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LABORATOIRE DE GEOGRAPHIE HUMAINE (L.A. 142) Centre National de la Recherche Scientifique

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LABORATOIRE DE GEOGRAPHIE HUMAINE (L.A. 142) Centre National de la Recherche Scientifique

LA VIE DURE QU'ON A EUE Neuf récits de vie de travailleuses

parisiennes retraitées

Catherine RHEIN Attachée de recherche

Mars 1980 - C.O.R.D.E.S- C.N.R.S. Convention C.O.R.D.E.S. n° 17/77

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LA VIE DURE QU'ON A EUE

Neuf récits de vie de travailleuses parisiennes

Recourir aux récits de vie devient, depuis quelques années parait-il, banal.

Il y aurait une vogue de l'histoire de vie, suspecte et dangereuse pour certains, révolutionnaire pour d'autres. Le reproche de banalité n'est pas sans fondements.

Mais il est trop global et l'on ne sait trop ce qui est effectivement banal, des vies elles-mêmes, de la pratique autobiographique ou de l'usage de récits de vie dans la recherche en sciences sociales.

Seule la pratique du récit autobiographique écrit par l'acteur lui-même est courante sinon banale, et trés marquée socialement. J.M. Peneff souligne à juste titre que la plupart des autobiographies ouvrières sont celles de leaders syndicaux ou politiques, d'ouvriers trés qualifiés, tels Gaston Lucas 2 souvent 2 anarchistes ou anarchisants, tels Georges Navel . Cela est encore plus net dans 3 le cas des femmes : Hélène Elek est patronne de restaurant, mère d'un héros, 4 militante elle-même. Les bonnes fascinent car leurs récits ou souvenirs invitent à une "traversée du miroir" bourgeois bien plus qu'à une réelle exploration du prolétariat auxquelles elles appartiennent. Ainsi, que sait-on du destin de ces femmes, bonnes un temps et devenues ensuite ouvrières ou femmes de ménage ? La publication d'autobiographies d'ouvriers ou plus généralement de prolétaires sont donc loin d'offrir un éventail complet, une image exacte de la classe ou- vrière.

En sciences sociales, le recours aux récits de vie est une pratique ancienne mais assez rare actuellement, en définitive. Non seulement l'intérêt porté aux récits de vie est restreint mais peu nombreux sont les chercheurs qui se soient posés les problèmes méthodologiques et théoriques importants que soulève le récit de vie. Les travaux de D. Bertaux et ceux de l'équipe québécoise constituent de trés précieux repères, trop rares encore.

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Tous ces auteurs soulignent l'absence d'une réelle méthodologie : mais celle-ci est-elle possible, compte tenu de la diversité des champs théoriques dont se réclament les chercheurs, compte tenu aussi de la grande variété des statuts ou des places qu'occupent les personnes,livrant l'histoire de leurs vie, dans la société ?

