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' LA GUIRLANDE DE JULIE

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Texte intégral

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AU TEMPS DES PRÉCIEUSES

' LA GUIRLANDE DE JULIE

TA Guirlande de Julie est, comme on le sait, un recueil de '•*-*. madrigaux calligraphiés sur vélin, illustré de fleurs peintes, qui fut offert en 1641 par le marquis de Montausier à sa fiancée Julie d'Angennes, fille de la marquise de Ram- bouillet, la reine des Précieuses.

Le parcours de la carte du Tendre n'était pas toujours, à cette époque, une vaine image : Julie d'Angennes fit soupirer son fiancé quatorze ans ; il était à la mode, pour une jeune fille, d'avoir à ses pieds quelques « mourants ». Cette longue mort devait s'orner d'attentions délicates pour trouver enfin sa récompense. De fait, Montausier et Julie finirent par se marier en 1645. Ironique, le destin se vengea : ils ne furent pas heureux.

D'après M. Emile Magne, l'idée de la Guirlande était venue à Montausier par un hasard qui lui avait fait feuilleter, certain jour, un in-quarto commis par un obscur auteur, l'abbé de La Morlière, et qui avait pour titre : les Antiquités, histoires et choses remarquables de la Ville d'Amiens. Dans ce fatras, il découvrit une Guirlande ou chapeau de fleurs, à la duchesse de Fronsac, qui était une suite de sonnets célébrant chacun la grâce de cette déesse sur le thème d'une fleur, ce qui sembla à Montausier du dernier galant. La conception n'en revenait sans doute pas à La Morlière lui-même, car nous connaissons une Ghirlanda italienne dédiée à la comtesse de Montferrat, qui est de 1595, et qui a, par conséquent, sur la sienne, qui n'est que de 1598, une priorité, pour le moins de date.

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LA GUIRLANDE DE JULIE. 421

Détourner l'idée du chanoine d'Amiens pour la grande gloire de Ml l e d'Angennes et l'avancement de ses propres affaires, Montausier n'eût pas été amoureux si à cela il avait fait la moindre objection : on prend son bien où on le trouve et les idées où elles sont. Mais il eut scrupule à fabriquer lui- même cinquante sonnets ou madrigaux, si ardente que fût son inspiration, fille de sa passion. En faisant cette réserve sur la richesse de sa propre veine, il ne se calomniait pas trop, car lès vers que nous conservons de lui témoignent de plus de bon vouloir que de bonheur, et chacun sait qu'en art, le bon vouloir ne suffit pas.

Mais l'Hôtel de Rambouillet, quartier général des beaux esprits, où trônait Arthénice et ondoyait Julie, était tout indi- qué pour fournir la pâte de l'ouvrage : Chapelain, Scudéry, Desmarets, Conrart, les quatre Arnauld, les trois Habert et tutti quanti, discrètement sollicités, — car il fallait garder le secret pour ménager la surprise, •— ne marchandèrent pas leur concours qui, dans l'heure, fut si large, et la floraison madrigale si abondante que Montausier ne sut plus où donner de la tête ; d'autant qu'il entendait, malgré tout, se réserver la place la plus nombreuse : il taille et refoule. Certains auteurs, arrivés trop tard et souffrant d'un poème rentré, en sont quittes en le publiant ailleurs : ainsi Pierre Le Moyne, qui avait choisi la « fleur de grenade ».

