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Pour citer cet article :

Jocelyne Peigney,

" Mouvements du ciel et tournoiement des sorts chez Euripide : le tourbillon d’Hélène, les emboîtements des Phéniciennes ",Loxias, Loxias 45.,

mis en ligne le 15 juin 2014.

URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7790 Voir l'article en ligne

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Mouvements du ciel et tournoiement des sorts chez Euripide : le tourbillon d’Hélène, les emboîtements des Phéniciennes

Jocelyne Peigney

Jocelyne Peigney, professeur de langue et littérature grecques à l’université François-Rabelais de Tours, est membre du CeTHiS (EA 6298). La représentation du monde et des mouvements du monde en Grèce archaïque et classique est l’un de ses axes de recherche. Elle est l’auteur notamment d’une contribution parue en 2013 dans Kalos kai agathos aner. Paradeigma didaskalou, Mélanges offerts à J. A. Lopez Ferez sur « Aiola nux : la nuit changeante et les leçons du chœur dans la parodos des Trachiniennes de Sophocle ».

Euripide est un poète de l’ancien et du neuf. On le voit dans Hélène où la lecture d’une image météorologique de l’instabilité des sorts (711-715) mettrait en relation l’expression renouvelée d’une idée ancienne, le déroulement dramatique, la vision de l’ondoyance du monde et les représentations de la Nouvelle musique. Ce jeu de correspondances se retrouve autrement dans les Phéniciennes où les évocations du ciel et des phénomènes célestes ouvrent et ferment les emboîtements de la pièce.

Euripide, tragédie, météorologie, astres, ciel, éther, tourbillon, typhon, variabilité des sorts, images

Euripides is fond of combining old and new. In Helen, by recognizing meteorological imagery in a difficult passage (711-715), we can see a poetic correlation between the images of the mutability of fortune, the plot, the conception of an ever whirling and undulating world and the New music. Such relations are present in the internal openings and endings of Phoenissae which evocations of sky and celestial phenomenons make clear.

Euripides, tragedy, meteorology, stars, sky, aither, winds, mutability of fortune, imagery

Ve siècle av. J.-C.

Grèce antique, espace aérien

Dans une étude intitulée « The mutability of fortune in Euripides », M. Lloyd1 a récemment réuni, en soulignant un paradoxe plus apparent que réel, les exemples qui montrent chez le tragique une vision pessimiste de la vie des mortels, la variabilité du sort des hommes2, leur caractère éphémère, la fragilité de leur action, la toute- puissance divine. Ce sont souvent des passages discutés, considérés comme des interpolations, parfois parce qu’ils s’opposent à la conception rationnelle et optimiste du monde que l’auteur, témoin de la réflexion de son temps, aime aussi à

1 Michael Lloyd, « The mutability of fortune in Euripides », in Douglas Cairns (dir.), Tragedy and Archaic Greek Thought, Swansea, The Classical Press of Wales, 2013, pp. 205-226.

2 Les textes où le thème apparaît dans la littérature archaïque et classique ont été réunis par Jutta Krause, ΑΛΛΟΤΕ ΑΛΛΟΣ. Untersuchungen zum Motiv des Schicksalswechsels in der griechischen Dichtung bis Euripides, Munich, Tuduv Studie, 1976.

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mettre sur la scène. Ainsi en est-il dans les Suppliantes de la réponse de Thésée au héraut thébain, qui vient après la tirade où est célébrée la providence divine (vv. 195-218), et juste après l’évocation du retour de l’esprit dans l’éther (πνε μαῦ […] πρ ςὸ α θέραἰ , v. 533) ; six vers (vv. 549-555) sont parfois déplacés ou supprimés3 :

Pauvres fous, sachez quels sont les maux des hommes : notre vie est lutte ; le bonheur, parmi les mortels, aux uns arrive dans l’instant ; pour les autres il viendra une autre fois, pour les derniers il est déjà venu (ε τυχο σι δὲ / οἳ μ ν τάχ’, οἳ δ’ σα θις , οἳ δ’ δη βροτ ν , vv. 550- 551) ; et la divinité est gâtée ; le malheureux pour connaître le bonheur la considère et l’honore, et celui qui jouit de la prospérité l’élève au plus haut dans la crainte que son souffle l’abandonne.

M. Lloyd met l’accent sur le caractère ancien du motif et sur les termes traditionnels dont peut user le tragique4 pour décrire l’alternance et les renversements qui régissent l’existence humaine. Mais, on peut s’attacher aussi à la manière dont Euripide renouvelle l’expression de la variabilité des sorts, en mêlant l’ancien et le nouveau, précisément à travers les images de l’éther, des airs5, des vents et de leur tournoiement ou à travers les jeux d’écho construits par leur évocation. Deux exemples le montrent, de façon très différente, dans la fin de la carrière d’Euripide, Hélène, représentée en 412, dont M. Lloyd cite un passage discuté (vv. 711-715)6, où l’image pourrait être une image « météorologique7 », et les Phéniciennes, pièce située entre 411 et 4088, où se forment avec les mouvements aériens les emboîtements tragiques.

*

Le « ciel d’Euripide », reflet de la pensée et des cosmologies de son temps, ne se laisse pas appréhender de manière simple. P. Pucci, à qui j’emprunte son titre, a montré comment α θήρἰ était chez le tragique identifié à Zeus, au feu, comment il est séjour des dieux, des ψυχαί, des πνεύματα, des morts, avec des valeurs différentes selon les contextes, comme ο ρανόςὐ 9. Si Euripide utilise librement les sources

3 Voir l’apparat critique de Gilbert Murray, Euripidis. Fabulae, II, Oxford, Oxford Clarendon Press, 19132 (OCT) au v. 179 et aux vv. 549-557 ; David Kovacs, Euripides, III, Cambridge (Mass.)-Londres, Harvard University Press, 1998 (LCL), p. 66.

4 Voir Michael Lloyd, « The mutability of fortune in Euripides », p. 222, qui cite particulièrement les Héraclides, vv. 608-628.

5 A θήρ apparaît 98 fois chez Euripide, 11 fois dans les Bacchantes, 9 dans Hélène [10 avec v. 1478 Diggle], 7 dans Ion, 6 dans les Phéniciennes [avec v. 504 Diggle, λίου Amiech] et 31 dans les fragments, α θέριος 10 fois (cf. Georges Rigo, Euripide. Opera et fragmenta omnia.

