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Quand les agents des mines délimitent leur domaine de savoir : la mise en place des collections minéralogiques pendant la Révolution française

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savoir : la mise en place des collections minéralogiques pendant la Révolution française

Isabelle Laboulais

To cite this version:

Isabelle Laboulais. Quand les agents des mines délimitent leur domaine de savoir : la mise en place

des collections minéralogiques pendant la Révolution française. Colloque “ Patrimoine, savoirs et

communautés savantes ”, Nov 2005, Strasbourg, France. pp.151-165. �hal-02932794�

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2009, p. 151-165.

Quand les agents des mines délimitent leur domaine de savoir :

la mise en place des collections minéralogiques pendant la Révolution française

Isabelle Laboulais

L’Agence des mines est créée le 13 messidor an II (1er juillet 1794), puis le 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795) elle est remplacée par le Conseil des mines. En dépit de cette nouvelle désignation, les attributions de cette structure ne changent pas : le Conseil des mines continue de contrôler le corps des mines dans son ensemble et reste chargé, jusqu’en 1810, de la publication du Journal des mines, de l’organisation des enseignements dispensés à l’École des mines et de l’administration des ressources minérales. Cette dernière mission implique à la fois de réaliser l’inventaire de ces ressources, d’en mettre en œuvre l’exploitation et de veiller à leur extraction.

Dès les premiers arrêtés relatifs à l’organisation de l’Agence des mines, la constitution de plusieurs collections est évoquée : les locaux de la conférence des mines doivent abriter une collection d’imprimés et de manuscrits, une collection d’instruments, une collection de cartes et de croquis, et bien sûr une collection de minéraux, ou plus exactement de « toutes les productions du globe ». Ces ensembles sont présentés comme indispensables au travail de tous les agents des mines, c’est-à-dire les inspecteurs, les ingénieurs et les élèves. Dès le 15 vendémiaire an III, Haüy et Macquart sont tous deux nommés « conservateurs des collections », puis Clouet se voit chargé de l’administration de la bibliothèque, et Tonnelier de celle de la collection de minéraux. Les catalogues, les inventaires, les correspondances, les archives comptables témoignent de l’application immédiate des décisions énoncées dans les textes de loi et de l’usage régulier de ces objets ; seules les collections d’instruments semblent absentes des archives. En revanche, les collections de cartes, de livres et de minéraux apparaissent étroitement associées aux procédures de construction et de diffusion des savoirs minéralogiques.

Les cartes sont conservées à la bibliothèque et sont placées sous la responsabilité de

Clouet ; elles sont des outils indispensables au travail des agents des mines, non pas tant,

comme les livres, pour les informations qu’elles contiennent, mais pour les matrices qu’elles

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offrent. À cette époque, les cartes minéralogiques et géologiques ne donnent en effet lieu à aucun levé spécifique, ce sont donc des cartes topographiques qui servent de fond pour recevoir les données observées sur le terrain ou extraites des mémoires savants. Dès l’an III, l’Agence des mines cherche d’ailleurs à se procurer des exemplaires de la carte de France de Capitaine

1

. Cette demande est justifiée par le projet de dresser une « carte minéralogique de la République »

2

, c’est-à-dire de localiser les ressources. Le cabinet des cartes de l’Agence des mines conserve également quatre séries de la carte de Cassini dont les feuilles sont utilisées pour reporter les observations de terrain, il s’agit d’un attribut essentiel mobilisé par les agents des mines lors de leurs tournées. Ainsi, en l’an IV, lorsque Peltier est chargé d’inspecter la seconde région minéralogique, le Conseil des mines fait préparer pour lui dix- neuf feuilles de la carte de Cassini et deux de la carte de Belleyme

3

. Puis, le 14 prairial an X, l’ingénieur des mines Alexandre Miché justifie la demande de neuf des feuilles de la carte de Cassini en expliquant au Conseil des mines qu’elles lui permettront de « mieux désigner les lieux qui renfermeront des objets intéressants dans les départements qu’il va visiter »

4

. La précision de la localisation apparaît comme un élément déterminant du travail d’inventaire dont sont chargés les ingénieurs des mines, il faut situer les ressources dans un environnement économique et spatial pour pouvoir envisager au mieux leur commercialisation.

