• Aucun résultat trouvé

Publiée avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Publiée avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique"

Copied!
33
0
0

Texte intégral

(1)

Publiée avec le concours

du Centre National de la Recherche Scientifique

Léopold I I et Brazza en 1882. Documents inédits,

p a r J e a n STENGERS.

S o c ié t é F r a n ç a i s e d'Histoire d ' O u t r e - M e r PARIS

(2)

Léopold II et Brazza en 1882.

Documents inédits

par JEAN STENGERS Les documents que nous présentons ici se situent, chronologique- ment, entre septembre et décembre 1882 — avec, pour le dernier, une pointe jusqu'en janvier 1883. Il s'agit là d'une période cruciale, et pour le Roi des Belges et pour l'explorateur français : c'est celle de la ratification par la France du t r a i t é Brazza-Makoko, avec tout ce q u ' u n e telle ratification impliquait sur le plan de la politique coloniale française, et tous les périls que Léopold I I pouvait y apercevoir pour sa propre politique.

Nous n'avons nullement cherché, bien entendu, à constituer pour

cette période un corpus de tous les documents qui intéressent le sujet.

Si l'on songeait à u n corpus, il f a u d r a i t d'ailleurs y faire entrer, pour qu'il embrasse le sujet t o u t entier, u n nombre considérable d'articles de presse : la masse serait énorme. Nous nous limitons à u n choix de textes, p a r m i ceux qui nous paraissent les plus importants.

Ces textes sont tirés de quatorze fonds d'archives : à Bruxelles, les Archives des Palais royaux, les Archives du Ministère des Affaires étrangères, les Archives africaines d u m ê m e ministère (qui constituent u n dépôt séparé), le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque royale, ainsi que les Papiers Banning (aux Archives générales du royaume), Beyens (aux Arch. du Ministère des Affaires étrangères), Chazal (au Musée royal de l'armée et d'histoire militaire), Droogmans (aux Archives générales d u royaume), L a m b e r m o n t (aux Arch. du Ministère des

Affaires étrangères) et Strauch (répartis en deux fonds, qui se t r o u v e n t respectivement au Musée de la dynastie et aux Arch. du Ministère des Affaires étrangères) ; à Paris, les Archives d u Quai d'Orsay ; à Londres, celles du Foreign Office, a u Public Record Office ; à Windsor enfin, les Archives royales britanniques ^.

1. Les documents des Archives royales britanniques sont utilisés avec la gra- cieuse permission de S. M. la Reine Elisabeth II.

— 105 —

Btv. franç. é'hùt. d'Outrê-Mer, t. L X H I (1976), n» 230.

(3)

J E A N STENGER8

De ces différents fonds, seul celui des Papiers Droogmans exige u n m o t de commentaire préalable. H u b e r t Droogmans (1858-1938) a été u n des fonctionnaires les plus i m p o r t a n t s de l'administration de l ' É t a t i n d é p e n d a n t du Congo, dans les b u r e a u x métropolitains de Bruxelles.

E n t r é a u service de l ' É t a t p r a t i q u e m e n t à l'époque de sa création, il devint en 1894 secrétaire général du département des Finances, poste qu'il devait conserver j u s q u ' à la reprise d u Congo par la Belgique en 1908. De 1908 à 1911, il sera le premier secrétaire général du Ministère des Colonies ^. Ses papiers privés, a u j o u r d ' h u i déposés a u x Archives générales du royaume, contiennent une perle : l'analyse de toute une série de dossiers de l'Association internationale du Congo, dossiers qui o n t presque certainement disparu dans le grand autodafé des archives congolaises ordonné par Léopold I I ^.

Ces analyses sont l'œuvre de Charles Notte. Notte était u n estimable fonctionnaire de l ' É t a t du Congo, mais qui ne f u t jamais affecté à des tâches exaltantes. P e n d a n t plusieurs années, il f u t spécialement chargé d e représenter l ' É t a t a u x funérailles de ses agents, morts en Afrique ou des suites de leur séjour africain*. A u p a r a v a n t , en 1891, il avait reçu la mission de « classer, analyser et coordonner les archives de l'œuvre africaine » ^. C'est ainsi qu'il analysa, pièce par pièce, la correspon- dance échangée avec Stanley, ce qui nous a valu ce que l'on appelle le « document Notte », qui est à ce point précieux — le dossier original a y a n t été détruit — q u ' o n en a publié une reproduction photogra- phique *. Les analyses conservées dans les Papiers Droogmans sont également d ' u n grand intérêt. Un lapsus que N o t t e commet à deux reprises dans cette série d'analyses, en écrivant « 1892 » au lieu de

« 1884 », permet de dater son travail de 1892.

Notte, il importe de le souligner, était un tâcheron obscur peut-être, mais un tâcheron consciencieux : lorsque l'on peut confronter une de ses analyses avec le t e x t e intégral, ce qui heureusement arrive

2. Cf. sur lui la notice de la Biographie coloniale belge, t. IV, Bruxelles, 1956, c o l . 2 4 2 - 2 4 7 .

3. Nous remercions notre collègue M™* Desmed-Thielemans, chef de départe- ment aux Archives générales du royaume, d'avoir aimablement attiré notre atten- tion sur ces documents.

4. Cf. à ce sujet le dossier administratif de Notte (Arch. du Ministère des Affaires étrangères, fonds Minaf, n° 1392), et le petit fonds de papiers personnels conservés aux Archives africaines du Ministère des Affaires étrangères.

5. Ordre de service du 19 juin 1891 ;' cité dans G. D'HONDT, Étude du documeni Notte, Mémoire de licence en histoire, Univ. de Bruxelles, 1957, t. I, p. 9.

6. Document Notte. Stanley au Congo, 1879-1884, Bruxelles, Ministère du Congo belge et du Ruanda-Urundi (Archives. Document 1), s. d. [i960]. Voir à ce sujet E. VAN GHIEKEN, « H. M. Stanley au Congo », B. Inst. royal col. belge, t. X X V , 1 9 5 4 .

7. C'est le cas dans notre petit recueil pour les documents n°' 4, 6, 7 et 21, dont nous possédons le texte intégral et dont Notte fait l'analyse.

(4)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1 8 8 2

on constate qu'il paraphrase, ou recopie carrément des passages du texte, plus qu'il ne le résume. Le substitut a u x dossiers perdus est donc de valeur.

Nous publions au total trente documents. Six d'entre eux avaient d é j à été édités antérieurement (n^s 1, 16, 17, 18, 21 et 23) mais leur importance fait qu'il nous a paru indispensable de les reprendre dans notre petit recueil. On notera également que la lettre de Léopold I I à Lesseps du 18 septembre 1882 (texte n " 6) a déjà été reproduite en très grande partie dans L'Avènement de VAfrique noire du XIX^ siècle à nos jours de M. Henri Brunschwig (Paris, 1963, p. 160).

Quels sont les éléments majeurs qui ressortent de ces textes ? Ils p e r m e t t e n t t o u t d'abord d'apercevoir assez clairement la poli- tique de Léopold II, et surtout les différentes phases p a r lesquelles cette politique est passée

Première phase : l'essai de neutralisation de Brazza. Les initiatives de Brazza en Afrique avaient vivement alarmé le Roi ; celui-ci avait craint en 1881 que Brazza ne s'empare de t o u t le h a u t Congo, en s'éta- blissant le long du fleuve *. Pour écarter le danger, Léopold I I envisage la solution la plus simple, et que lui p e r m e t t e n t ses ressources financières : il cherche à engager Brazza à son service. Le Roi fait venir Brazza à Bruxelles Il lui propose, en septembre 1882, de participer à son entre- prise (n''^ 1, 2 et 7). Brazza répond qu'il « tient à servir la France » ( n ° 2 ) .

Deuxième phase : le fait que Brazza demeure intraitable, et qu'il veuille faire ratifier son traité avec Makoko, confirme le Roi dans son idée qu'il vise bien à s'emparer de t o u t le bassin du Congo, ou du moins d'une grande partie d u Congo (n"^ 6, 7, 11 et 13). Il f a u t donc l'arrêter à temps, en e m p ê c h a n t la ratification du traité. Le Roi s'y emploie activement, en essayant de faire ressortir les inconvénients et les dangers que cette ratification présenterait. Il plaide dans ce sens auprès de Lesseps (n° 6) et auprès du Quai d'Orsay (n°8 7 et 11). Sa thèse, qu'il développe avec abondance, est que la meilleure solution, au Congo, est de « maintenir l'autonomie des É t a t s indigènes » (n"» 5, 6, 7, 10).

Troisième phase, très courte : la panique. Vers le 8 octobre, le Roi acquiert la certitude que le traité Brazza-Makoko sera ratifié (n<* 13) et que Brazza va donc se trouver en mesure de réaliser ses plans. Que 8. Cf. d'une manière générale J. STENGERS, « Léopold II et la rivalité franco- anglaise en Afrique, 1882-1884 », R. belge Philologie et Hist., t. XLVII, 1969.