Cette inflation péniblement contenue fut limitée à la fin à soixante-deux pièces. Montausier avait fait quinze madri- gaux et il faut lui attribuer sans doute le sonnet qui ouvre le livre : Zéphire à Julie, non signé ; Scudéry avait apporté cinq madrigaux, Malleville neuf, Colletet quatre, Desmarets deux, les frères Habert, qu'on appelait, pour les distinguer entre eux, l'un l'abbé de Cérisy, l'autre le commissaire de l'Artillerie, et le troisième monsieur de Montmort, s'étaient partagé six madrigaux, et les Arnauld sept ; d'autres familiers de l'Hôtel de Rambouillet complétaient la collaboration, parmi lesquels Chapelain, Gombauld, Tallemant des Réâux

(celui des Historiettes), Antoine Godeau, qu'on avait surnommé, à cause de sa petite taille, « le nain de Julie », Martin dé Pin- chesne,. qui était le neveu de Voiture, et Conrart, l'homme du silence prudent, qui avait gracieusement madrigalisé sur le lys, là tulipe, l'hyacinthe, la fleur « d'orange », là fleur de

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grenade et l'immortelle. Enfin, le marquis de Rambouillet lui-même, père de Julie, voulant se montrer le digne époux d'une Précieuse, et, du même coup, — car il n'était point ennemi de marier sa fille, — encourager dans une galanterie de si bon goût un prétendant de son gré, entra dans le jeu : il déposa, comme on dit, sa carte de visite, en apportant son petit madrigal, qu'il avait fait de son mieux et qu'on accueillit avec une louange discrètement teintée de déférence.

Corneille ni Voiture n'avaient présenté d'offrande : Cor- neille, parce qu'il en voulait à l'Hôtel de Rambouillet de ne pas l'avoir soutenu dans la querelle du Cid et à Julie en par- ticulier de n'avoir pas aimé Polyeucte et de l'avoir trop dit ; Voiture, parce qu'il avait lui-même un sentiment pour Julie, ce qui le classait dans l'opposition : en t a n t que rival, force lui était d'ailleurs de s'avouer que Montausier, avec cette idée de Guirlande poétique qu'il était allé pêcher Dieu sait où, marquait un point.

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LUS que pourvu de copie, il fallait maintenant que Mon- tausier réalisât l'ouvrage. La pièce devant rester unique, comme était unique, aux yeux de son amoureux, la beauté qui l'inspirait, il ne pouvait être question d'imprimer le recueil. On fit donc appel à un jeune maître en calligraphie, du nom de Nicolas Jarry, qui se mit aussitôt à l'œuvre.

Ce Jarry mérite une mention ; par la suite, la Guirlande devait le mettre en valeur et le lancer : lorsque La Fontaine,

©n 1658, après avoir terminé le poème d'Adonis, le dédiera au financier Fouquet, c'est Jarry qui en fera la calligraphie^.

Louis XIV le nommera, par brevet, son « écrivain et noteur de musique ». Maître d'un art ingrat, patient, raffiné, qui devait disparaître à peu près complètement devant les pro- grès de la hâte et de l'utilité, Jarry mourut en 1674.

De nos jours, nous ne connaissons plus guère la calligraphie que par les billets de faire-part ou les en-têtes commerciaux, Il nous faut nous pencher, dans une exposition, sur les feuillets d'un manuscrit persan ou d'un livre d'heures du xye; pour ressentir l'émotion qu'inspire cet art monastique. Mais ne médisons pas de notre temps : la typographie, infiniment variée et en perpétuel devenir, des Didot, des Deberny, dçs JPeignpt, pour ne parler que d'eux, c'est dans les vieux? Itraiits

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LA GUIRLANDE DE JULIE.

An

de la calligraphie qu'elle cherche souvent la source de son renouvellement : sait-on que tel caractère d'imprimerie, qui d'abord nous étonne, s'inspire de l'onciale carolingienne dont sont écrits les édité de Charles le Chauve ou de Louis le Bègue ? Sagement, J a r r y commença par faire une maquette : il recopia lès madrigaux sur cinquante-trois feuillets in-4°, en bâtarde. Reliés, ces feuillets formaient une sorte de Guir- landes prototypé », si l'on ose dire, non illustrée, bien entendu, et qui fut soumise à Montausier1 comme avant-projet*

