L’apport de la non-linéarité des règles dans la conduite de la politique monétaire : application à
l’économie tunisienne
Yosra BAAZIZ (EAS- Université de Monastir- Tunisie) (1) Moez LABIDI (EAS- Université de Monastir- Tunisie) (2)
Résumé :
L’objectif de cet article est d'appliquer des techniques économétriques récentes pour élucider le comportement de la banque centrale tunisienne lors de la conduite de la politique monétaire en des circonstances dites spéciales (retombées de la crise subprime, la chute du pouvoir d’achat en Europe, choc révolutionnaire ….)
A l'issu d'un exercice d'estimation d’une règle de Taylor augmentée d’une variable de TCRE et celle non linéaire en utilisant un modèle de régression à transition lisse sur la période 2002.T2-2013.T2, nous trouvons que la spécification linéaire en imposant un régime unique constant tout au long de l’échantillon ne parvient pas à tenir compte des changements structurels au niveau des préoccupations des autorités monétaires ce qui risque de déboucher sur des conclusions biaisées.
1
E-mail : yosrabaaziz1451@yahoo.fr
2
E-mail : moezlabidi@gmail.com
Introduction
La plupart des travaux existants supposent que le processus de réaction de la banque centrale est stable et linéaire.
Compte tenu de la complexité intrinsèque des relations économiques c'est-à-dire l’interconnexion entre les variables macroéconomiques clés, les réformes institutionnelles structurelles, des perturbations financières et les interprétations hétérogènes des différents phénomènes par les agents économiques, oblige la politique monétaire à se développer dans un environnement en perpétuel changement structurel et rempli d’incertitude.
Donc, le modèle linéaire standard devient ainsi clairement inadapté, il fallait donc développer de nouveaux outils capables de prendre en compte la non-linéarité négligée inhérente à la dynamique du taux d’intérêt.
Une des solutions qui fut apporté à ce problème a été d’envisager la possibilité que les paramètres d’une série temporelle puissent changer d’une période à une autre.
La contribution principale de notre travail est d’appliquer pour modéliser le comportement de la BCT en termes de conduite de la politique monétaire, une technique économétrique récente développée par Terasvirta (1998).
En fait, le modèle RTL constitue l’une des contributions que l’économétrie non
linéaire a apportées en vue de donner un nouvel aperçu sur l’incidence du
changement structurel des préoccupations des banques centrales sur la dynamique du
taux d’intérêt.
Ce modèle est suffisamment flexible pour qu’on puisse fournir une bonne description du comportement de la BCT alors même que les changements structurels se produisent continuellement.
Comme la plupart des travaux sur les modèles non linéaires (Wesche, 2003 ; Cukierman, 2004 ; Peterson, 2007 ; Castro, 2008 ; Bruggemann, 2008 ; Alcidi, 2011 ; Kadilli, 2011 ; Lee, 2011) se sont limités aux pays industrialisés (surtout les États- Unis, le Royaume-Uni, l'Union Européenne …). L’objet de notre travail est d’évaluer le comportement des autorités monétaires des pays de la région MENA, et en particulier la Tunisie , en réponse aux changement des variables macroéconomiques au fil du temps en se basant sur le modèle STR développé par Terasvirta pour détecter d’une façon endogène les déviations de la simple règle d’instrument et identifier les règles spécifiques qui caractérisent les régimes spéciaux.
De ce fait, il est de montrer empiriquement que les régimes spéciaux orientés par des changements structurels au niveau des préoccupations des autorités monétaires face à un évènement spécial et inhabituel (crise financière+ révolution) nécessitent une certaine dose du jugement de la part de la banque centrale servant à la formulation d’avis lors de la conduite de la politique monétaire. En effet, ces régimes se réfèrent à des circonstances particulières dans lesquelles les décideurs abandonnent la règle automatique, malgré sa portée explicative des grandes lignes de la politique monétaire, et se limitent aux jugements pour toute prise de décision.