La recherche qui est présentée ici ne se veut pas exclusivement d'histoire orale. Elle constitue avant tout une contribution à une importante étude de géographie sociale, entreprise par Françoise Cribier en 1974, sur les modes de vie des Parisiens retraités. Dans le cadre de cette étude, les biographies pro- fessionnelles de près de cinq cents retraités parisiens, constituant un échan- tillon représentatif 8 , ont été recueillies. C'est ce matériau exceptionnel et neuf récits de vie qui ont été utilisés dans le cadre de la recherche que je présente ici. A l'origine, celle-ci devait porter sur les modes sur lesquels des travailleurs, retraités aujourd'hui, avaient "vécu" et "perçu" la Crise de 1929 , c'est-à-dire les années Trente. Le champ et l'objet de la recherche ont dû être modifiés par la suite. Seules, des femmes, travailleuses peu qualifiées retraitées aujourd'hui, furent interrogées, et non des hommes et des femmes, comme le pro- posait le projet initial. Aussi, au thème de la Crise, fut substitué celui de la constitution de ce segment particulier de la classe ouvrière parisienne, celui de la main d'oeuvre féminine non qualifiée. Ce thème est important, parce que, parmi les travailleurs salariés du secteur privé ayant pris leur retraite en 1972 à Paris, 30 % des hommes mais 70 % des femmes avaient eu un emploi dit non ou peu qualifié au cours de la décennie précédant leur passage à la retraite. Ce thème est aussi difficile pour deux raisons; D'une part, les travailleuses peu quali- fiées constituent un segment "gênant" de la classe ouvrière : ce ne sont pas des agents comme les autres, puisque leur appartenance de classe n'est pas seu- lement liée à leur position propre dans le procès de production mais aussi à celle de leur époux. Dépendantes et dominées, elles semblent en marge de l'Histoire, et leurs récits pourraient le laisser croire. D'autre part, les récits de vie sont plus que des biographies. Ils donnent à voir des conceptions du monde et de ses changements, des autoportraits s'y dessinent. Dans certains récits, ces éléments du discours autobiographique semblent avoir été à l'origine d'une reconstruction ou d'une réinterprétation de la mémoire autobiographique de la narratrice, en fonction de son mode de vie actuel. La difficulté nait donc de

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ce jeu entre passé et présent et du fait que son importance reste encore trés largement indéterminée. En prenant en compte, dans l'analyse, la situation actuelle des narratrices - celle de retraitées -, nous retrouvions là cette problématique des modes de vie - de retraite, en particulier - qui n'a cessé de faire l'objet d'analyses depuis 1974, au cours des travaux que mènent Françoise Cribier et l'équipe qu'elle anime au Laboratoire de Géographie Humaine, sur la population retraitée parisienne.

L'analyse de la constitution de cette cohorte de travailleuses parisiennes peu qualifiées - d'un point de vue d'histoire sociale - a fait l'objet d'une thèse de 3ème cycle soutenue en décembre 1977, sous la direction de Françoise Cribier. Michelle Perrot avait bien voulu me donner de nombreux et

précieux conseils : qu'elle en soit remerciée ici. Une version résumée de ce travail constitue le deuxième chapitre de ce rapport. Mais l'essentiel du rapport est consacré aux notes méthodologiques (chapitre premier) et ce que peu- vent apporter ces récits de vie à la connaissance des modes de vie et en parti- culier à ceux des populations âgées. Je remercie Françoise Cribier de sa direc- tion scientifique constante et efficace, ainsi que le CORDES qui a financé cette recherche.

L'achèvement de cette recherche exploratoire a dû être différé en raison du séjour de dix-huit mois que j'ai effectué en Californie et des études que j'ai menées au département de sociologie de University of California at Los Angeles.

A l'occasion d'entretiens avec Melvin Pollner, professeur de sociologie à U.C.L.A., j'ai pu mesuré à quel point le récit de vie - comme discours, comme langage - est socialement déterminé et historiquement marqué, donc trés spécifique à une forma- tion sociale.

Mais, mise à part l'ethnométhodologie (dont Pollner se réclame), peu d'autres branches de la sociologie américaine ont recours aux récits de vie. Ceux-ci sont un peu utilisés dans les départements de Human development, formant des travailleurs sociaux.Dans certains départements d'histoire, l'histoire orale est relativement développée : ainsi, deux importants programmes existent, l'un à UC.Berkeley, l'autre à UC.LA, sur les suffragettes et les militants du mouve- ment ouvrier. L'histoire orale porte donc, dans l'immense majorité des cas, sur des "outstanding personalities" dont on recueille les témoignages. Il s'agit là d'une approche différente de celle que l'on a voulu tenter ici.

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Notes de l'introduction

1. J.M. Peneff p. 27, Autobiographies de militants ouvriers in Revue française de sciences politiques, n° 1, février 1979, vol. 29.