Cet exemplaire eut son histoire : nous le retrouvons^

en 1751, mentionné dans le catalogue des livres de Joseph Crozat, marquis de Tugny, le fils du célèbre financier, auteur du canal de Picardie. Il passe, de là, dans la bibliothèque du marquis de Courtanvaux, et ensuite entre les mains de Didot le jeune, « imprimeur de Monsieur », un membre de cette dynastie fameuse de libraires et d'impritneurs parisiens qui, parmi ses titres particuliers de célébrité, compte celui d'avoir édité le Voyage du jeune Anacharsis et d'avoir été le beâu- frère de Bernardin de Saint-Pierre. Ce Didot-là fit imprimer, d'après ce manuscrit, une copie de h, Guirlande en 1784, la troisième qui ait paru (1).

Jarry passa ensuite à l'exécution d'un manuscrit définitif : il calligraphia les madrigaux sur quarante feuillets de vélin*

in-octavo, cette fois ; mais ce format était mal choisi, et Cette Guirlande de poche ne plût pas à Montausier qui, maniaque et têtu comme tout amoureux, voulait quelque chose de hors pair. Néanmoins, cet exemplaire rebuté eut aussi son histoire : en 1784, il fut acheté 406 livres par Guillaume Debitre* à la vente de la bibliothèque du duc de La Vallière (2).

Nous devons savoir gré à Montausier de son obstination : s'il s'était borné à faire calligraphier soigneusement ses cinq

(1) Les madrigaux composant la Guirlande furent imprimés pour la première fois en 1662, chez Charles de Sercy, et pour la deuxième fois en 172?, k la suite d'une Vie de M. le duc de Montausier, écrite par un Jésuite, le Père Petit, publiée

par Rollin et Ganeau. . ' m

(2) Voici, d'après Van Ëever, les noms des propriétaires successifs, depuis Debure, de cette psendo Guirlande, avec les prix qu'ils l'ont payée i

Incourt d'Hangard : 622 livres ; Lefèvre : 250 francs ; J.-J. de Bure : 2 950 francs;

le marquis de Sainte-Maure Montausier, en 1887, 15 900 francs ; le comte dé Mos- bourg : 19 000 francs.

L'exemplaire serait actuellement à Londres, dans la ccllecttom dti baron de Rothschild, ,

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douzaines de madrigaux sur vélin, nous aurions aujourd'hui un document sans doute intéressant, mais non point la pièce unique dont le témoignage nous apporte si gracieusement le climat de l'Hôtel de Rambouillet. Sa véritable inspiration fut de faire illustrer le volume, et pour cela il s'en fut trouver un miniaturiste nommé Nicolas Robert, qui était, comme Jarry, un « moins de trente ans ».

Robert et Jarry, de concert,'se mirent à l'œuvre, et au bout de deux ans les quatre-vingt-dix feuillets in-folio de h, Guirlande, la grande, la célèbre, enfin approuvés par Mon- tausier, étaient prêts à être reliés.

Grâce des livres ! Depuis trois siècles, les fleurs que le pinceau délicat de Jarry a fixées sur le vélin onctueux n'ont rien perdu de leur fraîcheur ; et quelle touchante conscience ! Sur les feuilles de la rose, n'a-t-il pas été mettre de ces petits pucerons qu'on voit dans les jardins, pour plus de vérité ? Voici l'œillet, h violette, la jacinthe ; l'angélique, l'amarante, la fleur de; t h y m et l'iris portant son vieux nom, la « flambe », qui n'est plus usité, et c'est bien dommage pour les poètes, cette rime perdue, car nous n'en sommes pas riches ; deux variétés de tulipes, l'anémone, le « soucy », la violette, le jasmin, le muguet, le perce-neige, le pavot, l'immortelle, bref vingt-neuf fleurs, sans compter les pages du début où un étonnant zéphyr souffle légèrement des pétales multicolores sur la terre, et le titre, encadré d'une large et chatoyante couronne florale : la Guirlande de Iulie.

