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Article pp.9-14 du Vol.23 n°131 (2005)

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Bernard MIÈGE

La question de la concentration dans les industries culturelles et dans les médias est en très bonne place dans les débats publics, elle est au centre de polémiques croissantes. Et pourtant, rares sont les travaux de recherche qui la prennent pour objet, soit que les auteurs, économistes pour la plupart, ne voient pas de l’intérêt à la dissocier des tendances marquantes du capitalisme contemporain, soit qu’on ne s’attache pas à l’envisager dans toute sa complexité et sa diversité à l’aide de données allant au-delà des changements incessants intervenant dans le temps court dans le capital des groupes et des firmes.

Ce que les cinq articles constituant la présente livraison de Réseaux entendent d’abord montrer, c’est que la concentration prend des formes particulières et recèlent des spécificités dans le secteur de la communication qu’une analyse économique générale d’ensemble ne saurait réduire ; c’est ensuite que les représentations discursives qui en sont données, tout particulièrement dans la presse, spécialisée ou non, et plus encore dans les médias audiovisuels, tendent à en obscurcir grandement la compréhension, en la simplifiant et en l’orientant vers des schèmes explicatifs réducteurs.

Cet aspect nous est du reste apparu tellement prégnant et en quelque sorte comme constitutif de l’objet envisagé, que l’un des articles, celui de Claire Moriset et de Bernard Miège, s’intéresse précisément au positionnement de cette catégorie d’industries… sur la scène médiatique ; et le traitement que les titres de presse, avec le plus souvent une concordance qui interroge, font

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des « événements » en rapport avec la concentration est conventionnel : leur intérêt se porte prioritairement sur les changements affectant la propriété et le contrôle financier, la dépendance étroite entre ces changements et les évolutions technologiques, ou l’asservissement de la production indépendante par des oligopoles puissants. Les stratégies sont en quelque sorte déduites des « coups » financiers opérés, ou anticipées à partir d’eux.

Autrement dit, les logiques financières sont omni-présentes dans ce type de représentation du phénomène, et le sont tellement que l’on s’interdit de penser que d’autre logiques, économico-culturelles par exemple, sont également à l’œuvre et que des stratégies d’acteurs se déploient non seulement lors de chaque changement dans le contrôle des groupes ou des firmes, mais dans leur activité même.

En d’autres termes, l’approche des modalités de la représentation discursive de la concentration constitue déjà une entrée pour l’analyse de l’objet envisagé, dans la mesure où il importe, dès le départ, de déconstruire tout ce qu’elle comporte de pré-notions, d’approximations et de déductions présentées comme des évidences. C’est sans doute vrai de tout objet de connaissance, mais cela l’est tout particulièrement de celui dont traite ce numéro.

Avant de présenter ce qui est au centre de la problématique des différents articles, il convient d’apporter des précisions sur le cadre retenu, à la fois thématique et spatial.

Pour Werner Meier, les activités qu’il étudie relèvent de l’industrie des médias et de la culture : l’ordre a ici son importance et l’usage du singulier aussi ; s’il prend en compte l’édition de livres ou la télévision, ce qui lui importe en priorité sont les risques que l’organisation actuelle des médias fait courir à l’activité journalistique. Cette préoccupation est également présente chez Enrique Bustamante et Juan Carlos Miguel, mais ces auteurs orientent leur analyse autour des industries culturelles, en conformité avec

« la théorie des industries culturelles » et dans une acception comprenant les médias, ce qui n’est pas le cas de nombre d’auteurs, notamment français.

Christian Pradié, quant à lui, a une conception assez proche des deux auteurs qui viennent d’être cités, mais il emploie parfois le syntagme « industries culturelles » au pluriel et il évoque aussi leurs relations avec les médias et le monde de la communication (pour l’essentiel : les télécommunications), ces industries étant constitutives du secteur de la communication. Philippe