9. « Il faut donner l'ordre » à Stanley, écrit-il à Strauch, d' « envoyer en avant une expédition légère pour obtenir des concessions » le long du Congo ; « autrement nous risquons de trouver le Congo un fleuve français » (lettre du 7 août 1881 ; Arch.

du Ministère des Affaires étrangères, Papiers Strauch).

10. Ceci ressort nettement de ses lettres à Strauch des 2 juin et 2 sept. 1882 (même fonds).

— 107 —

(5)

JEAN STBNGERS

faire ? Le Roi, dans ce qui est, a p p a r e m m e n t , son intense désarroi, songe à dresser l'Angleterre contre la France. Il d e m a n d e au ministre de Belgique à Londres (et ce, bien entendu, à l'insu de ses ministres, et à l'insu de L a m b e r m o n t , le secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères, qui est son conseiller diplomatique habituel) de faire une démarche au Foreign Office afin que les Anglais envoient u n bâti- m e n t de guerre pour « arrêter » Brazza (n** 13). Le diplomate belge, sagement, s'abstient de t o u t e démarche de ce genre (n^^ 14 et 15).

Quatrième phase : le Roi, reprenant son sang-froid, et suivant, cette fois, les conseils de L a m b e r m o n t (n^s 19 et 22), adopte la seule ligne de conduite réaliste qui s'ouvre à lui — il essaie d'obtenir du gouverne- m e n t français le m a x i m u m de garanties pour l'avenir de son œuvre.

Une négociation menée avec le Quai d'Orsay se termine par l'envoi d ' u n e lettre de Duclerc que le Roi juge « fort bonne » (n»» 17 et 19 à 23).

Dans les semaines qui suivent — la lettre de Duclerc est du 19 octobre 1882 —, Léopold I I poursuit son action en France, en insistant encore pour que la France ait à son égard une « conduite correcte ». Il recourt n o t a m m e n t à ce propos à l'intervention d ' u n ancien ministre belge — devenu ministre d ' É t a t —, le général Chazal, qui était bien placé pour l'aider : Chazal qui était une personnalité de grand format, s'était fait un nom comme ministre de la Guerre de 1847 à 1850 et de 1859 à 1866, et il c o m p t a i t de n o m b r e u x amis en France, où il vivait depuis qu'il avait pris sa retraite (n^s 25 à 27, 29 et 30).

La courtoisie a p p a r e n t e de ses rapports avec Paris n'empêche pas Léopold I I d'écrire à la reine Victoria, à la fin de novembre, qu'il serait « bien désirable » de « calmer u n peu » les Français (n" 24)...

Au-delà de ce bref aperçu chronologique, qui indique comment le Roi m a n œ u v r e , il importe cependant d'insister sur ce qui, sous sa plume, apparaît comme une constante fort remarquable, et qui est la manière d o n t il présente son entreprise africaine. Il travaille, ne cesse-t-il de répéter, « dans l'intérêt de la civilisation » et du « commerce en général », il poursuit « u n grand b u t de civilisation et d ' h u m a n i t é » (n" 6), « u n b u t général de civilisation et de progrès » (n" 23). A p a r t l'allusion au commerce, les termes qu'il emploie pour décrire son œuvre ressemblent toujours à ceux qu'il utilisait en 1876 à l'époque de la Conférence de géographie et de la création de l'Association internationale africaine.

Objectivement, p o u r t a n t , la situation au Congo, en 1882, n ' a v a i t plus grand-chose à voir avec l'esprit de 1876, qui était, dans le chef de ceux q u i avaient créé l'A.LA., u n esprit a u t h e n t i q u e m e n t philanthropique e t scientifique. L'expédition de Stanley au Congo était entièrement

11. Cf. J. GARSOU, Un Grand soldat, le général baron Chazal, 1808-1892, Bruxelles, 1946.

(6)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1 8 8 2

étrangère à l'A.LA., qui était d'ailleurs en train de se mourir. Elle se déroulait sous les auspices, nominalement, du Comité d'études d u Haut-Congo — nous disons nominalement, car le Comité, en fait, était dissous depuis 1879, et tous ses pouvoirs avaient été repris p a r le Roi seul —, et l'objectif du Comité et d u Roi, en envoyant Stanley au Congo, avait été de créer une grande entreprise de commerce et de navigation, dans u n esprit, lui, p a r f a i t e m e n t lucratif. Tout cela, que nous discer- nons aujourd'hui, les contemporains, cependant, l'ignoraient. D u Comité d'étude, p a r exemple, d o n t toutes les activités avaient été secrètes, et dont la dissolution l'était également demeurée, c'est à peine s'ils avaient entendu parfois citer le nom. Avec un a r t consommé Léopold I I profite de cette ignorance pour entretenir, et l'on pourrait même dire pour organiser la confusion : il cite l'A.LA. (très utile à invoquer é t a n t donné son aura philanthropique), le Comité d'études, qu'il représente lui aussi comme « international » mélange Associa- tion et Comité et donne au t o u t les nobles couleurs de l'œuvre civilisa- trice.

Sur le plan de la propagande, on a affaire à un chef-d'œuvre. On peut l'admirer non seulement dans nos textes, mais aussi dans diffé- rents articles que le Roi s'arrange pour glisser dans la presse. Citons en particulier un t e x t e rédigé de sa m a i n et qui paraît — sous une forme anonyme, bien e n t e n d u — dans L'Indépendance belge du 30 octobre 1882 13. On y lit :

C'est Bruxelles qui a vu naître en 1876 rAssociation internationale afri- caine et en 1878 le Comité des études du Congo. La Belgique était bien choisie comme point central de ces institutions. Neutre et garantie par les puissances, ne doit-elle pas, en effet, chercher à leur témoigner sa reconnaissance en servant les intérêts de l'humanité ? Tel est le sentiment qui inspira le roi Léopold II, que nous croyons pouvoir nommer, car son initiative personnelle en cette circonstance n'est un mystère pour personne, et elle suffît à déter- miner le caractère absolument désintéressé d'une double entreprise égale-

12. On pourrait s'étonner que Léopold II qualifie ainsi le Comité même en s'adres- sant à un de ses confidents, Strauch, qui sait à quoi s'en tenir et qui sait notamment que le Comité n'existe plus (voir n" 1). Mais ce qu'il veut dire par là, lorsqu'il s'adresse à. Strauch, est que l'entreprise qui continue à porter ce nom emploie des agents de toute nationalité ; par là, elle est « internationale » (voir dans ce sens un passage de l'article de L'Indépendance belge du 30 octobre 1882 auquel nous allons nous référer dans un instant, et qui est du Roi).

13. On conserve dans les archives royales deux minutes successives de cet article, de la main d'Eugène Beyens, le fils du ministre de Belgique à Paris, qui était en 1882 attaché au cabinet du Roi (Archives des palais royaux. Fonds Congo, n" 128). N o n seulement elles ont été, de toute évidence, rédigées sur les instructions du Roi, mais elles portent aussi d'abondantes corrections et additions de la main de Léo- pold II. Les passages de l'article de L'Indépendance belge que nous reproduisons correspondent presque entièrement à des textes autographes du Roi.

— 109 —

(7)

JEAN STENGERS

ment dégagée des préoccupations de notre politique intérieure et de la poli- tique étrangère.

Ces deux sociétés poursuivent un but supérieur de civilisation générale...

Créer des États indigènes capables de rester indépendants, maintenir les États existants, y établir des stations hospitalières et scientifiques, avec l'espoir qu'elles seront comme des phares placés de distance en distance pour répandre autour d'eux la lumière et la civilisation, et qu'elles offriront aux voyageurs de tous les pays les moyens de se reposer et de se refaire ; telle paraît être, d'après les faits qui se sont accomplis jusqu'ici, la portée de la mission que se sont assignée ces deux institutions...

Il f a u t insister sur l'audace et la qualité de cette propagande, car elle est une des clés des succès de Léopold II. C'est une propagande q u i porte. Ceux qui t r a i t e n t avec Léopold I I sont toujours persuadés, en 1882, d'avoir en face d'eux un souverain plein de nobles intentions, q u i dépense sa fortune dans des œuvres désintéressées. Comment, d a n s ces conditions, ne pas lui manifester beaucoup de bienveillance ? L ' a t t i t u d e de la France, en 1882, s'explique essentiellement p a r là.

Duclerc, dans sa lettre du 19 octobre, déclare que le gouvernement fran- çais v e u t faciliter la « généreuse entreprise » placée sous le patronage d u Roi. Il ne s'agit pas là d ' u n langage diplomatique : c'est l'expression m ê m e des sentiments qui prévalent à l'époque.

« « *

Sur Brazza, on remarquera surtout le compte rendu des entretiens qu'il eut à Bruxelles lors de son séjour de septembre 1882.

