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Conclusions. Mireille LE CORRE, rapporteure publique

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Texte intégral

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N° 416278

Ministre de l’intérieur c/ Mme M... épouse V...

7ème et 2ème chambres réunies Séance du 25 septembre 2019 Lecture du 9 octobre 2019

Conclusions

Mireille LE CORRE, rapporteure publique

1.Mme M..., épouse V..., qui est de nationalité macédonienne, est entrée en France en 2012.

Par un premier arrêté du 25 juin 2013, le préfet de la Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire et a désigné le pays de renvoi. Après une nouvelle demande de sa part, le préfet a pris un nouvel arrêté, en date du 26 septembre 2014, ne l’enjoignant cette fois pas à quitter le territoire mais lui opposant toujours un refus de séjour.

Le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Mais la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement et l’arrêté et elle a enjoint au préfet de délivrer à Mme V... une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

La cour a constaté que Mme V... s’était mariée en juin 2012 avec M. V..., ressortissant du Kosovo disposant de la qualité de réfugié politique. Elle a relevé, à juste titre, qu’il avait donc vocation à demeurer en France. Elle a également constaté qu’un enfant était né de leur union en janvier 2013 et que ses deux parents le prenaient en charge et pourvoyaient à son entretien et à son éducation. La cour a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que prévu à l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, commandait que sa mère, la requérante, demeure sur le territoire français. Elle a donc annulé, pour ce motif, l’arrêté litigieux.

2. Vous savez que l’article 3-1prévoit que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (…) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

Vous veillez au respect de ces dispositions, directement applicables en droit interne (22 septembre 1997, Mlle C…, n° 161364, au Recueil). Et vous exercez un contrôle de qualification juridique sur l’appréciation portée par les juges du fond sur ce point (26 juillet 2011, Mme S…, n° 335752, aux Tables).

La question qui vous est posée est celle des effets de la qualité de réfugié et son articulation avec le principe d’intérêt supérieur de l’enfant.

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3. Disons d’emblée que ni l’arrêt ni le pourvoi ne se situent sur le terrain des textes ou principes spécifiques applicables aux réfugiés. Nous en disons un mot rapide pour en rappeler néanmoins l’esprit et clarifier la configuration du cas d’espèce.

Avec votre décision d’Assemblée Mme A… (2 février 1994, n° 112842, au Recueil, p. 523), vous avez jugé que « les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ainsi qu’aux enfants mineurs de ce réfugié ». C’est le principe général du droit d’unité de la famille.

Vous avez étendu aux concubins cette jurisprudence applicable aux couples mariés et à leurs enfants mineurs (21 mai 1997, Gomez Botero, n° 159999, aux Tables). Vous l’avez en revanche exclu pour les enfants majeurs (21 mai 1997, S…, n° 172161, au Recueil), pour les ascendants (7 octobre 1998, Mme K…, n° 176259, aux Tables), sauf pour les ascendants incapables, dépendant matériellement et moralement du réfugié (28 juillet 2004, Mme T…

épouse Z…, n° 229053, au Recueil).

Vous avez également précisé que ce principe ne trouvait pas à s'appliquer dans le cas où la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié peut se prévaloir de la protection d'un autre pays dont elle a la nationalité. Ainsi, le conjoint d'un réfugié qui a la même nationalité que ce dernier mais qui possède, en outre, la nationalité d'un autre pays dont il est en mesure d'obtenir la protection, ne peut bénéficier du principe de l'unité de famille du réfugié (23 février 2009, Office français de protection des réfugiés et apatrides c/ B…, n° 283246, au Recueil)1.

Malgré ces précisions, vous n’avez jamais remis en cause le principe général de l’unité familiale lorsqu’il s’applique à la cellule proche, c’est-à-dire au conjoint et aux enfants mineurs du réfugié.

