ÉDITORIAL
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3 mars 2021
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Regards croisés sur le cœur du patient
Dr GRÉGOIRE GIROD et Pr STÉPHANE COOK
En préparant ce numéro de la Revue Médicale Suisse, nous nous sommes fixés pour but d’aborder quelques sujets chers à notre cœur, comprenez ici : cardiologiques, contemporains et aisément intégrés dans la pratique médicale quotidienne. Cette tâche n’a pas été facile au vu des nombreuses avancées récentes dans la prise en charge des pathologies cardiovascu
laires au niveau du diagnostic, de la thérapie médicale ou interventionnelle, ou encore dans la prévention primaire et secondaire.
Néanmoins, un constat immuable est que les atteintes cardiovas
culaires restent la cause de mor
bidité et de mortalité principale en Suisse, ceci devant les cancers.
L’année dernière, ce fait a presque été occulté avec l’installation du grand perturbateur SARSCoV2 et son Covid19. À ce titre, Sara Schukraft et ses collègues nous
rendent attentifs au fait que le virus a un fort tropisme pour le système vasculaire, avec les atteintes à suspecter et l’influence de la pandémie sur les diagnostics et l’accès aux soins aigus.
De cette pandémie, nous avons appris combien les insuffisants cardiaques sont vulnérables et doivent être suivis au plus près. À ce titre, Michele Vivaldo et ses col
lègues présentent la prise en charge ac
tuelle. Ainsi, la science réservant toujours quelques surprises là où on ne l’attendait pas forcément, les inhibiteurs des récep
teurs SGLT2, initialement conçus pour trai
ter le diabète, se révèlent efficaces dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. De plus, Nicolas Barras et ses collègues résu
ment tout ce que nous devons savoir sur le syndrome de Takotsubo. Ce syndrome fré
quent et encore inconnu il y a vingt ans ne cesse de nous rappeler combien le cœur in
teragit avec nos émotions. Ce qui semble évident dans un film d’Alfred Hitchcock ou
un roman d’Agatha Christie, se concrétise sous nos yeux : une forte émotion peut avoir un impact tel que le cœur s’en trouve litté
ralement sidéré ou même brisé.
Stefania Aur et ses collègues nous expliquent comment s’orienter dans nos pires cau
chemars, ou quand cardiopathies et cancers interagissent. Les progrès fulgurants de l’immunothérapie dans le domaine de l’onco
logie sont tels que le rêve d’un médicament parfait, si spécifique qu’il n’aurait plus aucun effet secondaire, semble à portée de main. Les progrès sont indéniables, mais le cœur du patient cancéreux peut hélas souffrir encore dans toutes ses dimensions : physique, émo
tionnelle et spirituelle. Les auteurs rappellent la stratifica
tion du risque et les dépistages cardiaques utiles pendant les traitements oncologiques.
Vincent Gabus et ses collègues relatent quant à eux les aspects très pratiques de la gestion des pacemakers et défibrillateurs, comme la distance à garder avec les smartphones ou les plaques à induction, que faire après un décès ou leur compatibilité avec l’IRM.
Si les éléments extérieurs peuvent affecter le cœur, ce dernier peut aussi être à l’origine de nombreuses complications cérébrales ou vas
culaires. Les événements cardioemboliques en sont une manifestation redoutable et re
doutée, pouvant cependant être largement prévenus même au plus grand âge, dans le subtil équilibre entre ischémie et hémorra
gie. Bojan Djokic et ses collègues en font une revue concise et précise.
Ces quelques exemples d’interconnexions entre le cœur, le corps et l’esprit peuvent nous étonner, mais ne devraient pas nous surprendre.
À l’heure de l’hyperspécialisation, ce serait Articles publiés
sous la direction de
GRÉGOIRE GIROD Service de cardiologie, Hôpital du Valais, Sion
STÉPHANE COOK Service de cardiologie, Hôpital et Université de Fribourg, Fribourg
L’OBJECTIF D’UNE CARDIOLOGIE DE
POINTE DOIT AUSSI ÊTRE CELUI
DE VIVRE AU CENTRE D’UNE
MÉDECINE
HOLISTIQUE
REVUE MÉDICALE SUISSE
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une grave erreur d’ignorer que l’objectif d’une cardiologie de pointe doit aussi être celui de vivre au centre d’une médecine holistique. Le traitement des patients car
diaques nous rappelle le défi d’un suivi hospi
talier et ambulatoire fluide, et de l’intégra
tion du patient comme acteur de la prise en charge de sa maladie, entouré de médecins, infirmières, physiothérapeutes, diététiciennes et psychologues.
Les hôpitaux non universitaires, que nous représentons dans ce numéro de la revue,
sont souvent un lien entre les médecins de premiers recours – cheville ouvrière et incon
testée de la médecine romande – et ce que Urs Birchler, ancien directeur de l’Hôpital de l’Ile de Berne, nommait les hôpitaux de dernier recours. C’est de là que nous vous écrivons aujourd’hui : d’une médecine située entre le premier et le dernier recours, à la croisée des chemins. Avec l’espoir d’une médecine plus intégrative, fruit de la coopé
ration des acteurs de la santé, nous vous souhaitons une bonne lecture.