Brazza rencontra le Roi, il se rendit chez L a m b e r m o n t , le secrétaire général d u ministère des Affaires étrangères, dont chacun connaissait le rôle éminent t a n t auprès d u Roi, comme conseiller, que dans la poli- t i q u e extérieure de son pays ^* ; selon t o u t e vraisemblance, il rendit également visite à Strauch, qui avait la charge, sous les ordres d u Roi, de t o u t e l'organisation de l'entreprise africaine ^ {n°^ 2 à 5).

Ce qui f r a p p e n o t a m m e n t , dans les propos que tient Brazza, est le pessimisme qu'il professe au sujet des chances de ratification de son t r a i t é avec Makoko. « Il déclare n'avoir guère d'espoir » (n° 3) « Brazza m ' a dit que, dans sa conviction, le Gouvernement ni les Chambres ne feraient rien à Paris » (n" 4). Ce pessimisme, en septembre 1882, est-il

14. Cf. J. WiLLEQUET, Le Baron Lambermont, Bruxelles, 1971.

15. Voir sur lui la notice de la Biographie coloniale belge, t. III, Bruxelles, 1952, col. 831-833, et, pour mieux éclairer le caractère de sa collaboration auprès de Léopold II, A. DE SELLIERS DE MORANVILLE, « Un fonds d'archives nouveau p o u r l'histoire du Congo », B. Acad. royale Sci. Outre-Mer, 1963, p. 308-324.

(8)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1 8 8 2

réel, ou Brazza tente-t-il d ' e n d o r m i r ses adversaires ? Cela est fort difficile à dire.

Brazza et sa politique étaient p e u appréciés au Ministère de la Marine, et n o t a m m e n t par le ministre lui-même. Cela est aujourd'hui bien connu, et l'on peut renvoyer spécialement à cet égard a u x t r a v a u x de M. Brun- schwig Nos textes a p p o r t e n t s u r ce point quelques éléments d'infor- mation supplémentaires qui ne sont pas dénués d'intérêt. On lira les propos recueillis à Paris dont Chazal fait p a r t dans ses lettres de décembre 1882 et de janvier 1883 (n»» 26 et 30) ; ils sont fort nets.

Si Brazza n'a guère bénéficié, bien a u contraire, du soutien de ses frères d'armes, il a trouvé d ' a u t r e s alliés, qui ont assuré sa victoire : les j o u r n a u x et les journalistes. D a n s le processus qui a mené à la ratification du traité Makoko, le rôle de la presse, en effet, a été déci- sif. Elle a pris parti pour Brazza, de manière unanime, avec ardeur et elle l'a porté au triomphe. Les journalistes, à l'époque, ont d'ailleurs eu conscience de l'importance d u rôle qu'ils jouaient. « L'intrépide officier », disait J u d e t en p a r l a n t de Brazza en octobre 1882, « a mérité deux fois de la patrie, en lui o u v r a n t une voie nouvelle, et en réunis- sant t o u t e la presse autour de son œuvre, dans un accord patriotique, au-dessus de toutes les querelles de personnes. La presse a expérimenté aujourd'hui sa force » (c'est nous q u i soulignons)

Léopold II, qui était un grand lecteur de journaux, s'est fort bien rendu compte du phénomène. Il signale à Strauch, le 3 octobre, l'atti- t u d e de la presse française (n° 9). Il prie Beyens, deux jours plus t a r d , de « faire des efforts pour r a m e n e r la presse française » (n" 11). Le 8 octobre, il pose, en quelques m o t s , un diagnostic d'une r e m a r q u a b l e sûreté : « J e suis presque certain que le Cabinet de Paris finira p a r ratifier le traité de Brazza avec Makoko. Brazza s'est très habilement emparé de la fibre nationale, t o u t e la presse est pour lui » (n° 13)...

Dans l'excitation de la presse et de l'opinion en France, un des prin- cipaux ingrédients avait été la rivalité entre Brazza et Stanley, rivalité évidente sur le terrain mais qui a v a i t été encore soulignée p a r les cri- tiques acerbes que Stanley a v a i t adressées à son compétiteur : les

16. Cf. H. BRUNSCIIWIG, L'Avènement de l'Afrique noire du XIX^ siècle à nos jours, Paris, 1963, p. 149 et suiv. — On parla ouvertement des sentiments hostiles de Jauréguiberry aux séances de la Commission de la Chambre des députés chargée d'examiner l'approbation du traité Brazza-Makoko (voir les procès-verbaux de la commission aux Archives nationales, C 3393, dossier 2070). Le rapporteur, Rouvier, proposa cependant de ne pas mentionner le fait au rapport. « Il sera inutile », dit-il,

« d'énoncer dans le rapport que le Ministre de la Marine est hostile à l'entreprise.

Mais il faut qu'il soit bien entendu que cette hostilité sera rendue impuissante ».

17. Voir notre analyse dans J. STENGERS, « L'Impérialisme colonial de la fin du x i x ^ siècle : mythe ou réalité », J. Afric. Hist., III, 1962, p. 474-476.

18. Le Rappel, 19 oot. 1882.

— 111 —

(9)

J E A N 8 T B N G E R S

F r a n ç a i s ne s'en étaient ralliés q u ' a v e c plus de solidarité autour du c h a m p i o n qui portait leurs couleurs. « Nous sommes ainsi faits en F r a n c e », écrivait Frédéric Montargis,

que la contradiction nous pique et que le meilleur moyen de nous intéresser à une partie est de nous la disputer. M. Stanley a fait douze cents lieues pour t r a i t e r son r i v a l d e naïf, d e mystificateur, d e diplomate e t de Florentin. L ' o p i -

nion, que tant d'objets sollicitent, se croyait quitte envers M. de Brazza ; par la haute magie de ces épithètes, voilà notre attention rappelée sur l'Afrique centrale. Vraiment M. Stanley a bien mérité la poignée de main (de) M. de Brazza

L e ministre de Belgique à Londres rejoint cette r e m a r q u e en écrivant de son côté que si Stanley « avait été payé p a r M. de Brazza, il n ' a u r a i t p u m i e u x travailler pour lui » (n° 14).

D a n s les décisions qui se sont prises à Paris à l ' a u t o m n e de 1882, la presse et l'opinion ont-elles réellement imposé leur loi ? Certains observateurs, à l'époque, ont pensé que tel avait bien été le cas. Le m i n i s t r e des Pays-Bas à Paris synthétisait l'affaire en ces termes :

« Initialement, le gouvernement, ici, était peu enclin à prendre le traité a u sérieux, mais l'opinion publique, excitée par des j o u r n a u x de t o u t e t e n d a n c e , l'a pour ainsi dire contraint à s'occuper de la chose » ^ . Dans nos textes, on remarquera deux passages — capitaux — qui vont dans le m ê m e sens. Ferdinand de Lesseps explique au Roi que le gouverne- m e n t français « a dû suivre le m o u v e m e n t de l'opinion publique qui s ' é t a i t prononcée en faveur de M. de Brazza » (n° 27). Le chef d'état- m a j o r du ministre de la Marine, de son côté, confie à Chazal que la Marine « ne prend pas au sérieux ni de Brazza ni son traité » mais qu'elle

« a la main forcée par la presse et la m a j o r i t é parlementaire » (n" 30).

L'installation de la France au Congo a p p a r a î t comme un des très rares cas où la volonté impérialiste a été le fait des organes de l'opinion métropolitaine.

J e a n STENGERS.

19. Le Rappel, 23 oct. 1882.

20. Dépêche de van Zuylen van Nyevelt du 27 nov. 1882 ; La Haye, Arch. d u Ministère des Affaire» étrangères, A 106, Kongo-Kwestie, n" 1, 1876-1883.

(10)

L É O P O L D I I E T B B A Z Z A E N 1 8 8 2

— 1 —

Billet de Léopold II à Strauch, 10 septembre 1882 (Bruxelles, Arch.

du Mirtistère des Affaires étrangères)

Brazza a l'air de croire que Stanley travaille pour la Belgique et l'Angle- terre. Nous aurons à lui expliquer que la Belgique ne veut absolument rien, que notre Comité est international. Nous ferons bien de consulter Brazza sur la meilleure manière pour nous d'offrir aux capitaux français de s'associer à notre œuvre et d'y prendre la part qu'ils voudraient. Ce sera une manière de tâcher d'arriver à offrir à Brazza de s'intéresser à nos entreprises et d'en diriger une partie.

1. Publié dans P. DAYE, Léopold II, Paris, 1934, p. 184-185.

— 2 —

Note de Léopold I I , à l'intention de Strauch, sur son entretien avec Brazza, 12 septembre 1882 (Bruxelles, Musée de la Dynastie, Papiers Strauch).

12 septembre [1882]

Brazza tient à son idée, tient à servir la France. Il est officier de marine.

Il a remis au Ministère français une note, des rapports politiques pour expli- quer que l'intérêt de la France est de ratifier le traité et de faire le chemin de fer du Congo.

Je lui ai dit : une nation ne saurait avoir l'espoir de monopoliser les débou- chés du Congo. Si la France fait un chemin français, nous ferons un chemin aussi, les Anglais, les Portugais et d'autres le feront aussi. Nous sommes internationaux et c'est la seule manière d'éviter de stimuler une concurrence qui pourrait être ruineuse.

