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Réseaux familiaux et pouvoir au VIe siècle

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Academic year: 2021

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(1)

Réseaux familiaux à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, éd. B. Caseau

(Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 37), Paris 2012

AU VI

e

 SIÈCLE

Vincent Puech

Dans Un Moyen Âge grec, Évelyne Patlagean part du livre d’Angeliki Laiou sur Mariage, amour et parenté à Byzance aux

xie

-

xiiie

siècles

1

pour montrer qu’elle y définit « les parentés et l’alliance en facteurs constituants de l’aristocratie, et donc de la structure sociale et politique, de part et d’autre du point charnière que marque l’arrivée au pouvoir des Doukas et des Comnène »

2

. Dans son ouvrage, Évelyne Patlagean elle-même débute au ix

e

 siècle une enquête où elle met également en valeur le rôle central de l’institution familiale dans la définition de la puissance de l’aristocratie médiévale. À la famille, elle associe les deux facteurs fondamentaux que sont le nom lignager et l’illustration à la guerre. On sait qu’au ix

e

siècle commence la transmission héréditaire de certains surnoms, qui deviennent ainsi des noms de famille et qu’au x

e

siècle l’aristocratie militaire innove en inscrivant son lignage (génos) sur des sceaux

3

. À partir de ces travaux d’Angeliki Laiou et d’Évelyne Patlagean, nous voudrions questionner le rôle de la parenté dans la distribution des pouvoirs à Byzance au vi

e

siècle. Nous étudierons une période comprise entre les règnes de Justinien et d’Héraclius, soit un vi

e

siècle un peu décalé, courant de 527 à 641, en nous basant évidemment sur le volume III de la Prosopography of the later Roman Empire

4

. Bien sûr, il n’existe à cette époque aucun nom de famille puisque les tria nomina romains ont largement disparu et que le nom lignager byzantin n’est pas encore d’actualité. Mais les travaux de Christian Settipani

5

et de Mikaël Nichanian

6

sur les siècles dits obscurs (vii

e

-viii

e

siècles)

1. A. Laiou, Mariage, amour et parenté à Byzance aux xie-xiiie siècles (MTM 7), Paris 1992.

2. É. Patlagean, Un Moyen Âge grec. Byzance, ixe-xve siècle, Paris 2007, p. 84-85.

3. É. Patlagean, Les débuts d’une aristocratie byzantine et le témoignage de l’historiographie : système des noms et liens de parenté aux ixe-xe siècles, dans The Byzantine aristocracy : IX-XIII centuries, ed. by M. J. Angold (BAR International Series 221), Oxford 1984, p. 23-43 (repris dans Ead., Figures du pouvoir à Byzance, ixe-xiie siècle, Spoleto 2001, p. 131-157).

4. J. R. Martindale, The prosopography of the later Roman Empire. 3, A-B, AD 527-641, Cambridge 1992 (désormais cité PLRE IIIA et PLRE IIIB). Quelques renvois seront également faits au volume précédent : J. R. Martindale, The Prosopography of the later Roman Empire. 2, AD 395-527, Cambridge 1980 (désormais cité PLRE II). Le renvoi aux notices de la PLRE respecte sa façon de désigner le rang sénatorial des personnages : illustris, SPECTABILIS, CLARISSIMVS. Nous ne citerons les sources que lorsque leur mention des personnages est nécessaire à l’argumentation, nous contentant de renvoyer aux notices de la PLRE pour tout autre élément à propos des individus évoqués.

5. Ch. Settipani, Continuité des élites à Byzance durant les siècles obscurs : les princes caucasiens et l’Empire du vie au ixe siècle, Paris 2006.

6. M. Nichanian, Aristocratie et pouvoir impérial à Byzance, viie-ixe siècle, thèse de doctorat d’histoire, université de Paris IV-Sorbonne, 2004.

(2)

ont montré que l’on n’en repérait pas moins une continuité des familles aristocratiques.

Il en va de même pour le vi

e

siècle, où l’on bénéficie d’une relative abondance de sources.

Du point de vue géographique, nous laisserons de côté le cas de l’Égypte, dont la riche documentation papyrologique fait toujours un monde à part

7

. Mais un rapide survol tend à montrer que quelques familles accaparent les postes de pouvoir en Égypte même. Dans le reste de l’Empire, il s’agit de croiser les réseaux familiaux avec les titres détenus par les individus, afin de questionner les relations entre famille et pouvoir.

On peut évoquer d’abord le rôle de la parenté dans les successions impériales entre Justinien (527-565) et Héraclius

8

. On sait que Justin II (565-578) était le neveu de Justinien par sa sœur Vigilantia. En dehors de ce cas, tous les empereurs de la période 565- 641 sont des hommes nouveaux. Pour deux d’entre eux, ils furent choisis comme successeur par l’empereur régnant, ce qui entraîna l’instauration de liens familiaux. Tibère II (578- 582) a ainsi été adopté comme son fils par Justin II au moment où il fut nommé césar en 574, quatre ans avant d’être proclamé auguste. Maurice (582-602) reçut les titres de césar et d’auguste de Tibère sur son lit de mort en 582, puis épousa la fille de Tibère, Constantina

9

. Ces deux cas de succession paisible s’accompagnent donc significativement de l’établissement de relations dynastiques, au contraire des avènements violents des deux empereurs suivants, Phocas (602-610) et Héraclius (610-641). La prise du pouvoir par Héraclius en 608-610 a été bien étudiée

10

mais le rôle de la parenté dans cet événement mérite d’être rappelé. Le véritable artisan du coup d’État fut, on le sait, le père du futur empereur, déjà nommé Héraclius

11

, exarque d’Afrique installé à Carthage

12

. Il avait à ses côtés son frère Gregoras

13

, qui était sans doute maître des milices pour l’Afrique. Le fils de Gregoras, Nicetas

14

, partit s’emparer de l’Égypte et ce n’est qu’à la suite de cette prise stratégique que le futur empereur Héraclius marcha sur Constantinople. Il s’avère donc finalement que les relations de parenté jouent un rôle essentiel même dans le cas d’une succession brutale.