Comme les cartes, les collections d’échantillons minéralogiques sont, elles aussi, des collections d’usage plus que des collections patrimoniales. Cependant, si les cartes ont disparu des collections, les échantillons, eux, se trouvent aujourd’hui encore à l’École des mines de Paris

5

. C’est donc en nous attachant aux modalités de constitution et aux usages de ces collections minéralogiques que nous tenterons de questionner les biais qui permettent d’assigner une ambition disciplinaire à ces ensembles d’objets, au point de les ériger en symboles des valeurs et de l’identité des agents des mines. En effet, en ce moment de transformation des régimes de production et d’organisation des savoirs, la « science des

Isabelle Laboulais est maître de conférences à l’Université de Strasbourg.

1 Carte de la France dédiée au Roi Par les Directeurs et Associés de la carte de la France. Réduite sur l’Échelle d’une ligne pour 400 Toises d’après les 180 Feuilles de la grande Carte de la France levée géométriquement par ordre du Roi sur l’Échelle d’une ligne pour 100 Toises, 1789, 1:345 600. Toutes les citations respectent l’orthographe adoptée dans le document original.

2 École nationale supérieure des mines de Paris (indiquée ensuite comme ENSMP), Bibliothèque, Ms 78, III 1. Toutes les citations respectent l’orthographe d’origine.

3Carte de la France divisée en 88 départements et subdivisés en Districts avec les Chefs-lieux de Cantons présentée à l’Assemblée Nationale, 1791, 1:880 000 approx.

4 ENSMP, Bibliothèque, Ms 78, III 32.

5 Le statut des archives sur lesquelles nous avons travaillé pour construire cette étude constitue un indice très révélateur du statut très complexe dévolu à ces collections de minéraux devenues aujourd’hui le patrimoine d’une institution. En effet, si les archives concernant les livres et les cartes conservées à la Bibliothèque de l’École des mines sont inventoriées et cotées ; en revanche les catalogues des collections de minéraux, toujours conservés au Musée de minéralogie de l’École, sont

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mines » qui se déploie au sein de cette institution pendant la Révolution française tente d’articuler les méthodes de la minéralogie et celles de la statistique. Or, comme nous le verrons, cette ambition confère une certaine singularité à ces collections. Nous présenterons tout d’abord les objets qui constituent les collections minéralogiques de l’Agence des mines, puis nous nous arrêterons sur les processus de constitution de ces collections ; enfin sur les modalités de leur organisation.

Les échantillons, « une sorte de bibliothèque minérale de référence »

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Constituer une collection d’échantillons est un geste courant voire nécessaire pour une institution chargée de l’inventaire des richesses minérales. La découverte de mines implique en effet l’étude des substances à exploiter. De plus, comme on peut le lire dans le Journal des mines : « on ne connaît les minéraux qu’à force de les voir et de les comparer. Les différences qui existent entre eux sont quelquefois si peu sensibles que la langue la plus riche manque de termes pour les exprimer »

7

. Cette raison explique l’importance tenue par ces collections de minéraux dans l’enseignement dispensé aux futurs ingénieurs. L’installation de l’école des mines à Pesey, en l’an X, le rappelle. La difficulté à réunir sur ce site les collections de minéraux, mais aussi de livres et de cartes, est en effet présentée dans de nombreuses lettres comme un obstacle à la mise en place du travail

8

.

Toutefois, il ne s’agit pas de tout accumuler dans ces collections, ni de s’attacher aux pièces les plus rares, mais plutôt d’admettre des objets dont « l’utilité publique » est démontrée, des objets susceptibles de devenir des outils de travail. D’après les catalogues originaux que nous avons pu consulter, les principaux types d’objets envoyés au cabinet de minéralogie de l’Agence des mines sont des combustibles, des métaux, des échantillons de roches et de substances terreuses, des fossiles, des bouteilles d’eau salée, mais aussi des

« produits de l’art ». Tous ces objets viennent principalement des départements français et, beaucoup plus rarement de territoires européens. On retrouve ici la trace de la première mission confiée à l’Agence des mines : dresser le tableau des substances minérales de la

considérés comme des outils de travail pour les personnels du Musée. À l’automne 2005, ces archives étaient en cours d’inventaire.

6 Lydie Touret, Elodie Kohler, Savant par vocation. L’abbé Jérôme Tonnelier (1751-1819), Paris, École des Mines de Paris, 2001, p. 70.

