D ANIEL P ARROCHIA
Trames, classifications, définitions
Mathématiques et sciences humaines, tome 116 (1991), p. 29-46
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TRAMES, CLASSIFICATIONS, DÉFINITIONS
Daniel
PARROCHIA1
RÉSUMÉ -
L’article part d’uneanalogie
entre trames etpartitions, définitions conceptuelles
et optiques.On montre que les divisions d’un espace de concepts ressemblent souvent à celles de
l’espace
réel. On étudie alorsquelques exemples
de pavage d’un espaceconceptuel
(Aristote) et on compare les processusdichotomiques platoniciens (générateurs
dedéfinitions)
auxfiltres
d’unealgèbre
booléenne. Par la suite, ongénéralise
ces modèles, considérant des structuresfloues
et des "ensemblesapproximatifs"
(au sens de Z. Pawlak).Enfin,
onessaie d’obtenir une caractérisation locale de la
définition
utilisant des résultats de la théorie des topoï.SUMMARY - Grids, classifications, definitions.
The paper begins with an
analogy
betweengrids
and partitions, and between optical andconceptual definitions.
We show that divisions
of
a spaceof
conceptsoften
look like divisionsof
the real space. Westudy
then someexamples of tiling
aconceptual
space (Aristote) and compareplatonician
dichotomic processes (whichproduce definitions) with filters
on a booleanalgebra.
Then, wegeneralize
these models, andconsider fuzzy
structures andfilters
on"rough
sets" (in the sense of Z. Pawlak).Finally,
we try to get a local caracterisationof definition,
using some resultsof theory of
topoï.INTRODUCTION
Le dictionnaire donne deux définitions du mot «définition». L’une renvoie à la
logique : c’est,
très
grossièrement,
l’énonciation desqualités
essentielles d’unobjet, c’est-à-dire,
enréalité,
desprincipaux
traitssémantiques
du motqui
ledésigne ;
cette énonciation est, engénéral,
uneproposition affirmative, qui
doit faire connaître d’une manièreprécise
ce que lalogique classique appelait
l’«extension» et la«compréhension»
d’unconcept,
autrementdit,
son domained’application
et sespropriétés.
Le second sens du mot «définition» renvoie à latechnologie
del’image.
«Définition»désigne
eneffet,
en matièretélévisuelle,
une division del’image
àtransmettre en un certain nombre de
lignes, puis
depoints.
Parextension,
le mot en est venu àcaractériser
l’aptitude
d’unsystème optique
àreproduire
les détails d’uneimage - aptitude
relative au nombre de
lignes
enlaquelle
cetteimage
estdivisée,
et au nombre depoints qui figurent
surchaque ligne.
L’un des buts de cet article est de montrer que ces deux définitions ne sont pas si
éloignées qu’il paraît,
etqu’il s’agit bien,
en matièrelogique,
pour cerner, au moyen d’unconcept,
laconfiguration
abstraite d’unobjet,
autrement dit pour le définir ou ledélimiter,
d’utiliser desprocédures
finalement assezcomparables
à cellesqu’on
utilise en dimension 2. Notreanalyse prendra appui
sur laphilosophie,
dans la mesure où lesphilosophes (en particulier Platon,
Aristote ou
Kant)
ont,implicitement
ouexplicitement,
utilisé pour définir desprocédures
dont1 Professeur à l’Université de Toulouse 2 Le Mirail, 5 Allée Antonio Machado, 31000, Toulouse.
nous pouvons
aujourd’hui
reconstituer lesaspects
formels. Mais nousdépasserons
très vite cesbalbutiements. Notre ambition est de
généraliser
cesprocédures rigides,
enparticulier
de lesassouplir
et, pour cefaire,
de raisonner sur des structures floues.Mieux,
nous souhaiterions fairequelques propositions
en vue d’une théoriegénérale
de la définition : laquestion qui
nousintéressera est alors celle de la recherche d’un invariant. A
quelles
conditions pouvons-nous former des définitions stables? Leproblème,
nous le verrons, estd’envergure,
et nous neprétendons
pas faireplus
ici quesuggérer quelques
directions de recherche.1.
CONSIDÉRATIONS
SUR LES TRAMES1.1.
Rappels.
,Étant
donné un ensembleE,
nousappelons
recouvrement de cet ensemble une familleF,
departies Ej,
incluse dansP(E),
l’ensemble desparties
deE,
et telle que :i) chaque Ej
soitnon-vide ; ii) U Ej = E.
Nous
appelons partition
de E un recouvrement de E tel que tout élément de Eappartient
à unepartie
et une seule.Nous
appelons
pavage de l’ensemble E unepartition
de E dont toutepartie
est finie.Nous
appelons
trame un pavagerégulier
deE,
c’est àdire,
unepartition
de E enparties
finies etde même cardinalité.