Cependant, en ignorant les jugements induits par les non linéarités cela pourrait
conduire à des coûts énormes en termes d’ajustement empirique. Ces coûts s’élèvent
pour le cas de la Tunisie, qui fait l’objet de notre travail, à des erreurs en termes
d’autocorrélation sérielle des résidus entre la spécification linéaire et celle non
linéaire de la règle de Taylor qui s’élèvent à 15 points de base en 2009, 20 points de base en octobre 2011 et 30 points de base après l’année 2013. La contribution de cet article est de montrer empiriquement d’une part comment la montée de l’instabilité politique a réussi à engendrer des mutations dans l’orientation de la politique monétaire de la banque centrale tunisienne, et d’autre part, comment la configuration des paramètres a évolué en réponse à cette instabilité, imposant des taux d’intérêt en décalage de ceux recommandés par les règles de type Taylor linéaires.
Pour répondre à cette interrogation, le présent papier se propose de présenter, dans un premier, une brève revue de la littérature empirique sur les modèles à paramètres variant dans le temps.
En second lieu, nous faisons le point sur le principe de construction d’une règle non linéaire suivant de près la procédure adoptée par Terasvirta (1998). Nous passons ensuite à la description des données avant de présenter les résultats des estimations ainsi que les interprétations.
1. Brève revue de la littérature empirique sur les modèles à paramètres variant dans le temps (PVT)
Malgré le large éventail de la littérature concernant les règles de politique monétaire,
il existe un consensus étonnamment peu sur la nature ou l’existence même du
changement hypothétique au niveau de la conduite de la politique monétaire. En
fait, les coefficients des règles de la politique monétaire estimés sur une longue
période sont structurellement instables donc des différentes formes de fonction de
réaction de la politique monétaire qui traite la variation des paramètres au fil du temps
ont été utilisées.
Dans ce cadre que se situe la présente section dont l’objectif est de dresser un bilan de la littérature sur la modélisation des règles à paramètres variant dans le temps (PVT).
La présentation de ces modèles à PVT suit l’ordre décroissant d’information disposé à priori pour l’économètre quant au mécanisme générateur du changement de régime.
Par exemple, les changements de régime peuvent dans certaines circonstances être liés, à des événements déterministes et dans d’autres, on peut envisager qu’ils sont régi par un processus stochastiques exogène.
De façon globale, on peut regrouper les modèles à PVT en trois grandes catégories en fonction de la nature du mécanisme qui conditionne la transition d’un régime à un autre.
Une première technique où l’appartenance des observations par rapport aux régimes est connue. C’est une technique jugée traditionnelle consiste à diviser l’échantillon à une date présumé et estimer l’équation pour les deux sous-échantillons séparément.
Cette approche a été prise par plusieurs économistes [Taylor (1999), Judd et Rudebuch (1998), Clarida et al (2000) et Orphanides (2004)] pour décrire la politique monétaire américaine avant et après la nomination de Paul Volker.
Ces travaux ont fait valoir que la politique monétaire américaine a été moins active contre les pressions inflationnistes durant la présidence d’Arthur Burns que celle de Paul Volker et Alan Greenspan.
Ils ont montré que la politique monétaire a été menée d’une façon significativement
différente avant et après 1979, date de la nomination de Paul Volker à la présidence
de la réserve fédérale.
Kim et Nelson (2006) soutiennent que la division conventionnelle de l’échantillon en pré-Volker et Greenspan + Greenspan est susceptible de tromper l’évaluation empirique de la politique monétaire américaine puisque chaque sous-échantillon peut contenir plus d’un régime monétaire. De même, cette technique n’offre pas suffisamment de souplesse pour la règle de Taylor puisque le fait de répartir l’échantillon et d’estimer les paramètres sur les différentes périodes est une solution avec différents lacunes. En particulier, les différentes périodes doivent être identifiés sur la base d’une connaissance à priori et caractérisée par la non- constance des paramètres.
De même, Yilmazkuday (2008) partage cette même idée et affirme que les praticiens de la politique monétaire devraient éviter de s’appuyer sur certaines hypothèses pour déterminer les dates de ruptures structurelles, il faut laisser les paramètres identifier leurs propres ruptures.