7 Journal des Mines, Volume II, n° 9, prairial an III, p. 75.

8 Dans une lettre rédigée à Moustier le 3 fructidor, Héricart de Thury écrit au directeur du Conseil des Mines : « Vous vous trompez, mon cher Gillet, à notre égard, je puis vous assurer qu’il n’y a point de découragement parmi nous ; nous désirons tous vivement le rétablissement de Pesey et l’organisation de l’Ecole. Nous y coopérerons autant que nos facultés pourront nous le permettre, mais la cause de notre affliction est le temps qui s’écoule et qui est tel que nous voyons à regret le beau temps perdu. Point encore de laboratoire où nous puissions travailler, point de bibliothèque, de cabinet et cartes ; nous ne pourrons malgré nos soins avoir ces objets cette année. », ENSMP, Bibliothèque, Ms 64, H 163.

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République. L’objectif de ce projet est précisément fixé dès l’an III : il s’agit d’inventorier les ressources minérales et de les hiérarchiser en fonction de leurs conditions d’exploitation.

Cette initiative est guidée par la volonté de dénombrer les richesses, de manière à dresser un bilan de la situation économique. La constitution des collections est en partie régie par cette ambition, tout comme la publication dans le Journal des mines, à partir de thermidor an IV, d’une grande notice des richesses minérales de la République française par ordre de département. L’inventaire organisé par l’administration des mines se traduit donc de trois manières : par la collecte d’objets, par la cartographie des observations, par la production de notices descriptives.

Cependant, au cours de cette période, certains agents des mines expriment d’autres usages possibles pour ces collections. Ainsi, dans un article publié dans le Journal des mines en brumaire an VI et intitulé « Sur les substances minérales », Dolomieu s’efforce de caractériser les usages des échantillons propres aux trois domaines de savoir qui l’occupent à la fois en tant que savant et en tant que professeur à l’École des mines : la minéralogie, la chimie minérale et la géologie

9

. La minéralogie étudie les propriétés des substances minérales et établit leur distribution méthodique, la chimie minérale décompose ces substances pour découvrir leurs parties constituantes, enfin la géologie considère les substances minérales comme des éléments constitutifs de l’écorce du globe, elle les étudie « sous le rapport de leur situation respective, originelle ou accidentelle »

10

. Ces spécificités incitent Dolomieu à proposer des systèmes de distribution méthodique propres à chacun de ces domaines de savoir : les quatre classes du minéralogiste sont les substances terreuses, les substances acidifères, les substances inflammables et les substances métalliques. C’est un usage qui semble alors courant puisqu’à Freiberg, Werner recommandait de constituer cinq collections dont chacune était ordonnée en fonction de chacun de ses cours, c’est-à-dire l’orictognosie, la chimie-minéralogique, la géognosie, la géographie minéralogique et la minéralogie économique. Dolomieu établit également une distinction très nette entre l’approche scientifique de ces objets et l’approche économique : « La minéralogie met la même importance à toutes les espèces qui appartiennent au règne minéral, l’art des mines prend principalement en considération celles de ces espèces qui le guident ou qui font l’objet de quelques exploitations »

11

.

9 Journal des Mines, volume VII, 38, brumaire an V, p. 99.

10 Idem, p. 100.

11 Idem, p. 101-102.

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La science des mines s’appuie sur des connaissances minéralogiques, cependant ses finalités et celles de la minéralogie sont distinctes, ce qui implique des écarts non seulement dans la désignation des objets, mais aussi dans leur fonction. Cette dualité traduit le statut complexe de l’Agence des mines qui a la charge d’administrer les ressources mais qui, en ce moment de recomposition institutionnelle, offre également un laboratoire à des savants comme Haüy ou Dolomieu. Les processus de constitution des collections de l’Agence des mines semblent avoir tenté de concilier ces deux approches, reste à voir de quelle manière.

Les processus de constitution des collections

Le contexte révolutionnaire dans lequel l’Agence des mines est créée confère une spécificité aux processus de constitution de ses collections, puisque si l’on retrouve le recours aux achats, aux échanges et aux dons, qui, depuis la Renaissance, ont marqué les formes de la sociabilité savante, ainsi que la collecte de terrain qui a permis d’ériger les sciences de la terre au rang de science expérimentale, le point de départ de ces collections reste les confiscations.