Index locorum, listes de fréquence, Liège, Centre Informatique de Philosophie et Lettres, 2005).

On a 6 emplois conservés d’ ήρ et έριος , 2 pour l’espace opposé à la terre et à la mer (fr. 27 ; v. 1047 Kannicht), 4 pour les airs, le vent (Suppliantes, v. 1156 ; Iphigénie en Tauride, v. 1134 ; avec Hélène, v. 1478 Amiech [α θέρος Diggle] ; Oreste, v. 7) ; έριος se rencontre 1 fois avec le sens de « brumeux » (Phéniciennes, v. 1534).

6 « The mutability of fortune in Euripides », pp. 18-19.

7 Sur la « science de ce qui est en l’air », cf. Michel Casevitz, « Les mots grecs de la météorologie », in Christophe Cusset (dir.), La Météorologie dans l’Antiquité : entre science et croyance, Saint-Étienne, Publ. de l’Université de Saint-Étienne, 2003, pp. 27-33.

8 Voir Donald John Mastronarde, Euripides. Phoenissae, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 14 ; Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 13-14.

9 Voir Pietro Pucci, « Euripides’ Heaven », in Victoria Pedrick et Steven M. Oberhelman (dir.), The Soul of Tragedy. Essays on Athenian Drama, Chicago-Londres, University of Chicago Press,

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présocratiques10, il se fait l’écho de plusieurs façons de la représentation d’un ciel qui est « tourbillon céleste », α θέριοςἰ δ νοςῖ , nouveau dieu maître du monde que moque la comédie des Nuées (v. 380), quand le Socrate platonicien raille le vertige dont sont pris la plupart des savants de son temps (τ νῶ ν νῦ οἱ πολλοὶ τ νῶ σοφ νῶ )

« parce qu’ils tournent sans cesse en rond en cherchant la nature des êtres » ( πὑ ὸ τοῦ πυκνὰ περιστρέφεσθαι ζητο ντεςῦ πὅ ῃ χειἔ τὰ νταὄ ), vertige qui leur fait croire à la mobilité universelle (Cratyle, 411b)11. L’on voit dans Alceste l’épouse d’Admète invoquer le soleil, la clarté du jour et les « tourbillons célestes de la course des nuées » (ο ράνιαιὐ […] δ ναιῖ νεφέλας δρομαίου, v. 245), dans Oreste Tantale sur un rocher suspendu à l’Olympe et « emporté par les tourbillons » (φερομέναν / δίναισι, vv. 982-98312), et c’est chez le tragique seulement qu’on trouve au Ve siècle les expressions α θέροςἰ κύκλος et κύκλος νιαυτοἐ ῦ (Phéniciennes, v. 477 ; Oreste, v. 1645) – la seconde s’applique au cours de l’année, la première est employée dans Ion (v. 1147), à propos de la tapisserie qui représente ο ρανόςὐ rassemblant les astres ἐν α θέροςἰ κύκλῳ, à qui l’ecphrasis rend le mouvement (vv. 1146-1158). Les deux formules font songer au temps, que décrit un fragment célèbre du Pirithoos, d’attribution encore discutée : τ ν ν α θερίὸ ἐ ἰ ῳ / ῥύμβῳ πάντων φύσιν

μπλέξαν[

ἐ τα], « [Toi…] qui fais le tissu de toute chose dans le tournoiement de l’éther » (Critias, Pirithoos, 43 F 4, vv. 1-2, Snell = Euripide, fr. 593 N2 = fr. 19 DK)13, et κύκλος est appliqué dans deux fragments d’Euripide (Éole, fr. 7 JVL = 22 Kannicht ; Ino, fr. 16 JVL = 415 Kannicht) à la marche circulaire qui produit l’ondoyance du monde et des sorts.

Euripide connaît bien et le tourbillon des nuées et le ciel tournant qui sont associés à la mobilité du monde14. Un fragment de Danaé (fr. 16 JVL = fr. 330 Kannicht), pièce non datée, offre un tableau complexe qui nous ramène à l’expression de la variabilité des sorts :

ς τα τ ν κειν φημ τ

ὐ ὸ ὰς βροτ ν τύχας

τόν θ’ ν καλο σιν α θέρ’, † τάδ’ στι δή.

Ο τος θέρους τε λαμπρ ν κλάμπει σέλας,

χειμ νά τ’ α ξει συντιθε ς πυκν ν νέφος, θάλλειν τε καὶ μή, ζ ν τε καὶ φθίνειν ποεῖ· 5

ο τω δὲ θνητ ν σπέρμα τ ν μ ν ε τυχε

2005, pp. 49-71. Cf. Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, Louvain-Namur, Peeters, 2001, pp. 45-72, sur α θήρ et νο ς .

10 Voir, avec Pietro Pucci cité plus haut, John Ferguson, « ΔΙΝΟΣ in Aristophanes and Euripides », Classical Journal 74, 1979, pp. 356-359 ; André Laks, Diogène d’Apollonie. La dernière cosmogonie présocratique, Sankt Augustin, Academia Verlag, 20082, pp. 266-268, et Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, pp. 11-72.

11 David Sedley, Plato’s Cratylus, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, pp. 103-114;

Francesco Ademollo, The Cratylus of Plato. A Commentary, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, pp. 206-215, pour qui les Atomistes sont la cible principale du passage.

12 Sept occurrences de δινεύω ou δινέω, quatorze de δίνη, une de δινήεις (Cyclope, v. 46) se trouvent chez le tragique ; toutes se rapportent aux flots marins ou au courant des fleuves, sauf 4 (Alceste, v. 245 ; Iphigénie en Tauride, v. 192 ; Phéniciennes, v. 792 ; Oreste, v. 983).

13 Voir Jacqueline Assaël, « Étude de deux fragments de poésie euripidéenne sur l’Éther », in Danièle Auger et Jocelyne Peigney (dir.), Phileuripidès, Nanterre, Presses Universitaires de Paris, 2008, pp. 465-479, p. 472, qui parle du « rouet de l’Éther ».

14 On peut rappeler que le Cratyle donne comme raison du nom d’ λιος (409a), en dorien λιος, le fait que l’astre « fait chatoyer [poikillei] dans sa marche les productions de la terre ; poikillein et aiolein, c’est la même chose. »

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λαμπρᾷ γαλήνῃ, τ ν δὲ συννέφει πάλιν, ζ σίν τε σ ν κακο σιν , οἳ δ’ λβου μέτα φθίνουσ’ τείοις προσφερε ς μεταλλαγα ς.