Exemples
en dimension 2.Une trame
plane
est un pavage duplan,
dont lapropriété
est d’admettre deux autresautomorphismes
de translation non colinéaires autres que l’identité.Rappelons qu’un automorphisme
de translationéquivaut
à undéplacement
de la trame parrapport
àelle-même,
de telle sortequ’il
y ait coïncidencetotale,
avant etaprès déplacement.
Il estclair
qu’en
dimension2,
la trame est ainsi deux foispériodique 2.
1.2. Trames
planes.
La donnée d’une «définition» au sens
optique
du termeéquivaut
à la donnée d’une trameplane
formée par la linéature et les
points
de la mire. Il est clairqu’une image
est d’autantplus
netteque la trame de l’écran sur
lequel
elleapparaît
est serrée. On peut donner un sensmathématique
àcette remarque.
2 Cf. J. Zeitoun, Trames planes, Paris, Dunod, 1977,
p.88.
Mathématiquement parlant,
eneffet,
les tramesplanes qui
sont despartitions
duplan,
sontorganisée
par le treillis despartitions
duplan
pour la relation d’inclusion. Une trame T sera diteplus fine qu’une
trame T’ si tout élément de base de T est inclus dans un seul élément de T’.Les trames
planes
peuvent donc donner lieu à des études detype algébrico-topologiques (étude graphique, connexité, coloration, planarité, etc.).
Onpeut,
en outre,générer
des tramescomplexes
àpartir
de la définition d’unegrammaire (ou
ensemble derègles
combinatoiresréglant
l’association de leurséléments).
Les trames
jouent
ungrand
rôle en architecture et dans l’étudesimplifiée
des structurescristallines Nous allons voir que le
langage
suppose lui aussi des architectures tramées.2. LES PROCESSUS
LOGIQUES
DEDÉFINITION
Comprendre
lemonde,
c’estl’organiser,
autrementdit,
effectuer des distinctions et desregroupements.
Parmi les processusqui
sont à l’oeuvre dans cesopérations figure
celui de la définition. Nous pouvons nous lereprésenter
trèsgénéralement
de lafaçon
suivante.Étant
donné un ensembleE, qui
est un ensemble deconcepts rapportés
à desobjets
,quelconques,
leproblème
de la définition d’unobjet
sera le processusqui permet d’assigner
uneplace
nonambigüe
au concept de cetobjet
dans une trame ou une famille de trames associée à l’ensemble E. Cetteprocédure
trèsgénérale
a été maintes foisappliquée
par desphilosophes
comme
Platon, Aristote,
Kant ouHegel.
Caractérisons-là defaçon plus précise
et donnons-enquelques exemples.
2.1. Un
exemple simple
de pavage del’espace conceptuel
chez Aristote.Nous
empruntons
cetexemple
à G.G.Granger. Celui-ci,
étudiant la théorie aristotélicienne de lascience,
en vient à décrire différents «pavageslexicaux» 3
duchamp sémantique
de laconnaissance,
où sesuperposent
et s’enchevêtrent différentes trames, définissant les mêmes vocables au moyen deplusieurs systèmes d’opposition.
Les trames(des partitions binaires, ici) qu’on
doitprésupposer
pours’expliquer
la cohérence du propos aristotélicien sont les suivantes :discursif/non-discursif, prédicatif/non-prédicatif, doxique/non-doxique, symbolique/non-symbolique, contingent/nécessaire.
La
superposition
savante de ces tramespermet
alors decomprendre
les déroutantesoppositions aristotéliciennes,
différentes selon les textes de référence. Ainsi :1)
Le De Anima(III,
427 b15)
opposel’imagination (phantasia)
et la sensation(aisthesis)
à lapensée judicatoire (dianoia
ouhupolepsis) ; l’opposition
se fonde sur le fait quel’imagination
etla
sensation,
sont libres de toute affirmation ounégation (elle
ont, contrairement à lapensée qui juge,
un caractèrenon-doxique). Toutefois, imagination
etpensée judicatoire s’opposent
à lasensation selon un autre axe : l’axe
logique.
Contrairement à cettedernière,
elles sont desconnaissances
prédicatives, qui s’expriment
dans un discours(logos).
Elles sont en outre desconnaissances
symboliques
et discursives(elles exigent
unraisonnement) -
ce enquoi
elless’opposent
à la doxa maisrejoignent
le penser(noein), l’intelligence (phronesis),
la technè etl’épistémè.