Dans ce sens, un nouveau courant fait l’objet d’amples investigations dans cette littérature où la distribution des observations à un tel ou tel régime n’est pas connue à priori et dans lequel un mécanisme explicitement spécifié décrit le processus de transition. Entre dans cette classe les modèles à seuil (TAR, RTL …) où la transition est identifiée par des coefficients qui changent d’une façon déterministe en fonction du mouvement de la variable de transition.
Autrement dit, les changements sont associés au comportement d’une variable observable par rapport à un seuil, qui est co-estimé avec les autres coefficients.
Lorsque la connaissance du mécanisme de transition entre les régimes fait défaut au
modélisateur, les différents états des observations sont spécifiés d’une façon
probabiliste. La méthode de Markov-Switching est probablement la spécification la plus reconnue dans cette classe du modèle.
Ce modèle de changement de régime constitue un moyen attractif pour modéliser les successions des différents régimes où la transition entre les régimes ne se produit pas d’une façon déterministe, mais avec une probabilité. Ce type de modèle a connu un fort développement depuis leur recouverte par James Hamilton à la fin des années 1990. Ce dernier a utilisé la spécification à changement de régime de Goldfeld et Quandt (1973) pour étudier le comportement de la variable PNB américain. Le principe est de considérer que les expansions et les récessions peuvent être traitées comme étant des objets probabilistes différents.
Par ailleurs, ces deux dernières classes du modèle vérifient le principe de la non linéarité qui prétend que les dates de ruptures sont supposées inconnues et estimées de façon endogène.
En résumé, ce bilan de littérature a volontairement laissé sous silence plusieurs approfondissements qui font l’objet d’autant voie de recherche prometteuse : modélisation semi et non paramétrique, modélisation vectorielle du changement structurel, les modèle GARCH multivariés à corrélations conditionnelles dynamiques…
Dans ce sens, on ne cherche pas à produire un recensement exhaustif de la littérature mais plutôt de sélectionner parmi l’énorme masse de travaux menés sur ce sujet ceux qui répond à notre problématique.
2. Méthodologie empirique
2.1. Règle de Taylor linéaire augmentée
La règle de Taylor (93) constitue notre point de départ pour décrire le comportement de la banque centrale égyptienne en termes de manipulation de son taux directeur.
Cette règle constitue un benchmarck pour la politique monétaire des banques centrales ; elle s’insère dans le cadre de la modélisation de la réaction des banques centrales. Elle repose sur la minimisation de la fonction de perte quadratique symétrique où la fonction d’offre globale est linéaire.
Cependant, cette règle a fait l’objet d’intenses débats ces dernières années surtout avec l’avènement des récentes crises économiques (crises Subprime, soulèvement du printemps arabe…).
En dépit des éloges faits à cette règle, elle a connu un certain nombre d’adaptation par les banques centrales à travers le monde. C’est dans cette optique que Clarida, Gali et Gelter (1998) ont estimé des fonctions de réaction pour divers pays, ils ont identifié un comportement du lissage de taux d’intérêt retardé qui consiste à ajuster le taux d’intérêt effectif réel par rapport à leurs niveaux des périodes antérieures.
Clarida et al(1998) ont obtenu un coefficient relativement élevé associé au taux d’intérêt retardé, ce qui indiquerait que le paramètre de lissage des taux d’intérêt entre significativement dans les règles de Taylor pour les banques centrales à l’étude.
De même, Rudebuch (1995) a montré un degré de corrélation sérielle élevé dans la série des taux d’intérêt à court terme pour plusieurs pays.
En fait, la volonté de lisser les ajustements des taux est due essentiellement à la
crainte de perturber les marchés de capitaux ou la crainte de la perte de crédibilité qui
pourrait résulter de revirements importants et soudains, ou encore la nécessité de
construire un consensus capable de soutenir un changement de politique (Rudebusch, 2002).
Partant de l’article de Clarida et al (1998), nous allons augmenter la spécification de base en introduisant un terme qui tient compte de l’inertie de la politique monétaire en l’occurrence, le taux d’intérêt retardé.
Un autre important prolongement des travaux de Taylor est la règle conçue à un cadre d’une petite économe ouverte que propose Ball (1999) en introduisant la variable de taux de change .