Pour la reliure, on s'adressa à un artiste dont les biblio- philes de nos jours connaissent bien le nom : il s'appelait Le Gascon, et sa particularité, — propre aux génies de l'anti- quité, — est de n'avoir peut-être été qu'un mythe, car il est possible que « Le Gascon » ne fût que le surnom de Florimond Badier qui fut, lui aussi, un « as » de la reliure, et dont l'exis- tence est bien connue. La gloire, en tout cas, d'avoir porté au plus haut la perfection des reliures à la fanfare surchargées de petits fers au pointillé, appartient à l'un et à l'autre, s'ils sont deux, et à Florimond Badier, dit Le Gascon, si sunt bis in unum.

On exécuta pour la Guirlande une reliure pleine, en maro- quin rouge, régulièrement semée de l'entrelacs JLA (Julie Lucinia d'Angennes) d'une charmante simplicité.

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LA GUIRLANDE DE JULIE. 4 2 5

E

NFIN, là fameuse pièce fut prête (il y avait trois ans qu'on y travaillait) et Montausier la présenta à Julie le 22 mai 1461, jour de sa sainte patronne.

Il semble bien que l'effet ait été manqué ; Julie, malgré ses trente-cinq ans, n'avait nulle envie de se marier. Le pauvre Montausier, avec son beau présent, n'eut qu'un succès d'es- time ; il exhale son amertume dans un sonnet :

... Son amour est un but où je ne puis atteindre...

Dépité, il s'en va guerroyer en Alsace. Mais il y a des passes noires, et Bellone ne lui sourit pas plus que Vénus : au cours d'un combat, il est fait prisonnier et traité durement, malgré son rang et son titre, par une soldatesque germanique sans courtoisie. L'Hôtel de Rambouillet intervient aussitôt auprès de la régente Anne d'Autriche, pour faire verser à l'en- nemi la rançon exigée. Mais Mazarin, sans l'avis de qui la Régente ne décide rien, fait la sourde oreille, et Montausier, au bout d'un an, se morfond toujours dans son cachot de Schweinfurt. Enfin, il arrive à rassembler, avec l'aide de ses amis et de sa famille, les 10 000 écus de la rançon, et, libre, il aecourt à Paris, mais pour y trouver Julie toujours aussi rétive.

Coup sur coup, il hérite alors d'un de ses oncles, M. de Bras- sac, le titre de gouverneur de Saintonge et d'Anjou, et, de la veuve de cet oncle qui le suit de près dans la tombe, une belle fortune : l'honneur, et de quoi soutenir cet honneur. Vraiment, Charles de Sainte-Maure, marquis de Montausier, maréchal de camp et gouverneur de la Haute-Alsaee, de la Saintonge et de l'Anjou, était un beau parti. Mise au pied du mur, Julie imposa alors à Montausier d'abjurer le protestantisme, déclarant qu'elle n'épouserait jamais un réformé. Dernier coup pour Montausier, qui avait de la conscience et tenait à sa foi.

Néanmoins, il se convertit, sincèrement semble-t-il, après de longues disputes théologiques avec le prédicateur de la Reine, le Révérend Père Faure.

Enfin, Julie se décide. Le contrat est dressé, et nous y voyons que l'apport de la future consiste surtout en un titre qui équivaudrait, de nos jours, à un certificat nominatif d'obligations de chemin de fer : c'était une « rente sur l'Entre- prise des coches d'Orléans » que lui avait donnée, pour étoffer

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sa dot, une grande dame, amie des Rambouillet, la duchesse d'Aiguillon. E t le mariage est célébré le 3 juillet 1645.

Nous abandonnerons là Montausier, non sans indiquer qu'on incline à croire que Molière l'aurait dépeint sous les traits du Misanthrope : l'homme aux rubans verts, paraît'il, c'était lui, alors que, vieillissant, il brûlait ce qu'il avait adoré et n'avait plus qu'indignation et sarcasmes pour le ton du Sonnet à Phyllis,

Q

UE devint la Guirlande ?