2. A. Blasquez Gaston Lucas, serrurier : chronique de l'anti-héros.

Collection Terre Humaine, Plon, 1976.

3. G. Navel Travaux.

Gallimard, Paris 4. H. Elek La mémoire d'Hélène.

Collection La mémoire du peuple, Maspéro, 1977.

5. D. Bertaux Histoires de vies ou récits de pratiques ? Méthodologie de l'approche biographique en sociologie.

Rapport de recherche au CORDES, mars 1976.

6. En particulier de B. Jean, D. Millar et M. Juneau L'histoire orale, éd. Edisem, Québec, 1978.

7. Les principaux résultats ont été publiés par F. Cribier en 1978, sous le titre Une génération de Parisiens arrive à la retraite, rapport de recherche au CORDES, 1978.

8. Une partie du premier chapitre de ce rapport est consacrée à la définition de cet échantillon et du corpus recueilli.

9. Y. Diallo-Le Guen Les Parisiennes et leur ville à l'âge de la retraité.

Thèse de doctorat de 3ème cycle, 1977, Université VII.

10. C. Rhein Jeunes femmes au travail dans le Paris de l'entre-deux guerres.

Thèse de doctorat de 3ème cycle, 1977, Université Paris VII.

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Chapitre un : DE L'ETUDE SOCIO-DEMOGRAPHIQUE D'UNE COHORTE DE RETRAITES PARISIENS AU RECUEIL DE RECITS DE VIE : ORIGINES, PROBLEMATIQUES ET PROBLEMES.

SOCIOLOGIE DE LA VIEILLESSE ET GERONTOLOGIE SOCIALE

Les personnes âgées, les populations âgées n'intéressent pas beaucoup les sciences sociales : jusqu'à ces toutes dernières années, fort peu d'études leur ont été consacrées en France.

Aux Etats-Unis, il existe une gérontologie sociale, dominée par une psycho- sociologie attachée principalement à l'analyse des processus de vieillissement, et par une sociologie assez peu intéressée aux études longitudinales vraiment longues et, plus généralement, au passé des personnes âgées. Seule la condition de "vieux" importe aux spécialistes américains ; lorsqu'ils se penchent sur les déterminants sociaux, sur le rôle des expériences traversées au cours de l'exis- tence, les seuls indices pris en compte sont ces catégories socio-professionnelles tellement extensives qu'elles n'ont que peu de sens : "lower blue collar", "higher blue-collar", "lower white-collar", . . . De fait, fondée par Tibbits. un élève de Burgess à Chicago, cette gérontologie sociale américaine a pu s'institutionna- liser à la faveur d'une "demande" importante d'informations et de données pro- venant des administrations fédérales et locales,et, en particulier, des services sociaux. Ceci explique cette prolifération d'études fragmentaires, la constitu- tion de la gérontologie sociale en une manière de ghetto scientifique. On peut ajouter que le refus de l'analyse des structures sociales amène à voir les per- sonnes âgées comme une sorte de minorité sans passé. La différenciation interne de cette population âgée est cependant reconnue de fait : un rapide examen des thèmes de recherches révèle que ceux-ci sont, en réalité, fonction des niveaux de revenus. Les retraités d'une middle-class aisée fascinent par leurs modes de vie, lorsqu'ils choisissent, en particulier, de se regrouper dans des "Leisure Worlds" . Les Noirs, Porto-Ricains, Chicanos et Petits-Blancs pauvres des ghettos et centres urbains décrépis préoccupent Enfin les "nursing homes", et mobile home villages forment autant de "communities" de gens âgés que vont explorer et analyser des ethnologues d'un nouveau s t y l e Les notions de "morale", "life- satisfaction", "adjustement" sont essentielles dans ces études, et leur signi- fication - plus psychologique que sociale - suggère que le but est d'adapter les vieilles gens à la société et de préserver les positions de la middle-class malgré l'avance en âge.

