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La Résilience post Boko Haram : Le cas de l’Extrême-Nord camerounais

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Academic year: 2021

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La Résilience post Boko Haram : Le cas de l’Extrême-Nord camerounais

Goulet Jordan

Juriste détenteur d’un Master 2 en droit pénal international et européen, doctorant à l’école doctorale Pierre Couvrat, section droit pénal et sciences criminelles, Université de Limoges

« La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute » - Confucius

Le Cameroun a officiellement déclaré la guerre à Boko Haram en 2014, groupement qui fût à son apogée jusqu’en 2015. Ce mouvement Jihadiste, quoique ayant baissé en intensité, demeure toujours présent dans le pays, notamment dans la région de l’Extrême- Nord, plus précisément au sein du département Logone-et-Chari. La zone a été en proie à de nombreux facteurs d’instabilité suite à la présence de Boko Haram sur son territoire, affectant la survie des peuples locaux. D’une part, la population locale a été atteinte dans sa chair par ce groupe ayant orchestré l’assassinat de plus de 2000 civils et militaires en seulement 4 ans (2014-2018). Toutefois, ce n’est pas tout car la population a aussi fait l’objet de multiples enlèvements pour des rançons ou pour que les otages servent de kamikazes.

D’autre part, Boko Haram a plus spécifiquement affecté la survie des peuples de Logone-et- Chari en modifiant les schémas économiques du département, faisant de cette zone, déjà la plus pauvre du Cameroun avant-conflit, un territoire où la précarité économique engendre une crise humanitaire. En effet, les peuples nomades et autres populations sédentaires vivant de l’élevage ou encore de l’agriculture subissent une remise en cause de leur mode de vie traditionnel du fait de la présence de Boko Haram. Ce dernier avait instauré une taxe de 10%

pour toute activité lucrative. Les paysans acculés n’ont pas d’autres choix que d’accepter, sous peine de mort. Or, ces pratiques ont entrainé une mutation du système économique du département. Nombre de paysans se sont reconvertis dans le commerce plutôt que la production agricole, dans l’objectif d’avoir une activité lucrative qui compenserait les 10%

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prélevés par Boko Haram et les difficultés d’exercices d’emplois liées au contexte. Outre le bouleversement de la nature des activités pratiquées, Logone-et-Chari a la particularité d’être une zone frontalière avec le Nigéria et le Tchad. Mais, du fait du conflit, les échanges commerciaux et les déplacements autour de cette zone ont été fortement restreints voire interdits par les gouvernements des trois pays, entérinant toujours plus les difficultés économiques pour la survie de la population camerounaise.

En 2018, la présence de Boko Haram dans le Logone-et-Chari se fait beaucoup moins ressentir. Pour autant, la population du département demeure toujours dans des conditions de reconstruction compliquées, la résilience d’après conflit n’est pas suffisamment présente pour permettre aux peuples de l’Extrême-Nord de se relever. Il est vrai qu’il existe déjà des initiatives du gouvernement camerounais et de plus de 50 ONG afin d’apporter des aides à la population, notamment par la fourniture de ressources primaires (eau, riz, blé …) et par la reconstruction de structures d’accueil (centre médicaux, écoles, …). Toutefois, ces solutions s’avèrent être des opérations limitées à des effets à court terme, visant à pallier les carences les plus urgentes. Mais la résilience de la population camerounaise ne peut se faire que sur du long-terme et non par des mesures sporadiques dont la pérennité n’est que peu fiable. Le risque des procédés actuels est que Boko Haram en soit également bénéficiaire, par pillage des aides alimentaires et par la corruption. Dès lors, intervient la participation active de la population locale à sa propre résilience (I) s’affranchissant d’un soutien empoisonné malgré les bonnes volontés, tout en s’inscrivant dans un cadre plus général de dynamique nationale de reconstruction (II) qui mettrait en échec l’isolement de l’Extrême-Nord du Cameroun.