Durant leur règne, les empereurs ont assuré la promotion de leurs proches parents par le sang. Une loi semble s’instaurer qui confère la dignité de curopalate au frère de

7. Sur les familles aristocratiques égyptiennes de cette époque on consultera surtout J. Gascou, Les grands domaines, la cité et l’État en Égypte byzantine, TM 9, 1985, p. 1-90, surtout l’appendice I : La famille des Apions, p. 61-75 (repris dans Id., Fiscalité et société en Égypte byzantine, Paris 2008, p. 125-213, appendice I p. 183-200) et G. Ruffini, Social networks in Byzantine Egypt, Cambridge 2008, p. 41-93 (ch. I : The centralized elite of Oxyrhynchos) et p. 94-146 (ch. 2 : The growth of the Apions).

8. Voir maintenant les synthèses de A. Louth dans The Cambridge history of the Byzantine Empire c. 500- 1492, ed. by J. Shepard, Cambridge 2008, p. 99-129 (Justinian and his legacy, 500-600) et p. 221-248 (Byzantium transforming, 600-700).

9. M. Whitby, The emperor Maurice and his historian : Theophylact Simocatta on Persian and Balkan warfare, Oxford 1988, p. 7-9. Il n’y a pas lieu de revenir ici sur le rival de Maurice pour la succession de Tibère II, Germanus, lui aussi promu césar et marié à une autre fille de l’empereur, Charito.

10. W. E. Kaegi, Heraclius, emperor of Byzantium, Cambridge 2003, p. 37-57.

11. PLRE IIIA : Heraclius 3.

12. À Carthage et Alexandrie, le futur empereur Héraclius et son père firent frapper des solidi et un sceau où ils portent le titre de consul, réservé à l’empereur depuis Justinien : C. Morrisson, Du consul à l’empereur : les sceaux d’Héraclius, dans Novum millennium : studies on Byzantine history and culture dedicated to Paul Speck, ed. by C. Sode, S. Takács, Aldershot 2001, p. 257-266.

13. PLRE IIIA : Gregoras 3.

14. PLRE IIIB : Nicetas 7.

(3)

l’empereur. C’est le cas de Petrus

15

frère de Maurice, et de Theodorus

16

frère d’Héraclius, tandis que sous Phocas, c’est le neveu de l’empereur, Domnitziolus

17

, qui détient ce titre, alors que le frère de l’empereur, Comentiolus

18

, doit se contenter de la dignité de patrice, à l’égal du gendre de Phocas, Priscus

19

. Le titre de patrice, on le sait, était généralement détenu par les membres de la dynastie, auxquels certains aristocrates étaient assimilés par la faveur impériale. Au-delà de ces dignités, les parents de l’empereur reçurent d’importantes charges. Pendant le règne de Justinien, la famille du fameux cousin germain de l’empereur, Germanus

20

, fut ainsi particulièrement distinguée. Lors de son expédition militaire en Italie en 550

21

, Germanus fut accompagné par ses deux fils, éloquemment nommés Iustinus

22

et Iustinianus

23

. Les deux frères coopérèrent aussi lors d’une expédition en Illyricum en 552

24

. Tous deux accomplirent ensuite de brillantes carrières. Iustinus devint maître des milices pour l’Arménie à la fin du règne de Justinien, tandis que Iustinianus fut promu maître des milices pour l’Orient, disposant de l’autorité suprême pour mener la guerre contre les Perses dans les dernières années du règne de Justin II. Mais les frères de Germanus jouèrent également un grand rôle dans cette solidarité familiale. Iustus

25

fut maître des milices sur le front oriental en 542-544. Surtout, en compagnie de l’autre frère, Boraides

26

, il s’empara en 532 des deux neveux d’Anastase révoltés et les livra à Justinien

27

. Ce Boraides était effectivement attaché à sa famille puisqu’il légua l’essentiel de ses biens à Germanus et aux fils de ce dernier

28

. Sous Justin II, le frère de l’empereur, Marcellus

29

, était maître des milices et s’enrichit énormément au cours du règne

30

. Le cousin germain de l’empereur, Marcianus

31

, servit comme maître des milices pour l’Orient.

15. PLRE IIIB : Petrus 55.

16. PLRE IIIB : Theodorus 163.

17. PLRE IIIA : Domnitziolus 2.

18. PLRE IIIA : Comentiolus 2 19. PLRE IIIB : Priscus 6.

20. PLRE II : Germanus 4. Sur le rôle général de Germanus, voir G. Tate, Justinien : l’épopée de l’Empire d’Orient, Paris 2004, p. 351-353.

21. Procope, V. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing (Loeb classical library 217), Cambridge Mass.

– London 20006, VII 39, 17, p. 32.

22. PLRE IIIA : Iustinus 4. Peu après l’avènement de Justin II, en 566, le personnage fut cependant accusé de complot, banni à Alexandrie puis assassiné sur ordre impérial, sans doute plus particulièrement par la faction de l’impératrice Sophie.