Une fille naquit d u mariage le 21 juillet 1646 ; cette petite Marie-Julie devait épouser* en 1664, Emmanuel, comte

«V Crussol, puis duc d'Uzès.

Cette duchesse d'Uzès, fille de Julie, hérita, en 1690, de la Guirlande à la mort de son père, qui était duc de Montausier, depuis 1665, et mourut elle-même cinq ans plus tard.

La Guirlande fut alors vendue par ses héritiers. Un « parti- culier » l'acheta 15 louis d'or, soit environ 2 500 francs de notre monnaie/ et la revendit au « premier valet de chambre » du duc de Bourgogne, Denis Moreau, homme « fort supérieur à son état », et dont Saint-Simon a tracé un beau portrait dans ses Mémoires ; Moreau en fit don à François-Roger de Gai- gnièree. Un personnage, ce Gaignières : modèle de Démocède, dans les Caractères de La Bruyère (De la mode), il est le type du collectionneur : « Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes, et bientôt il les étale et vous les montre... »

Voici en quels termes il présente la Guirlande :

: « lie dessein de cet ouvrage est un des plus ingénieux et des plus galants qu'on pût imaginer en ce genre. M. Huet l'a appelé le chef-d'œuvre de la galanterie, et a vanté la magni- ficence de son exécution : on peut dire qu'elle n'a été en rien inférieure au projet.

« Il a pour auteur feu M. le duc de Montausier, qui l'envoya, le jour de la fête de Julie-Lucine d'Angennes de Rambouillet, à cette charmante personne, dont il devint enfin l'époux après e n avoir été longtemps l'amant. »

.;•• Attaché à la Maison de Guise, il fut gouverneur de Jôin- ville, et cette charge lui laissa le temps de rassembler une collection de parchemins et de manuscrits qu'il donna de son vivant à la bibliothèque du Roi et au cabinet des estampes,

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LA. GUIRLANDE DE JULIE. 4 2 7

La Guirlande passa alors entre les mains du chevalier de

Bauche et fut achetée, à la vente des livres de celui-ci, en

1726, f>ar l'abbé de Rothelin.

Charles d'Orléans de Rothelin descendait de Dunois, celui de Jeanne d'Arc, dit le Bâtard d'Orléans. Cet homme aimable, qui entra à l'Académie française en 1728, avait accompagné, quelques années auparavant, le cardinal de Polignac dans une mission diplomatique à Rome. Il y avait acquis un goût si Vif et si sûr pour la numismatique que la collection de monnaies anciennes qu'il rassembla fut jugée, à sa Morty assez belle pour être achetée par le roi d'Espagne Philippe V, afin d'enrichir la bibliothèque de l'Escurial.

L'abbé de Rothelin fit don de la Guirlande à l'un de ses amis, Claude de Boze. Il écrivit de sa main, sut le premier feuillet, la dédicace suivante, qu'on y lit encore :

« Je prie M. de Boze de vouloir bien accepter le présent livre, et le placer dans

(

son magnifique cabinet, comme une marque de ma tendre amitié. —- L'abbé de Rothelin. »

Ce M. de Boze, encore un collectionneur et un numismate passionné, fut garde du Cabinet des Médailles en 1719. Sois érudition le fit nommer secrétaire perpétuel de l'Académie dés Inscriptions en 1706, et il remplaça Fénêlôn à l'Académie française en 1715. A sa mort (1753), ses héritiers disper- sèrent sa bibliothèque, et la Guirlande fut achetée par Jules-Robert de Cotte, beau-frère de Mansart, qui la revendit à M. G-aignat à la vente de qui elle fut achetée par le duo de Là Vallière, pour la somme de 780 livres.