En l’espèce, l’enfant de l’union de M. et Mme V... a le statut d’enfant réfugié du fait du statut de réfugié de son père, mais nous comprenons que tel n’est pas le cas de la mère, Mme V..., la requérante, sans doute du fait de sa nationalité et de leur mariage postérieur à l’obtention du statut de réfugié du père. Précisons que le Ceseda2 prévoit que les membres de la famille du réfugié (statut de réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire) peuvent bénéficier de la procédure de « réunification familiale ». Dans ce cas, le mariage ou l’union civile doit être antérieur à la date d’introduction de la demande de protection. Si l’union a été contractée

1 Vous avez, de façon moins compréhensible selon nous, resserré votre jurisprudence A… en retenant qu’il ne résultait ni des stipulations de la convention de Genève, ni des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, que le statut de réfugié doive être accordé aux parents d'une enfant ou d'une jeune fille mineure ayant obtenu le statut de réfugié en raison de risques de mutilations sexuelles féminines encourus dans le pays dont elle a la nationalité du seul fait que le statut a été reconnu à leur enfant et indépendamment des risques de persécutions qu'ils pourraient faire personnellement valoir (20 novembre 2013, M. F… et Mme D… épouse F…, n° 368676, au Recueil).

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après l’introduction de la demande de protection, c’est la procédure de droit commun du regroupement familial qui a vocation à s’appliquer et non celle de la réunification familiale.

Cela semble être le cas en l’espèce puisqu’il apparaît que M. V... avait déjà le statut de réfugié lorsqu’il s’est marié avec Mme V... qui, par ailleurs, est de nationalité différente.

4. Qu’en est-il lorsque ce n’est pas le statut de réfugié mais un autre titre qui est demandé afin de préserver l’unité familiale, en présence d’un enfant ?

S’agissant du visa, les autorités consulaires ne peuvent pas refuser de délivrer aux conjoint et enfants mineurs d’un réfugié statutaire les visas qu’ils sollicitent pour mener une vie familiale normale, sauf pour un motif d’ordre public (3 février 2012, Ministre de l'intérieur, de l'outre- mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, n° 353952, au Recueil).

S’agissant de l’octroi d’un titre de séjour, la question se pose puisque la qualité de réfugié peut ne pas être octroyée au conjoint malgré le principe d’unité familiale évoqué précédemment, compte tenu des conditions posées, notamment si le conjoint n’a pas la même nationalité, ou compte tenu de la chronologie entre le mariage et l’obtention du statut.

Pour autant, c’est la même logique de préservation de la cellule familiale qui nous semble devoir alors appréciée au regard cette fois de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant. Il s’agit d’articuler les effets de la qualité de réfugié avec le respect de l’article 3-1 de cette convention.

Vous avez déjà jugé en ce sens, au moins une fois dans une décision récente (24 avril 2019, Q…, n° 413874, à nos conclusions). Vous avez tenu compte de la circonstance de ce qu’un des parents a la qualité de réfugié politique et a vocation à demeurer en France pour estimer que le refus de titre de séjour de l’autre parent conduirait à la séparation de la cellule familiale, en méconnaissance de l’article 3-1. La circonstance tenant au statut de réfugiée de la compagne du requérant a été considérée comme déterminante car elle ne pouvait retourner dans son pays. En cas de renvoi, leur enfant aurait donc été privé soit de son père, soit de sa mère.

Les circonstances sont, en l’espèce, identiques. Le ministre ne conteste pas que M. V...

encourt des risques dans son pays d’origine. La situation de vie familiale n’est pas non plus contestée.

Une différence tient à ce que dans son second arrêté, en litige, le préfet a refusé le séjour mais n’a pas prononcé d’obligation de quitter le territoire. Mais, sauf à valider implicitement une situation de séjour irrégulier, cela revient au même en termes d’impossibilité d’établir la cellule familiale en France alors que le père y est réfugié et a vocation à y rester.