23. PLRE IIIA : Iustinianus 3. Il semble que, sous Tibère II, l’empereur ait envisagé des alliances matrimoniales entre sa propre descendance et celle de Iustinianus, mais elles n’eurent finalement pas lieu.

24. Procope, V. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing, VIII 25, 1-13, p. 316-320.

25. PLRE IIIA : Iustus 2.

26. PLRE IIIA : Boraides.

27. Procope, I. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing (Loeb classical library 48), Cambridge Mass.

– London 20018, I 24, 53, p. 236.

28. En revanche, il laissa à sa fille le minimum légal, mais Justinien intervint en faveur de cette dernière : Procope, IV. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing (Loeb classical library 173), Cambridge Mass. – London 20006, VII 31, 17-18, p. 418-420.

29. PLRE IIIB : Marcellus 5.

30. Jean d’Éphèse, Histoire ecclésiastique, éd. et trad. E. W. Brooks (CSCO 106, Scriptores Syri 55), Louvain 1936, III 5, 18, p. 203. Ses biens furent ensuite donnés par l’empereur Maurice à son propre père et à son propre frère.

31. PLRE IIIB : Marcianus 7. Le personnage fut cependant démis par l’empereur en 572-573 pour faiblesse à la guerre.

(4)

Sous Maurice, le frère de l’empereur, Petrus

32

, fut obstinément maintenu maître des milices pour la Thrace, alors même qu’il subissait des revers face aux Slaves

33

. Phocas donna le commandement des armées d’Orient à son frère Comentiolus

34

. Son autre frère Domnitziolus

35

était maître des offices et fut envoyé en 610 garder les Longs Murs face à l’avancée d’Héraclius, en une opération de la dernière chance

36

. Le neveu de l’empereur, lui aussi nommé Domnitziolus

37

, fut nommé en 604 maître des milices pour l’Orient afin de mener la guerre contre les Perses. Héraclius confia les troupes destinées à combattre les Perses et les Arabes à son frère Theodorus

38

. Il fit de son cousin germain Nicetas

39

son comte des excubiteurs, c’est-à-dire son chef de la garde impériale, avant de lui confier une armée contre les Perses.

Ces promotions s’étendirent également aux parents par alliance. Pendant le règne de Justinien, le premier mari de sa nièce Praeiecta

40

, le patrice Areobindus

41

, occupa la charge de maître des milices pour l’Afrique en 545. Sous Justin II, le gendre de l’empereur, Baduarius

42

, fut nommé à la cura palatii lors de l’avènement de son beau-père en 565, succédant ainsi à ce dernier dans cette charge ; il devint ensuite maître des milices et se battit contre les Lombards puis accéda à la charge de comes stabuli. Sous Maurice, le beau- frère de l’empereur, Philippicus

43

, fut d’abord comte des excubiteurs puis devint maître des milices pour l’Orient et ensuite pour la Thrace

44

. Enfin, Phocas prit pour gendre l’un de ses fidèles, Priscus

45

, ce qui témoigne d’une inversion des facteurs précédents : c’est la proximité politique avec l’empereur qui fut dans ce cas créatrice d’un lien familial. En fait, ce Priscus aurait d’abord protégé la carrière militaire du futur empereur Phocas lui-

32. PLRE IIIB : Petrus 55.

33. Théophylacte Simocatta, Historiae, éd. C. de Boor et P. Wirth, Stuttgart 19722, VII 1-5, p. 245-254 et voir aussi Whitby, The emperor Maurice (cité n. 9), p. 5, 15, 17, 95, 97, 129, 168-169, 181. Il semble que la guerre ait été menée plus efficacement par Priscus, qui détenait initialement la charge de maître des milices pour la Thrace puis remplaça un temps le frère de l’empereur, mais il est significatif que ce dernier récupéra quand même à nouveau le poste à la fin du règne. De la part de l’empereur, ces palinodies témoignent bien de l’obsession à promouvoir un parent par le sang, quand bien même ses compétences étaient discutables.

34. PLRE IIIA : Comentiolus 2.

35. PLRE IIIA : Domnitziolus 1.

36. Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, Leipzig 1883, A. M. 6102, p. 298-299. À l’arrivée d’Héraclius à Abydos, il se replia à Constantinople.

37. PLRE IIIA : Domnitziolus 2. Il possédait un palais dans le district des Arcadianae à Constantinople.

Il aida aussi Phocas à réprimer deux révoltes, celle du beau-père de l’empereur, Sergius, en 604 (Vie de Théodore de Sykéôn, éd. A. J. Festugière [Subsidia hagiographica 48], Bruxelles 1970, I 120, p. 96) et celle de Narses en 605 (Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, A. M. 6097, p. 292-293).

38. PLRE IIIB : Theodorus 163. Le personnage fut cependant disgracié après avoir été vaincu par les Arabes en 634, mais peut-être surtout pour avoir condamné le mariage d’Héraclius avec Martine.

39. PLRE IIIB : Nicetas 7. Le personnage détenait un palais près du Kosmidion à Constantinople.

40. PLRE IIIB : Praeiecta 1.

41. PLRE IIIA : Areobindus 2.

42. PLRE IIIA : Baduarius 2.

43. PLRE IIIB : Philippicus 3. Théophylacte Simocatta, Historiae, éd. C. de Boor et P. Wirth, I 13, p. 64 (confirmé en particulier par Théophane) fait bien de Philippicus le beau-frère de l’empereur Maurice et non son gendre, comme le veut, entre autres, Sebeos, Histoire d’Héraclius, trad. F. Macler, Paris 1904, II, p. 15, suivi par erreur par Kaegi, Heraclius (cité n. 10), p. 54.