Sa conclusion rejoint à celle de Batini et al (2000) qui ont montré la supériorité de la puissance descriptive de la règle de Taylor augmentée d’une variable de taux de change par rapport à celle de la règle de Taylor standard pour les petites économie ouvertes.
En fait, il y a plusieurs raison pour introduire la variable TCRE dans la fonction de réaction de la banque centrale des pays de la région MENA et en particulier la Tunisie.
Ce pays a dédié une attention considérable aux mesures de stabilisation sur le marché de change comme une stratégie adaptative à réagir aux crises économiques et politiques.
Cet effort repose en partie sur le souci de compétitivité internationale des exportations
des produits manufacturés de ce pays et vise notamment à empêcher une appréciation
excessive du taux de change réel lorsque le taux de change nominal tend à
s’apprécier.
Ainsi, le concept de TCRE passe au-delà de la moyenne pondérée du panier des monnaies des principaux partenaires commerciaux et exerce un effet significatif sur les secteurs qui devraient contribuer d’avantage à la croissance de l’économie.
Compte tenu de l’importance de la variable de TCRE et en particulier dans le contexte d’une économie ouverte, il est largement admis de l’introduire comme variable explicative supplémentaire dans la règle de Taylor.
Le modèle devient ainsi :
i
t a b
.
t b
y. y
t . i
t1 b
q. q
t u
1t(1)
Avec
: le degré de lissage de taux d’interet.
: Le coefficient de la réaction de la banque centrale en réponse à la variable de taux de change réel effectif.
La particularité de cette équation (1) est qu’elle emboite dans sa formulation la règle linéaire. En fait, le fondement théorique de la règle de Taylor linéaire vient de l’hypothèse que les décideurs ont des préférences symétriques et que la courbe de Phillips est linéaire.
Cependant, en réalité, cela ne peut pas être toujours le cas puisque les autorités monétaires peuvent avoir des préférences asymétriques et la courbe de Phillips peut revêtir plusieurs formes outre la linéarité. Cela donne raison à l’existence d’une fonction de réaction non linéaire de la politique monétaire.
2.1. La spécification non linéaire
De nombreuses pistes sont été explorées pour modéliser la non linéarité. La voie qui s’est cependant révélée la plus fructueuse est celle des modèles à transition lisse (Smooth Transition Regression). Le mérite de cette approche réside non seulement dans sa capacité de capturer d’une façon endogène l’asymétrie et l’hétérogénéité des préférences de la banque centrale, mais aussi l’avantage de fournir une explication économique de la non linéarité. Cette classe de modèle a été initiée à l’origine par Terasvirta (1998). Le modèle standard STR à deux régimes pour une règle de Taylor non linéaire pourrait être dérivé comme suit :
t 2 t t
t
t
' Z ' Z G ( , c , S ) u
i
t=1,…T (2)
Avec G ( , c , S
t) 1 exp ( S
t c )
1 0 Z
t ( w '
t, x '
t) : est un vecteur des variables explicatives,
où :
)' y ,..., y , 1 (
w
t
t1 tp, x
t ( x
1t,..., x
kt)'
Les paramètres : (
0,
1,...
n)' , (
0,
1,...,
m)' : représentent les vecteurs de paramètre ((m+1) × 1) des parties linéaires et non linéaires du modèle.
Les perturbations sont indépendantes et identiquement distribuées avec une moyenne nulle et une variance constante, u
2t iid ( 0 ,
2) .
La fonction de transition est bornée entre 0 et 1.
t
S , G ( , c , S
t) 0 , S
t , G ( , c , S
t) 0
Elle dépend aussi de la variable de transition , du paramètre de seuil et de la vitesse de transition .
: détermine la vitesse du processus d’ajustement entre deux régimes extrêmes.
c : paramètre de location qui indique où se produit la transition.
S
t: variable de transition qui contrôle le mécanisme de transition.
3. Les données
Dans cette section, nous allons présenter les données nécessaires pour l’élaboration de ce travail. D’abord, nous commençons par une description des données ainsi que leurs sources. Ensuite, nous repérons leur évolution durant la période d’étude. Enfin, nous étudions leur stationnarité.