Brazza n'a pas une très haute idée de l'Internationale.

Je ne crois pas qu'il faille lui demander de voir ses rapports, il devrait demander la permission au Ministère français et cela lui donnerait de l'impor- tance.

Questionnez-le sur les détails, sur les recrutements, sur les Bacongo» — il les croit dangereux — et sur les moyens de ne pas les avoir comme ennemis.

Questionnez-le sur les marchandises à acheter. Menez-le à Laeken ^ demain soir pour le dîner, prenez une remise à cet effet.

Brazza ne voit que le Congo et surtout le chemin de fer. J'ai fini par lui dire : je ne suis pas certain que vous ne mettiez pas la charrette avant les bœufs. Il faudrait avant de tant pousser à un chemin de fer, travailler au

1. Le palais de Laeken, résidence du Roi.

— 113 —

8

(11)

JEAN STENGERS

Haut Congo, l'ouvrir. Nous sommes tout prêts à y employer les Français que vous nous désigneriez. Il a répondu qu'il n'avait personne à recommander, qu'il ne voulait rien, qu'il était officier de marine. J'ai fini par lui dire que s'il avait un jour envie de prendre un congé et de travailler en Afrique à l'ouverture du Congo supérieur, il n'aurait qu'à me le faire savoir. Il n'a dit ni oui ni non. Il s'est dit très flatté. Il y réfléchira.

Notre but, c'est d'amortir ses efforts à Paris en mettant une autre corde à son arc.

Il ne s'occupe pas de commerce par lui-même, il a fondé les stations fran- çaises mais il ne consent pas à les diriger.

Je ne sais s'il entrerait même temporairement à notre service mais il serait bien difficile à conduire.

— 3 —

Analyse d'une note résumant un entretien, soit du Roi, soit de Strauch, avec Brazza, s. d. [entre le 12 et le 19 septembre 1882] (Bruxelles, Archices générales du royaume. Papiers Droogmans).

Résumé d'un entretien avec M. de Brazza ^.

M. de Brazza déclare qu'en sa qualité de Français, il ne peut envisager la question du Congo qu'au point d ^ v u e de la France, dont l'intérêt exige qu'elle prenne des mesures pour s'assurer une situation prépondérante au Congo. — Le rapport qu'il a remis au Ministre de la Marine n'est que le déve- loppement de cette idée, tous ses efforts tendent à la faire triompher ; mais il déclare n'avoir guère d'espoir. Si ses projets sont repoussés, il emploiera toute son influence à pousser le Gouvernement français à se rallier au Comité d'Études. En tout cas, il est d'avis que la France ne peut pas franchir la rive droite du Congo ; elle est tenue de respecter les droits acquis par les sacrifices en hommes et en argent que la Belgique a faits et par les services qu'elle a rendus. Il a fait ressortir ces droits dans son rapport au Ministre de la Marine.

1. D'après le contexte des analyses des Papiers Droogmans, l'interlocuteur de Brazza peut avoir été soit le Roi, soit Strauch. L'hypothèse de loin la plus vraisem- blable est qu'il s'agisse de Strauch. S'il s'agit du Roi, nous aurions affaire au résumé d'un entretien qui a suivi celui du 12 septembre, qui fait l'objet de la note précé- dente.

(12)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1 8 8 2

— 4 —

Note du baron Lambermont sur son entretien avec Brazza, 14 septembre 1882 (Bruxelles, Arch. du Ministère des Affaires étrangères, ^tolumes noirs « Afrique — Association internationale du Congo », 1, 1878- 1882).

Ce 14 septembre 1882

M. le Comte Savorgnan de Brazza est venu me voir aujourd'hui ^. Notre entretien, qui a duré environ deux heures, peut se diviser en deux parties.

I.

Que vaut le bassin du Congo comme marché ?

Le territoire est extraordinairement fertile et d'une immense étendue.

La population est tellement dense qu'en certaines parties du pays l'on peut marcher deux jours comme si l'on était dans un département français.

Les besoins existent.

Ces traits généraux étant donnés, un commerce important peut se créer et se développer.

Spécialement on peut vendre :

— le sel, en quantités illimitées et avec de grands profits ;

— les cotonnades : les nègres du Congo se vêtissent à peu près comme les Arabes ; ils portent des tissus faits chez eux avec des fibres de certains arbustes ; mais ils préfèrent les cotonnades européennes et aujourd'hui qu'ils commencent à connaître les tissus de bonne qualité, ils ne se contentent plus des étoffes grossières qu'on achète à la côte ;

— la chaudronnerie, les ustensiles de ménage, les couteaux, etc. : vente courante ;

— les fusils à pierre et surtout la poudre : la consommation de la poudre est très considérable parce qu'on a l'habitude de tirer des coups de fusil à l'occasion des moindres événements de la vie.

Les retours ne manqueront pas.

L'ivoire est un des articles importants, mais la production n'en est pas indéfinie.

1. En adressant sa note à Léopold II, Lambermont précise : « Je n'ai pas cherché M. de Brazza. Il est venu spontanément me voir. Quels que soient ses jugements, ses vues et ses actes, il est bon, me semble-t-il, d'en avoir une idée nette. C'est pour- quoi je n'ai pas négligé l'occasion qu'il m'offrait lui-même de recueillir des indica- tions précises à cet égard. Il me les a personnellement confiées, mais en prévoyant sans aucun doute que je les communiquerais à Votre Majesté » (minute de lettre de Lambermont au Roi du 16 sept. 1882, même fonds, à la suite de sa note).

— 115 —

(13)

J E A N 8 T B N G B R S

Le caoutchouc, au contraire, peut à lui seul former la base d'un grand commerce. C'est un des produits dominants des pays avoisinant le Congo.

Viennent ensuite l'huile de palme et quelques autres articles.

Je passe sur les détails. J'ai seulement voulu connaître l'opinion de M. de Brazza, qui a vu et touché, sur les ressources commerciales du Congo et m'assu- rer s'il partage à cet égard l'avis de Stanley et de plusieurs autres. Il a foi dans l'avenir de ce marché, et en citant les faits que je viens de rapporter, il a ajouté que le transport et le fret sont dès maintenant organisés par rOgowé ; ce ne sont pas les affaires, ce sont les commerçants qui font défaut.

II.

La question commerciale n'est pas celle qui a occupé la plus grande place dans notre conversation. Je résume, en les condensant et en les coordonnant, les explications dans lesquelles il est entré sur un chapitre plus déUcat.

Aux yeux de M. de Brazza, il y a un fait actuel et capital : le moment appro- che, le moment est venu où les droits sur le Congo et les rives du Congo doivent se déterminer.

Il a passé la revue des parties intéressées.

Le Portugal. — M. de Brazza m'a paru avoir étudié la thèse portugaise ; il ne l'a pas trop combattue et cela se conçoit. Si ses propres projets devaient se réaliser sur le Congo moyen et supérieur, il lui importerait peu que l'embou- chure du fleuve restât aux mains du Portugal.

L'Angleterre. — Elle a des vues sur l'Afrique. On a pu en juger lorsqu'elle s'est retirée de l'Association internationale africaine. Sur la côte méridionale, elle s'étendra bientôt jusqu'au Zambèze, elle acquerra de façon ou d'autre Delagoa-Bay, elle est toute puissante à Zanzibar, elle reliera les grands lacs entre eux et avec l'Océan Indien et une partie de son futur commerce des- cendra du Tanganyka par le Congo, sans compter l'influence que les événe- ments du jour lui donneront sur le Nil et ses affluents. En attendant, ses missionnaires lui préparent des droits sur les bords du Congo et elle les fera valoir en temps et lieu. Il faudra de toute façon compter avec elle.

L'Amérique. — M. de Brazza croyait d'abord que M. Stanley avait des visées américaines sur le Congo. Lorsqu'ils se sont rencontrés à Vivi, il a dit à celui-ci : quel est votre drapeau ? M. Stanley a répondu qu'il n'en avait pas et s'est d'ailleurs montré fort réservé en ce qui concerne sa mission. Ce n'est qu'à son retour en France et pendant son séjour actuel à Bruxelles que M. de Brazza aurait vu plus clairement de quel rôle M. Stanley était chargé et de qui il tenait son mandat.

La Société Internationale Africaine. — On comprend sa mission quand il s'agit d'oeuvres scientifiques ou humanitaires, mais ce n'est pas une person- nalité juridique ou une Confédération politique pouvant, au point de vue du droit public ou des gens, acquérir ou posséder des fleuves et des terri- toires.

Le Comité des études du Congo. — C'est une Compagnie privée, visant

(14)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1882

à devenir souveraine (sic) *. On conçoit qu'elle ait des propriétés, comme un marchand, un comptoir, une factorerie peut en avoir. Mais à quel titre pos- sèderait-elle des droits politiques, rendrait-elle la justice par exemple, ou traiterait-elle avec des États étrangers, en un mot exercerait-elle la souverai- neté sur les territoires possédés par elle ?