J’affirme qu’il en est de même pour les sorts des mortels et pour celui qu’on nomme « éther » ; voici ce qui advient pour lui : il fait briller l’éclat lumineux de l’été, et fait croître l’hiver en accumulant des nuages épais ; il fait être florissant ou non, vivre ou dépérir ; et de même, dans la race des mortels, pour les uns, c’est le bonheur avec la lumière du beau temps, pour d’autres ce sont les nuages revenus, et ils vivent dans le malheur, d’autres enfin dans la prospérité voient venir le déclin, en accord avec les échanges de l’année.

Le texte est par endroit d’établissement difficile (le dernier vers est corrigé) ; α θήρἰ fait ici les états du ciel et avec eux les états de la vie florissante ou du dépérissement, dont beau temps et temps de tempête sont aussi les images ; γαλήνη apparaît dans un contexte qui n’est pas maritime, fait rare chez Euripide15. Le fragment énumère aussi des groupes aux sorts distincts, tout en paraissant revenir au cours des saisons et à la succession des contraires16, sortant d’un strict jeu des renversements pour peindre une ondoyance plus générale qui s’accorde avec la vision d’un monde mobile autant que trompeur17. On retrouve cette ondoyance dans le passage des Suppliantes que nous avons cité (vv. 549-555), où, à partir d’un point de repère temporel fixe18, heur et malheur sont distribués dans un mouvement multiple et perpétuellement alimenté.

L’un des tableaux qui peignent la variabilité des sorts et que cite M. Lloyd, on l’a dit, se trouve dans Hélène (vv. 711-715) ; le passage est souvent corrigé ou en partie condamné. Le vieux Serviteur a appris de la bouche de Ménélas que la femme qu’il a trouvée en Égypte était la fille de Tyndare, son épouse – le fantôme qu’il prenait pour Hélène a disparu « dans les replis de l’éther ; le ciel [le] cache » (... πρ ςὸ α θέρος πτυχ ςἰ ὰ / [ ρθε σ’ φαντος]·ο ρανἀ ῖ ἄ ὐ ῷ δ κρύπτεται, vv.ὲ 605-606) –, et il s’associe au bonheur des époux pour dire, en s’adressant à Hélène (vv. 711-71519) :

θύγατερ, θε ς ς φυ τι ποικίλον

κα δυστέκμαρτον. Ε δέ πως ναστρέφει

κε σε κ κε σ’ ναφέρων· μ ν πονε ,

ἐ ῖ ἀ ῖ

δ’ ο πονήσας α θις λλυται κακ ς,

βέβαιον ο δ ν τ ς ε τύχης χων.ὐ ὲ ῆ ἀ ὶ

R. Kannicht édite †εὖ δέ πως ναστρέφειἀ / κε σεἐ ῖ κ κε σἀ ῖ ’ ναφέρωνἀ †, tout en proposant de lire νατρέπωνἀ au lieu d’ ναφέρωνἀ (v. 713)20 ; J. Diggle21, et P. Burian après lui22, condamnent les vers 713-719 ; le texte du second hémistiche du vers 712, εὖ δέ πως ναστρέφειἀ , donné par la tradition manuscrite, conservé par H. Grégoire

15 Voir Anne Lebeau, « Orages et embellies chez Euripide », in Christophe Cusset (dir.), La Météorologie dans l’Antiquité, pp. 263-274, p. 264.

16 Voir Jutta Krause, ΑΛΛΟΤΕ ΑΛΛΟΣ, p. 271, qui souligne deux représentations croisées.

17 Sur le devenir chez le tragique, voir Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, pp. 18-22.

18 Le schéma est prisé par Euripide, et apparaît dans Éole, fr. 7 JVL (fr. 22 Kannicht) et Ino, fr. 16 JVL (fr. 415 Kannicht), cf. Jutta Krause, ΑΛΛΟΤΕ ΑΛΛΟΣ, p. 177 ; p. 245 ; pp. 275-276, qui cite aussi Eschyle, Choéphores, v. 1020, et Sophocle, Œdipe à Colone, vv. 613-614.

19 Euripide. Hélène, p. 92.

20 Euripides. Helena, I-II, Heidelberg, 1969, II, p. 205.

21 Euripidis. Fabulae, III, p. 32.

22 Euripides. Helen, Warminster, 2007, p. 110.

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dans la C. U. F. et par C. Amiech, a été corrigé : πάντα στρέφει, qui donne un complément au verbe, est une correction adoptée par J. Diggle et W. Allan23.

Le propos du vieux serviteur a été rapproché du fragment 15 JVL (fr. 301 Kannicht) du Bellérophon24 ; et, à cause du verbe ναστρέφεινἀ – le simple στρέφειν et le composé ne se trouvent que six fois dans un contexte semblable chez Euripide25 –, il est rapproché des paroles qu’Aethra adresse à Thésée dans les Suppliantes26 : devant la souffrance des mères argiennes, en parlant des Thébains,

« que le sort a favorisés » (λα νὸ εὖ πεπραγότα, v. 329), mais pour qui le coup de dés suivant pourrait n’être pas heureux », elle dit : « ὁ γ ρὰ θε ςὸ πάντ’ ναστρέφειἀ πάλιν » (v. 331). Ces rapprochements viennent toujours à l’appui de l’idée d’un renversement, du passage d’un état à son contraire ; il a été parfois supposé une lacune après le vers 713, parce que le passage n’offrait pas une véritable symétrie27. Quand le texte est corrigé ou en partie condamné, les commentaires montrent bien à quel point c’est l’image même du mouvement décrit qui paraît gênante28. Quand le texte du vers 713 est conservé, l’image s’efface en quelque sorte derrière l’interprétation d’ensemble. C’est le renversement (« overturning ») que voit encore W. Allan qui traduit κε σεἐ ῖ κ κε σἀ ῖ ’ ναφέρωνἀ par « arranging (them) this way and that », en soulignant que le caractère capricieux de la divinité l’assimile à la

« chance29 ». C. Amiech, qui traduit : « [La divinité] renverse les choses à bon escient, je suppose30, en nous menant ici ou là », ne commente pas autrement le passage, et c’est à l’adjectif ποικίλον que s’attachent les analyses pour montrer comment Euripide pense le devenir et le temps31.