3.1. Description des données
Les données analysées, relative à l’Égypte, sont dérivées des statistiques financières internationales (IFS) du FMI et les données financières de Bloomberg. Elles couvrent la période du deuxième trimestre 2002 au deuxième trimestre 2013.
Les variables retenues concernent : le taux d’intérêt nominal ( ) est le taux directeur,
L’écart de production ( ) est la déviation entre l’indice de la production industrielle
et sa valeur tendancielle mesurée à partir du filtre de Hodrick et Prescott avec un
degré de lissage 1600 pour des données trimestrielles. La variable inflation ( ) est
calculée sur la base de la variation de l’indice des prix à la consommation qui se
réfère à un indice reflétant le coût d’acquisition d’un panier fixe des biens et services
d’un consommateur à revenu moyen. Quant à la variable de taux de change, elle représente l’évolution de taux de change réel effectif.
3.2. Évolution des principales variables économiques
La figure 1 montre les séries des taux d’inflation, de taux d’intérêt, de l’output gap et le taux de change réel effectif relatives à la Tunisie.
Figure 1 : Représentation graphique des variables : cas de la Tunisie
N.B: Cette figure illustre l’évolution de taux directeur de la Tunisie et notamment le taux d’appel d’offre (TAO),
le taux de change réel effectif (TCRE), l’output gap et l’inflation pour le cas de l’économie tunisienne
La Tunisie a réussi à maintenir le taux d’inflation sous contrôle autour de 3%, allant à 5% les années de crise financière, bien qu’il ait adopté une politique progressive de libéralisation des prix.
On peut expliquer cette inflation relativement faible, d’une part par l’absence des chocs significatifs. D’autre part, on attribue cette faible inflation à l’adoption d’une politique budgétaire efficace qui cherche à rationaliser les dépenses publiques et élargir l’assiette fiscale.
Toutefois, la BCT a enregistré un taux élevé persistent de l’inflation après la révolution ; le chiffre s’est enlevé à 6% en janvier 2013 et ce sont des taux jamais atteint dans le pays.
Le dépistage des déterminants de l’inflation
L’inflation dépend des facteurs mixtes (monétaires + structurels) - Facteurs monétaires
En fait, au cours de la période qui a suivi la révolution du janvier 2011, le dinar tunisien s’est déprécié contre l’euro et le dollar ; l’euro atteint la barre symbolique de deux dinars et le taux de change du dinar par rapport du dollar se retrouve à son fort historique s’élevant à 1.5 dinars pour un dollar.
Ainsi, cette baisse de la valeur du dinar tunisien a généré mécaniquement des
tensions inflationnistes dues à la hausse des prix de certains produits importés
(inflation importée).
Par ailleurs, depuis l’année 2011 la BCT a adopté une politique monétaire expansionniste consistant à réduire les taux d’intérêt et en baissant les réserves obligatoire des banques à 3.5% en 2012, le taux d’appel d’offre (TAO) se retrouve à son plus bas taux historique contre une moyenne de 4.5 en 2010 et 2011.
La baisse du taux d’intérêt n’est pas sans conséquence sur la liquidité bancaire . Afin d’y remédier, la BCT a dû fournir les banques commerciales en liquidité, en injectant l’équivalent de 3.588 milliard de dollars au mois de décembre 2011 stimulant ainsi l’inflation par la demande dans un contexte de rareté de l’offre de marchandise.
- Facteurs structurels
Ces facteurs monétaires cités ci-dessus viennent s’ajouter à ceux des facteurs structurels tels que l’inflation induite par les coûts de production : la tendance des prix à la production a connu un décrochage à la hausse . Dès lors, les entreprises tunisiennes ont mécaniquement répercuté cette hausse des coûts de production sur les prix de vente de nombreux produits. Cette situation a été encore aggravée dans le cadre des revendications sociales et les protestations continues pour exiger une hausse des salaires.
En outre, la crise libyenne a stimulé le marché noir, à destination de la Libye et la contre bande aux frontière tuniso-libyenne ont entrainé des pénuries des produits alimentaires de base.