Les confiscations

Les catalogues des minéraux entrés dans les collections de l’Agence puis du Conseil des mines permettent d’identifier les origines de ceux-ci. Bien que la Commission des arts, puis le Bureau de conservation des objets des sciences et des arts servent le plus souvent d’intermédiaire, la provenance des échantillons figure toujours dans les catalogues de l’Agence puis du Conseil des mines. Le plus souvent, ces collections appartiennent à des émigrés mais celles de quelques congrégations religieuses apparaissent également, on peut signaler celle du Séminaire Saint-Sulpice et celle de la Maison des capucins de la rue Honoré

12

. Dans ce cas, ce sont alors deux documents qui ont été dressés par les agents des mines : d’abord un simple inventaire qui permet de distinguer les échantillons retenus et les

« rebuts », puis un catalogue systématique qui tente d’ordonner les objets sélectionnés par l’Agence des mines, le plus souvent en utilisant les catégories de Haüy

13

. En fonction des collections, la sélection est parfois sévère, ainsi sur les 539 pièces de la collection de Liancourt, 398 sont considérées comme des rebuts

14

.

De manière très évidente, les collections qui constituaient des outils de travail pour leurs anciens détenteurs donnent lieu à un tri beaucoup moins radical que les objets réunis dans un

12 Voir respectivement ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 212 et ENSMP, Catalogue 430.

13 Collections de Douet, Pont-Gibault, Danières et Bellejeant, ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogues 267 à 279.

14 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 272.

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cabinet de curiosités. De ce point de vue, les biens de Dietrich sont déterminants ; tant du fait de leur nombre que du fait de leur nature. Ce sont en effet 1.800 objets qui entrent en une fois dans les collections de l’Agence des mines ; ces minéraux ont été organisés suivant la classification systématique de Haüy. Signalons également les minéraux de Boutin, ancien trésorier général de la marine dont la collection venait en grande partie de la vente de Jacob Forster, collectionneur et marchand anglais, vente réalisée en février 1783

15

.

Le Conseil des mines recourt également au Commissaire du gouvernement français en Allemagne pour les sciences et les arts, afin de se procurer d’autres collections minéralogiques. Une lettre du 8 germinal an IX apprend ainsi à Gillet-Laumont que deux collections venant du Haut-Palatinat sont déjà rassemblées et mises dans des caisses

16

. D’après cette même lettre, ce sont les contacts noués avec le directeur général des mines qui favorisent cet envoi, de même que le zèle du Baron de Moll, celui-ci apparaît d’ailleurs comme l’un des donateurs les plus généreux

17

; il rédige même un inventaire très détaillé de son envoi, précédé d’une espèce d’introduction méthodologique. La fonction des correspondants semble décisive dans le processus de constitution des collections.

Les achats, les échanges et les dons

Si les catalogues donnent quelques exemples d’achats, on peut supposer que les fonds disponibles sont très limités : six occurrences seulement apparaissent entre l’an III et l’an IX.

Dans les catalogues, la somme qui leur est consacrée n’apparaît jamais, il peut toutefois arriver que le nombre de pièces soit indiqué. Ces acquisitions sont quelquefois conséquentes, à deux reprises le Conseil des mines achète ainsi des minéraux lors de ventes publiques, ce sont alors 200 pièces qui sont acquises

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; sinon il s’adresse à des marchands – le plus souvent il s’agit de Launoy

19

et une fois d’un certain Warin

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. Ces achats se limitent toutefois à vingt ou trente pièces.

L’accroissement des collections de minéraux bénéficie aussi des dons et des échanges, forme répandue de commerce érudit. Les catalogues portent la trace de quelques dons effectués par le Muséum d’histoire naturelle, la mention qui est assortie à la notice de l’un de ces dons rappelle les logiques distinctes des deux institutions : « Différens échantillons de minéraux intéressans par les localités connues et n’ayant aucun mérite, donnés par le Muséum

15 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 300.

16 ENSMP, Bibliothèque, Ms 64, H 284.

17 ENSMP, Catalogue 573.

18 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogues 198 et 199.

19 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogues 159, 383, 544.

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d’histoire naturelle et remis par le citoyen Dolomieu professeur de minéralogie du Muséum d’histoire naturelle le 28 messidor an 9 »

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. Cet ensemble comprend 300 pièces et semble donc correspondre à la structure topographique retenue par le Conseil des mines pour organiser ses collections.