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Par contraste, les recherches menées sur les populations âgées françaises sont fréquemment sous-tendues par des démarches critiques et la prise en compte du passé et des grands déterminants sociaux est plus fréquente.

Ainsi, A.M. Guillemard a-t-elle particulièrement montré le rôle considérable des conditions de travail et, plus généralement, de la vie de travail sur l'adap- tation à la situation de retraite d'un groupe de salariés de l'industrie.

Par ailleurs, P. Paillat avait dépeint les conditions de vie des gens âgés dans différents milieux : agriculteurs, autres ruraux, citadins du coeur des grandes villes, Parisiens enfin. L'accent était mis sur les caractéristiques socio-démographiques des enquêtés à la date de l'enquête , et les conditions de logement, de revenus et de santé.

VERS UNE PROBLEMATIQUE DES MODES DE VIE DE RETRAITE

En 1974, F. Cribier entreprit, avec une équipe de recherche et grâce à l'appui du CORDES, une vaste étude sur les changements de modes de vie des Parisiens au moment de la retraite. Dans la mesure où j'ai participé à cette étude, et surtout où le travail ici fait partie de cet ensemble, je dirai quel est le but et l'esprit de cette recherche.

La population étudiée est la génération des Parisiens ayant pris leur retraite en 1972 et cessé de travailler en fait entre 1969 et 1974. Il s'agit donc d'une population socialement trés variée, des manoeuvres et des femmes de ménage aux P.D.G. salariés, tout l'éventail social des salariés du secteur privé parisien y est représenté.

Par rapport aux travaux contemporains de l'I.N.E.D., qui portent sur les retrai- tés de tous âges et sur leurs conditions de vie, cette recherche s'intéresse davantage aux structures sociales et à toutes les "conditions" du mode de vie et sa perspective est nettement d'histoire sociale, d'où le choix d'une cohorte de contemporains et d'une étude longitudinale de cette cohorte , de l'enfance à la retraite. Ainsi, dans le premier rapport de recherche , cette analyse d'une popu- lation de retraités et de son passage à la retraite, à Paris, est étayée par l'étude de la constitution même de cette population depuis le début du siècle.

En effet, certains travaux, ceux d'A.M. Guillemard 6 en particulier, avaient montré l'extrême importance des grands déterminants sociaux (instruction, forma- tion professionnelle, situation de classe) sur les conditions et modes de retraite

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et la grande différenciation sociale des populations retraitées. Or la structure des classés sociales est trés complexe au sein du Grand Paris ; c'est pourquoi, dans les recherches de F. Cribier, les grands déterminants sociaux ont fait l'objet d'investigations approfondies. La complexité même des modes de vie des 9 retraités parisiens, postulée dans le projet de recherche , a été trés largement confirmée lors de l'enquête, et plus encore lors de l'analyse des données recueil- lies. De fait, l'analyse des modes de vie proprement dits n'est pas encore ache- vée et ce présent rapport est, en large part, une contribution à cette recherche qui se poursuit au sein de l'équipe dirigée par F. Cribier.

Le mode de vie, notion plus que concept, est en effet difficile à spécifier tant aux niveaux empirique que théorique. Il s'agit, dans une certaine mesure, d'une transposition de la problématique des "genres de vie" commune à l'ethnolo- gie et à la géographie humaine, aux pays d'économie développée. Depuis quelques années, le mode de vie comme fait social connait un regain d'intérêt. De fait, la notion a surtout fait l'objet, jusqu'à présent, d'analyses théoriques . Ces 9 dernières mettent, à juste titre, l'accent sur la nécessité de rapporter ces modes de vie au développement des forces productives et à celui de l'interven- tion de l'Etat sur les conditions de reproduction de la force de travail.

La présente recherche montrera combien les déterminations de classe sont impor- tantes dans la structuration même des formes d'individualité. Ainsi certaines de ces déterminations semblent en fait trés médiates et ont fait l'objet de trop peu d'investigations à ce point : ceci est particulièrement net en ce qui concerne le langage et, plus encore, le discours des agents. Ce point sera déve- loppé au chapitre 3 de ce rapport.