2)
Les textes deMétaphysique
A(980
b26)
et deL’Ethique
àNicomaque
reprennent lestrames
précédentes
enopposant
cettefois-ci, grâce
àelles, l’expérience (empeiria)
auraisonnement
(logismos),
à latechnique,
à la mémoire(mnémè),
àl’imagination (phantasia)
et àla sensation. La mémoire et le penser
rejoignent l’imagination
dans la classe desobjets symboliques, non-doxiques,
tandis que le groupephronésis-technè-dianoia s’oppose
au groupenoûs-epistémè-logismos
en vertu du caractère de leursobjets (contingents
ounécessaires).
L’empeiria
occupe uneplace
centrale etempiétante.
3 G.-G.
Granger,
La théorie aristotélicienne de la science, Paris,Aubier-Montaigne, 1976,
p.l l.d’après
G.G.Granger (1976) p.26
z
2.2. Les processus de division
platoniciens.
Une
complexification
de laprocédure précédente
intervientlorsque,
pardéfinition,
on n’entendplus
seulement la situation d’unconcept
dans un entrecroisement non-ordonné de tramesidentiquement fines,
mais dans unesuperposition
ordonnée de trames de différentsdegrés
definesse . Un cas bien connu de cette situation est réalisé par la notion de classification
hiérarchique.
Une variante intervientlorsque
les trames sont finies et à deux éléments.L’exemple typique
est alors celui des processusdichotomiques platoniciens 4.
Alors que Platon
récuse,
dans le Thééthète(202 c),
deuxtypes
de définitions(les
déi~nitionsénumératives,
purementextensionnelles,
comme les définitionscomparatives,
purementintensionnelles)
il fait ungrand
usage du processusdichotomique convergent,
danslequel
iltrouve un moyen
d’approcher
des définitions correctes enprocédant
parapproximations
successives. L’idée
inexprimée sous-jacente
est,typiquement,
celle que Bachelard énoncera bienplus
tard au début de son Essai sur la connaissanceapprochée,
enfaisant, d’ailleurs, l’éloge
dela dichotomie
5.
Une
anticipation
de ces processus se rencontredéjà
dans lesclassifications,
dont Platon faitgrand
usage. Dès que lephilosophe
cherche en effet à définir de manièrescientifique,
c’est àdire,
au sens de ladialectique descendante,
ilprocède
à uneexploration systématique
del’ensemble du
champ
de recherche et à une délimitationprécise
des domaines à isoler. C’est lecas pour les
"genres
de vie" dans les Lois(733e)
la forme des constitutionspolitiques
ou lesoccupations
et les métiers dans laRépublique (livres IV, VIII, II),
lesplaisirs
dans lePhilèbe,
les arts et les routines dans leGorgias,
les modes de connaissance et de non-connaissance(Lettre
7 et livre 7 de laRépublique),
etc.. Lespositions philosophiques elles-mêmes,
dansl’exposé
fondamental duParménide,
sontsoigneusement
sériées.Classer,
bienentendu,
n’est pas encoredéfinir,
mais onpeut
considérer que c’est uneétape
sur le chemin de la définition.
Qu’est-ce
que c’est queclasser,
en effet ?4 La notion
platonicienne
de définition et les processus de divisions qui lui sont associés ont étéanalysés
par V.Goldschmidt dans le contexte d’une étude de la structure argumentative des
dialogues.
Cf. V. Goldschmidt, Lesdialogues
de Platon, Paris, P.U.F.,1963.5 G. Bachelard, Essai sur la connaissance
approchée,
Paris, Vrin, 1973, pp.41-42.Intuitivement,
comme le montre bien M. L.Apostel 6
une classification n’est autrequ’une
chaîne de
partitions successives,
c’est à dire un ensemble de divisions ordonné par une relation de"précéder"
ou, pourreprendre
lelangage
introduitplus haut,
unesuperposition
ordonnée detrames.
Soit
l’exemple
duGorgias (464
bsq),
où ils’agit
de montrer que l’ensemble des sciences serange d’abord en fonction de leur
objet -
le corps ou l’âme -(première trame), puis
selonl’opposition
duthéorique
et dupratique (seconde trame). Mathématiquement parlant,
nous avonsdonc un ensemble à quatre éléments E =
{ a,b,c,d } ,
avec a =gymnastique,
b =médecine,
c =législation,
d =justice.
Sur cet ensembleE,
on a défini successivement deux trames oupartitzons.
Lapremière
trame est lapartition
P = {a,b},{c,d}
avec
{ a,b }
= culture du corps et{ c,d }
=politique.