Il arrive que ces circuits de troc introduisent une certaine confusion entre les collections privées et les collections publiques. En effet, Gillet-Laumont et Lelièvre qui dirigent l’Agence puis le Conseil des mines, ainsi que Tonnelier qui s’occupe du cabinet de minéralogie, constituent leurs propres collections au moment où ils œuvrent pour accroître celle de l’institution. Non seulement lorsque certains correspondants envoient des échantillons pour le cabinet de minéralogie, ils doublent leur envoi en pensant à la collection de leur interlocuteur

22

, mais certains membres de l’Agence procèdent régulièrement à des échanges entre leurs propres collections et celle de l’institution. C’est le cas de Lelièvre le 21 fructidor an VIII

23

. Cette confusion entre collections publiques et collections privées se manifeste encore d’une manière plus singulière : en face de la notice d’un « amalgame solide de mercure argental avec mercure coulant dans une gangue terreuse et ferrugineuse jaunâtre », on peut lire : « donné provisoirement par le C

en

Gillet en attendant que le cabinet ait aussi beau et mieux ». Le comportement de Gillet-Laumont ou de Lelièvre semble plus proche de celui de Sage dont les collections ont permis la création de l’École royale des mines en 1783 que de l’esprit « républicain » de l’Agence puis du Conseil des mines.

Cependant les échanges ne concernent pas seulement les agents des mines ; plusieurs correspondants étrangers procèdent à ce type de transactions : Peschern de Vienne le 3 vendémiaire an IX et le 15 thermidor an X

24

, Mawe de Londres le 3 floréal an X

25

. Dans ces échanges, c’est la complémentarité géographique qui est recherchée : le Conseil des mines cède alors des échantillons venant des départements français et reçoit des minéraux collectés aux environs de Vienne ou de Londres. La correspondance de Gillet-Laumont offre d’autres

20 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 523.

21 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogues 170.

22 Sur le catalogue des morceaux adressés par M. de Laizer à Messieurs les administrateurs et membres du Conseil des Mines, le 16 novembre 1807, on peut lire : « Par erreur et double emploi, en oubliant que j’avais déjà mis des Barytes sulfatées dans la Caisse du Cabinet des Mines, j’ai mis un autre assortiment des barytes sulfatées du Puy de Dôme. Mr Le Lièvre et Mr Gillet Laumond disposeront des doubles qui ne seront pas nécessaires pour le cabinet. Ces deux messieurs trouveront aussi sous leurs noms chacun un morceau de roche chaussées de chopine tapissées de fer oligiste. La même caisse contient aussi un envoy pour M. Tonnelier dont les étiquettes sont en rouge, ceux du cabinet sont en bleu. ». « Mr. Tonnelier conservateur du Cabinet du Conseil des Mines trouvera dans la même caisse quelques échantillons pour lui de tous les mêmes morceaux plus un paquet ficelé dans le caisse de Mr. De Drée. Tous les morceaux qui lui sont destinés sont marqués par une étiquette sur papier rose. », ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 918.

23 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 540.

24 Respectivement ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 597 et ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 682.

25 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 662.

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exemples de ces échanges, avec Hecht à Strasbourg

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, Pictet à Genève

27

, ou encore Smyth à New York. Dans une lettre qui n’est pas datée, ce dernier propose à Gillet-Laumont de devenir son correspondant, c’est-à-dire d’établir un circuit régulier entre la France et les États- Unis

28

. Ce type de comportement indique qu’en dépit des ambitions spécifiques de l’Agence puis du Conseil des mines, la quête d’exhaustivité n’a pas totalement disparu des ambitions des collectionneurs.

Les collectes de terrain

C’est une logique assez différente qui se manifeste lors des collectes de terrains réalisées par les agents des mines, qu’il s’agisse des ingénieurs comme des élèves. Cette tâche figure d’ailleurs dans la description de leurs fonctions dès l’an III

29

, et manifestement elle ne reste pas qu’une affirmation de principe car plusieurs catalogues originaux témoignent à la fois de l’importance, du soin et de la cohérence des envois d’échantillons réalisés par les agents des mines après leurs tournées. Pour mémoire, on peut citer les 291 pièces envoyées par l’ingénieur Duhamel fils et Beaunier, un élève de l’École, en l’an IV : tous ces échantillons ont été collectés pendant une tournée faite dans l’Aude, l’Ariège et les Hautes- Pyrénées