44. Le personnage eut pourtant des déboires militaires dans ces deux postes et fut chaque fois remplacé par Comentiolus. En outre, il a été suspecté de déloyauté par Maurice en 602 (Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, A. M. 6094, p. 290). La sœur de l’empereur et son mari Philippicus reçurent par ailleurs de Maurice un vaste palais, la domus Hilarae, dans le district de Zeugma à Constantinople.

45. PLRE IIIB : Priscus 6.

(5)

même

46

puis il devint le comte des excubiteurs du nouvel empereur et reçut enfin la main de sa fille à la fin du règne, en 607. L’empereur cherchait ainsi sans doute à s’assurer de sa fidélité car on sait qu’en 608, il prit contact avec le père du futur empereur Héraclius dans le but de détrôner Phocas

47

. Il ressort de l’examen des charges détenues par la parentèle impériale deux tendances nettes : elle fut fréquemment investie du commandement de la garde impériale, mais se vit aussi confier les opérations militaires contre les ennemis extérieurs les plus menaçants.

Le cas de l’impératrice Théodora montre la manière dont une parvenue a su implanter sa famille au sein de l’aristocratie de cour

48

. Le mariage le plus célèbre est celui de sa sœur Comito avec le maître des milices Sittas

49

. Mais cette union est loin d’épuiser la stratégie matrimoniale de Théodora. Sa nièce Sophia fut mariée au futur empereur Justin II, ce qui, somme toute, garantissait que le titre d’augusta serait encore détenu par sa famille pendant le règne du successeur de Justinien. Le fils d’une fille de Théodora, Anastasius

50

, fut uni à Ioannina, la fille du général Bélisaire : là encore, la famille de cette dernière fut introduite dans la maison du plus prestigieux protagoniste du règne de Justinien. Enfin, on sait qu’un autre fils de la même fille de Théodora, Ioannes

51

, fut consul honoraire sous le règne de Justin II, ce qui montre que la famille resta effectivement bien implantée à la cour du neveu et successeur de Justinien.

Ces deux derniers personnages, Anastasius et Ioannes, sont intéressants car ils donnent un autre indice sur le réseau familial où prenait place Théodora : on sait qu’ils appartenaient à la famille de l’empereur Anastase

52

, ce qui signifie donc que la fille de Théodora fut unie à un parent du prédécesseur de Justin I

er

. Christian Settipani a suggéré de faire de cet époux de la fille de Théodora un petit-neveu d’Anastase, pour une raison de vraisemblance chronologique, car la génération de l’impératrice se place entre celle d’Anastase et celle de sa fille. Il est probable que ce personnage doive être identifié à Anastasius (consul en 517), fils du neveu d’Anastase, Probus (consul en 502)

53

. Un tel mariage n’est pas indifférent quand on songe aux prétentions impériales manifestées par un autre neveu d’Anastase, Hypatius, lors de la sédition Nika de 532 : cette union constituait un moyen de neutraliser la légitimité issue d’Anastase en l’intégrant dans la parentèle de Justinien. Une telle stratégie fut bien mise en place grâce à plusieurs alliances. Une nièce de Justinien et sœur du futur

46. Paul Diacre, Histoire des Lombards, trad. F. Bougard, Turnhout 1994, IV 26, p. 86 : il paraît tirer son information d’un auteur bien documenté, Secundus de Tridentum.

47. Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, A. M. 6100, p. 295-296.

48. Sur la stratégie familiale de Théodora, voir en général P. Cesaretti, Théodora, impératrice de Byzance, trad. P. Laroche, Paris 2003, p. 345-361.

49. PLRE IIIB : Sittas 1.

50. PLRE IIIA : Anastasius 8.

51. PLRE IIIA : Ioannes 90.

52. Jean d’Éphèse, Histoire ecclésiastique, éd. et trad. E. W. Brooks, III 2, 11, p. 52. Il est certainement significatif que la relation de parenté avec Anastase de plusieurs personnages de la cour de Justinien soit connue grâce à l’historien monophysite Jean d’Éphèse : il faut rappeler que l’empereur Anastase, de conviction personnelle monophysite, avait promu ce courant théologique à la fin de son règne. L’exposé d’un lien de parenté avec Anastase était gênant pour une source strictement vouée à la gloire de Justinien, mais l’était beaucoup moins pour un auteur soucieux de mettre en valeur le monophysisme.

53. Voir la démonstration de Ch. Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines à l’époque impériale, Oxford 2000, p. 422-423 (avec une proposition de tableau généalogique de la famille d’Anastase).

(6)

Justin II, Praeiecta

54

, fut ainsi justement mariée à un autre Ioannes

55

, petit-fils d’Hypatius, le fameux neveu d’Anastase. En outre, un neveu de Justinien, Marcellus

56

(frère du futur Justin II), fut lui aussi uni à une parente d’Anastase, en l’occurrence à Iuliana, fille de Magnus (consul en 518). Ainsi, tant un neveu et une nièce de Justinien qu’une fille de Théodora furent mariés dans la famille d’Anastase, qui se trouvait dès lors incorporée dans la nouvelle dynastie, ce qui brisait de la sorte les velléités frondeuses de ses représentants.

L’importance du réseau familial dans le soutien apporté au pouvoir impérial se mesure aussi à l’aune de l’élimination des parents d’un empereur détrôné par son successeur. Les fils de l’empereur Maurice furent exécutés en même temps que leur père à Chalcédoine en 602, à l’avènement de Phocas. Sous le règne de Phocas, un certain Patricius

57

fut exécuté en 605 ou 607 pour complot contre l’empereur. Or ce personnage était le cousin ou le neveu de Domentziolus

58

, qui était, selon Théophylacte Simocatta, l’un des principaux sénateurs et proches de l’empereur Maurice

59

. Lors de la prise de pouvoir par Héraclius, ce sont les parents de Phocas qui furent évidemment les victimes du nouveau régime.