De plus, en tant que fait social, le mode de vie est entendu par les auteurs déjà cités et par F. Cribier, dans une acception large : il inclut des pratiques et idéologies pratiques nombreuses et variées - travail, logement, rapports familiaux et amicaux, organisation de la vie quotidienne, culture et loisirs -.

La complexité de ces modes de vie des travailleurs parisiens âgés a trois sources, nous semble-t-il.

D'une part, ces pratiques et idéologies pratiques ne sont pas des aspects de

"cultures de classe" ; elles se définissent dans et par les rapports de classe.

La place des agents dans le procès de production, leur situation de classe déter- minent bien ces pratiques. Mais ces rapports peuvent se traduire de façon plus ou

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moins directe dans chacune des pratiques envisagées. Or celles-ci forment, du point de vue de l'agent, un tout organisé. En outre, si l'"idéologie" en général n'a pas d'histoire, selon Poulantzas, les idéologies pratiques en ont une , direc- tement liée au développement des forces productives et des rapports de produc- tion.

En second lieu, la complexité de la structure des classes sociales au sein du Grand Paris, déjà évoquée ici, tient en partie à l'extrême diversification du marché du travail parisien et à l'ampleur et la diversité des flux migratoires : il est extrêmement rare, par exemple, qu'un individu appartienne à une famille socialement "homogène". Cette complexité est plus marquée encore pour les travail- leuses et épouses.

Enfin l'analyse des modes de vie de personnes retraitées est d'autant plus complexe qu'ils sont à référer à des biographies longues et riches. D'où l'im- portance de cette histoire des idéologies pratiques, évoquée plus haut, et plus encore de l'analyse de leurs contextes sociaux.

C'est aux milieux socio-géographiques que F. Cribier a accordé une attention particulière dans ses recherches. Les régions d'origine des migrants et le Grand Paris sont les deux grands milieux qui ont été pris en compte dans l'étude de cette constitution de la population retraitée parisienne, et dans l'analyse, plus limitée, que nous avons consacrée aux travailleuses peu qualifiées de cette population Cette notion de milieu socio-géographique désigne la dimension régionale et/ou locale de la structuration des classes sociales au sein d'une formation sociale : elle permet de rendre compte, de manière concrète, de l'état des rapports sociaux et des forces productives au sein d'un ensemble régional En ce sens, ces études de la population des travailleurs parisiens contribuent à l'analyse de l'exode rural, en particulier, et par là-même, d'une certaine façon, à celle des rapports entre villes et campagnes. En effet, en 1910, la population française était aux deux-tiers rurale et, parmi la grande moitié des Parisiens appartenant à l'échantillon CORDES-CNAVTS et nés en province, plus des deux-tiers avaient été élevés à la campagne. C'est dire l'importance de cette étude des milieux socio-géographiques d'enfance et d'adolescence. En effet, on le montrera au chapitre deux, dans une même couche sociale, mais dans un milieu géographique différent, les "chances" ne sont pas les mêmes et par

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ailleurs au sein d'une même couche sociale et d'un même milieu géographique, ces chances ne sont pas les mêmes, pour les hommes et pour les femmes migrant vers Paris.

LE CAS DES TRAVAILLEUSES PEU QUALIFIEES : APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE

La présente recherche porte sur une analyse d'un segment particulier de la classe ouvrière parisienne et, plus particulièrement, des conditions concrètes de travail et de vie de ces travailleuses nées en 1907, retraitées aujourd'hui.