La Belgique. — Ce n'est pas la Belgique comme État qui est en cause.

Ce n'est pas non plus le Gouvernement. Le Roi n'intervient donc qu'à titre purement personnel.

La France. — Stanley Pool est la clé du commerce à venir du Congo.

C'est par ce point que passeront les marchandises, soit qu'on le relie à l'Ogowé, soit qu'on le rattache directement à l'Océan.

M. de Brazza a conclu des traités en vertu desquels Stanley Pool et la rive droite du Congo (sic) ' appartiendraient à la France. Ce serait une nouvelle possession coloniale sur laquelle la France aurait établi sa souveraineté et dont le régime douanier serait fixé de manière à protéger les produits fran- çais contre la concurrence étrangère.

C'est avec ce sens et cette portée que M. de Brazza, dans ses rapports, a présenté l'affaire à son gouvernement. 11 appartient désormais à celui-ci de se prononcer sur la suite qui y sera donnée.

En ne reconnaissant sur le terrain politique que trois parties en cause, à savoir le Portugal, l'Angleterre et la France, et en signant des arrangements qui attribueraient à la France la souveraineté d'une partie du bassin du Congo, M. de Brazza n'a fait, d'après lui, que ce que sa qualité d'officier français l'obligeait à faire. 11 a vivement et itérativement protesté contre toute idée d'avoir cherché à contrarier les desseins de S.M. le Roi des Belges.

Il m'a prié de bien vouloir répéter cette assurance, ainsi que celle de sa gra- titude pour les bontés de S.M.

Sauf que je l'ai aidé et parfois amené à débrouiller ses idées et à préciser ses déclarations, je me suis renfermé dans une complète abstention dans toute la seconde partie de l'entretien. J'ai expliqué mon silence en disant que le Roi ne m'avait donné aucun mandat et le ministre aucune instruction.

Avant de me quitter, M. de Brazza m'a dit que, dans sa conviction, le Gouvernement ni les Chambres ne feraient rien à Paris. C'est ce dont il est permis de douter, à en juger d'après ce qui s'est passé à la Société de Géogra- phie et dans la presse.

2. Le « sic » est de Lambermont.

3. Idem.

— 117 —

(15)

JBAN STENGERG

— 5 —

Billet de Léopold II à Strauch, 17 septembre 1882 (Bruxelles, Musée de la dynastie, Papiers Strauch).

Ci-joint le résumé d'une conversation entre Brazza et le baron Lamber- mont ^.

Je n'aime pas dire à Brazza : nous avons des concessions des chefs, mais je trouve qu'on peut lui dire : nous nous plaçons à des points de vue diffé- rents. En France, on fait intervenir sans cesse l'État. Nous autres, nous n'avons pas d'attaches gouvernementales, nos établissements sont libres ; mais nous avons eu soin de leur état civil qui est parfaitement en règle. Nous croyons que l'intérêt de la civilisation et du commerce, c'est de maintenir les États indigènes et d'y semer un certain nombre d'établissements libres, ne coûtant rien à personne et rendant service à tous.

Ci-joint un projet de lettre à M. de Lesseps, sur lequel je demande votre avis.

J e serai charmé de voir Brazza à 10 heures mardi ^ au Psdais de Bruxelles.

1. Le document n" 4.

2. 19 septembre 1882.

— 6 —

Lettre de Léopold II à Ferdinand de Lesseps, 18 septembre 1882 (Bruxelles, Bibliothèque royale. Cabinet des Manuscrits, I I . 7023 ; copie aux Archives du Quai d^Orsay, Mémoires et documents, Afrique, vol. 59).

Bruxelles, ce 18 septembre 1882.

Cher Monsieur de Lesseps,

Je viens vous demander de vos nouvelles après toutes vos fatigues. Je sais de longue date que les fatigues n'ont guère de prise sur vous. Elles ne servent qu'à stimuler votre vigueur. J'espère que vous avez trouvé toute votre famille en bonne santé à votre rentrée en France. J'espère aussi que vous avez de bonnes nouvelles des stations fondées en Afrique par le Comité Français de l'Association Internationale. Après votre visite à Bruxelles, vous avez bien voulu envoyer à Mr Mizon des instructions que vous avez communiquées à Mr Strauch. Savez-vous ce qui a été fait à la suite de ces instructions et pour les mettre à exécution ? Je forme des vœux pour que les stations françaises se développent et se consolident et pour que le Comité Français placé sous votre présidence continue exclusivement à veiUer sur elles et à les diriger.

(16)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1 8 8 2

Nous continuons de notre côté à avancer en dehors de toute intervention gouvernementale. Cela nous rend indépendant de bien des vicissitudes poli- tiques sans rien ôter sous le rapport légal aux droits que nous tenons de concessions parfaitement en règles. Nous croyons que ce qu'il y a de mieux pour le commerce et pour la paix et pour la civilisation, c'est de maintenir l'autonomie des états indigènes du Congo en y créant quelques établissements libres pour leur servir de guide et pour les diriger peu à peu dans la voie du progrès.

Mr de Brazza qui a été ici pendant quelques jours a je pense d'autres idées ; il cherche à les faire triompher près du gouvernement français et s'il y réussit j'ai très peur qu'il lance son pays dans la voie des annexions et des conquêtes qui amèneraient infailliblement d'autres nations à s'emparer d'autres parties du Congo, à chercher aussi à monopoliser un trafic aujourd'hui ouvert à tous. Ce sera la fin de tous nos efforts, l'installation de la politique en Afrique : le champ que nous voulions ouvrir se trouvera subitement clos ; au lieu d'avoir atteint un grand but de civilisation et d'humanité, d'avoir levé au monde les barrières de l'Afrique, nous verrons transplanter là-bas les rivalités et les misères d'ailleurs. La grande œuvre que nous avions commen- cée sera étouffée, perdue.

Autant que personne je rends justice à Mr de Brazza comme explorateur.

Je me suis toujours beaucoup intéressé à ses travaux et je suis disposé à lui fournir les moyens de les reprendre, mais à la condition que ce soit au pro- fit du commerce général, de la civilisation et du progrès.

Veillez sur vos stations du Comité Français, cher Comte. Présentez mes hommages à Madame de Lesseps et croyez toujours à la sincère amitié de votre très dévoué

Léopold.

— 7 —

Lettre de Léopold II au baron Beyens, ministre de Belgique à Paris, 18 septembre 1882 (Bruxelles, Arch. du Ministère des Affaires étran- gères, Papiers Beyens).

Note jointe à la lettre du Roi à Beyens du 18 septembre 1882.

Bruxelles, ce 18 septembre 1882 Cher Ministre,

Mr de Brazza vient de passer quelques jours à Bruxelles. J'avais désiré cette visite pour convaincre Mr de Brazza qu'il avait à son point de vue même tort de nous considérer comme des adversaires auxquels il est avanta- geux de chercher à barrer le chemin. Je lui ai offert de l'employer.

— 119 —

(17)

J E A N 8 T E N G E R S

Mr de Brazza m'a apporté les compliments de Mr Decrais Veuillez dire à l'ancien ministre de France à Bruxelles combien je suis sensible à son bon souvenir et l'assurer que de notre côté nous ne l'oublions pas. Veuillez dire à notre ami Mr Decrais ce qui se trouve dans la note ci-jointe. Vous jugerez par la tournure de l'entretien s'il peut être utile de la lui laisser et de mettre notre cause entre ses mains. Je lui ai déjà remis une note le 6 décembre 1881 sur mes eilorts africains.

Veuillez ajouter que Mr de Brazza pousse la France à des aventures, il a envoyé des mémoires aux divers ministères français pour pousser le gouver- nement aux quatre choses suivantes :

1° Ratification du traité très peu formel qu'il a fait avec Makoko et qui doit lui livrer une partie de la rive droite du Congo. Ce serait un premier pas très dangereux vers l'absorption de toute la contrée par la France.

2** Absorption par l'État des stations du comité international français de l'Association Africaine pour la fondation desquelles le Roi des Belges a accordé un subside de 40 mille francs au Comité français et qui sont des établissements privés.

S*» Construction d'un chemin de fer de Brazzaville à l'Océan, longueur 400 kms, qui coûtera 400 millions.

4° Enfin, conquête par la France de la majeure partie du bassin du Congo.

Ce serait la destruction de notre entreprise qui depuis quatre ans se déve- l o p p e pacifiquement s a n s avoir fait naître une seule critique, e t cela n e s ' a c c o m - plirait pas sans appeler toutes les autres puissances à s'emparer également de territoires près et sur le Congo.

Les projets de Mr de Brazza sont très dangereux pour nous et nous devons les combattre de notre mieux. Ils me semblent dangereux aussi pour la France à cause des jalousies des autres puissances qui ne manqueront pas de chercher à l'arrêter. Ils exigeront des sommes folles.