Ce grand seigneur, le douzième possesseur de la Guirlande depuis Julie d'Angennes, avait hérité, en 1739, une belle fortune de la princesse de Conti, fille naturelle de Louis XIV et de Louise de La Vallière, et l'employa à composer Une bibliothèque qu'il plaça dans son château dé Moritrçuge. [

Après sa mort, survenue en 1780, sa bibliothèque fut vendue aux enchères en 1784, et cette vente attira les pria*

cipaux libraires de Paris et de Londres.

Presque tous les livres furent achetés par le marquis de Paulmy d'Argenson qui les plaça dans sa bibliothèque de l'Arsenal, laquelle, comme on sait, fut rachetée en 1785, par le comte d'Artois, le futur Charles X.

Quant à la Guirlande, elle fut rachetée à cette vente par

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la propre fille du duc de La Vallière, la duchesse de Châtillon, qui se porta acquéreur par l'entremise d'un libraire anglais nommé Peyne. Aux enchères, le manuscrit fut poussé jusqu'à 14 510 livres, dont la duchesse de Châtillon n'eut qu'à s'ac- quitter qu'en « moins prenant », suivant le terme notarial.

La duchesse de Châtillon n'avait que deux filles : la prin- cesse de Tarente et la duchesse d'Uzès L celle-ci hérita, à la mort de sa mère, de la Guirlande qui devenait ainsi, après un long détour, aux mains des descendants de Julie d'Angennes, les d'Uzès, qui la possèdent encore de nos jours.

A notre connaissance, la Guirlande de Julie n'a été exposée que deux fois depuis lors : en 1878, le duc d'Uzès, grand-père maternel de l'auteur de ces lignes, la prêta pour l'exposition universelle de 1878; mais ensuite, sa veuve, née Anne de Mor- temart, celle-là même qui a laissé, en disparaissant à quatre- vingt-cinq ans en 1933, le souvenir d'une si populaire silhouette, se fixa une règle stricte de ne pas s'en dessaisir pour des expositions. Ce n'est qu'en 1935 que la Guirlande vit le jour de nouveau à l'exposition du troisième centenaire de l'Académie française à la Bibliothèque nationale.

Telle est l'histoire de la Guirlande. Ajoutons que le duc d'Aùmale, en 1893, deux ans avant sa mort, toujours féru de beaux livres, en avait offert à la duchesse d'Uzès une somme qui, en francs d'aujourd'hui, dépasserait le demi- million ; mais celle-ci préféra conserver par devers elle ce manuscrit qu'avait eu entre ses mains Marie-Julie de Sainte- Maure, duchesse d'Uzès, née du lointain mariage du duc de Montausier, le Misanthrope, avec Julie d'Angennes de Ram- bouillet, la Précieuse (1).

(1) Après le décès, en février 1933, de la duchesse d'Uzès, plusieurs journaux rappelèrent le souvenir de la Guirlande de Julie. Citons, malgré ses inexactitudes, l'entrefilet paru dans Je suis partout du 11 février 1933 : • Que deviendront les archives d'Uzès, de Bonnelles, de Dampierre ? Ce sont, dit-on, les plus riches de France. Que deviendront les lettres de Charles IX au baron de Crussol et la cor- respondance de Voltaire au marquis d'Antin ? Et, perle rarissime, le manuscrit de la Guirlande de Julie, offert en 1645 par l'énamouré Montausier, — le misan- thrope, — à MUe de Rambouillet 1 L'exemplaire unique de la main de Jarry, avec les fleurs peintes par Robert, demeura jusqu'à la Révolution française dans les archives de la famille. En 1784, il fut acquis 14 502 francs par le duc de La Vallière. 11 revint, à la Restauration, dans la bibliothèque des d'Uzès, où il est encore. Un fac-similé en a été tiré au commencement du xixe siècle, par les Didnl. Avons-nous besoin de le dire ? C'est une pièce unique. »

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C

ES quelques notes ne seraient pas complètes, si nous ne donnions un goût des pièces qui composent la Guir- lande de Julie. Soyons francs : ce qui plaisait le plus aux Précieuses est précisément ce qui, aujourd'hui, et pour parler comme elles, nous donne le plus furieusement sur les nerfs.