Ii s'agit de la partie la plus importante - en volume- du salariat parisien fémi- nin ; dans l'échantillon CNAVTS-CORDES, 140 femmes sur 200, mais 70 hommes sur 232, soit - respectivement - 70 % et 30 % de ces retraités exerçaient, à la veille de leur retraite, des métiers dits peu qualifiés Cette étude des conditions de reproduction de ce segment de la classe ouvrière se voulait une étude d'histoire et de géographie sociale ; elle est étayée par une analyse du contexte auquel ces 140 biographies professionnelles se rapportent, c'est-à-dire, pour l'essentiel, le marché du travail féminin parisien dans l'Entre-deux guerres et les conséquences multiples de la Crise de 1929 (elle dura en réalité de 1930 à 1939) sur le procès de travail proprement dit, la structure des entreprises, les types d'emplois et les qualifications des travailleuses.

Les neuf récits de vie recueillis auprès de travailleuses peu qualifiées , re- traitées aujourd'hui, constituent autant de témoignages qui éclairent l'histoire sociale. L'apport spécifique des récits de vie en tant que témoignages et plus largement l'ensemble de cette étude des travailleuses peu qualifiées sont présen- tées, de façon résumée, mais élaborée théoriquement, au prochain chapitre.

QUELQUES RAISONS DU RECOURS AU RECIT DE VIE

En 1974 la préenquête effectuée auprès d'une quarantaine de retraités parisiens avait montré la richesse de discours recueillis (au magnétophone) dans le cadre d'entretiens semi-directifs centrés sur le mode de vie de retraite, les rapports au logement et au milieu urbain et la vie de travail. Cette méthode révèle ce que le questionnaire oblitère ou abolit : le monde des interviewés et leur indi- vidualité. Après la passation du questionnaire, à laquelle j'avais contribué, ce recours aux récits de vie m'est apparu nécessaire. Certains points n'avaient pu être abordés dans le cadre de la recherche d'ensemble sur les Parisiens retraités

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et devaient être approfondis dans celui d'une analyse de type socio-historique de la constitution de ce groupe de travailleuses peu qualifiées auquel je m'in- téressais. Les conditions d'éducation et formation professionnelle, l'insertion sur le marché du travail et l'étude de ces milieux socio-géographiques et des conditions de la migration éventuelle vers la Capitale n'avaient été que briè- vement abordées et devaient être précisées et spécifiées. De plus , j'avais personnellement interviewé une centaine de retraités avec l'aide du questionnaire et en ressentais une certaine lassitude.

Nous ne faisons pas ici le procès de la technique du questionnaire. Celle-ci est lourde, mais le recours aux récits de vie est aussi une technique lourde, contrairement aux apparences. Il s'agit de deux approches complémentaires. Ainsi l'enquête par questionnaire permet une étude sur un échantillon beaucoup plus fourni, donc plus représentatif et mieux défini que le recours aux récits de vie ; elle permet l'établissement de conclusions statistiquement mieux fondées.

L'analyse du contexte socio-historique et le recours à un échantillon représen- tatif de référence sont apparues, tout au long de notre propre recherche, comme les deux conditions d'une utilisation des récits de vie en sciences sociales et comme des supports indispensables. A la présentation de l'échantillon CNAVTS-CORDES succèdera celle de l'échantillon trés restreint de femmes auprès des quelles les neuf récits de vie ont été recueillis.

L'ECHANTILLON CNAVTS-CORDES

La base de sondage, à partir de laquelle cet échantillon a été constitué, avait été mise à la disposition de l'équipe de F. Cribier, par la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés (CNAVTS). La CNAVTS de la Région Parisienne est l'un des organismes (régional) constituant le système de Sécurité Sociale. Il couvre, à ce titre, l'ensemble du salariat français, à l'exception du secteur public . En 1972, 95 000 travailleurs salariés du secteur privé et résidant en Région Parisienne ont fait liquider leur retraite, ayant atteint 65 ans ou 60 ans en cas d'inaptitude au travail. La CNAVTS-RP enregistre à cette occasion un certain nombre d'informations permettant l'identification de ces personnes et le calcul du montant de leur pension (nombre de trimestres de coti- sations, salaires annuels moyens bruts).