Le frère de l’empereur, Domnitziolus

60

, chargé de la défense de Constantinople, fut exécuté sur l’ordre d’Héraclius. Son autre frère Comentiolus

61

fut assassiné également en 610, mais dans des circonstances plus obscures, sur le front oriental et par une troupe d’Arméniens

62

; il est cependant peu douteux que ces soldats ont alors ainsi trouvé un moyen de manifester leur allégeance au nouvel empereur. Enfin, un neveu de Phocas, lui aussi nommé Domnitziolus

63

, fut en 610 condamné à mort par Héraclius et il ne dut sa grâce qu’à l’intervention du saint homme Théodore de Sykéôn

64

, qu’il avait comblé de dons lors de ses expéditions militaires en Asie Mineure.

Le règne de Justinien, dont les opérations militaires sont bien documentées par Procope

65

, témoigne de l’importance des réseaux familiaux dans la conduite de la guerre.

L’exemple le plus illustre est sans doute constitué par les neveux de Solomon

66

qui fut maître des milices et préfet du prétoire d’Afrique. Cette famille était issue de la région de Dara et l’on sait que son plus célèbre représentant, Solomon, était eunuque depuis un accident survenu quand il était jeune enfant : il ne disposait donc pas de descendance directe, mais reçut la collaboration étroite de ses neveux dans ses importantes fonctions en Afrique. Ainsi, en 543 les deux frères Cyrus

67

et Sergius

68

sont nommés respectivement gouverneurs de Pentapole et de Tripolitaine. En 544, les deux hommes et leur autre frère, nommé lui aussi Solomon, assistent leur oncle Solomon dans la guerre contre les

54. PLRE IIIB : Praeiecta 1. Elle avait d’abord épousé, comme on l’a vu, le patrice Areobindus.

55. PLRE IIIA : Ioannes 63.

56. PLRE IIIB : Marcellus 5.

57. PLRE IIIB : Patricius 9.

58. PLRE IIIA : Domentziolus 1.

59. Théophylacte Simocatta, Historiae, éd. C. de Boor et P. Wirth, III 8, p. 126.

60. PLRE IIIA : Domnitziolus 1.

61. PLRE IIIA : Comentiolus 2.

62. Vie de Théodore de Sykéôn, éd. A. J. Festugière, I 152, p. 123.

63. PLRE IIIA : Domnitziolus 2.

64. Vie de Théodore de Sykéôn, éd. A. J. Festugière, I 152, p. 122.

65. Av. Cameron, Procopius and the sixth century, London – New York 19962, p. 134-151.

66. PLRE IIIB : Solomon 1. Voir Tate, Justinien (cité n. 20), p. 363.

67. PLRE IIIA : CYRUS 3.

68. PLRE IIIB : Sergius 4.

(7)

Maures

69

. L’oncle meurt à la bataille de Cillium cette même année 544 et c’est Sergius qui lui succède dans les deux charges de maître des milices et de préfet du prétoire d’Afrique.

Alors qu’il était manifestement incapable d’assumer ses fonctions, Justinien refusa d’abord de le démettre par respect pour son oncle Solomon

70

. Procope explique qu’il était aussi protégé par Théodora car il prétendait à la main d’une petite-fille d’Antonina, épouse de Bélisaire et amie de l’impératrice

71

 : on retrouve l’importance de la parenté, réelle ou escomptée, dans l’occupation des postes de pouvoir. Il faut aussi rappeler que les débuts de la carrière de son oncle Solomon avaient été protégés par Bélisaire

72

. Mais il finit par être démis par l’empereur de ses fonctions africaines en 545, bien qu’on le retrouve à la fin du règne à la tête de troupes en Italie et en Thrace.

Il en va aussi de trois frères originaires de Thrace, Buzes

73

, Cutzes

74

et Benilus

75

. En 528, Buzes et Cuzes sont tous deux ducs de Phénicie Libanaise, le premier commandant des troupes stationnées à Palmyre et le second à Damas. Ils sont ensuite envoyés renforcer l’armée de Bélisaire sur la frontière perse. Ils furent célébrés pour leur valeur militaire par Procope

76

. En 531, alors que Buzes est malade, il place son armée sous le commandement de Domnentiolus

77

, qui était le fils de sa sœur. La famille intervient ensuite en Lazique : Benilus y commande une armée en 550-551 et son frère Buzes fait de même, en tant que maître des milices en 554-556.

Parmi ces familles militaires, on peut également évoquer celle de Jean Troglita

78

, qui fut maître des milices pour l’Afrique pendant une longue période, entre 546 et 551/552.

Son frère Pappus

79

commandait déjà un corps de cavalerie en Afrique lors de la conquête de 533. Surtout, son fils Petrus

80

l’accompagna lors de l’expédition de 546. Selon Corippe, lorsque Petrus se trouvait à Carthage en 547/548, il collabora étroitement aux opérations militaires menées par son père

81

. Il est ainsi remarquable que les talents militaires de la famille de Jean Troglita s’exercèrent systématiquement en Afrique.