I La participation active de la population locale à sa propre résilience

De nombreuses crises humanitaires sont gérées via un schéma d’assistanat auquel la population atteinte ne prend que très peu part. Or, la capacité psychique d’une population à accepter que des événements traumatisants se soient passés et de continuer à vivre comme auparavant, c’est-à-dire faire œuvre de résilience, ne peut se réaliser complètement qu’avec la participation de tous les acteurs de la zone géographique concernée. Cela fait penser à l’après Saddam Hussein dans le contexte de la guerre d’Irak de 2003, où la présence occidentale (notamment celle des USA et du Royaume-Uni) était très forte. Celle-ci s’impliquait de manière importante dans la gestion de la sécurité nationale, dans le rétablissement du système

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judiciaire … Mais toutefois en impliquant très peu les acteurs locaux dans ce processus. Ce contexte a été un vivier favorable à l’émergence de leaders terroristes islamistes, anciens officiers du régime Irakien, des individus avec de hautes responsabilités dans les structures d’avant-guerre. Ceux-ci avaient une aura locale sur les populations, donc auraient pu favoriser une reconstruction du peuple irakien par leur influence. Or, c’est la création de groupes terroristes qui a été favorisé car ces officiers sont devenus des cadres de ces mouvements. Par voie de conséquence, l’exclusion des acteurs locaux dans le processus de résilience nationale n’a fait que créer de nouveaux ennemis à la paix.

Néanmoins, c’est une erreur qui est reproduite dans le Logone-et-Chari. Les emplois occupés par la population locale dans les ONG n’auront pour seule conséquence d’exporter un système occidental dans un territoire vivant avant le conflit selon ses cultures locales. Cela peut se voir notamment par les interdictions de commercer ou de se déplacer au Nigéria et au Tchad, des points commerciaux importants pour l’Extrême-Nord du Cameroun, imposant de facto aux producteurs agricoles d’intégrer des logiques de mondialisation avec des flux de produits vers des contrées éloignées. Malgré tout, une minorité retourne, non sans mal, à ses anciens métiers liés à la paysannerie. En réalité après le conflit, nombre de travailleurs locaux conservent des emplois qui sont en lien avec les ONG et autres aides internationales. Ainsi, par exemple, un ancien éleveur de bétail a évolué vers un emploi de bureau qu’offrent des ONG ou autres structures internationales installées pour la gestion du conflit et de l’après- conflit. Or cette tertiarisation des activités et cette modification des flux constituent des obstacles à la résilience du peuple de Logone-et-Chari. En effet, cela les écarte de leurs cultures originelles, de leurs modes de vie avant le passage de Boko Haram ; et comment permettre à une population de se relever après un tel contexte si les actions des aidants ont pour funestes conséquences de faire disparaitre les bases de leurs identités. Ces identités qui sont un subtil mélange d’histoires, de pratiques économiques et de liens entre les individus, composantes au cœur du processus de résilience.

Nul anthropologue, nul historien, nul économiste venant d’une autre population que celle qui est victime ne serait en mesure de comprendre parfaitement, d’intégrer avec exactitude ce dont a besoin un groupe culturel après un conflit. L’appréciation des rouages d’une identité est sujette à une telle subjectivité que pour éviter une évaluation faussée sur fond d’ethnocentrisme involontaire de la part des ONG, l’implication des populations locales de Logone-et-Chari est indispensable à leur propre résilience. La configuration spécifique du

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territoire de l’Extrême-Nord du Cameroun impose de prendre en compte d’autant plus les opinions des populations locales que celles-ci dépendent pour partie du Nigéria et du Tchad pour leur commerce et leurs exploitations agricoles. Ainsi, ces populations (parfois nomades) sont plus à même de connaitre les zones de passage dont ils ont besoin pour par exemple, faire paître leurs troupeaux ou de quels moyens légaux et para-légaux ils dépendent pour rétablir leur mode de vie d’avant-conflit, marqueur d’une résilience réussie. Ceux-ci ne pourront pas dépendre ad vitam aeternam de la présence des ONG pour leur survie. De cette manière, la participation active de la population locale dans sa propre résilience est indispensable afin que le processus aboutisse. La présence des populations locales dans les débats et dans les projets les aidera à panser les plaies que Boko Haram a infligé aux identités culturelles. Pour exemple, un éleveur local est en mesure d’expliquer l’importance dans sa culture du caractère nomade de son mode de vie. Cela permettrait de ne pas imposer une sédentarisation des activités suivant le modèle économique des pays contributeurs au rétablissement de la paix dans la région. Autre illustration, un peuple de la région traditionnellement cultivateur de telle ressource (riz, blé …), le témoin de ce mode de vie permettrait de faire comprendre que peu importe les rendements, l’important réside dans le rétablissement du mode de vie.