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" Parce que moi, je trouve que tout se dégrade maintenant, les gens ne sont plus là pour travailler, ils sont là pour la paie. On avait quand même un amour-propre.

On faisait notre possible pour satisfaire le client." Simone 1.17

" Il y en a qui cherchent du travail et qui prient le Bon Dieu de pas en trouver.

Où allons-nous ? Moi, je refuserais le chômage à des gens comme ça. Nous avons bien accepté de travailler, nous. Tout le monde ne peut pas être millionnaire."

Maria II.49

" Alors je me lève à cinq heures, je fais ma toilette, et tout dans le froid, à l'eau froide - on n'a pas été chauffé de toute notre jeunesse - , alors je vais à la messe, les églises froides. Je déjeune et, à sept heures, je suis au travail.

Et ça, tous les jours ! Alors, à l'époque, on ne se plaignait pas. Et, en ce moment, enfin, les jeunes ne sont pas malheureux, maintenant, ça grogne toujours. C'est vrai ou c'est pas vrai ? Les gens ne sont pas contents. Mais enfin, c'est quand même les gens de mon époque qu'on a le plus le sourire, même si on est pas heureux.

Non, franchement, vous voyez pas des jeunes tellement épanouis... Moi, je travaillais avec une petite de vingt ans, elle est en rogne de travailler. Elles aiment

s'amuser et le travail, elles l'aiment pas. Ca, c'est sûr que (dans notre jeunesse) on avait le goût du travail. Moi, j'y vais en me disant : " Je fais pas mon travail avec tristesse". Au contraire, je suis heureuse. J'aime mon travail. Plus j'ai de trucs à faire, plus je suis heureuse." Suzanne 1.12/13

" On est à l'ère du machinisme, il n'y a pas à tortiller... Maintenant, vous ne pouvez même plus choisir (votre place dans le train). C'est un ordinateur, alors ça marche par numéros. Ca, c'est l'an 2000 qui vient à grands pas. Avant-guerre, ça commençait. Alors, après la guerre de 39, là, il y a eu du changement, pardon ! Le machinisme, il est en train de faire crever l'être humain, ça, il n'y a pas à tortiller." Simone III.14/15

" La jeunesse actuelle, elle va s'adapter. Parce qu'on est bien obligé de s'adapter, c'est la vie. Mais quel avenir qu'ils ont ? C'est du machinisme... Maintenant, on manque de boulangers... Il n'y aurait pas de chômage si les jeunes voulaient faire ces métiers-là... Tout le monde veut être dans un bureau, tout le monde veut avoir les mains impeccables... Et tant que ce sera comme ça, la jeunesse, je la vois pas belle. Parce que c'est trés bien... Tout le monde rêve d'avoir le bac, malheureuse- ment, dans le monde, on ne peut pas vivre qu'avec des bacheliers. Il faut autre chose. Il faut des menuisiers, il faut des électriciens, il faut pas mal de choses pour vivre... Alors, résultat, il y aura encore davantage de chômage, parce que tout sera fait avec des grosses machines... Alors, qu'est-ce qu'ils vont en faire, de tous ces jeunes ? C'est une catastrophe !"

Simone III.15

" Il y avait beaucoup de chômage. C'est-à-dire qu'il y a eu une crise économique un peu comme il se passe maintenant. Ca, il n'y avait pas de travail. Le travail, c'était la raison, c'est pas tout. Le chômage est toujours resté, le chômage est resté jusqu'à la guerre de 40. Mon père me disait : " Ma pauvre Nénette, quand il y a du chômage, il arrive toujours une guerre." Simone 1.54/55

" Je trouve qu'actuellement, à mon idée, je souhaite qu'une chose, c'est de me tromper, mais je trouve qu'on refile le même coton qu'en 1936. Pareil, pareil."

Simone 111.11/12

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