3.3. Étude de la stationnarité des variables
Avant de procéder à l’estimation, il est indispensable de s’assurer de la stationnarité des séries temporelles à travers le test Kiwatkowski, Phillips, Shimdt et Shin (KPSS) et le test de Dickey-Fuler Augmenté (ADF).
Le test ADF appliqué sur les données tunisiennes rejette l’hypothèse nulle de racine unitaire pour les variables y
t, q
t avec un niveau de signification de 1% et la variable i
tau niveau de signification 10%. Cela indique qu’ils sont stationnaires. En revanche, ce test n’arrive pas à rejeter l’hypothèse nulle de racine unitaire pour la variable
tce qui implique que cette variable n’est pas stationnaire.
Le test KPSS ne rejette pas l’hypothèse nulle de stationnarité pour y
t, q
t, i
t au niveau de signification de 1%. En revanche, nous sommes en présence de rejeter l’hypothèse nulle de stationnarité que pour
tce qui implique que cette variable n’est pas stationnaire et donc elle serait intégrée d’ordre 1.
Tableau 1: Résultats de stationnarité
i
t
ty
tq
tADF -1.92 -0.2032 -5.6385*** -3.7366
KPSS 0.657 0.7241 0.0447*** 1.474
N.B: Ce tableau rapporte les résultats de tests de stationnarité d’ADF et KPSS. i
t, π
t, y
tet q
tsont respectivement le taux d’intérêt directeur, taux d’inflation, output gap et taux de change réel effectif. ***, ** et * indique la significativité respectivement au niveau 1%, 5% et 10%. Les valeurs critiques au niveau de signification 1%, 5% et 10% pour le test ADF sont respectivement -2.56, -1.95 et -1.62 et pour le test KPSS sont respectivement 0.347 , 0.463 et 0 .739.
4. Estimations : Résultats et interprétation
4.1. Résultats de la spécification linéaire
Après avoir s’assurer de la stationnarité des variables, nous pourrons procéder à
l’estimation de la règle de Taylor standard en se basant sur les données trimestrielles.
L’échantillon varie entre le troisième trimestre 2002 au deuxième trimestre 2013 . Les résultats de l'estimation de cette spécification sont présentés dans le tableau 2.
Tableau 2: Résultats des estimations du modèle linéaire Coefficient Écart-type
-0.331 0.443
b
0.0276*** 0.0231
b
y0.0093*** 0.00463
0.971*** 0.069
b
q0.0031* 0.0057
AIC -0.968
R
20.9423
ARCH(8) 11.237 [0.0469]
N.B: Ce tableau rapporte les résultats de l’estimation de la règle de Taylor présentée dans ce papier à l’occurrence, la règle de Taylor linéaire augmentée conjointement par l’inertie de la politique monétaire et le taux de change réel effectif. Les écarts-types sont rapports entre () et les p-valeurs entre [ ]. ***, ** et * indique la significativité respectivement au niveau 1%, 5% et 10%.
Ce tableau montre que toutes les variables entrent significativement dans le modèle, cela indique que le comportement des taux d’intérêt s’explique par l’évolution de l’inflation, l’écart de production, le taux d’intérêt retardé et le taux de change réel effectif. Le pouvoir explicatif du modèle s’élève à 94,23%.
Le poids accordé à l’inflation est inférieur à 1, donc la condition de stabilité de la règle de Taylor est significativement violée. La forme résiduelle de la régression de l’équation 1 est tracée à la figure 2.
Figure 2 : Structure des résidus
À première vue, la règle semble saisir le comportement des autorités. Toutefois, il est à noter qu’il y a des grandes volatilités des résidus pour plus d’une période (2008- 2009, 2011, 2013…).
Les résidus négatifs (positifs) correspondent à des périodes où la règle à estimer conduit à des taux d’intérêt supérieur (inférieur) au taux observés. En conséquence, dans de telles périodes, la politique monétaire semble être plus restrictive (plus souple) au-delà de ce qui a été suggérée par l’inflation et l’écart de production.