La seconde trame est la
partition :
Par
définition,
la relation departitionnement pourrait
êtrereprésentées chaque
fois par ungraphe
associé. Cegraphe
est unepartie
duproduit
E xE,
c’est à dire de l’ensemble de tous lescouples
d’éléments de E. Dansl’exemple,
lespartitions
P et P’ sontreprésentées
surchaque
schéma par les
groupements
depoints qui
caractérisentl’appartenance
commune des éléments à la même classe. Les éléments x et y sont dans la même classe s’il y a unpoint
à l’intersection deslignes
horizontales et verticalesqui
mènent à x et y. Cettereprésentation permet
de faireapparaître
clairement l’ordre existant entre lespartitions
de l’ensemble. Sur lafigure
legraphe
deP’ est évidemment contenu dans le
graphe
de P.Quand
on passe dugraphe
de P augraphe
deP’,
ou de lapremière
trame à ladeuxième,
c’est comme si on avait tamisé l’ensemble desparties
pour n’en conserver que les éléments les
plus
fins. On dit d’ailleurs que lapartition
P’ estplus
fine que
P,
ouqu’elle
est un "raffinement" de F.On démontre que l’ensemble
P(E)
de toutes lespartitions
deE,
ordonné par cette relation "estplus
finque", qui
est une relationd’ordre,
est muni d’une structure de "treillis" : toutepaire (P,P’)
departitions
deP(E),
admet en effet une même bornesupérieure (plus petit majorant commun),
notée P v P’ et une même borne inférieure(plus grand
minorantcommun),
notéeP A P’. En
l’occurrence,
P v P’ = P’ et P A P’ = P. Onpeut
encore montrerqu’il
y aisomorphisme
entre les chaînes maximales de cetreillis,
c’est à dire les suites ordonnées departitions qui
vont de la moins fine à laplus fine,
et les classificationshiérarchiques.
Ce
procédé qui permet
derépartir
la réalité en classesd’équivalence
et de cernerprogressivement l’objet qu’on
veut définir est unpremier
moyend’exploration,
souvent utilisépar Platon. Mais il y en a un
second, qui
ressemble à celui-là tout en s’endistinguant,
ce sont lesprocessus de dichotomies.
Il arrive en effet à
Platon,
dans les tentatives de définitionqu’il
propose, de neplus
viserl’exploration systématique
duchamp
mais la délimitationprécise
d’un des éléments. Ceprocédé reçoit
unegrande
extension dans leSophiste
et lePolitique,
mais on en voitdéjà
la trace dansun
dialogue
comme leGorgias (en
450 a, parexemple,
ou encore vers la fin àpartir
de 500 asq) quand
ils’agit
de définir larhétorique.
Il nes’agit plus
exactement ici d’une classification.Platon ne cherche pas à établir une hiérarchie de
partitions
successivesexplorant
la totalité d’unchamp sémantique.
Dans unesuperposition
de trames, il s’efforce aucontraire,
d’arriver à caractériser uneportion
limitée del’espace conceptuel, qui correspond
à cequ’il
cherche.Comment
procède
t-il ? Considérons la définition de 500 a sq. Dans l’ensemble destechniques,
Platon commencera parséparer
lestechniques qui
ont pour but le bien et cellesqui
visent seulement
l’agréable, qu’il qualifiera
de «flatteries».Puis,
dans l’ensemble desflatteries,
il
distinguera
cellesqui
s’exercent sur un individu et cellesqui
s’exercent sur la foule. Dans cettedernière
classe,
il opposera la flatterie musicale(qui
utilisemusique et/ou parole)
et cellequi s’appuie
sur laparole
seule.6 L.
Apostel :"Le
problème formel des classificationsempiriques",
Laclassification
dans les sciences, Duculot, 1963,p.159.
FIGURES
Représentation formelle
d’unepartition.
P’ est
"plus
fine" que P car legraphe
de P’ est contenu dans legraphe
de P.Correspondance
entre chaîne ordonnée departitions, classification
et trame.Treillis des
partitions
d’un ensemble à 4 élémentsPour
alléger l’écriture,
on note{ { a,b } , { c,d } }
comme(ab,cd).
Au terme de ce processus, on constate que ce
qui apparaît
comme la définition de larhétorique,
ce n’est pas seulement le derniermembre,
c’est en fait l’ensemble des membres droits :la définition de larhétorique
n’est autre que ce processus de filtrationqui
fait passer de l’ensemble destechniques { abcd }
auxtechniques
flattant les foules par laparole { a }
par les intermédiaires{ abc } et { ab } .
C’est ce
qui
permet à G.-G.Granger,
dans la Théorie aristotélicienne de la science d’affirmer que laprocédure platonicienne
consiste à étendre sur la réalité une sorte de filet donton resserre
progressivement
les mailles. Lamétaphore
avaitdéjà
été utilisée par des historiens de laphilosophie
comme A. Dièsqui renvoyait
à E. Goblot et à lalogique classique 7 .