23 Euripides. Helen, Cambridge, 2008, p. 112.

24 Bellérophon, fr. 15 JVL : ὁ ᾷρ ς δ’ έλπτ ους μυρίων ναστροφάς· / πολλοὶ μ ν ο δμα διέφυγον θαλάσσιον, / πολλοὶ δὲ λόγχαις πολεμίων μείνονες / σσους γεγ τες κρείσσον’

λθον ε ς τύχην, « Tu vois la multitude des retournements inattendus. Beaucoup d’hommes échappent aux houles marines, beaucoup qui valaient mieux au combat que leurs ennemis, après avoir eu le dessous, parviennent à un meilleur succès » (tr. Jouan). François Jouan commente (Euripide. Fragments, VIII, 2, Paris, Les Belles Lettres, p. 30) : « Le passage n’a pas toujours été bien compris faute de voir que sa seconde partie comporte une double ναστροφή ». Voir aussi Christopher Collard, Euripides. Selected Fragmentary Plays, I, in Christopher Collard, Martin John Cropp et Kevin Hargreaves Lee (dir.), Warminster, Aris & Phillips, 1995, pp. 108-111; 118.

25 Voir, outre Hélène, v. 711, Hippolyte, v. 982; Suppliantes, v. 331; Rhésos, v. 332; Méléagre, fr. 25 JVL (fr. 536 Kannicht); Andromède, fr. 35 JVL (fr. 152 Kannicht). Cf. Andromaque, v. 1007.

26 Cf. Peter Burian, Euripides. Helen, p. 235, qui parle de métaphore habituelle, renvoie aux passages cités supra, n. 25, et aux Euménides d’Eschyle (vv. 650-651).

27 Voir James Diggle, Euripidis. Fabulae, III, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1994, p. 32.

Cf. Richard Kannicht, Euripides. Helena, II, heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, 1969, pp. 205-206; Christopher Collard, Euripides. Selected Fragmentary Plays, I, p. 118.

28 Cf. Richard Kannicht, Euripides. Helena, II, p. 205 ; Peter Burian, Euripides. Helen, p. 236, traduit ναφέρων par « back again », et précise qu’il n’y a pas de parallèle satisfaisant. Il traduit la fin du vers 712 par: « Yet somehow it all comes out right when he twists our affairs ».

29 William Allan, Euripides. Helen, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, pp. 228- 229. L’idée d’arrangement est déjà retenue par Amy Marjorie Dale, Euripides. Helen, Londres, Bristol Classical Press, 1967, p. 115.

30 L’expression εὖ [δέ] πως a été très diversement comprise.

31 Voir Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, pp. 14-16, qui renvoie à Héraclite et aux Sophistes ; elle traduit ainsi les vers 711-713 : « Ô ma fille, comme les reflets des dieux sont changeants et insaisissables. Ils nous roulent et nous emportent de-ci de-là à leur gré. »

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Στρέφειν s’applique dans Iphigénie en Tauride aux tourbillons (δ ναιῖ ) que sans

« cesse l’Euripe fait tournoyer en enroulant la mer bleu sombre sous des vents incessants » ( μφ δίναἀ ὶ ις ς θάμ’ Ε ριπος πυκνα ςἃ ὔ ῖ / α ραις λίσσων κυανέαν λαὔ ἑ ἅ στρέφει, vv. 6-7), et dans Hélène (v. 1557) un taureau « mugit en roulant les yeux » ( μμ’ ναστρέφων κύκλ )ὄ ἀ ῳ ; le verbe στρέφειν peut s’appliquer à la rotation du monde32. Sophocle emploie στρέφειν ou ναστρέφεινἀ dans un peu moins de quinze passages33, dans des contextes différents de celui de l’instabilité des sorts. Une formule des Euménides d’Eschyle34, où Apollon rappelle le pouvoir de Zeus qui

« bouleverse le monde sans s’essouffler à la peine » (tr. Mazon), τὰ δ’ λλαἄ πάντ’

ἄνω καὶ κάτω / στρέφων τίθησιν (vv. 650-651), est parfois donnée comme un parallèle des vers d’Hélène35. S’il s’agit bien d’observer la faculté qu’a Zeus d’inverser l’état des choses, le sens de « tourner » qu’a le verbe στρέφω36 ne s’efface pas complètement.

Et le vocabulaire employé dans Hélène invite à se reporter à la description du typhon que font les Météorologiques d’Aristote (III, 1 ; 371a 9-15) ; je cite le texte avec la traduction de P. Thillet37, qui s’appuie sur le commentaire de J. L. Ideler38 :

Γίγνεται μ ν ο ν τυφ ν , ταν κνεφίας γιγνόμενος μὴ δύνηται κκριθ ναι

τοῦ νέφους· στι δὲ διὰ τ ν ντίκρουσιν τ ς δίνης, ταν ἐ ὶ γ νπ φέρηται λιξ συγκατάγουσα τὸ νέφος, οὐ δυναμένη

πολυθ ναι

. δὲ κατ’ ε θυωρίαν κπνε ῖ, ταύτῃ τῷ πνεύματι κινεῖ, καὶ τῇ κύκλῳ κινήσει στρέφει καὶ ναφέρει ν προσπέσῃ βιαζόμενον.

Ainsi donc le typhon prend naissance quand un ouragan en formation ne peut se détacher du nuage. C’est à cause du choc en retour du tourbillon, quand la spirale se porte vers le sol, entraînant avec elle le nuage qu’elle est incapable de lâcher. Là où le typhon souffle en ligne droite, il met en mouvement par ce souffle, fait tourner en rond et élève en l’air violemment <tout> ce sur quoi il tombe.

Les emplois de στρέφειν et d’ ναφέρεινἀ au voisinage l’un de l’autre suggèrent un rapprochement, d’autant plus que c’est un fait rare, qu’on ne retrouve pas ailleurs

32 [Platon,] Épinomis, 977b.

33 Notons que στρέφων dans Œdipe à Colone, v. 1454, précisément dans des vers qui parlent du temps et des destins humains, est une correction proposée par Richard Claverhouse Jebb (The Plays and Fragments, II. The Œdipus coloneus, Cambridge, Cambridge University Press, cop.