Ceci pourrait être expliqué par le fait qu’une règle simple de Taylor n’est pas en mesure de décrire parfaitement la conduite de la politique économique en présence de contingences inhabituelles (Alcidi, 2011).
Par exemple, la période 2003 a été marquée par une baisse substantielle des touristes
(30%). Les facteurs qui ont affecté le tourisme tunisien, l’un des secteurs les plus
dynamiques de l’économie tunisienne, sont multiples. Par exemple, l’attaque de
Ghriba, l’ancienne synagogue d’Afrique et la guerre du Golfe en 2003, ce qui a
conduit à une quasi-paralysie du secteur du tourisme.
En 2008, l’économie tunisienne n’a pas été à l’abri des retombées de la crise Subprime. Cependant, vu l’exposition financière limitée du pays, la Tunisie a émergé relativement indemne de cette crise financière mondiale.
Même si les effets de cette crise sur l’économie tunisienne ont été relativement modérés par rapport à la moyenne régionale du Moyen Orient. La Tunisie a souffert de la chute du pouvoir d’achat en Europe, son premier partenaire économique ; les flux commerciaux ont été perturbés, les transferts des revenus des travailleurs tunisiens résident à l’étranger ont baissé, un reflux des rentrées touristiques.
Des 2010, un redressement assez vigoureux avait déjà commencé.
Enfin, la longue compagne électorale de l’assemblée constituante du 23 octobre 2011 a détraqué la vie économique et a alerté la confiance des investisseurs qui ont montré leurs craintes d’une arrivée désormais possible du candidat islamiste au pouvoir.
Rapidement, la récession montra le bout de son nez. La croissance du PIB a ainsi ralenti passant d’environ 3% avant la révolution à 2.2% sur l’ensemble de l’année 2011.
La Tunisie est entrée dans une phase de transition certes parsemée d’embuches- problème ; situation sécuritaire tendue, tensions politiques, revendication populaires…
En résumé, on peut déduire que même si la règle de Taylor linéaire même augmentée arrive à décrire les grandes lignes du comportement de la banque centrale tunisienne.
Cependant, en imposant un régime unique constant tout au long de l’échantillon ne
parvient pas à tenir compte des changements structurels au niveau des préoccupations
des autorités monétaires. Ce qui risque de déboucher sur des conclusions biaisées.
Par conséquent, une règle de Taylor non linéaire peut être la règle la plus appropriée pour expliquer le comportement de la politique monétaire . Et donc l’adoption d’une spécification non linéaire au lieu de celle linéaire pourrait améliorer l’ajustement global du modèle.
4.2. Résultats de la spécification non linéaire
Terasvirta (1998) souligne qu’avant de procéder à l’estimation du modèle non linéaire, il est indispensable de tester la présence de la non linéarité. Le rejet de l’hypothèse nulle de linéarité implique qu’un modèle non linéaire pourrait être utilisé.
En outre, ce test permet la détermination de la variable de transition et le type du modèle non linéaire LSTR1 (avec une seule variable de transition) ou LSTR2 (avec deux variables de transition).
Ainsi, l’hypothèse nulle de linéarité peut être formulée comme suit :
L’hypothèse nulle de linéarité: H
0: 0
Un test LM-type avec F-distribution sera utilisé pour tester l’hypothèse nulle de linéarité.
La procédure de test est de considérer chaque variable explicative comme une variable de transition candidate et leur implémenter un test de significativité F en raison de leur propriété statistique.
En cas de rejet de l’hypothèse nulle pour plusieurs spécifications, nous avons tendance à utiliser la variable la plus forte en termes de rejet d’hypothèse nulle c.à.d.
p-valeur la plus basse (Teräsvirta, 1998).
Ce test permet non seulement de déterminer la variable de transition, mais aussi la forme appropriée de la fonction de transition : modèle logistique à transition lisse (LSTR1) avec une seule variable de transition, modèle logistique à transition lisse (LSTR2) avec deux variables de transition.
D’après les résultats de ce tableau, nous concluons qu’il existe des preuves solides contre la spécification linéaire de la règle de Taylor et que l’évolution du taux d’intérêt retardé est susceptible d’être liée au comportement non linéaire de la banque centrale tunisienne.