Le méritede G.-G.
Granger
a été de proposer uneinterprétation
de ces processusdichotomiques
en termesmathématiques.
C’est à direqu’à
cetteimage
du filet -qui n’est,
enfait, qu’une façon métaphorique
de nommer ce que nous avonsappelé
une trame,correspond
une structuretopologique
bienprécise qui
est celledufiltre g.
On
peut comprendre
cequ’est
un filtre àpartir
del’exemple
ci-dessus. Etant donné unensemble E à 4 éléments
{ a,b,c,d } ,
on forme l’ensembleP(E)
de sesparties qui
a24
= 16éléments et sur
lequel
l’inclusion ensembliste définit un ordrepartiel, qui
le munit d’unestructure de treillis. Ce treillis a des
propriétés particulières :
il est à la fois distributif etcomplémenté,
c’est-à-dire booléen. Sur ce treillisbooléen,
onpeut
définir un sous-ensemble fini departies qu’on appelle
un filtre etqui répond
aux conditions suivantes. Unfiltre
F est unepartie
de B vérifiant :a)
si xappartient
à F et y estsupérieur
à x, alors yappartient
à F.b)
si xappartient
à F et yappartient
à F alors la borne inférieure de x et de y, notéemin(x,y), appartient
aussi à F.c)
la bornesupérieure
de Bappartient
à F.d) si,
deplus,
la borne inférieure de Bn’appartient
pas àF,
le filtre est dit"propre" 9.
L’ensemble des filtres étant
partiellement
ordonné par la relationd’inclusion,
onappelle ultrafiltre
un filtre propremaximal,
autrementdit,
un élément de l’ensemble des filtres propres, telqu’il
n’existe aucun filtreplus grand
que lui.7 A. Diès,
Sophiste,
Paris, Belles Leures,1969,p.384 ;
cf. E. Goblot, Traité de Logique, Paris,1925, § 75.8 G.-G.
Granger,
La théorie aristotélicienne de la science, Paris,Aubier-Montaigne,1979, p.241.
9 N. Bourbaki,
Topologie générale,
Paris, Hermann, 1, 36 ; D. Ponasse, J.-C.Carréga, Algèbre
ettopologie
booléennes, Paris, Masson,1979.
Sur un tel treillis
P(E),
il y aquatre
ultrafiltres :La notion
de filtre permet
d’identifierrigoureusement
toute définition dutype "rhétorique"
à unfiltre sur un treillis. Nous trouverions
beaucoup
d’autresexemples
de tels processus définitionnels chez Platon. La définition dupêcheur
à laligne
dans leSophiste (222a),
est dumême ordre. Celle du
politique,
dans ledialogue qui porte
ce nomprésente
la même forme.Dans les deux cas, la différence est
qu’elles
mettent enjeu
unplus grand
nombre d’éléments quenos
précédents exemples.
Ce sont seulement des filtres un peuplus importants,
relatifs à des treillisqui,
cettefois-ci,
seraientcompliqués
àreprésenter,
mais dont onpourrait
très facilementdéfinir
l’algèbre.
On
peut
faireplusieurs
remarques ausujet
de l’introduction de ce formalisme:A)
Il a le mérite de différencier les processusdichotomiques
des processus seulement classificatoires. Les classificationsexplorent
unchamp
en lerépartissant
en classesdisjointes
hiérarchisées. Ce sont des chaînes de
partitions,
des familles de trames deplus
enplus
fines.Les processus
dichotomiques,
eux, sont,mathématiquement,
desfiltres,
c’est àdire,
nonplus
des chaînes de
partitions,
mais des chaînes departies
d’un ensemble. Toutedéfinition,
toutfiltre,
est un parcours sur un treillis etnaturellement,
ceci permet, comme l’a bien vu M.Granger,
d’identifier les processusdichotomiques
à l’ensemble duprocès
defiltration,
c’est àdire à l’ensemble des ultrafiltres du treillis.
B)
La formalisationpermet
de retrouver le mouvement de certainsdialogues. Ainsi,
dans leSophiste,
onpart
de lapêche
à laLigne,
mais lasophistique
s’inscrira tout naturellement dans l’arborescence que cettepremière
définition suppose. Platonproduira,
eneffet, plusieurs
définitions successives de la
sophistique,
àpartir
del’exploration
des sommetsgauche
del’arborescence. Il fournira
plusieurs
définitions(cinq
autotal)
avant de constater que leur intersection est vide et que cequ’on
ne peut pasattraper
avec unemain,
il fautl’attraper
avecl’autre
(Sophiste,
225a).