Ainsi, la participation active de la population locale dans sa propre résilience d’après Boko Haram est indispensable, car une simple aide financière est en réalité mortifère pour l’avenir de ce territoire. L’assistanat seul fait des populations locales des dépendants à un système qui n’est pas le leur. Or, les peuples de Logone-et-Chari possèdent déjà leurs propres systèmes culturels qui ne nécessitent pas d’être remplacés. Dès lors, il est indispensable d’inclure des collaborateurs locaux pour la résilience de sa population, dans un esprit d’aide et non pas d’assistance génératrice de dépendance envers les contributeurs.

II Une dynamique nationale de reconstruction de la population

Le département de Logone-et-Chari appartient à la République du Cameroun. Cette zone applique les réformes du gouvernement comme tout autre territoire du pays, mais elle fait aussi l’objet de programmes nationaux tel que les « dons du président » et ceux de la société civile. Ces sommes sont relativement faibles considérant les besoins de l’Extrême-

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Nord. En réalité, pour la résilience, l’élément capital est d’accroitre les actions du pouvoir central, autres que financières. Ce n’est pas le versement de menues monnaies qui aurait un impact sur le long terme et permettrait à la population de se reconstruire après le passage de Boko Haram.

Il peut être pertinent de s’intéresser aux mesures post-génocide au Rwanda qui ont particulièrement bien réussi dans leur objectif de relever le pays autour d’un peuple réconcilié. Il y a bien entendu eu des aides financières, mais leurs actions les plus marquantes sont plutôt d’ordre culturel et éducatif afin d’éviter que de tels événements ne se reproduisent dans l’avenir. La première étape fut la création de la « commission vérité-réconciliation ».

Celle-ci avait pour objectif de faire exprimer les victimes et les auteurs de crimes afin que la vérité soit établie, sans menace d’une quelconque condamnation. Ce processus permet à des individus de se voir reconnaitre le statut de victime et aux auteurs d’être en voie de réintégrer la société civile après le prononcé de leur mea-culpa. Toutefois, une telle procédure n’était possible que pour les criminels donc les actes sont de « faible gravité ». C’est-à-dire de simples exécutants et non des dirigeants. Or, cette configuration pourrait être reproduite avec les camerounais de Boko Haram. Ce mouvement jihadiste est marqué par un endoctrinement idéologique de ses partisans, ce qui présuppose une emprise psychologique des dirigeants sur les exécutants. Ces derniers seraient les candidats à la commission vérité-réconciliation. Dans ce cadre, des explications pourraient être faites aux peuples de l’Extrême-Nord pour démontrer que leurs bourreaux étaient en réalité sous emprise psychologique. Cette procédure est particulièrement efficace pour les enfants auteurs d’infractions. La commission serait l’étape fondatrice pour supporter les chocs traumatiques liés au passage de Boko Haram.

Ensuite, toujours en s’inspirant du Rwanda, il est envisageable d’instaurer des mesures plus éducatives que celles directement liées à la justice. Pour renforcer la reconnaissance du statut de victime à la population de l’Extrême-Nord du Cameroun, le gouvernement pourrait instaurer une journée nationale en mémoire des événements tragiques liés à Boko Haram. Il est indispensable que cette journée soit nationale et non régionale, car la résilience n’en sera que plus rapide si les victimes constatent qu’elles ont toute une nation qui les soutient dans leur épisode post-traumatique. Par voie de conséquence, c’est au gouvernement camerounais de diriger un tel projet afin d’unifier ses peuples autour d’une seule nation solidaire. De ce fait, la population du Logone-et-Chari ne se sentirait pas délaissé par le pouvoir central, même lorsque le versant militaire du conflit avec Boko Haram a baissé en intensité. Ce processus de

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solidification des liens entre l’Extrême-Nord et le reste du pays, favorable à la résilience, peut faire également intervenir d’autres pratiques que la seule instauration d’une journée nationale.