Tableau 3: Résultats de test de linéarité .
F F2 F3 F4 Le modèle
suggéré
1
i
t* 1.1263*10
-21.5709*10
-24.6783*10
-25.679*10
-1LSTR 1 y
t7.9027*10
-25.8718*10
-18.2488*10
-35.502*10
-1Linéaire
t1.187*10
-11.4252*10
-11.0105*10
-15.883*10
-1Linéaire
q
t4.698*10
-18.4567*10
-11.606*10
-13.903*10
-1Linéaire
N.B: Ce tableau rapporte les résultats de test de linéarité. Toutes les valeurs rapportées sont des p-valeurs.
Ainsi, la spécification non linéaire peut être définie en utilisant cette variable en tant que véritable variable de transition dans la fonction de réaction.
Cela implique alors que la réponse des taux d’intérêt à l’inflation, l’écart de production et la variable de taux de change dépendent du régime de l’inertie de la politique monétaire.
Autrement dit, la configuration des paramètres change à chaque fois que cette variable
qui reflète l’inertie de la politique monétaire passe au-dessus ou au-dessous du seuil
déterminé ultérieurement en procédant le modèle STR (Smooth Transition
Regression).
Ceci vient en cohérence avec les travaux de Ralf Bruggemain et Jana Riedel (2010) et Cinzia Alcidi et al (2011) concernant l’identification de la variable de transition.
Ils identifient le taux d’intérêt retardé comme variable de seuil. De ce fait la
transition d’un régime à un autre est régie par les préoccupations des autorités monétaires quant à la borne limite de taux d’intérêt nominal où l’instrument de la politique monétaire ne répond pas d’une manière habituelle à ses déterminants.
D’après Paul Krugman, le terme de trappe à la liquidité désigne une situation où les taux d’intérêt nominaux ont atteint un minimum et où la création monétaire n’est plus en mesure de relancer l’économie en les faisant baisser.
Cette situation de trappe à la liquidité fait référence à la grande dépression des années 1930 des États-Unis, et plus récemment, la crise Subprime 2007-2008 et la crise de la dette souveraine de l’Europe.
Dans de telles situations, les outils traditionnels des autorités monétaires n’ont pas été en mesure de relancer l’investissement et la consommation et par conséquent, la croissance économique.
La Tunisie ne peut pas être exclue d’une telle situation surtout après la révolution de janvier 2011. Les premiers jours post-révolution ont été caractérisés simultanément par une forte baisse de la demande et l’offre accompagné par de graves perturbations au niveau du système de production (sit-in, agitation sociale, grèves…).
De même, cette période a été marquée par une forte baisse des avoirs en devises étrangères suite à la chute des recettes touristiques et des exportations de phosphates.
Tous ces facteurs ont entrainé un choc majeur traduit par une baisse exceptionnelle de
la croissance du PIB réel.
Cependant, la baisse des taux d’intérêt à plusieurs reprises (50 point de base en juin et Septembre 2011) n’a pas pu sortir les agents économiques de leurs réserves. Ces agents continuent à être sourds aux appels de la consommation et l’investissement par défaut de la visibilité et la lisibilité des actions des autorités monétaires et politiques.
En présence d’une telle situation complexe où les outils de politique perdent de leur pertinence en raison de grande inquiétude sur l’avenir de la part des acteurs économiques, un grand programme de relance doit être instauré pour rassurer les agents économiques et restaurer la confiance dans l’avenir et commencer à répondre à leurs attentes qui étaient au cœur de la révolution.
Nous estimons que la variable de taux d’intérêt retardé peut être un bon indicateur des préoccupations de la banque centrale tunisienne surtout dans le contexte post- révolution.
Dans ce sens, l’équation (3) décrit le modèle à estimer avec le taux d’intérêt retardé comme une variable de seuil.
( i b b y b q ) * G ( , c , i )
) q b y
b b
i (
i
1 t t
2 q t
2 y t
2 1
t 2 2
t 1 q t
1 y t
1 1
t 1 1
t