Vous voudrez bien me rendre compte de ce que vous aura répondu Mr Decrais. Je n'ai pas besoin de vous recommander d'y mettre beaucoup de prudence et de ménagement et tous vos soins.

Il est très important pour moi et je dirai pour la grande cause de la civi- lisation de chercher à empêcher le gouvernement français de tâcher de s'annexer le Congo. Je doute qu'il soit porté à le faire, mais Brazza qui est très ardent et très remufmt y travaillera de tous ses moyens.

Note

Le Comité international du Congo a fondé des stations sur la rive droite du fleuve, à Vivi, à Manyanga, à Isanghila, et les a reliées par une route ; il a fondé des stations sur la rive gauche du Congo, à Stanley Pool, à Ibaka Vouabouma * et au-dessus. Tout cela sans charge pour aucun gouvernement,

1. Albert Decrais, qui avait été ministre de France k Bruxelles de 1880 jusqu'au début de 1882, avait été appelé au poste de directeur des Affaires politiques au Ministère des Affaires étrangères (cf. Dictionnaire de biographie française, t. X, 1965, col. 502-503).

2. Il s'agit de la station de Msuata. Stanley, lorsqu'il l'avait fondée, avait annoncé

(18)

LÉOrOLD II ET BRAZZA t.'S 1 8 8 2

mais à la suite de concessions en règle qui légalisent absolument l'existence des stations énumérées ci-dessus. Le Comité se persuade que la création de ces stations libres au milieu des États indigènes laissés à leur indépendance est à la fois ce qui peut être fait de mieux et dans l'intérêt de la civilisation et dans celui du commerce. En effet, il y a chez presque toutes les Puissances un vif désir de maintenir la liberté du Congo.

M. de Brazza doit avoir soumis au Gouvernement français des mémoires et des plans qui modifieraient profondément la situation actuelle au Congo.

Le Comité d'Études rend hautement justice au grand mérite de M. de Brazza comme explorateur, et il ne demanderait pas mieux que de lui faci- liter de ses ressources de nouvelles découvertes. Mais le Comité est persuadé que les plans politiques de M. de Brazza sont dangereux, sont de nature à troubler la situation, retarderaient les progrès qui s'accomplissent, enraie- raient pour longtemps l'œuvre d'humanité et de civilisation qui a été com- mencée et poursuivie jusqu'ici au profit du monde et ne peut être menée à fin qu'en restant dirigée par les mêmes mobiles.

qu'elle était située là où se trouvait mentionnée, sur sa carte de la traversée de l'Afrique, la tribu des « Ibaka » (cf. lettre de Stanley à Strauch du 11 mai 1882, dans H. M. STANLEY, Unpubliahed Letters, publ. par A. Maurice, Londres, s. d., p. 142, et trad. française dans A. MAURICE, Stanley. Lettres inédites, Bruxelles, 1955, p. 173). A Bruxelles, on a complété cette indication en ajoutant au nom des

« Ibaka » celui des « Vouabouma », qui était indiqué tout à côté sur la carte de Stan- ley (cf. la « Carte de la moitié occidentale de l'Afrique équatoriale » dans H. M. STAN- LEY, A travers le continertt mystérieux, trad. par H. Loreau, Paris, 1879).

— 8 —

Analyse d'une lettre du baron Beyens à Léopold I I , 23 septembre 1882 (Bruxelles, Archives générales du royaume, Papiers Droogmans).

Monsieur le Baron Beyens répond le 23 septembre 1882 ^. Il a vu M. Decrais.

L'Angleterre a demandé officiellement par une note verbale de quatre lignes et fort amicale la vraie signification des projets de M. de Brazza et la suite que l'on se proposait d'y donner ; on connaîtra donc bientôt la situation du Gouvernement français. — M. Decrais ne peut émettre une opinion officielle ; personnellement il estime qu'il faut respecter l'indépendance du Congo ; ce n'est pas le moment de s'embarquer dans une affaire de ce genre. Rien du reste n'indique que le Gouvernement se laisserait entraîner par l'ardeur de M. de Brazza, qui se sert de la presse pour amener le succès de ses vues et de ses projets : ceux-ci ne sont pas même examinés. Le traité et les autres documents n'ont été remis qu'au seul département de la Marine et, malgré la note anglaise, le Ministre des Affaires étrangères n'en a pas encore demandé communication : M. Duclerc ne s'est pas occupé un seul instant de cette question. M. Decrais tiendra M. Beyens au courant de la msirche de l'affaire.

1. A la lettre du Roi du 18 septembre.

— 121

(19)

JEAN STENGERS

— 9 —

Billet de Léopold II à Strauch, 3 octobre 1882 (Bruxelles, Musée de la dynastie, Papiers Strauch).

... Les journaux français continuent à pousser à la reconnaissance du traité avec Makoko et à l'envoi à bref délai d'hommes pour renforcer les stations françaises.

— 10 —

Mémorandum déposé au Foreign Office par le baron Sohyns, ministre de Belgique, de la part de Léopold II (« From the King ofthe Belgians »), le 5 octobre 1882 (Londres, Public Record Office, F.O. 84jl802 ; copie autographiée de ce mémorandum à Bruxelles, Archives générales du royaume, Papiers Banning, n° 122).

A certain number of wealthy persons of différent nationalities devoted to the progress of civilization, interested in the welfare of the coloured races and désirons of understanding more clearly the Geography of Central Africa about the Equatorial régions, met together and formed an Association to study how to carry out thèse measures pacifically and without the interven- tion of Government aid.

This Association was formed at Brussels in 1879.

Belgium does not expect any political advantage whatsoever from the labours of the Association and will not possess in Africa either a province or any portion of land.

The Association endeavours to establish in Equatorial Africa a line of stations. Constructed on land conceded by the chiefs, thèse stations are small free communities. In planting them in the midst of the native States, the Association expects to promote the welfare and strengthen the indepen-

d e n c e of thèse states and thinks this is the best that oan be donc both i n

the interest of civilization as also in the interest of commerce in gênerai.

The Association hopes that thèse stations will be guides to the native

S t a t e s , to assist them in the path of progress, whereat the white man w i l l

surely find both security and hospitality.

It w a s w i t h thèse instructions that IW Stanley undertook the m a n a g e - m e n t of opérations on the Congo.

He thus sums up, on arriving in Brussels after t h r e e years absence, the resuit of his efforts to m e e t the ideas of the Association.

(Suit un rapport de Stanley sur son expédition au Congo, daté de Bruxelles, 2 octobre 1882).

(20)

LéOPOLD II ET BRAZZX EN 1 8 8 2

— 11 —

Lettre de Léopold II au baron Beyens, 5 octobre 1882 (Bruxelles, Arch.

du Ministère des Affaires étrangères, Papiers Beyens) ^.

Bruxelles, 5 octobre 1882 Mon cher Ministre,

Je vous remercie de votre lettre en réponse à la mienne sur l'affaire Brazza.

Depuis nous avons eu l'arrivée de Stanley qui vient se reposer en Europe de ses fatigues. Je désire informer le Gouvernement français de ce que Stan- ley qui a découvert le Congo a fait depuis trois ans par mes ordres et avec mon argent pour ouvrir cette vaste contrée à la civilisation et au commerce de tous les États. J'ai prié M. Lambert, vice-président du Comité du Congo *, de se rendre à Paris. Il vous fera part verbalement des résultats obtenus par Stanley. Je voudrais si vous n'y voyez pas d'inconvénient que M. Lambert obtienne une audience du Président du Conseil et le mette au courant de nos efforts pour le progrès et la civilisation. Je vous serai obligé de conduire M. Lambert chez M. Duclerc. Vous rapporteriez à ce dernier le plaisir que j'ai eu à le voir à Biarritz, l'excellent souvenir que j'en garde et vous lui exprimeriez mes meilleurs sentiments.

Je n'ai pas besoin de vous dire que j'attache grande importance à ce que la visite de M. Lambert fasse bonne impression sur M. Duclerc et l'amène à hésiter à ratifier le plan de Brazza qui consiste : 1° à ratifier le traité avec Makoko, 2" à essayer de confisquer pour la France seule les contrées que Stanley ouvre au monde. Je dis essayer car je suis certain que la France ne réussira pas à prendre tous les pays du Congo. L'Angleterre et les autres puissances se mettront à prendre aussi et Brazza en somme aura restreint pour les Français le champ illimité que Stanley leur a ouvert ainsi qu'à tous les autres peuples

Il me semble qu'il serait nécessaire de faire des efforts pour ramener la presse française. Ne pourriez-vous pas voir M. MoHnari des Débats ou tout autre rédacteur de ce journal et lui faire part des renseignements que vous apporte Lambert et qu'il vous paraîtrait utile de lui communiquer sur l'état réel des choses au Congo. Il serait important de lui prouver que les indigènes ne consentent à aucune cession sans un tribut annuel. Ils ne respectent pas

1. Le Roi avait soumis la minute de cette lettre à Lambermont ; on !a trouve dans les Papiers Lambermont (en deux parties séparées, sous les n"' 165 et 175).