Il est important, tout comme après le génocide au Rwanda, d’ériger des monuments pour manifester un respect à la mémoire des victimes de Boko Haram. De telles initiatives auraient un double usage, honorer la mort des anciens qui se sont sacrifiés pour que les jeunes générations survivent et inculquer aux futurs citoyens du Cameroun les conséquences de la violence dans leur région. Au-delà de la simple résilience, le gouvernement signifierait à la population que de tels actes ne devraient jamais être reproduits dans l’intérêt de la population.

Or, si un tel concept est assimilé par les générations futures, cela ne fera qu’amoindrir les effectifs camerounais des futurs mouvements Jihadistes.

Ainsi, que ce soit la journée nationale, les cérémonies aux morts ou d’autres pratiques, l’objectif final est de créer une dynamique de résilience communautaire. Cette capacité à surmonter des chocs traumatiques se fait plus aisément au sein d’un groupe dont les normes culturelles sont communes. Or, les connaissances, le savoir est une part de la culture, de l’identité d’un individu. De la sorte, il est encore possible de s’inspirer du Rwanda en la matière. L’instauration de programmes scolaires traitant de la présence de Boko Haram, de ses méthodes d’endoctrinement, de ses techniques de guerre, permettrait une mise en garde de la population camerounaise sur de tels événements qui seraient potentiellement amenés à se reproduire. C’est assez comparable aux enfants qui suivent des enseignements sur la manière de réagir lors d’un tremblement de terre. Il est également possible d’appliquer les mêmes méthodes concernant les mouvances Jihadistes et donc de prévenir au recrutement des camerounais par des filières guerrières. Par ces révélations, la population camerounaise ressentirait inévitablement que le gouvernement s’oppose à Boko Haram, mais aussi souhaite à ce que ce genre de contexte ne se produise plus jamais.

Ainsi, le département de Logone-et-Chari serait en mesure de s’inspirer de processus mis en place à l’étranger pour favoriser une résilience de la population locale suite à des événements traumatiques. Le Rwanda est un des exemples récents les plus aboutis en matière de résilience communautaire. La réconciliation entre les peuples ennemis du passé est effective au Rwanda, ce qui manifeste une réussite de la résilience. Le Cameroun peut emprunter les mêmes chemins pour une résilience efficace de l’extrême-Nord du pays, partie majoritairement victime de Boko Haram. Toutefois, celle-ci n’est pas isolée et s’insère dans une structure globale qui est plus importante qu’elle seule, son pays. Ce dernier disposant de

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pouvoirs plus importants, accompagnerait de manière complémentaire la résilience des populations affectées par Boko Haram.

La résilience post Boko Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun ne peut se faire qu’autour d’une double dynamique. Des actions locales et des programmes nationaux. C’est- à-dire que la population personnellement atteinte par Boko Haram doit se relever d’elle-même car personne ne peut comprendre mieux un traumatisme que ceux qui en ont vécu un de même nature. Toutefois, l’Etat n’est pas dédouané pour autant de ses responsabilités de gouvernance. Il se doit de mettre en œuvre des politiques accompagnants la résilience des peuples des régions meurtries, tel que le Logone-et-Chari. Ces processus favoriseront l’émergence d’une unité nationale renforçant la capacité du peuple à se révéler après les événements liés à Boko Haram car il est facile de faire tomber un arbre mais beaucoup plus dur d’abattre une forêt.

Index

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B. CYRULNIK et C. SERON, La Résilience ou comment renaître de sa souffrance, Ed Fabert, 23 Janvier 2009, p. 248.

P. HOFMANN, Irak : La prison américaine qui a fait le lit de l’Etat I’Islamique, e-document, Europe 1, 15 Novembre 2014, cf. http://www.europe1.fr/international/irak-la-prison-

americaine-qui-a-fait-le-lit-de-l-etat-islamique-2290059

L. KOUNGOU, Culture stratégique et concept de défense au Cameroun, Coll. Etudes Africaines, Ed l’Harmattan, 1 Février 2015, p. 288.

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F. REYNTJENS, Rwanda : Gouverner après le génocide, Ed Belles Lettres, Juillet 2014 F. WASSOUNI et A. GWODA (dir.), Boko Haram au Cameroun : Dynamiques plurielles, Ed Peter Lang, 30 Juin 2017, p. 558.

Références

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