2010). Georges Rigo, Sophocle. Opera omnia et fragmenta. Index verborum, listes de fréquences, inclut l’occurrence dans les 11 qu’il signale du verbe (3 pour le composé).

34 Il y a 2 occurrences de στρέφω chez Eschyle (Euménides, v. 651 ; Prométhée enchaîné, v. 708), 1 d’ ναστρέφω (Perses, v. 333), cf. Georges Rigo, Eschyle. Opera et fragmenta omnia.

Index verborum, listes de fréquences, Liège, Centre informatique de Philosophie et Lettres, 1999.

35 Voir supra, n. 26.

36 L’article du DÉLG, s. v., dit : « ‘tourner, détourner’, parfois ‘tordre’, parfois ‘réfléchir à’, au moyen ‘se tourner, se retourner, esquiver’, l’actif est parfois employé au sens intransitif ‘se retourner’ etc. », et pour να - « retourner ».

37 Pierre Thillet, Aristote. Météorologiques, Paris, Gallimard, 2008, p. 269.

38 Julius Ludwig Ideler, Aristotelis Meteorologicorum Libri III-IV, Leipzig, Vogel, 1836. Pierre Louis, Aristote. Météorologiques, I-II, Paris, les Belles Lettres, 1982 (C. U. F.), comprend autrement la fin du texte : « … et par son mouvement circulaire [le typhon] tord et fait tomber violemment les objets sur lesquels il s’abat. »

(8)

dans les textes du Ve siècle ni dans ceux du IVe siècle39. Il est tentant de comprendre en se rapportant à ce modèle le mouvement évoqué dans Hélène :

Ma fille, comme le dieu est chatoyant et difficile à percer ; il sait faire tournoyer pour emporter en tout sens ; l’un est à la peine, l’autre qui ne connaît pas la souffrance bientôt périt de mort funeste, sans avoir rien de stable dans les moments de sa vie.

L’on ne peut absolument pas savoir quelle référence Euripide avait en tête en écrivant ces vers ni s’il adapte un propos connu. Τυφώς apparaît une fois chez le tragique, dans les Phéniciennes (v. 1154)40. Sophocle décrit dans Antigone (vv. 417- 421) une tornade (τυφώς) soudaine, mal céleste (ο ράνιονὐ χοςἄ ), qui fait se lever une trombe de poussière ( είραςἀ σκηπτόν, v. 418), envahit la plaine, ravage les arbres, emplit le vaste éther ( νἐ δ’ ἐμεστώθη μέγας / α θήρἰ , vv. 420-421). Eschyle, dans l’Agamemnon (vv. 655-657) montre les navires perdus par la violence de l’ouragan (τυφῶ) dans son tournoiement (στρόβῳ). Il y a là un fait de l’expérience, mais l’anémologie était aussi une préoccupation des Présocratiques41. Et le mouvement du vent en tornade dont le résultat s’observe dans la mouvance multiple qu’il impose à ce qu’il touche, dans les déplacements incessants vers le haut comme vers le bas, correspond aux mouvements du monde roulant tels que les voient les Atomistes particulièrement42, et au mouvement des sorts qu’Hélène illustre jusque dans son déroulement43. Il donnerait bien en tout cas à la puissance divine, ὁ θεός44, l’apparence de produire une mobilité générale où chaque parcours est imprévisible, les échanges sans fin, mais le mouvement assuré ; il donne l’apparence exactement du ποικίλον et du δυστέκμαρτον. Le second adjectif est intéressant par sa rareté dans les textes conservés et parce qu’il peut renvoyer par contraste au Prométhée enchaîné (v. 497)45 et à l’art, même difficile, des présages que le Titan a donné aux hommes.

Dans Hélène, où la critique récente met l’accent sur la mise en scène de l’ignorance humaine face aux plans divins et sur la faiblesse des sens46, cette vision d’un tourbillon, pour reprendre le mot, s’accorderait aussi avec la présentation

39 Voir dans Posidonius, fr. 337b Theiler, cité par Arrien, une autre explication de la tornade où le changement de direction et l’enroulement sont associés : […] Ο τω τοι καὶ ρος λλοτε λλἄ ῃ αἱ θύελλαι ναστρέφονταί τε καὶ νειλούμεναι α θις νω ναφέρονται , πειδ ν δὴ γχρίμψας τόπος τις γ ς νακόψ ῃ τ ς πνο ς τ ν π ’ ε θὐ ὺ ρμήν , « […] De cette façon aussi au printemps, les tempêtes tantôt ici tantôt là tournent et s’enroulent pour être de nouveau emportées vers le haut, quand un obstacle du terrain interrompt le parcours en ligne droite du vent. »

40 Les vents d’orage apparaissent, sans référence à la mer, dans les Suppliantes (vv. 960-961).

41 Cf. par exemple les rappels de Jean-Pierre Levet, « Anémologie et philosophie dans le traité De Ventis de Théophraste », in Christophe Cusset (dir.), La Météorologie dans l’Antiquité, pp. 331-343, p. 331 ; 341.

42 Voir supra, n. 11.

43 Cf. Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, p. 14.

44 Cf. Andromède, fr. 36 JVL (fr. 153 Kannicht), où θεός est employé dans un contexte analogue, où par l’effet des vents « s’inclinent vers le bas », « se couchent » (νεύει), vie et τύχη, et Richard Kannicht, Euripides. Helena, II, p. 205.

45 La troisième occurrence du composé au Ve siècle est dans Sophocle, Œdipe-Roi, v. 109. Voir William Allan, Euripides. Helen, p. 229.

46 Cf. William Allan, Euripides. Helen, pp. 61-66 ; p. 229 ; Christine Amiech, Euripide.

Hélène, p. 28-29.

(9)

ambiguë, ou du moins complexe et disparate, qui est faite du personnage de Théonoé47.