2. Le banquier Léon Lambert ; voir sur lui la notice de la Biographie coloniale belge, t. I, Bruxelles, 1948, col. 581-582.

3. Dans la minute soumise à Lambermont se place ici un passage que le Roi a ensuite barré : « Je ne charge pas M. Lambert d'attaquer le traité fait par Brazza avec Makoko, c'est une affaire française. M. Lambert doit expliquer ce que nous avons fait dans l'intérêt de tous [le Roi souligne, et il souligne même deux fois « de tous »], cet exposé implique naturellement que nous arrêter serait contraire à l'inté- rêt de la civilisation et nuirait moralement et matériellement à la France ».

— 123 —

(21)

JEAN STENGERS

les conventions qui ne leur rapportent rien et on va allumer la guerre avec eux, ce qui sera très contraire au commerce. C'est le Comité français de l'Asso- ciation Internationale Africaine qui a envoyé Brazza en Afrique. Pourquoi lui ôter l'œuvre des mains, on dit qu'elle ne doit presque rien coûter. Pour- quoi ne pas laisser marcher ce Comité et se borner à seconder ses efforts ? Cela ne serait-il pas plus sage ? Pourquoi risquer des conflits internationaux et d'enrayer le progrès au lieu de laisser marcher l'idée internationale qui se développe là-bas sans subside d'aucun État et au service de laquelle sont écloses les trois stations françaises ? Utilité de recueiUir les avis de MM. Ballay et Mizon qui sont en Afrique en ce moment et je crois peu d'accord avec Brazza, ce dont je voudrais voir le public informé. Si M. de Molinari pouvait écrire dans le sens de ce qui précède, qui doit convenir à un écono- miste, il aurait sans doute soin de ne pas faire cabrer M. Paul Leroy-Beau- lieu car ce serait verser de l'huile sur le feu. Peut-être que vous pourriez voir M. Say et d'autres personnes influentes au Journal des Débats et qui pourraient enrayer la plume de M. Leroy de Beaulieu [sic].

Je compte sur vous, cher Ministre, pour faire ce qui vous sera possible pour diminuer un peu le subit engouement de la presse française pour M. de Brazza.

— 12 —

Analyse d'instructions de Léopold II à Léon Lambert pour sa négocia- tion avec Duclerc, 8 octobre 1882 (Bruxelles, Archives générales du royaume, Papiers Droogmnns).

Résumé de quelques arguments à exposer à M. Duclerc, 8 octobre 1882.

Le Comité international a été fondé à Bruxelles pour ouvrir les contrées qui bordent le Congo au commerce du monde entier et à la civilisation. Toutes les concessions qui ont été faites au Comité l'ont été à titre de location perpé- tuelle et moyennant tribut annuel.

M. de Brazza a été bien reçu par les agents de l'A.L ; on a subsidié le Comité français et les membres du Comité international sont quelque peu co-fondateurs des stations que le voyageur français a créées. On a été très peiné d'apprendre l'attitude de Malamine qui a repoussé Stanley dont les travaux avaient eu pour résultat de faire connaître le fleuve au monde civi- lisé. Une lutte aurait éclaté entre les hommes de Malamine et ceux de M. Stan- ley si celui-ci, pour pousser l'esprit de conciliation à ses dernières limites, n'avait pas repassé le fleuve et construit ses établissements sur l'autre rive (sud). Malamine a obligé les missionnaires Bentley et Crudgington ainsi que le Père Augouard à rebrousser chemin. On s'est adressé au Comité fran- çais, qui a promis de porter remède à cet état de choses. — M. Gambetta a écrit à M. Deorais une lettre dans laquelle il témoigne la plus grande sympa- thie pour la réussite des efforts de l'A.L — Le Roi espère que M. Duclerc

(22)

L É O P O L D I I E T B R A Z Z A E N 1 8 8 2

ne tolérera rien qui soit de nature à enrayer l'ouverture du Congo, etc., etc.

Sa Majesté sait que la tradition de la France est de favoriser tout ce qui est utile à l'humanité.

— 1 3 —

Lettre de Lêopold II au baron Soltyns, ministre de Belgique à Londres, 8 octobre 1882 (Minute à Bruxelles, Archives des palais royaux, Fonds Congo, 100).

Bruxelles, 8 octobre 1882 Cher Ministre,

Je suis enchanté de la nomination de Sir J. Pauncefote ^. Veuillez lui porter mes très sincères félicitations.

Le Gouvernement anglais a paraît-il demandé au Gouvernement fran- çais quels étaient ses projets sur le Congo.

Je suis presque certain * que le Cabinet de Paris finira par ratifier le traité de Brazza avec Makoko. Brazza s'est très habilement emparé de la fibre nationale, toute la presse est pour lui. Son rêve, c'est non seulement de voir le traité ratifié mais de prendre ensuite pour la France tout le bassin du Congo, puis, de la concession de Makoko entre les rivières Djoué et Impila qui barre le passage de tout ce qui descend la rive droite du Congo, de faire un chemin de fer français sur territoire à conquérir par les Français jusqu'à la mer, chemin de fer arrivant à l'Océan vers Loango, probablement un peu au nord de cette ville. Rien de tout cela n'appartient en ce moment à la France. De tels projets seraient désastreux pour le commerce du monde.

La note verbale du Gouvernement anglais au Gouvernement français va restreindre les plans de Brazza, mais il faut s'attendre qu'il les reprendra en secret et forcera de nouveau la main à son propre gouvernement. Le traité avec Makoko, il l'a fait de son chef, il a trompé Makoko, ce dernier ne croit pas avoir cédé de territoire aux Français. Les chefs nègres ne cèdent de terri- toire dans ces contrées que contre un tribut annuel. Nous payons ce tribut depuis trois ans pour nos établissements. Brazza n'a jamais rien fait de pareil et il est probable qu'il devra faire la guerre à Makoko. Il trompera d'autres chefs puis fera ratifier les traités à Paris. Le danger est très grand, mais si l'Angleterre le veut, elle peut très facilement le conjurer. Il lui suffira de faire croiser de temps en temps un navire de Landana à Majoumbe, et de faire dire aux chefs indigènes de cette côte que si de Brazza vient pour faire des traités avec eux, ils ne les signent pas sans avertir les Anglais. Nous comp-

1. Sir Julian Pauncefote venait d'être nommé, à la suite du décès de Lord Ten- terden, sous-secrétaire d'État permanent aux Affaires étrangères.

2. Le Roi avait écrit tout d'abord dans sa minute : « J'ai peur ». Il barre ensuite ces trois mots et les remplace par : « Je suis presque certain ».

— 125 —

(23)

JBAN STENGERS

t o n s établir une de nos agences à Loango ou dans les environs de cet endroit et nous aurons soin d'avertir les Anglais et de mettre les indigènes sur leur garde.

Maintenant comme Brazza est très actif, il pourrait repartir de suite pour le Gabon et avec un navire de guerre français se rendre vers Loango et prendre possession de la côte de Majoumbe à Landana au nom de la France. Il me parait très important qu'un navire anglais y soit avant et qu'il soit annoncé dans la presse qu'un bâtiment britannique croise de Majoumbe à Landana ; un très petits navire suffirait ; cela arrêtera net les projets de Brazza, que nous pourrons de notre côté entraver sur terre.

Veuillez, je vous prie, parler de suite et très sérieusement de ce qui pré- cède à Sir J. Pauncefote et l'engager à apporter sur la petite manœuvre que je conseille toute l'attention de Lord Granville, de M. Gladstone et du Ministre de la Marine. Si vous croyez que je dois écrire à Lord Granville ou à M. Gladstone, je le ferai.

Ci-joint une carte que vous pourrez laisser à Sir J . Pauncefote après lui avoir lu ma lettre.

— 14 —

Lettre du baron Solvyns à Léopold I I , 11 octobre 1882 (Bruxelles, Archives des palais royaux. Fonds Congo, n° 100).

Sire,

Sir JuLian Pauncefote est, depuis avant-hier, installé dans ses nouvelles fonctions ^. Je l'ai vu hier et lui ai adressé les félicitations de Votre Majesté...

Sir Julian n'a pas dans son ressort les affaires du littoral occidental et du centre de l'Afrique. Cela regarde Mr Lister, neveu de feu Lord Clarendon et homme d'infiniment d'esprit. Mr Lister m'a dit « that several questions had been asked respecting French doings in Central Africa, but that no answer had been given by France ». J'ai pu me convaincre qu'il était fort au courant de tout ce qui s'est passé dans les régions du Congo et que je n'avais absolument rien à lui apprendre de nouveau. Les relations entre la France et l'Angleterre sont extrêmement aigres en ce moment et chaque jour le deviennent davantage. Parmi les hommes d'État, il en est qui veulent qu'on ne tienne aucun compte de l'irritation française, d'autres au contraire voudraient l'apaiser. Il serait donc, ce me semble, peu habile de solliciter en ce moment l'appui de l'Angleterre. Mr Stanley a été d'une maladresse insigne ; s'il avait été payé par Mr de Brazza, il n'aurait pu mieux travailler pour lui. Tout cela se sait ici. Une démarche faite pour tirer Mr Stanley d'embarras serait fort mal accueillie, et cette démarche — attendu les indis- crétions du Foreign Office — ne tarderait pas à être connue à Paris.

