erreur, ne voient dans l'attentat final que l'œuvre d'un désaxé agissant seul, sont parti- culièrement inquiétants. Après les drames du World Trade Center et d'Oklahoma City, l'Amérique, qui se croyait à l'abri de ce qui pouvait se produire à Beyrouth ou en Afrique, se sent à son tour menacée.

Couvre-Feu, tourné quelques mois plus tôt par Edward Zwick, révélait une Amérique prise entre des militaires toujours prêts à faire régner la loi martiale et la CIA prise à ses propres pièges en armant elle-même des terroristes arabes, sous pré- texte de déstabiliser Saddam Hussein ! A l'époque des Trois Jours du Condor et des Hommes du prési- dent, la presse écrite semblait être pour

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Hollywood un authentique contre-pouvoir, capable de dénoncer avec succès les agissements du président ou les mauvais coups de la CIA.

Aujourd'hui, la presse - elle est désormais télévi- suelle ! - semble avoir perdu à la fois son indépen- dance et sa pugnacité.

Arlington Road est ainsi un film d'un grand pessi- misme dont les auteurs semblent persuadés que la bonne volonté de quelques-uns est dérisoire et insuffisante face à de puissantes organisations poli- tico-terroristes. Le mythe du - grand complot », sous-jacent dans la série X Files a fait son chemin, et le FBI est démuni - sinon gangrené - par ce péril qui le menace aussi. Un tragique constat ! eXistenZ. Ce mot, a priori mystérieux, recouvre le nouveau jeu mis au point par Allegra Geller, jouée par Jennifer Jason Leigh. Ce jeu a pour matrice une espèce de morceau de chair translucide auquel les joueurs se raccordent par un ombicor- don relié à la base de leur épine dorsale. De Vidéodrome au Festin nu, sans oublier Crash, David Cronenberg, le cinéaste d'eXistenZ s'est tou- jours passionné et interrogé sur la matière, sur les rapports entre les différentes matières et sur les relations qui peuvent exister entre la chair humaine et les autres matières. Avec une telle intensité que Crash a été, en raison d'une campagne de presse,

« retenu » par les autorités cinématographiques bri- tanniques pendant six mois...

Cronenberg reconnaît de son côté : «J'ai volontai- rement situé le film à la campagne, pour ne pas avoir à me coltiner le cliché de la mégapole à la

"Blade Runner". Je ne voulais pas non plus d'écrans de télévision, ni d'ordinateurs. De cette manière, l'univers virtuel que le film décrit me semble être plutôt légèrement décalé par rapport à la réalité avec un fort sentiment de claustrophobie (1). » eXistenZ a pour origine une double réflexion.

D'une part, sur l'idée d'un créateur menacé par sa propre création - idée que Cronenberg retrouve

Pour matrice, un morceau de chair translucide et un ombicordon

1. Positif, avril 1999.

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Réalité proche de nous et absence d'effets spéciaux spectaculaires rendent eXistenZ

d'autant plus inquiétant

chez William Burroughs - et, parallèlement, sur le thème de la fatwa. Cronenberg a d'ailleurs, à la demande du magazine Shift, rencontré Salman Rushdie avec lequel il s'est justement entretenu de cette idée de la fatwa qui poursuit un homme jusqu'à sa mort. Allegra Geller est ainsi, elle aussi, comme l'auteur des Versets sataniques, la victime d'une fatwa. Pourquoi ? Par qui ? Comment ? C'est ce qu'expliquera le film, cette fatwa étant elle- même à l'image du jeu créé par Allegra. Cette der- nière avoue à Ted Pikul, celui qui est devenu son compagnon de fuite : « Il faut jouer pour savoir pourquoi on joue ! » De même qu'il crée des mots,

Cronenberg imagine aussi des objets surprenants, tel ce pistolet qui tire des dents humaines, et n'hésite pas à manier aussi l'humour - l'humour noir, naturellement - dans la séquence du garage avec Willem Dafoe.

A l'opposé des aventures galactiques à la mode, souvent rassurantes parce que très éloignées de nous, le cinéma de David Cronenberg est ancré dans une réalité proche, ce qui le rend d'autant plus inquiétant. L'absence d'effets spéciaux specta- culaires renforce en permanence cette volonté de réalisme et les héros d'eXistenZ sont loin d'être invulnérables. Ted Pikul a une peur maladive de toute forme de pénétration chirurgicale, et Allegra entretient avec sa création une relation presque maternelle, ombicordon étant une référence directe au cordon ombilical.

Un retour aux sources de la matière. •

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