Cette recherche laborieuse de l'allusion, de la métaphore, de l'antithèse, ces gentillesses fades, ces finesses convenues, cette horreur, non pas seulement du réalisme, mais du réel, ces clichés dont la rime annonce automatiquement le retour, ces concetti à l'italienne, tout ce jiu-jitsu galant nous sont, il faut bien le dire, à peu près insupportables maintenant.

En outre, un madrigal, passe encore : mais soixante, sur le même thème et sur le même ton ! Ils nous feraient prendre en grippe cette pauvre Julie, et nous serions tout près de souscrire au jugement sévère de M. Emile Magne qui dit, en parlant de la Guirlande : « Vainement y chercherait-on une trace de talent. »

Si l'on se sent au contraire porté à l'indulgence, on admettra l'appréciation de Van Bever :

« Ce sont de jolies piécettes, fleurs écloses dans un siècle des plus galants qui fut jamais. Aussi leur charme suranné, auquel s'ajoute je ne sais quelle tendresse ingénue, quelle grâce poétique, leur assure-t-il une place dans notre collection... »

D'ailleurs, s'il est vrai que le déchet est énorme, les poètes et romanciers précieux ont néanmoins enrichi la langue fran- çaise ; il faut beaucoup leur pardonner : à travers le jeu de mots, ils aimaient le jeu des mots, et plus parlés qu'écrits.

Leur invention nous vaut dés expressions courantes dont la fraîcheur s'est préservée à travers trois siècles d'usage intense.

Cueillons dans la Guirlande quelques fleurs.

Voici, par Desmarets, le madrigal de la Violette, qui est devenu classique r

Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe, Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour ; Mais si sur votre front je me puis voir un jour, La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Les piécettes des frères Habert ne sont pas sans un certain goût.

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Celui qui avait été commissaire de l'Artillerie aVaitmadri- galisé sur le Soucy :

Ne pouvant vous donner ni sceptre, ni couronne, Ni ce qui peut flatter les cœurs ambitieux, Recevez ce soucy qu'aujourd'hui je vous donne

Pour ceux que tous les jours me donnent vos beaux yeux.

Celui qui était abbé de Cérisy avait écrit un madrigal sur la Rose, dont nous citerons deux vers que M, Paul Valéry lui-même avait remarqués un jour en notre présence :

L'excès de ma beauté moi-même me tourmente, Je languis pour moi-même et brûle de mes feux...

Voici un échantillon des vers de Scudéry ;

LE PAVOT

Accordez-moi le privilège D'approcher ce front de neige, Et, si je suis placé comme il est à propos, Auprès de ces soleils que le Soleil féconde,

Je leur donnerai le repos

Qu'ils dérobent à tout le monde.

Pour remplir un devoir de piété, nous voudrions citer ce bon Montausier ; mais comment choisir au milieu de t a n t <lê

platitudes I Enfin... :

LA T U L I P E N O M M É E F L A M B O Y A N T E

Permettez-moi, belle Julie, De mêler mes vives couleurs A celles de ces rares fleuré ]Dont votre tète est embellie.

Je porte le nom glorieux

Qu'on doit donner à vos beaux yeux.

Passons.

Malleville avait écrit neuf madrigaux. E n voici deux :

LA F L E U R D ' A D O N I S

Si quelque soin vous tient de vous rendre immortelle, Et de voir votre nom par le monde semé,

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LA GUIRLANDE D E J U L I E .

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Rendez-vous à l'amour, ne soyez plus rebelle i Si je fleuris encor, c'est pour avoir aimé.

X.ES SOUCYS ET LES BENSÉES

f o n beau teint ne peut supportçr D'autres merveilles que les siennes.

Par lui la rose est sans couleur, Les peUlets ont perdu la leur, Les tulipes sont effacées, Les lis h'ont plus de pureté, Et pour toi rien ne m'est resté Que des Soucys et des Pensées...