69. Procope, La guerre contre les Vandales, trad. D. Roques, Paris 1990, II 21, 19, p. 193.

70. Procope, La guerre contre les Vandales, trad. D. Roques, II 22, 11, p. 196.

71. Procope, Histoire secrète, trad. P. Maraval, Paris 1990, V 32-33, p. 48 : « Serge était en effet un homme mou et impropre à la guerre, manquant totalement de maturité et par le caractère et par l’âge, possédé à l’excès par la jalousie et la jactance envers tous les hommes, de mœurs efféminées et bouffi de vanité. Mais comme il était devenu le fiancé de la fille d’Antonina, femme de Bélisaire, l’impératrice ne voulait absolument pas lui infliger de punition ou le décharger de son commandement […] ». Il faut noter que ce portrait de Sergius est déjà présent, presque mot pour mot, dans La guerre contre les Vandales (trad. D. Roques, II 22, 1-2, p. 194- 195), ce qui montre qu’il n’est pas tributaire de l’invective caractéristique de l’Histoire secrète.

72. Il était en 533 le domesticus de Bélisaire.

73. PLRE IIIA : Buzes.

74. PLRE IIIA : CVTZES.

75. PLRE IIIA : Benilus.

76. Procope, I. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing, I 13, 5, p. 102. Tate, Justinien (cité n. 20), p. 363, a mis en valeur le parallélisme de la carrière des deux frères.

77. PLRE  IIIA : Domnentiolus. The Chronicle of Zachariah of Mitylene, trad. F. J. Hamilton et E. W. Brooks, London 1899, IX 4, p. 226.

78. PLRE IIIA : Ioannes qui est Troglita 36.

79. PLRE IIIB : Pappus.

80. PLRE IIIB : Petrus 8.

81. Corippe, La Johannide ou Sur les guerres de Libye, trad. J.-C. Didderen, Paris 2007, VII, v. 209-211, p. 107 : « Et l’exceptionnel Pierre, n’étant pas sans tout administrer, comme s’il était un vieillard, ordonne que des serviteurs rapides portent le message à son illustre père et en ramène un en retour. Comme, vénérable enfant, ta piété pousse ton esprit à protéger la Libye avec ton père. »

(8)

Un certain nombre de familles arméniennes passèrent, on le sait, chez les Byzantins et furent fréquemment employées par Justinien dans des fonctions militaires où elles firent preuve d’une solidarité liée à la parenté. Bien sûr, il faut tenir compte de cette origine ethnique qui prédisposait sans doute les Arméniens à se regrouper selon une logique familiale, mais il reste significatif que de telles solidarités soient restées aussi fortes alors même que ces individus se trouvaient directement au service de l’empereur. Ainsi, les trois frères Aratius

82

, Narses

83

(un homonyme du célèbre eunuque) et Isaaces

84

, nés en Arménie perse et commandants dans l’armée perse, désertèrent ensemble, en compagnie de leur mère, chez les Byzantins en 530. Le cas du plus jeune, Isaaces, est très révélateur d’une solidarité familiale car, lorsqu’il apprit la désertion de ses deux aînés, il négocia secrètement la reddition de la forteresse (proche de Théodosiopolis) qu’il commandait pour le compte des Perses et se rendit à Constantinople

85

. En 538-540, les deux aînés Aratius et Narses font partie de l’armée de Bélisaire en Italie, où ils commandent par épisode une troupe arménienne. En 543, Narses devient maître des milices ou comte militaire en Orient et commande encore à des soldats arméniens, tandis que son jeune frère Isaaces est duc dans la province d’Arménie IV

e

. C’est alors qu’il porte secours à son frère aîné Narses, blessé à la bataille d’Anglon

86

.

Un autre cas de famille militaire arménienne est constitué par la parenté du noble arsacide Ioannes

87

qui mourut en 539 dans une révolte contre l’autorité byzantine. Mais en 542, comme dans l’exemple précédent, sa descendance trahit les Perses pour les Byzantins et fit preuve ensuite d’une remarquable solidarité familiale. Le passage des Perses aux Byzantins concerna non seulement les deux fils de Ioannes, Artabanes

88

et un autre Ioannes

89

nommé comme son père, mais aussi son gendre Bassaces

90

. Les deux fils accomplirent ensuite une belle carrière dans l’armée de Justinien. En 545-546, ils commandent ensemble des corps arméniens envoyés en Afrique et ils sont alors accompagnés par leur cousin Gregorius

91

, preuve que la cohésion lignagère s’étendait assez loin dans les degrés de parenté. Artabanes fut nommé en 546 au poste prestigieux de maître des milices pour l’Afrique et c’est alors qu’il envisagea d’épouser la nièce de Justinien Praeiecta. Procope affirme que ce projet de mariage favorisait ses ambitions. Il fut cependant contrecarré par Théodora, qui affirma ainsi sauvegarder les droits de la première femme d’Artabanes, une parente qu’il avait épousée dans l’enfance

92

. Un tel projet est néanmoins significatif du rôle des alliances

82. PLRE IIIA : Aratius.

83. PLRE IIIB : Narses 2.

84. PLRE IIIA : ISAACES 1.

85. Procope, I. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing, I 15, 31-33, p. 138-140.

86. Procope, I. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing, II 25, 24, p. 484.

87. PLRE IIIA : Ioannes 28.

88. PLRE IIIA : Artabanes 2.

89. PLRE IIIA : Ioannes 34.

90. PLRE IIIA : Bassaces.

91. PLRE IIIA : GREGORIVS 2. Procope, La guerre contre les Vandales, trad. D. Roques, II 27, 10-19, p. 210-211. Selon Procope, Gregorius tint alors à son cousin Artabanes le discours suivant, très révélateur d’une exaltation des valeurs familiales : « Songe donc que ta lignée fait de toi, depuis toujours un Arsacide, et n’oublie pas que les âmes bien nées doivent toujours et partout manifester de la bravoure […] nous te servirons de toutes nos forces et nous obéirons toujours à tes ordres. »

92. Procope, IV. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing, VII 31, 2-16, p. 414-418. À la mort de Théodora en 548, Artabanes répudia sa première épouse, mais la nièce de Justinien Praeiecta avait fait entre-temps, comme on l’a vu, une alliance plus prestigieuse avec Ioannes, fils d’Hypatius, neveu de l’ancien empereur Anastase.