Londres, le 11 octobre 1882.

1. Voir document n° 13.

(24)

LéOPOLD II ET BRAZZA EN 1882

— 15 —

Lettre du baron Solvyns au baron Lambermont, 12 octobre 1882 (Bruxelles, Arch. du Ministère des Affaires étrangères, volumes noirs « Afrique — Association Internationale du Congo », vol. 1, 1878-1882).

Londres, 12 octobre 1882.

Mon cher ami.

Tout ceci bien entre nous.

Il y a dans le sein du Cabinet deux courants : l'un voudrait qu'on ne tînt aucun compte de la mauvaise humeur de la France (Kimberley) ; l'autre, que l'on ne sacrifie à aucun prix l'entente entre les deux pays (Granville, Dilke).

Il eût été de la dernière imprudence de demander à être couverts par l'Angleterre. Le Roi désirait que je lusse sa lettre dans laquelle il exprime l'espoir que les Anglais enverront un vaisseau de guerre pour surveiller ce que va faire de Brazza. Je me suis bien gardé de le faire. J'aurais mérité d'être immédiatement rappelé. La démarche n'eût eu aucun succès ; mais elle aurait été connue à Paris et aurait singulièrement irrité les Français contre nous.

J'ai écrit une longue lettre au Roi et me suis exprimé très nettement.

Il me semble que tous nos efforts doivent tendre à détourner le Roi du chemin périlleux où il voudrait s'engager, et à trouver le meilleur moyen de l'aider à sortir de l'imbroglio. Je persiste à croire (je le dis au Roi) que la formation d'une Compagnie est la meilleure issue possible. C'est finir en queue de poisson, mais c'est finir. Continuer avec Stanley pour agent et de Brazza pour adversaire serait pure déraison.

Je vous envoie une carte. Si Sa Majesté vous demande si vous avez eu de mes nouvelles, vous pourrez lui envoyer cette carte.

Tout à vous,

Solvyns.

— 16 —

Lettre de Ferdinand de Lesseps à Léopold I I , 12 octobre 1882 (Bruxelles, Archives des palais royaux, fonds Congo, n° 1) ^^

Sire,

Avant de répondre à la bienveillante lettre de Votre Majesté, il m'a fallu attendre mon retour à Paris et la rentrée du Ministre des Affaires étrangères,

1. Publié dans P. DAYE, Léopold II, Paris, 1934, p. 186-187. Dans le petit dossier n " 11.7023 des Mss. de la Bibliothèque royale de Bruxelles, qui provient manifeste-

— 127 —

(25)

JEAN STENGERS

Mr Duclerc, afin de savoir quelles étaient ses intentions au sujet du projet de Mr de Brazza.

J ' a i voulu d'abord lui communiquer vos judicieuses observations avant de savoir s'il avait pris une résolution *. Ma situation personnelle était très délicate à cause de mes doubles attributions de Président de la Société fran- çaise de Géographie, dont Mr de Brazza avait été le délégué sous la direction de mon prédécesseur, et de Président du Comité français de l'Association

Internationale Africaine.

De plus, je n'ai pas besoin de répéter à Votre Majesté combien je lui suis dévoué et combien je rends justice à son admirable initiative ainsi qu'à sa courageuse persévérance dans la mise en train et dans l'exécution de son œuvre civilisatrice.

Déjà, depuis l'année dernière, le Comité français de notre Association, vu la pénurie de nos ressources, avait été d'avis d'abandonner notre station occidentale et de garder seulement notre station orientale, confiée au capi- taine Bloyet. Le Ministère de la Marine et Mr de Freycinet en avaient même été prévenus.

Dans ces circonstances, Mr Duclerc n'a pas hésité à me déclarer que, d'accord avec ses collègues, il proposerait aux Chambres, dès la réouverture de la session, l'acceptation de la convention de Mr de Brazza, et qu'il s'enten- drait avec notre Comité pour la remise de notre station occidentale.

Telle est la situation que je me fais un devoir de vous exposer franchement, étant toujours aux ordres de Votre Majesté.

Son bien respectueusement dévoué

Ferd. de Lesseps Château de la Chênaie (Indre)

12 octobre 1882.

m e n t des papiers personnels de Lesseps, on conserve, à côté de la lettre de Léopold II à Lesseps du 18 septembre (document n" 6), un exemplaire, de la main de Lesseps, de sa lettre au Roi du 12 octobre qui est très légèrement différent, sur quelques points, du texte de l'original adressé au Roi. Il ne s'agit pas, semble-t-il, d'une minute, mais plutôt, au contraire, d'une version légèrement améliorée. C'est elle en tout cas que Lesseps a communiquée au Quai d'Orsay, où on en trouve une copie dans le vol. 59 des Mémoires et documents, Afrique.

2. Dans la version améliorée que Lesseps envoie au Quai d'Orsay, on lit : « Je viens de communiquer à M. Duclerc vos très judicieuses observations, lui demandant de me faire connaître sa résolution ». La formule paraît plus respectueuse pour le ministre.

(26)

L É O P O L D I I E T B R A Z Z A E N 1 8 8 2

— 17 —

Instructions complémentaires de Léopold II pour Léon Lambert, 14 octobre 1882 (Minute de la main du Roi ; Bruxelles, Archives africaines du Ministère des Affaires étrangères, fonds I.R.C.B., n° 713) ^.

14 octobre 1882.

Complément des instructions de M. Lambert pour son voyage à Paris.

Le Gouvernement français va s'entendre avec le Comité français pour la reprise de sa station occidentale. Nous sommes co-fondateurs. Nous avions une situation privilégiée aux stations françaises et sur leur ligne, elles fai- saient partie de notre confrérie. Nous demandons au Gouvernement fran- çais quelle situation il va nous faire. S'il nous garantit entre le Djoue et r Impila le libre transit, nous ferions de même pour lui en face sur 9 milles à Léopoldville. S'il nous promet de ne pas interrompre notre ligne de com- munication avec la mer en y venant intercaler des postes au milieu des nôtres, de notre côté nous promettons de nous abstenir de nous établir sur la ligne de Brazzaville, Franceville et Ogowé. S'il nous promet de ne pas s'occuper, sur la rive gauche du Congo, des pays compris entre Léopoldville et la rive droite de l'Ikelemba, de notre côté nous nous abstiendrons de placer des établissements sur la rive droite du Congo sur une longueur correspondante et s'étendant du Stanley Pool jusqu'à la rivière Ocuna.

Il ne faudrait à aucun prix se lier en dehors de ces trois points ni sortir de leur rédaction. Il faut définir la ligne Brazzaville-Franceville-Ogowé.

Il ne faut pas nommer les endroits par lesquels passe notre ligne de commu- nication avec la mer car cela nous laisse de la latitude. Si on voulait définir cette ligne en y ajoutant pour la restreindre le mot actuelle, il ne faudrait l'accepter qu'en y ajoutant à notre tour : et les améliorations et rectifications et compléments que nous pourrions juger bon et nécessaire d'y faire,

Brazza a été à peu près jusqu'à la rivière Ocuna et nous avons jeté les bases préliminaires de nos établissements sur l'Ikelemba. Ces territoires sont donc déjà en passe, les uns d'être acquis par les Français, les autres de l'être par la société du Congo.

Il serait plus digne pour nous si les Français nous accordaient nos trois points par une déclaration officielle et spontanée ; s'ils les accordent mais exigent une convention, il ne faut pas refuser.

1. Publié dans A. ROEYKENS, La Période initiale de l'œuvre africaine de Léopold II.

Nouvelles recherches et documents inédits (1875-1883), Bruxelles, 1 9 5 7 , p. 2 1 2 - 2 1 3 .

— 129 —

»

Références

Documents relatifs

C'est une des caractéri- stiques de l'agriculture en général, que d'avoir des rendements très variables d'une année sur l'autre, selon les conditions météo- rologiques et de

L’esthétisme reste la recette et l’ingrédient (…). IL n’empêche que la littérature, si on n’en a pas tellement besoin pour vivre, il en faut pour survivre. Je vous ai

Ce libre accès facilité à la diversité génétique s’est peu à peu effrité du fait de l’évolution conjointe de l’organisation de la recherche et des changements de

parenchyme cortical à grandes cellules, à membranes minces; des faisceaux de fibres, en deux cercles, y sont dispersés;. faisceaux libéro-ligneux à phloème et métaxylème

Les régions d'origine des migrants et le Grand Paris sont les deux grands milieux qui ont été pris en compte dans l'étude de cette constitution de la

Je vous demande de bien vouloir prendre au plus tôt l’attache du directeur de l’école dans laquelle vous prendrez en charge un groupe afin que vous soient communiquées avant