Dèslors,
remontant à la racine de l’arbre etexplorant
le membregauche,
il finira par fournir un sixième et ultime définition de lasophistique.
C)
Il estpossible
de mettre en oeuvre unalgorithme susceptible
deproduire automatiquement
lesdéfinitions
comprises
commeparties
d’un ensemble filtré. Il suffit pour celad’exprimer
lastructure
hiérarchique
de l’ensemble dans lalogique
d’une base derègles
d’unsystème expert.
Si l’on
objecte
que ce n’est pas ledialogue qui
se trouve alors reconstitué mais sonrésultat,
onpeut
montrerqu’il
est aussipossible
deprocéder
à des reconstitutions dedialogues
in fieri : la construction de la définition dupolitique,
dans ledialogue qui porte
ce nom, parexemple, évoque typiquement
les modernesprocédures d’analyse
parséparation
et évaluationlo.
Lorsque
le processus de filtration n’est passatisfaisant,
le sommet de l’arborescenceauquel
onaboutit est
pénalisé
et on recommence laprocédure
àpartir
d’un sommet moins instable11.
Nous
dirons,
pour conclure cettepartie,
que les trames nous semblent avoir uneimportance
considérable dans les architectures
philosophiques.
Troispoints
nousparaissent
devoir êtresoulignés :
10 On se reportera à M. Gondran, M. Minoux,
Graphes
et Algorithmes, Paris, Eyrolles, 1979,p.395
sq. Les auteurs citent en exergue un texte du Phèdre,qu’ils
attribuent, à tort, au Phédon.11 Nous avons longuement étudiés ces processus dans notre thèse, Formes et
systématiques philosophiques,
3vol. Université Lyon III, 1988.
1) Philosopher consiste,
pourbeaucoup,
àproduire
ou à rectifier desdécoupages.
Les processusplatoniciens,
de cepoint
de vue, se retrouvent dans l’histoire.Critiqués
parAristote,
ilsréapparaissent
avecKant, philosophe
chezqui l’entreprise
classificatriceprend
uneampleur
considérable. L’un des
problèmes majeurs
dukantisme,
de cepoint
de vue, tiendra dans l’infinitépotentielle
des divisionsempiriques possibles :
on saitqu’un
espace discret infini n’est pascompact,
parconséquent qu’aucun
filtren’y
estconvergent.
Ceproblème, déjà susceptible
d’être
posé
à propos de Platon(une
définitionpeut-elle toujours aboutir?)
se repose pour Kant.L’un des moyens de le résoudre est purement
théorique.11 s’agit
de«compactifier»
l’ensemble :plusieurs procédures
sontpossibles,
mais onpeut
difficilement croire que lesphilosophes
aientpu les
anticiper 12.
L’autre moyen estpratique :
il faut toutsimplement
décider d’arrêter la division à un momentdonné,
où se limiter arbitrairement à la considération d’un sous-ensemble de l’ensemble despropriétés possibles.
Enopposant
le pur àl’empirique -
trame essentielle deson oeuvre -
c’est, finalement,
la solution choisie par Kant.2)
A côté des définitions par division s’estdéveloppé, progressivement,
lapossibilité
de formerdes définitions par combinatoire. Une trame est alors créée à
partir
de ses élémentsgénérateurs.
Le
procédé
étaitdéjà
connu de Platonqui,
dans laRépublique (369 e), engendre
la société àpartir
d’un ensemble de trois besoins essentiels(se nourrir,
sevêtir,
seloger), qui supposent
trois métiers fondamentaux(cultivateur, tisserand, maçon), auxquels
Platonajoute
deux autres(cordonnier
etmédecin).
Par intersection etréunion,
se crée alors un ensemble d’activités secondaires. Ces formules combinatoires se retrouveront chezSpinoza,
et dans un tout autredomaine : celui des
passions.
Sur cettequestion,
tous les auteurs du XVII~~e ont leur mot à dire.Tous cherchent à réduire les dimensions de
l’ensemble,
à trouverquels
sont les affections fondamentales.Spinoza
les réduit à trois : lajoie,
la tristesse et le désir.Puis,
sur un ensembleformé de ces trois
affections,
dumépris
et de l’étonnement(qui
ne sont pas, pourlui,
à proprementparler
des affectionspuisque
c’est la constatation d’une absencequi
provoque cessentiments),
ainsi que des idées des choses causes de cesaffections,
on reconstitue l’ensemble des affectionspossibles (amour, haine, ambition, ferveur, etc...).