Le retour du malheur est immédiat pour Hélène et l’Atride – c’est la fuite interdite si Théoclymène apprend de sa sœur que Ménélas est en Égypte et la mort partagée qu’envisagent les époux (vv. 780-864). Une étymologie du Cratyle (407b), qui peut faire référence à Euripide, incite à voir Théonoé comme une « incarnation humaine de la Sagesse », figure d’Athéna et d’Athènes : la jeune prêtresse, qui connaît le débat des dieux au sujet du sort de Ménélas et d’Hélène, commence par les condamner (vv. 892-893) pour montrer, après avoir entendu leurs deux discours, que justice et piété sur terre et après la mort, où l’esprit (ὁ νο ςῦ ) rejoint l’immortel éther (vv. 1014-1016), font aussi le bonheur des hommes48. Les propos qu’elle tient à son entrée en scène, dans un texte difficile et corrigé (vv. 865-867)49, consacrent d’abord, sans trop de sérieux peut-être, son lien avec le divin à travers le souffle céleste qu’elle sollicite (πνε μαῦ καθαρ νὸ ο ρανοὐ ῦ, v. 867), avant que l’action ne revienne dans la sphère de la parole et de l’intelligence humaines, avec les deux discours d’Hélène et de Ménélas, la décision de la jeune fille, qui les sauve, et le plan d’Hélène, qui se met en place.

On pourrait croire alors qu’Euripide, dans Hélène, en 412, cherche à prendre ses spectateurs dans le vertige d’une pièce où les mortels sont jouets du divin, de leur sens, des illusions qui s’évanouissent, du tournoiement qui fait varier les sorts, pour rendre les hommes à la justice, à la piété autant qu’aux ressources de l’action calculée et des ruses de femme, γυναικε αιῖ τέχναι, dont se plaint le roi joué (v. 1621). Et, si l’on accepte de comprendre les vers 711-715 comme une image météorologique, quel qu’en soit le point d’appui précis, ils sont un bon exemple de la manière dont le tragique renouvelle l’expression de la variabilité, en usant de la représentation des tournoiements du monde, tout en corrigeant le pessimisme ancien, et en réinvestissant les formules dont il use lui-même ailleurs.

Cette superposition du neuf et de l’ancien fait enfin songer à la manière dont Euripide donne dans les chants du chœur d’Hélène une représentation de la Νouvelle musique, où ses détracteurs voient dysharmonie, désordre, délire bachique50 ; il répond à ses adversaires en célébrant le mouvement du rhombe lancé dans les airs ( όμβῥ ῳ θ’ λισσομέναἑ / κυκλίοις ἔνοσις α θερίαἰ , vv. 1362-1363)51, dans le

47 Voir Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, pp. 63-71 ; Pietro Pucci,

« Euripides’ Heaven », pp. 57-58, qui suggère une présentation peu sérieuse du personnage et des rites évoqués.

48 Voir le commentaire de Christine Amiech, Euripide. Hélène, pp. 29-36, p. 30 pour la citation, qui renvoie à Richard Kannicht, Euripides. Helena, I, p. 85, à propos du Cratyle.

49 Voici le texte et la traduction de Christine Amiech (voir Euripide, Hélène, pp. 170-171) : Ἡ ῦ σύ μοι φέρουσα λαμπτήρων σέλας· / θε ονγο δὲ σεμνοῦ θεσμ ν α θέρος μυχ ν , / ς πνε μα καθαρ ν ο ρανο ῦ δεξαίμεθα, « Toi, ouvre le chemin avec l’éclat de ton flambeau ; / Respecte le rite divin concernant les profondeurs de l’éther, / Que nous puissions recevoir le souffle pur du ciel. » James Diggle édite : γοἡ ῦ σύ μοι φέρουσα λαμπτήρων σέλας / θείου τε σεμν ν θεσμ ν α θέρος μυχούς, / ς πνε μα καθαρ ν ο ρανο ῦ δεξώμεθα.

50 La bibliographie est vaste sur le sujet ; je ne citerai qu’Aikaterini Tsolakidou, The Helix of Dionysus : musical imagery in later Euripidean drama, Diss. (PHD), Princeton UP, 2012, pp. 167-204.

51 C’est le texte transmis, conservé par Christine Amiech, Euripide. Hélène, qui traduit : « [ils ont grand pouvoir…] les mouvements circulaires du rhombe lancé en l’air » ; James Diggle édite

όμβου

θ’ ε λισσομένα / κύκλιος νοσις α θερία .

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deuxième stasimon, pour assimiler ces tournoiements aux rondes des chœurs primordiaux, à la ronde des jeunes filles à laquelle Perséphone est arrachée, souvenir de l’Hymne à Déméter52 (κυκλίων / χορ νῶ ξωἔ , vv. 1312-1313)53. Si l’on peut entendre une correspondance entre ces enroulements, outils du discours métapoétique, et le tourbillon des sorts dans Hélène, c’est là une illustration de l’art du tragique, dans une pièce au dénouement heureux qui fait entendre le vœu impossible des femmes grecques captives du chœur de se voir, comme les grues

« compagnes de la course des nuées » (σύννομοι νεφέων δρόμου, v. 1488), sous la conduite de l’aulos, partir en messagères du retour de Ménélas, et leur invite aux Dioscures de s’élancer par l’éther, eux qui habitent le ciel (οἳ ναίετ’ ο ράνιοιὐ , v. 1499), « sous les astres lumineux aux courses vives comme le vent » (λαμπρ νῶ

στρων

ἄ πὑ ’ έλλαισινἀ , v. 1498).

Les Phéniciennes montrent la chute des Labdacides, avec des innovations nombreuses sur le plan du mythe, dans un texte qui a été souvent corrigé, ou condamné soit pour de vastes morceaux soit ponctuellement54. Or, si la tragédie n’offre pas de tableaux de la variabilité des sorts tels que ceux que nous avons vus, les évocations des mouvements aériens ou les images qui s’y rapportent y jouent un rôle important : Jocaste ouvre le prologue en invoquant le soleil, sa marche dans le ciel parmi les astres, et la lumière qu’il fait tourner grâce à ses cavales rapides (θοα ς πποισιν ῖ ἵ ε λίσσωνἱ φλόγα, v. 3) ; elle le ferme en en appelant à Zeus afin qu’il ne permette pas, s’il est sage, que « le même mortel toujours soit la proie du malheur » (vv. 86-87), renversant une formule connue qui évoque le roulement des destins.