Arrêtons-nous là : aussi bien pensons-nous avoir donné au lecteur une idée de la Guirlande de Julie en tant qu'oeuvre littéraire.

G x manuscrit célèbre, témoignage précieux des Précieuses, qui, d'heureuse fortune, a traversé trois siècles sansdom»

nifigi», et nous est parvenu intact dans sa jeune fraîcheur, a rsaâiné notre pensée au centre de cette époque héroïque et galante que nous aimons par tout ce que, pêle»mêle, notre souvenir en évoque : que sais-je ? Les trois mousquetaires, le-grand Cardinal, Roxane, Cyrano, les Espagnols, les belles frondeuses, comme Marie de Chevreuse, la noble simplicité des châteaux Louis XIII, en briques orangées et chaînes de piètre blanche, et la grande Mademoiselle pointant les canons de la Bastille du fin bout de sa cravache d'amazone...

; Voici une page un peu oubliée de Victor Cousin, que nous donnerons à cause des perspectives assez larges qu'elle fait entrevoir sur les romanesques débuts du grand siècle :

« Le xvii

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siècle ne relève pas de Louis XIV, qui le cou*

rorme, mais de Richelieu, qui l'a inspiré. Nul ne ressentit

mieux que Richelieu le goût renaissant de la politesse et des

lettres. Lé fond de cette âme extraordinaire était l'ambition ;

son vrai génie était tout politique 5 mais*passîonné pour tous

les genres de gloire, il désirait aussi être ou paraître le plus

bel esprit de son temps, et même un cavalier accompli. Dès

qu'il fut puis )ant, il mit à la mode ses propres goûts ; et,

dès 1630, il y avait à Paris plus d'un hôtel où se réunissaient,

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pour passer le temps le plus agréablement ensemble, des gens d'esprit, avec des femmes aimables, qui naturellement don- naient le ton. L'Hôtel de Rambouillet a été le plus considé- rable de tous ces foyers de l'esprit nouveau^ et il en est resté le plus célèbre.

« Il s'ouvre vers 1620, et subsiste à peu près jusqu'en 1648, où l'idole de la maison, Ml l e de Rambouillet, mariée en 1645 à M. de Montausier, le suit dans son gouvernement de Sain- tonge et d'Angoumois, au commencement de la Fronde. Le beau temps de l'illustre hôtel est donc sous Richelieu et dans les premières années de la régence. Pendant une trentaine d'années, il a rendu d'incontestables services au goût national ; mais le bien qu'il pouvait faire était accompli en 1648. Déjà ses défauts commençaient à paraître et à prendre le pas sur ses qualités. Les cercles inférieurs qui s'étaient formés à Paris et en province, d'abord utiles aussi parce qu'ils propageaient la politesse, avaient fini par être dangereux en faisant dégénérer la noblesse des idées et des sentiments en une fausse grandeur, outrée et maniérée, surtout en transpor- t a n t l'affectation dans la simplicité. C'est alors quej le genre précieux s'étant corrompu, le grand maître en fait de naturel et de vérité lui déclara cette guerre impitoyable par laquelle il a fini, les Précieuses ridicules étant sa première pièce improvisée en 1660, et les Femmes savantes, la dernière en 1672. »

Enfin, nous ferons entendre, pour terminer, une voix féminine : « ... Les idées ni les connaissances qu'on peut y développer n'en sont le principal intérêt : c'est une certaine manière d'agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réci- proquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu'on pense, de jouir à l'instant de soi-même, d'être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l'accent, le geste, le regard, enfin de produire à volonté comme une sorte d'électricité qui fait jaillir des étincelles... »

C'est ainsi que M1116 de Staël a défini ce qui faisait les délices de l'Hôtel de Rambouillet, et qui, de nos jours même, reste le grand plaisir français : la conversation.

P I E R R E DE COSSB-BRISSAC.;

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