L’argument du ministre selon lequel Mme V... pourrait retourner dans son pays, en Macédoine, pour demander un regroupement familial ne tient pas, par ailleurs, s’agissant de la méconnaissance de l’article 3-1.

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D’une part, l’enfant serait séparé de son père au moins temporairement et sans doute pour un moment « temporaire » qui aurait vocation à durer. Le père qui a la qualité de réfugié politique en France ne peut retourner dans son pays et a vocation à rester en France.

D’autre part et surtout, l’issue de la procédure de regroupement familial est très hypothétique, voire vouée à l’échec en l’espèce. L’idée que M. V... puisse « voyager » en Macédoine pour

« rendre visite » à son épouse ne saurait être un argument pertinent face à la séparation au minimum temporaire, voire pérenne, de la cellule familiale. En d’autres termes, le ministre se fonde sur une approche excessivement théorique du droit au regroupement familial, alors que l’appréciation de l’article 3-1 suppose d’apprécier, in concreto, s’il est porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mme V... faisait ainsi valoir devant la cour, sans être contredite par le préfet, que son mari ne remplissait pas les conditions de ressources et de logement lui permettant d’obtenir le regroupement familial. Leur famille est composée de deux parents et quatre enfants, son logement est petit et ses ressources faibles. L’obtention d’un titre sur le fondement du droit du regroupement familial étant incertaine et très probablement impossible, elle ne suffit pas à garantir que la cellule familiale ne sera pas éclatée et qu’il ne sera ainsi pas porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, nous précisons que vous écartez en général l’application de l’article 3-1 lorsque l’implication du parent concerné dans l’éducation de l’enfant n’est pas établie. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce. De la même façon, vous écartez cet article lorsque la cellule familiale peut être recomposée ailleurs, mais tel n’est pas le cas ici, du fait du statut de réfugié en France d’un des deux parents.

C’est donc sans erreur de droit et sans erreur de qualification juridique que la cour a retenu une méconnaissance de l’article 3-1.

5. Une dernière question intéressante vous est soumise. Le ministre soutient également que l’arrêt serait entaché d’une autre erreur de droit en jugeant que Mme V... devait en conséquence bénéficier d’un titre vie privée et familiale.

Il estime que la cour aurait excédé son office et méconnu l’article L. 313-11 7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d’asile, en enjoignant au préfet de délivrer un titre vie privée et familiale. Cet article dispose que la carte de séjour vie privée et familiale est délivrée « de plein droit » « 7° à l’étranger (…) qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial ». Il est donc exact que la procédure de regroupement familial prime sur la délivrance de cette carte.

Vous avez déjà retenu une atteinte au droit à la vie privée et familiale « alors même que l’intéressée pouvait bénéficier du regroupement familial » dans des cas d’arrêté de mesures de reconduite à la frontière lorsque la mesure litigieuse conduit à un éclatement de la cellule familiale avec des enfants (1er avril 2005, Préfet de l’Eure c/ Mme Y…, épouse N…, n°

260561 ; 18 mars 2005, M. H…, n° 270606). Comme nous l’avons déjà indiqué, l’arrêté n’ordonne pas ici de quitter le territoire mais en refusant un titre de séjour, la personne est en

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En outre, deux autres éléments nous conduisent à écarter le moyen :

- d’une part, il s’agit d’une délivrance « de plein droit » devant être examinée de façon subsidiaire en cas de possibilité de regroupement familial, mais cela n’interdit pas que le juge ordonne une telle délivrance en l’absence de procédure de regroupement familial engagée à la date de son arrêt,

- d’autre part, dès lors que son annulation était fondée sur l’article 3-1 et la non- séparation de la cellule familiale, il apparaît cohérent de la part de la cour d’avoir enjoint au préfet de délivrer le titre permettant d’éviter une telle séparation.

Les moyens soulevés sur ce point doivent donc être écartés. L’arrêt est enfin, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment motivé : il comprend les motifs de droit et de fait fondant son dispositif.

Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi du ministre.

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