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Bouquillion, de son côté, en continuité avec une tradition nord-américaine, s’intéresse aux industries de la culture et de la communication, marquant sans doute plus nettement que les auteurs précédemment cités, les relations que les industries de la culture nouent avec les industries de réseaux et de matériels. Mais le « périmètre » envisagé par les uns et les autres est fort proche, sinon identique ; les groupes que les uns et les autres prennent en compte sont pour l’essentiel les mêmes, et sont ceux-là mêmes que la recherche du GRESEC citée par plusieurs avait choisi de retenir. On remarquera que leur regard se porte surtout vers les industries du contenu (terminologie employée par Claire Moriset et Bernard Miège pour mettre en évidence leur relation de plus en plus forte, et même leur implication dans les techniques de l’information et de la communication), et plus précisément vers ce qu’il aurait fallu désigner comme les industries culturelles et médiatiques. Ajoutons que le cadre géographique qu’ils ont retenu est sinon mondial, du moins largement internationalisé : Werner Meier a étudié tout particulièrement l’extension des groupes de communication en Europe, et tout particulièrement dans l’est du continent : Enrique Bustamante et Juan Carlos Miguel ont centré leur analyse sur les groupe ibéro-américains (sans oublier ceux qui rayonnent à partir de Miami) ; quant aux autres contributeurs, à la suite de la recherche qu’ils ont conduite sur 19 groupes rayonnant en France et en Europe, et même aux Etats-Unis, ils ont pris en compte le cadre spatial ainsi défini. Est-ce à dire que l’approche soit complète ? Il aurait fallu pour être complet, tenir compte des groupes nord- américains et avant tout de leur activité sur ce continent, car celle-ci est retenue lorsqu’elle se déploie au dehors des Etats-Unis et du Canada : mais certains travaux connus, finalement peu nombreux et souvent cités (cf.

Robert Mc Chesney, Dan Schiller, etc.) comblent ce vide, dans une perspective essentiellement socio-politique.

Classiquement, la concentration est perçue comme un phénomène relevant prioritairement de mécanismes financiers et se traduisant par toute une série de conséquences dommageables pour la culture et l’information. Et dans l’esprit de la majorité des observateurs, on peut aisément déduire les conséquences à attendre de telle ou telle décision d’ordre financier.

Pour les auteurs, ce lien de causalité simple doit être interrogé. D’abord les conséquences supposées sont multiples et pas toujours convergentes : cela apparaît à la lecture du « cadastre » des risques possibles (la qualificatif a son importance) que propose Werner Meier (voir son tableau n° 1 très

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détaillé). Mais également, entre ces conséquences (ou effets) et les décisions financières, il y a tout un espace qu’il s’agit d’analyser. Pour Christian Pradié, s’ils est possible de vérifier la portée du rôle structurant de la financiarisation et de ses effets en matière de concentration, d’internationalisation et d’industrialisation, il importe de replacer ces tendances dans une démarche laissant toute sa place à l’historicité ; c’est d’autant plus important que les stratégies sont dépendantes des « catégories de détention et de contrôle » (managérial, familial relatif, familial absolu et mutualiste) qui se sont structurées tout au long de l’histoire. Philippe Bouquillion va plus loin : non seulement il suggère de prendre de la distance par rapport aux opérations qui relèvent de l’art de faire des coups boursiers (et parmi celles-ci, les moindres ne sont pas celles entre AOL et Time Warner, ou entre Disney et ABC), et même de considérer les stratégies et tactiques financières comme autonomes, même si elles aboutissent à une centralisation des capitaux. Elles doivent en effet être bien distinguées des logiques industrielles qui conduisent à la rationalisation du périmètre des pôles, la diversification rencontrant des limites proprement industrielles, de sorte que, pour aboutir à des synergies productives, ainsi que des économies d’échelle et d’envergure « la plupart des groupes se centre à terme sur une ou deux filières ». En d’autres termes, cette perspective partagée par d’autres contributeurs, et longuement argumentée par eux, nous invite fermement à accorder toute leur importance aux logiques industrielles (a priori toujours spécifiques lorsqu’il s’agit des industries culturelles et informationnelles) et à admettre leur rôle propre. La convergence à l’œuvre n’empêche pas la prudence des implantations, celle-ci renforcée par la concurrence bien réelle entre les pôles (ainsi que le notent Enrique Bustamante et Juan Carlos Miguel).

Ces logiques industrielles, il va sans dire, poussent à des modifications significatives des créations culturelles ou des contenus informatifs. Les auteurs en citent maints exemples depuis les fictions latino-américaines peu diffusées dans les pays d’origine des auteurs, jusqu’à la baisse du journalisme d’investigation là où (notamment dans l’est de l’Europe) la majorité des médias est désormais contrôlée par des groupes étrangers. Mais ces évolutions ne vont pas sans paradoxes, comme celui qui voit la promotion du « patrimoine latino-américain » contrecarrer la logique du blockbuster des majors de l’industrie de la musique enregistrée.