Toute définition devient alorsune arête d’un
hypergraphe
extrêmementfécond, puisqu’il
permet non seulement de retrouverdes
passions
existantesmais, éventuellement,
d’en inventer de nouvelles13.
3)
Il demeure que cesprocédés
restent, enpartie,
non satisfaisants. Lesphilosophes
se sontaperçus assez tôt des
problèmes
soulevés par les méthodesqu’ils employaient. Aristote, déjà, menait,
notamment dans les Parties des Animaux(642a - 643b),
une guerreremarquable
contrela méthode
platonicienne, qui symétrise
abusivement la réalité. Entre autres, ilposait,
à samanière une
question qu’on peut
reformuler ainsi : si la dichotomie fonctionne - autrementdit,
sil’espace sous-jacent
estbooléen,
cela nesignifie
t-il pas que le cardinal del’espace
despropriétés
est nécessairement unepuissance
de 2 ?Kant,
en cequi
le concerne, insistait surl’aspect
«extérieur» des critères de classification etde définition. Poursuivant le
projet
desnéoplatoniciens, qui
avaient voulu résoudre cette croix du classificateur(ou
comment faire sortirl’espèce
du genre, sansadjonction
d’élémentsexternes
?) Hegel,
dans sonEncyclopédie
des sciencesphilosophiques,
codera l’ensemble du processuslogico-réel
au moyen de troiscatégories fondamentales, l’universel,
leparticulier,
lesingulier (U,P,S), qui, répliquées
parsimilimorphismes
aux différents niveaux de l’arborescenceconceptuelle
de lalogique,
de laphilosophie
de la nature ou de laphilosophie
del’esprit,
finiront par créer la trame extrêmementcomplexe
àlaquelle
donne accès la lecturelinéaire dusystème.
Onpeut
discuter del’algèbre
àlaquelle
renvoie lesystème
desoppositions conceptuelles 14,
voire contesterqu’en
safluidité,
son contenuconceptuel
et sa volonté de12 Citons, par exemple, le
compactifié
d’Alexandroff, ou celui de Stone-Cech. CF. D. Ponasse, J.C.Carréga,
op.cit.,p.84
et p.152.13 Nous avons produit exhaustivement la combinatoire
spinoziste
et décritl’algèbre
de cethypergraphe.
Cf. D.Parrochia, «Le
philosophe
automate», Milieu, 30, 1987.14 Cf. D. Parrochia, «Formalisation booléenne et intuitionniste de la
logique
hégélienne»,Colloque
de Lodz(Pologne), 1989,Fc/MP~~~~,L6dz, 1990.
concrétude,
lespéculatif
se ramène à de pures alternances formelles :quoi
deplus
videqu’une
trame? Il n’en demeure pas moins que le discours
conceptuel,
s’il n’est pas quecela,
ne sesoutient que de ces armatures, que le
philosophe
a bien tort demépriser.
3. PROPOSITIONS D’EXTENSION DES PROCESSUS
DéFINITIONNELS
Nous avons,
jusqu’ici,
considéré des tramesrégulières
etrigides.
Pourrait-on
envisager
d’affaiblir les conditions réclaméesprécédemment
pour aboutir à des extensions depossibilités
de définition? Plusieursproblèmes,
eneffet,
se rencontrent :- Ce que nous
appelons
«réalité»changeant
avecl’histoire,
nous pouvons réclamer que les définitions que nousproduisons puissent
évoluer au cours dutemps,
et del’adjonction
ou de lasuppression
despropriétés
que nous attribuons auxobjets,
selon ledéveloppement
du savoirscientifique, jusqu’à
rendrecompte
du caractère relativement flou ou incertain de cequ’on appelle
la réalité.- A un instant donné du
temps,
nous pouvons aussi vouloir définir desobjets
totalementindéterminés ou faiblement consistants. En d’autres termes, nous pouvons
souhaiter,
parexemple,
définir de manière correcte,quelque
chose comme un «carré rond»(Meinong),
un«couteau sans manche
auquel
il manque la lame»(Lichtenberg),
ou encore unchapeau dépourvu
de forme
précise,
telle celui d’Hamlet(Shakespeare)
etc.?- Nous pouvons enfin réclamer
qu’il
nous soitpossible
de définirl’espace qui
sert àdéfinir,
autrement
dit,
celui où l’on trouve les outils de délimitations dont on se sert pour former les définitions : il serait bienintéressant,
parexemple,
pour unphilosophe,
de savoirrépondre
à laquestion «qu’est-ce
que laphilosophie ?»,
sanss’engager nécessairement,
pour autant, dans unephilosophie
déterminée. La notion usuelle de définition nepermet
pascela, puisqu’on estime,
engénéral,
que toute définition de laphilosophie présuppose
des choixphilosophiques.Pour
toutesces
raisons,
il nous faut faire évoluer leconcept
dedéfinition,
en proposer différentes extensions formelles.3.1. Flou
morphologique,
flouconceptuel,
flouphilosophique.