30

. De même, le 18 germinal an VIII, deux élèves des mines, Héron et du Rozoir, déposent au cabinet du Conseil des mines des « roches diverses, cailloux roulés, chaux sulfatée et carbonatée, mine de cuivre pyriteuse et fonte de cuivre », échantillons qu’ils ont recueillis dans les environs de Toulon, Marseille et Lyon et qu’ils ont classés par ordre de département

31

. La délocalisation de l’École des mines à Pesey généralise ce procédé de constitution des collections. En effet, son catalogue des minéraux indique qu’il a, dans une très large mesure, été composé grâce aux « courses géologiques » réalisées par certains professeurs – Brochant en thermidor an XI, Hassenfratz en fructidor an XI – accompagnés de quelques élèves

32

. Les tournées de deux ingénieurs des mines – Baillet et Lelièvre – faites en l’an 13 contribuent également à augmenter cette collection.

Les catalogues originaux signalent que les tournées des ingénieurs des mines comme Brongniart, Cavillier, Baillet, Pelletier ou Miché sont une source de cohérence géographique

26 ENSMP, Bibliothèque, Ms 64, H143.

27 ENSMP, Bibliothèque, Ms 64, H300.

28 ENSMP, Bibliothèque, Ms 64, H 361.

29 Dans l’article X de l’arrêté du 18 messidor an II, on peut lire qu’il revient aux ingénieurs « De rassembler toutes les substances fossiles, comme sels, terres, pierres, combustibles, mines et métaux qui existent dans leur arrondissement, et d’en envoyer la collection bien étiquetée à l’agence des Mines à Paris. ».

30 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 179.

31 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 508.

32 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogue 1117 et Catalogue 1129.

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très nette. De plus, les ingénieurs des mines rédigent eux-mêmes un catalogue de leur envoi, facilitant ainsi le travail de Tonnelier. On voit ici que les agents des mines peuvent être à la fois les producteurs et les usagers de ces collections et c’est en connaissant l’usage qu’ils auront des échantillons qu’ils rédigent les notices et les étiquettes. Une étude plus fine des catalogues reste toutefois à réaliser pour tenter de dégager les principes qui régissaient leurs collectes. Néanmoins, s’ils semblent jouer un rôle déterminant en la matière, à cause notamment du nombre des pièces transmises – les ingénieurs des mines transmettent des ensembles de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines d’échantillons –, il faut aussi compter avec les envois des « collecteurs amateurs », qui dépassent rarement dix pièces.

La consultation des catalogues originaux des collections de minéraux permet de préciser un peu le portrait de ce groupe des « collecteurs amateurs ». Il s’agit le plus souvent d’hommes de la pratique, toujours familiers du terrain concerné sans pour autant appartenir au corps des mines, qui collectent les échantillons ou bien par devoir, ou bien par intérêt. Dans ce groupe, se côtoient en effet des commissaires des poudres et salpêtres, des commissaires du pouvoir exécutif, des employés de la Régie des domaines, des employés du ministère de l’Intérieur, des ingénieurs des ponts et chaussées, des inspecteurs des forêts, mais aussi des concessionnaires de mines, des directeurs de forges, des professeurs, notamment ceux qui enseignent dans les écoles centrales, plus tard enfin des préfets ; d’autres se désignent tout simplement comme « citoyen intéressé » ou « naturaliste ». Une autre partition possible de ce groupe des « collecteurs amateurs » consiste à opposer les correspondants intéressés – ceux qui requièrent de l’Agence ou du Conseil des mines l’analyse des échantillons envoyés ou qui s’interrogent sur l’opportunité d’exploiter une mine – et ceux qui, lors d’une tournée ou d’une course géologique, se sont arrêtés sur quelques objets rares ou insolites, certains en tirent un mémoire d’autres se contentent de transmettre l’échantillon.