Parmi les innovations d’Euripide, on compte précisément la présence de Jocaste et l’alternance que stipule le pacte scellé entre les deux frères qui devaient posséder, chacun une année ( νιαυτ νἐ ὸ λλάσσοντἀ [α], v. 74), le pouvoir à Thèbes55. Dans l’ γώνἀ à trois que construit l’auteur, après les deux tirades des deux fils d’Œdipe (vv. 469-525), quand Jocaste rappelle à Étéocle l’accord passé, qu’il n’a pas respecté, elle s’appuie sur la règle des échanges célestes (vv. 541-547)56 :

Καὶ γ ρ μέτρ’ νθρώποισι καὶ μέρη σταθμ ν σότης

ταξε κ ριθμ ν διώρισεν·

νυκτός τ’ φεγγ ς βλέφαρον λίου τε φ ς

σον βαδίζει τ ν νιαύσιον κύκλον,

κο δέτερον α τ νὐ ῶ φθόνον χει νικώμενον. 545

Ε θ λιος μ ν νύξ τε δουλεύει βροτο ς ,

σὺ δ’ ο κ νέξ δωμάτων χων σον,

καὶ τ δ ’ πονέμειν ; κ τα ποῦ ’στιν ἡ δίκη ;

Car les mesures et les poids pour les hommes, c’est l’Égalité qui les a fixés et qui a défini le nombre ; la paupière sans clarté de la nuit et la lumière du soleil ont des parcours égaux par le cours de l’année, et aucun

52 Voir William Allan, Euripides. Helen, pp. 300-301.

53 Cf. Aikaterini Tsolakidou, The Helix of Dionysus, pp. 194-200.

54 Cf. Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 53-62.

55 Voir Donald John Mastronarde, Euripides. Phoenissae, pp. 26-27 ; Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 37-38 ; Sylvie David-Guignard, « Le partage du pouvoir : les Étéocle de la tragédie », Ktèma 33, 2008, pp. 331-346.

56 Le texte cité est, comme chaque fois, celui de Christine Amiech ; James Diggle édite δουλεύει μέτροις (v. 546) en adoptant la correction de Weil, et supprime le vers 548 [κα τ ιδ’ὶ ῶ

πονε μαι

; κ ιτα πο ’στιν δίκη ;], après Schoene.

(11)

des deux n’éprouve de jalousie quand il cède la place. Si le soleil et la nuit servent les mortels, toi, tu ne vas pas admettre d’avoir part égale des biens du palais et de lui céder sa part, à ton frère qui est là ? Et alors, où est la justice ?

L’argument est rapporté par les commentaires à la pensée philosophique et morale – à Héraclite, à Parménide, ou au discours éthique de Socrate57 – et à une réflexion politique en prise avec l’actualité athénienne entre 411 et 408 : Jocaste demande que soient respectés la justice et les dieux, faisant deux divinités d’ σότηςἸ , l’Égalité qu’elle défend, et de Φιλοτιμία, « déesse injuste » (v. 532), qu’elle ne veut pas voir vénérée par son fils. Mais sa tirade vient après celle d’Étéocle.

Si son fils confond la cité et son bien personnel, entraînant une critique morale sans doute autant que politique, analogue à celle qu’on trouve dans Thucydide58, il fait aussi un vœu impossible. Étéocle s’est targué d’aller, s’il le pouvait, « jusqu’au lieu des levers des astres, du soleil, et sous la terre » ( στρωνἄ νἂ λθοιμἔ ’ λίουἡ πρ ςὸ ντολάςἀ , v. 504) pour « posséder la plus grande des déesses, la Royauté » (τ νὴ θε νῶ μεγίστην ὥστ’ χεινἔ Τυραννίδα, v. 506). Le texte transmis, difficile à cause des deux génitifs, a été diversement corrigé59. Mais, c’est la puissance de sa passion qu’Étéocle déroule en se projetant jusqu’aux confins, jusqu’aux régions souterraines, en étendant aux lieux du non-humain son désir du pouvoir absolu. Au mouvement cosmique auquel en appelle Jocaste s’est à l’avance opposée l’hubris d’Étéocle qui se met aux marges ou hors du monde des hommes, et, ignorant des alternances réglées, ne connaît qu’une alternative, δουλεύειν ou ρχεινἄ (v. 520).

Si le destin des Labdacides est représenté dans cette opposition, d’autres échos poétiques contribuent à construire les Phéniciennes. Dans la Teichoscopie du Prologue (vv. 118-192), première scène qui répond déjà, avec des différences connues, à la scène célèbre des Sept contre Thèbes (vv. 375-676), avant la description du quatrième épisode (vv. 1104-1140), c’est Antigone qui voit les chefs argiens. Guidée par le Gouverneur, elle apprend à distinguer les chefs venus contre Thèbes, toute à la joie de revoir Polynice et à la volonté que la cité ne soit pas la proie de l’ennemi. Par deux fois, son commentaire chanté a recours à des images météorologiques. Pour Amphiaraos, elle s’étonne en ces termes : « Fille du soleil à la ceinture brillante, Séléné, cercle de lumière d’or, comme il dirige ses cavales sans trembler et avec mesure dans ses coups d’aiguillon ! » (vv. 175-178). En voyant Capanée, ennemi redoutable de Thèbes, comme elle avait invoqué Artémis contre Parthénopée (vv. 151-153), elle invoque Némésis, le tonnerre grondant et le feu de la foudre de Zeus, pour qu’ils fassent taire sa jactance (vv. 182-184). Ces images contribuent à forger la vision négative qu’Euripide donne des Sept, à l’exception d’Amphiaraos, qui, sans hubris, porte des armes sans blason (vv. 1111-1112). Mais, alors que chez Eschyle, Tydée porte sur son bouclier un ciel brillant d’étoiles avec au milieu la lune en son plein (vv. 388-390), chez Euripide, c’est l’étonnement d’Antigone devant la mesure d’Amphiaraos qui appelle l’évocation de l’astre, et

57 Voir Donald John Mastronarde, Euripides. Phoenissae, p. 304 ; Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, p. 360, n. 292 ; 293.

58 Sylvie David-Guignard, « Le partage du pouvoir : les Étéocle de la tragédie », p. 340-341 ; p. 342-343.

59 Voir Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 349-350 ; p. 629. Stobée cite α θέρος πρ ς ντολάς , qu’édite Donald John Mastronarde, Euripides. Phoenissae.

(12)

aucun des chefs ne porte le ciel comme blason (Hippomédon est στερωπόςἀ , v. 129, dans une formule difficile60). À l’inverse, la jeune fille voit la plaine qui lance des éclairs ( στράπτειἀ , v. 111), et cet orage de la guerre annonce l’ambivalence de l’image de Polynice (vv. 161-169) et du jour à venir61.