(9)

familiales dans les mécanismes d’ascension politique : en somme, ce personnage souhaitait évoluer d’un mariage entre lignages arméniens vers une entrée dans la dynastie impériale.

À côté des Arméniens, qui sont les mieux documentés, quelques autres peuples fournirent des familles de militaires. On peut évoquer le lignage géorgien de Peranius

93

, qui était un parent du roi des Ibères Gurgenes. Peranius fut certainement maître des milices ou du moins commandant militaire pendant une longue période : en 535-539, il faisait partie de l’expédition italienne de Bélisaire et en 543-544 il fut l’un des généraux sur le front oriental. Or son fils Pacurius

94

et son neveu Phazas

95

commandèrent aussi des armées en Italie, qui semble donc avoir été le terrain militaire favori de la famille. Parmi les troupes ethniques intervenues également en Italie, citons aussi les soldats isauriens d’Ennes

96

en 533-539. Or il semble bien que le frère d’Ennes, Tarmutus

97

, né en Isaurie, était un officier de la garde de Bélisaire en Italie en 537

98

.

En dehors du commandement militaire, le rôle des réseaux familiaux s’observe aussi, bien que dans une moindre mesure, dans la conduite des activités administratives et diplomatiques. Certaines familles semblent ainsi se spécialiser dans ces domaines. C’est le cas de celle du fameux Pierre le Patrice

99

, qui fut, comme on le sait, le principal maître des offices de Justinien, entre 539 et 565. Or son fils Theodorus

100

fut nommé tôt lors du règne de Justin II dans la charge détenue par son père, bien qu’un certain Anastase l’ait brièvement occupée entre eux. Theodorus devint ensuite comte des largesses sacrées en 576. Cette année-là, il fut envoyé en ambassade en Perse en compagnie de son parent Petrus

101

, qui était alors consul honoraire et curator Augustae. Le réseau familial de Pierre le Patrice, mal connu, était ainsi à la fois bien implanté dans l’administration impériale et tout à fait prestigieux, car on sait que ce Petrus était membre de la famille de l’empereur Anastase

102

. Il est d’ailleurs éloquent que l’ambassade en Perse de 576 comprenait aussi le petit-fils de Théodora, Ioannes

103

; or nous avons vu qu’il était également un parent d’Anastase, ce qui est connu par la même source, l’Histoire ecclésiastique de Jean d’Éphèse.

On peut aussi noter le rôle des parents d’Athanasius

104

, qui fut successivement préfet du prétoire d’Italie (en 539-542) et d’Afrique (en 545-549). En 536, il débuta comme ambassadeur de Justinien chez les Ostrogoths d’Italie, où il fut retenu en otage par le roi Théodat jusqu’en 539. Son frère, le comte Alexander

105

, fut en 530 et 531 envoyé comme ambassadeur chez les Perses, puis chez les Ostrogoths en 534, deux ans avant Athanasius.

Enfin, le gendre de ce dernier, Leontius

106

, fut adressé en 551/552 par Justinien aux Francs pour rechercher une alliance contre le roi ostrogoth Totila.

93. PLRE IIIB : Peranius.

94. PLRE IIIB : Pacurius.

95. PLRE IIIB : Phazas.

96. PLRE IIIA : Ennes.

97. PLRE IIIB : Tarmutus.

98. Procope, III. History, éd. J. Haury et trad. H. Dewing (Loeb classical library 107), Cambridge Mass.

– London 20006, V 28, 23-29, p. 268-270.

99. PLRE IIIB : Petrus 6.

100. PLRE IIIB : Theodorus 34.

101. PLRE IIIB : Petrus 17.

102. Jean d’Éphèse, Histoire ecclésiastique, éd. et trad. E. W. Brooks, III 6, 12, p. 232.

103. PLRE IIIA : Ioannes 90.

104. PLRE IIIA : Athanasius 1.

105. PLRE IIIA : Alexander 1.

106. PLRE IIIB : Leontius 5.

(10)

Il faut enfin souligner l’absence dans la documentation du vi

e

siècle des alliances familiales aristocratiques bravant les interdits de parenté. À l’époque considérée, les prohibitions matrimoniales reposent uniquement sur le droit civil, qui se montre peu restrictif. Comme l’a rappelé récemment Constantin Pitsakis, les interdictions concernent les mariages entre ascendants et descendants, ainsi qu’entre un individu et l’enfant ou le petit-enfant ou l’arrière-petit-enfant de son frère ou de sa sœur. En revanche, le mariage entre cousins germains est permis

107

. Le chapitre premier de la Novelle 12 de Justinien (datant de 535) n’affirme que de manière générale que les mariages incestueux sont nuls

108

. Or, les interdits de parenté se trouvent au cœur des ouvrages d’Évelyne Patlagean et d’Angeliki Laiou sur la Byzance médiévale. Citons encore ce que dit la première de la seconde : « elle a montré les parentèles aristocratiques jouant des interdits, contractant des mariages sur leur limite, celle de l’affinité surtout, ou même parfois en deçà, les invoquant opportunément pour annuler les engagements qui ne convenaient plus, ou les passant sous silence au contraire en faveur d’unions souhaitées.