Nous essayerons de
présenter
iciquelques applications philosophiques
de la théorie des sous-ensembles flous. Deux
arguments peuvent justifier
cette tentative : d’unepart,
lesphilosophes
ont souvent
souligné
le caractère essentiellementimprécis
ou incertain de cequ’ils appellent
des«concepts» 15 ;
d’autrepart,
ilpeut
êtreparfois utile,
dans unediscipline scientifique,
de«fuzzifier» certaines structures de
pensée,
pour inventer des«positions» nouvelles,
des«sites»
intermédiaires, qui obligent
à modifier le «pavage» habituel duchamp
del’expérience,
latrame, telle
qu’elle
a été conçuejusque
là.Notre propos, nous ne le cachons pas, rencontre
cependant
une limite. Onpeut,
eneffet, distinguer
deuxespèces
de flous : le flouconceptuel, quand
le référentiel ensembliste E est maldéfini ;
le floumorphologique, quand
le référentiel ensembliste E est bien défini maisquand
lessous-ensembles sont flous au sens de Zadeh
(ou
deGoguen) 16. Or,
le «flouphilosophique»
est, le
plus
souvent, un flouconceptuel.
On ne doit donc pass’attendre,
dans le cadre de lareprésentation
deZadeh,
à uneauthentique
formalisation des processus définitionnels. Enrevanche,
nous allons voir que d’autres caractérisations du flou sontpossibles.
15 E. Husserl, Idées directrices pour une
phénoménologie,
trad. P. Ricoeur, Paris, Gallimard, 1950,p.236 ;
Cf.G.-G. Granger, Pour la connaissance
philosophique,
Paris, 0. Jabob, 1987, p.154 sq.16 A. Kaufmann, Introduction à la théorie des sous-ensembles flous, II, Paris, Masson, 1975.
Nous
rapportons,
dans lasuite,
deux manières de construire des définitions floues. Lepremier
formalisme que nous utilisons est laréinterprétation logico-algébrique
des définitions deZadeh,
tellequ’elle
a étédéveloppée
par le mathématicienlyonnais
D. Ponasse.Nous introduirons ensuite une deuxième manière
d’envisager
le flou - celle du mathématicienpolonais
Zdislaw Pawlak.3.2. Structure floue
(au
sens de D.Ponasse).
Une structure
floue 1~
est uncouple (E,J)
où E est un ensemble non-vide et J un treillisdistributif,
avecplus petit
élément 0 etplus grand
élément1,
et 0 ~1. E seraappelé
"référentiel"et J "ensemble des valeurs
d’appartenance".
On
peut
avoir(entre autres) :
3.2.1. Partie
floue.
Étant
donnée(E,J)
une structurefloue,
unepartie
floue de E(ou partie J-floue)
est uneapplication
de E dans J. On noteraA, B,
... lesparties floues, 1»(E)
l’ensembleJE
desparties
floues de E. - - "
A(x)
sera le"degré d’appartenance"
de x à A.Si
A(x)
= a EJ,
on pourra aussi écrire : ; -13.2.2.
Application
Soient J =
{ 0,1 }
et E ={ a,b } (ainsi ordonné)
avec a = devoirs et b = droits.JB = 100, 10, 01, 111 engendre
la trame nettecorrespondant
à la classification kantienne des êtres dans laMétaphysique
des Moeurs :D’où,
en vertu de lacomplémentation booléenne,
l’idée que l’homme est une anti-chose etl’esclave un anti-Dieu.
«Fuzzifions»
légèrement
cet univers encompliquant
un peu l’ensemble des valeursd’appartenance :
l~ Nous nous
inspirons
ici trèslargement
dupolycopié
de D. Ponasse, Séminaire demathématique floue,
Université Lyon 1,1977-1978.
Soient J =
{ 0,1/2,1 }
et E ={ a,b)
JE
={ 00,1/2 0,
01/2, 10, 01,
@1/2 1/2, 1/2 1,
@ 11/2, 11 ) engendre
cette fois-ci neufcatégories, soit,
lesquatre précédentes plus cinq catégories
intermédiaires :On
peut
alors facilement trouver dessignifications
pour cescatégories
intermédiaires : ange,prisonnier, fou, robot, embryon,
etc...Les deux treillis
correspondants
ont les formes suivantes : Le ti’e1111S1J(E) :
-
d’où on extrait très facilement le sous-treillis