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Cette observation, comme d’autres similaires, justifie que soit mené à bien le programme de recherche désormais engagé sur cette thématique, que présentent Claire Moriset et Bernard Miège, et qui vise à identifier de façon précise, à partir des stratégies des principaux acteurs industriels, les changements culturels et informationnels que l’on peut effectivement considérer comme dépendants des modifications intervenues dans le contrôle du patrimoine des firmes par les puissants groupes financiers ; l’entreprise ne va pas sans difficultés méthodologiques et conceptuelles, mais elle seule peut permettre de ne pas se contenter d’inférer des changements des seules décisions financières.

De même, Enrique Bustamante et Juan Carlos Miguel font état d’une recherche en cours qui vise à déceler ce que deviennent la créativité et les produits culturels : « Il reste encore à étudier et à démontrer l’effet que le développement du multimédia et la transnationalisation des grands groupes régionaux peut avoir sur l’identité et la diversité nationale et régionale.

Seules des études empiriques plus détaillées, comprenant des analyses qualitatives, pourront vérifier cet effet. »

Pour Philippe Bouquillion enfin, si « la question des influences sur les choix éditoriaux est très souvent évoquée par les chercheurs, les experts, les journalistes ou les hommes politiques… [elle] mériterait de susciter des vérifications empiriques. » Observant que « …des conséquences sur les contenus peuvent d’ores et déjà être envisagées », il signale toutefois que

« les tentatives de rationalisation des contenus de la part des directions des firmes, groupes ou pôles sont d’autant plus difficiles à mettre en œuvre que la valeur d’un produit culturel est liée à l’insertion de la contribution d’un travailleur artistique ou intellectuel donné. »

Pourtant, les auteurs ne s’interdisent pas d’anticiper sur ces résultats et relayent les préoccupations politico-médiatiques actuelles, particulièrement sensibles aux effets prévisibles des concentrations, dont on se doit de constater l’accélération. Ils esquissent des solutions possibles, sans pour autant que leurs positions convergent.

Proposant d’étendre les quelques dispositions spécifiques aux entreprises de presse et qui, selon lui, ont eu le mérite de sauvegarder le pluralisme et les droits des journalistes, Christian Pradié conclue son article en suggérant de s’orienter vers « …une politique publique favorable à l’instauration d’une

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économie sociale de la communication,… [avec] l’approfondissement des modalités spécifiques d’un statut d’économie sociale de l’entreprise d’édition ou encore les conditions du concours du secteur de la finance socialement responsable ».

Mais c’est surtout Werner Meier, avant tout intéressé par le pouvoir informationnel des médias (et moins concerné par les programmes qu’ils diffusent et par les industries culturelles), et inscrivant ses réflexions dans le cadre du courant de pensée de la « Media Concentration Governance », qui émet toute une série de propositions. Pour lui, très clairement, « …la concentration de la propriété ne constitue pas seulement une dérive économique, mais aussi un problème fondamental pour la démocratie parce que le pouvoir économique peut être transformé en pouvoir politique, mais aussi en pouvoir d’opinion, et qu’il menace le fonctionnement de la démocratie. ». D’où résulte la proposition qu’il argumente longuement

« …d’un système élaboré de monitoring qui d’une part garantisse la création et l’accès permanent à des données actuelles sur la concentration des médias tant au niveau national qu’au niveau européen, et d’autre part l’établissement d’un rapport annuel Media Concentration Governance [qui] renverserait la charge de la preuve pour les conséquences, soupçonnées et niées, de la concentration du pouvoir des médias, offrirait aux entreprises de communication un forum propice parce que “réglé”, à exposer comment elles assument leur responsabilité, et permettrait aux divers groupes détenteurs de stock- options de médias un discours permanent et éclairé sur le pouvoir et l’influence des groupes de communication. »

Il reste que ces propositions, prenant leur source dans des traditions juridico- politiques bien différentes et… facilement identifiables, sont sans doute moins éloignées qu’il ne semble à première vue ; en effet, les unes comme les autres disposent désormais du soutien actif de groupes de citoyens de plus en plus nombreux, qui n’entendent pas laisser les pôles financiers agir comme ils l’entendent, c'est-à-dire sans laisser toute sa place au contrôle citoyen.

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