109

 » Pour le vi

e

siècle, on ne connaît guère que le cas, sous Justinien, du fils du maître des offices Hermogène

110

, Saturninus

111

. Il devait en effet être uni à la fille de Cyrillus

112

, qui était le neveu d’Hermogène, soit par le sang soit par alliance : il s’agissait donc d’un mariage avec une petite-cousine germaine.

Cette union fut empêchée par Théodora, aux dires de Procope dans l’Histoire secrète

113

. Le veto de l’impératrice ne fut certainement pas dû à un problème de consanguinité car cette union était légalement possible

114

. L’attitude de Théodora reposa sur des motifs plus triviaux, car elle contraignit le fils du prestigieux ministre à épouser la fille de Chrysomallo, une ancienne danseuse : on reconnaît dans ce mariage son propre parcours et celui de sa sœur Comito

115

. On ne voit donc pas que les élites du vi

e

siècle se soient affranchies des règles de consanguinité ou les aient au contraire invoquées pour empêcher une union.

107. C. G. Pitsakis, Législation et stratégies matrimoniales : parenté et empêchements de mariage dans le droit byzantin, L’Homme 154-155, avril-septembre 2000, p. 677-695, ici p. 679. Nous devons cette référence à Patlagean, Un Moyen Âge grec (cité n. 2), p. 86 n. 10.

108. Corpus iuris civilis. 3, Novellae, éd. R. Schoell et G. Kroll, Berlin 19546, p. 95-96.

109. Patlagean, Un Moyen Âge grec (cité n. 2), p. 126.

110. PLRE IIIA : Hermogenes 1.

111. PLRE IIIB : SATVRNINVS 1.

112. PLRE IIIA : Cyrillus 2.

113. Procope, Histoire secrète, trad. P. Maraval, XVII 32-34, p. 95 : « Ce Saturnin avait pour fiancée une cousine, belle et bien née, que son père Cyrille lui avait promise alors qu’Hermogène était déjà mort. La chambre nuptiale était déjà prête pour eux quand Théodora fit saisir le fiancé ; il fut amené dans une autre chambre nuptiale et y épousa, non sans larmes et gémissements, la fille de Chrysomallo. Cette Chrysomallo avait été autrefois danseuse, puis courtisane […] ».

114. Les unions entre cousins germains furent interdites par le concile in Trullo (692) et les mariages entre cousins issus de germains par l’Ecloga (741) : Pitsakis, Législation et stratégies matrimoniales (cité n. 107), p. 681-682.

115. On a également déjà vu que Théodora avait fait casser le mariage prévu entre Artabanes et la nièce de Justinien Praeiecta, en dehors même de toute préoccupation de consanguinité. L’autoritarisme généralisé de l’impératrice à ce sujet est accrédité par la mention de cette dernière affaire non dans l’Histoire secrète (toujours suspecte) mais dans La guerre contre les Goths.

(11)

En dehors de cette question des interdits de parenté, le tableau qui se dégage en conclusion s’avère fort proche de celui de l’aristocratie de l’époque macédonienne (ix

e

- xi

e

siècles), bien connu grâce aux travaux de Jean-Claude Cheynet

116

. Le pouvoir impérial se base sur l’instauration de solides relations dynastiques, qu’il s’agisse de successions paisibles ou violentes. La parentèle impériale est installée dans les principaux postes de pouvoir, en accaparant les charges mais aussi des dignités telles que celles de patrice ou de curopalate. Certaines familles aristocratiques se spécialisent dans des fonctions administratives, diplomatiques et surtout militaires. La relation qui existe au vi

e

siècle entre les réseaux familiaux et la conduite de la guerre apparaît comme particulièrement frappante. On a vu qu’il existait de véritables familles de militaires de toutes origines, pas seulement issues des peuples frontaliers de l’Empire mais aussi des provinces qui en constituent le cœur. Il apparaît aussi que les empereurs confient les commandements les plus stratégiques à leur parenté. Cette solidarité familiale militaire ne s’entend pas seulement comme l’occupation de commandements, mais elle implique fréquemment une véritable fraternité d’armes, une coopération dans les combats eux-mêmes. Cependant, les nominations aux fonctions militaires comme civiles sont bien le fait de l’empereur, qui reconnaît ainsi l’institution familiale, plus qu’elle ne s’impose à lui, sauf dans le cas où il est renversé. On arrive donc à l’idée d’une continuité structurelle des relations entre l’aristocratie byzantine et le pouvoir impérial entre l’Antiquité tardive et le xi

e

siècle. On sait que l’avènement des Comnènes accentua indubitablement le rôle de la famille dans la distribution du pouvoir en modelant strictement la hiérarchie aulique sur la parentèle impériale

117

.

116. J.-Cl. Cheynet, Pouvoir et contestations à Byzance (963-1210) (Byzantina Sorbonensia 9), Paris 1990, surtout p. 261-286. Id., L’aristocratie byzantine (viiie-xiiie siècle), Journal des savants, juillet-décembre 2000, p. 281-322 (repris dans Le monde byzantin, du milieu du viiie siècle à 1204 : économie et société, O. Delouis [éd.], Paris 2006, p. 78-108 et, en traduction anglaise, dans J.-Cl. Cheynet, The Byzantine aristocracy and its military function, Aldershot 2006, p. 1-43) ; Id., Recruter les officiers à Byzance, dans Les serviteurs de l’État au Moyen Âge. XXIXe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Paris 1999, p. 21-31.

117. Patlagean, Un Moyen Âge grec (cité n. 2), p. 142-145.

(12)

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