Au quatrième épisode, vient la description des emblèmes des boucliers à proprement parler (vv. 1104-1140), souvent considérée comme interpolée, entièrement ou pour partie62 : c’est la mort d’Hippomédon qui permet de voir (v. 1118) s’ouvrir et se fermer dans un roulement qui répond au lever et au coucher des astres les yeux de Panoptès sur son écu (vv. 1115-1117)63. Cette notation semble un pont qui fait aller des emblèmes à la mort des chefs, première boucle qui se ferme : la seconde des deux morts que le Messager rapporte en détail est celle de Capanée (vv. 1172-1186), frappé par la foudre, dont le corps est disloqué, dont les membres, bras et jambes, « tournaient comme la roue d’Ixion » (χε ρεςῖ δὲ καὶ κ λῶ ’ ὡς κύκλωμ’ ξίονοςἸ / λἑ ίσσετ’, vv. 1185-1186), subissant un « écartèlement maximal et cosmique », dit C. Amiech, qui conserve un texte souvent condamné64 ; le fils d’Atalante, Parthénopée, est le premier des deux chefs dont le récit raconte la mort : il s’est précipité contre une porte, sous le rempart où il a péri, comme un ouragan (τυφ ςὼ … ςὥ τις, v. 1154). Eschyle montre sur le bouclier d’Hippomédon (Sept contre Thèbes, vv. 493 et 517) le monstre Typhon. Ici, τις rend peu probable la mention du personnage65, et la comparaison contribue au jeu des rappels qui ponctuent la pièce. Elle montre la liberté avec laquelle Euripide use du modèle des Sept contre Thèbes dont l’éclatement en plusieurs scènes dans les Phéniciennes est aussi plein de sens.

Quand Antigone a vu Polynice du haut des remparts (vv. 161-169), elle a émis d’abord un souhait, vœu impossible comme celui d’Étéocle : νεμώκεοςἀ ε θεἴ δρόμον νεφέλας / ποσ νὶ ξανύσαιμιἐ δι’ α θέροςἰ / πρ ςὸ μ νἐ ὸ μογενέτοραὁ , « Ah ! Si je pouvais courir par l’éther la course de la nuée rapide comme le vent pour rejoindre celui qui est mon frère… » (vv. 163-165). Et la jeune fille a décrit ensuite l’éclat de Polynice dans ses armes d’or, « brillant tout comme les rayons du soleil d’aurore » (ἑῴοις μοιαὅ φλεγέθων βολα ςῖ ἀελίου, v. 169). À ce souhait, à la légèreté d’un vent d’amour fraternel, à laquelle s’est opposée dans la suite la description du combat et particulièrement l’assaut de Parthénopée, Antigone voit substituer une course vers ses deux frères mourants (v. 1430)66, puis, après le massacre des Argiens, les cadavres thébains qu’elle aide à ramener aux leurs

60 Voir Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 272-273, pour le groupe στερωπ ς

ν γραφα σιν .

61 Pour la construction de l’ambivalence tragique dès le Prologue, je renverrai à l’étude de Sylvie Perceau, « Figures de l’harmonie tragique dans les Phéniciennes », in Pierre Caye et al.

(dir.), L’Harmonie, entre philosophie, sciences et arts de l’Antiquité à l’âge moderne, textes réunis par Lorenzo Miletti, Naples, Giannini, 2011, pp. 130-141.

62 Cf. Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 487-488, défend le passage après Donald John Mastronarde.

63 Pour les vers 1115-1117, voir Donald John Mastronarde, Euripides. Phoenissae, pp. 462- 463 ; Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, p. 489.

64 Les Phéniciennes d’Euripide, p. 498.

65 Cf. Christine Amiech, Les Phéniciennes d’Euripide, pp. 494-495.

66 Sur cette inversion, voir Sylvie Perceau, « Figures de l’harmonie tragique dans les Phéniciennes », p. 140.

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(vv. 1476-1477), enfin « l’ère de ténèbres » (σκοτίαν αἰῶνα, v. 1484) qui s’est abattue sur les trois cadavres et que déplore le Coryphée, et le deuil qu’elle chante

« bacchante des morts » (βάκχα νεκύ- / ων, vv. 1489-1490). À l’aube que voyait Antigone regardant Polynice succède la nuit du deuil. Ainsi s’ouvre et se referme une autre des boucles de cette tragédie, où l’harmonia est aussi dysharmonie67, qui peint les déchaînements et les vertus des hommes. C’est avec Œdipe, sorti du palais,

« fantôme invisible de l’éther, mort venu de sous la terre, songe ailé » (α θέροςἰ φαν ς

ἀ ὲ ε δωλονἴ ἢ / νέκυν ἔνερθεν ἢ / πταν νὸ ὄνειρον, vv. 1543-1545), qu’Antigone revient près de sa mère et de ses frères, guidant la main du vieil aveugle (vv. 1693-1702), après les décrets de Créon (vv. 1585-1682), avant le départ de Thèbes.

*

Une hypothesis du Rhésos défend l’attribution de la pièce à Euripide en arguant d’un « intérêt pour les phénomènes célestes » ([ἡ] περὶ τὰ μετάρσια πολυπραγμοσύνη) qui s’accorde avec ses préoccupations68. À l’idée ancienne du renversement des sorts, Euripide peut associer la vision « neuve » d’un tournoiement et le goût des phénomènes aériens, que raille si bien Aristophane ; si l’on accepte de lire l’image d’Hélène (vv. 711-713) comme nous l’avons proposé, on mesure la richesse d’une superposition du nouveau et de l’ancien qui sert la peinture de l’humain dans l’ondoyance du monde, la construction poétique, parfois le discours métapoétique. Elle fait voir dans Hélène et dans les Phéniciennes une cohérence dont témoigne le plus souvent le texte transmis dans son détail et un jeu subtil, où le dialogue avec les autres auteurs devait réjouir les spectateurs autant que la nouveauté revendiquée des œuvres.

67 Voir Sylvie Perceau, « Figures de l’harmonie tragique dans les Phéniciennes », pp. 147-159, pour l’analyse du lien et de la discordance dans l’harmonia tragique ; pp. 159-161, pour le discours métapoétique.

68 Voir François Jouan, Euripide. Tragédies. Rhésos, Paris, Les Belles Lettres, C. U. F., 2004, p. 5.

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