Malgré la sélection des objets effectuée par les conservateurs, c’est, pour le dire comme Dominique Poulot, « l’obsession de la somme »

33

qui semble régir ce mouvement et faire converger de la périphérie vers le centre les outils de cette science des mines que les animateurs de l’Agence entendent promouvoir. Certes, en l’an IV, la création de collections départementales supposées offrir un aperçu des ressources locales est envisagée

34

; mais ce

33 Dominique Poulot, Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997, p. 115.

34 « Il faudroit de plus que l’administration de chaque département fut chargée de rassembler dans le chef-lieu toutes les substances minérales reconnues dans l’étendue de son arrondissement, et d’y joindre un catalogue contenant la désignation exacte du lieu où chacune de ces substances se trouve, le détail de celles qui les accompagnent et de leur disposition respective, l’histoire des différentes fouilles avec leur époque, enfin l’usage que l’on fait de ces minéraux soit pour les arts ou pour l’agriculture. Les missions sont les inspecteurs, ingénieurs et élèves des Mines sont chargés dans les différentes parties

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projet ne se concrétise jamais et, pendant la Révolution et l’Empire, exception faite de l’expérience de délocalisation de l’École des mines à Pesey, c’est de manière centralisée que les collections de minéraux sont organisées

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. Cette méthode se révèle d’ailleurs efficace car, selon Lydie Touret, en 1814, les collections du Conseil des mines rassemblent déjà 100.000 objets.

Les modalités d’organisation des collections

Avant de présenter les différentes modalités de leur organisation, il faut souligner que la complexité de ces collections minéralogiques tient à leur multiplicité. Dans le compte-rendu que le Conseil des mines adresse au ministre de l’Intérieur en thermidor an IV, ce sont quatre collections distinctes qui sont alors envisagées :

« 1. Une méthodique pour apprendre à classer les substances minérales d’après leurs parties constituantes et à en distinguer toutes les variétés à l’aide de leurs diverses propriétés et des formes régulières présentées par la nature.

2. Une géographique de toutes les productions minéralogiques du globe et particulièrement de celles de la République, rangées par canton et par département.

3. Une collection économique renfermant toutes les matières minérales utilisées dans les divers pays et à côté un échantillon de leur emploi dans les arts, des numéros serviront de renvois aux mémoires qui y seront relatifs et dont il existe déjà plusieurs dans les archives du Conseil.

4. Enfin une collection de gîtes des minerais pour donner une idée des diverses manières dont on trouve les mines en amas en couches en filons, etc. »

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Cependant, dans les pages des catalogues, comme dans les locaux de l’Agence puis du Conseil des mines, il semble que ces quatre ensembles tardent à s’individualiser et que la collection géographique prévale de manière durable.

de la République offrent au gouvernement un moyen assuré de faire faire ces collections avec autant de perfection que d’économie. », Journal des Mines, Vol. II, 9, p. 76.

35 On peut signaler que le 21 juillet 1834, dans une circulaire du directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines aux ingénieurs en chef des Mines, la formation de collections locales est de nouveau envisagée. C’est alors à l’échelle des arrondissements que ces « collections géologiques » profitables « aux progrès de l’industrie minérale » sont envisagées. cf.

M. Lamé-Fleury, Recueil méthodique et chronologique des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc. concernant le service des ingénieurs au corps impérial des Mines, Paris, Imprimerie impériale, 1857, t. II, p. 162.

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Les catalogues

Plusieurs types de catalogues sont utilisés par l’Agence et le Conseil des mines. Le premier instrument de travail est un registre qui recense les objets au rythme où ils entrent dans les collections. Ces « catalogues originaux » sont rédigés par Tonnelier et ressemblent à un inventaire sommaire, même si progressivement les notices semblent se formaliser. Dans les premiers catalogues, les indications sur l’identité de l’expéditeur et le lieu de la collecte restent vagues, la liste des pièces composant l’envoi est approximative : les objets ne sont pas désignés selon des catégories systématiques, les dimensions des échantillons sont seulement estimées, le plus souvent par comparaison avec la taille de la main ou du poing. Au cours des premières années, la présentation de ces catalogues originaux devient plus rigoureuse, ils indiquent la localisation de l’objet, la désignation de celui-ci, la date de son envoi, l’identité et parfois le statut de son expéditeur, enfin d’éventuelles observations relatives notamment aux résultats des analyses pratiquées sur ces objets dans le laboratoire de l’école. Un catalogue spécifique est réalisé sur le même modèle pour les 1.026 pièces de la collection de l’École de Pesey

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. Dans ces documents, un catalogue général est évoqué, mais nous n’avons trouvé aucun indice de son exécution pendant la Révolution et l’Empire. C’est vraisemblablement au début de la Restauration que ce catalogue général a été dressé. Il s’agit d’un registre de grand format qui reprend tous les éléments contenus dans les petits feuillets reliés des catalogues originaux. Il offre donc une espèce de synthèse qui entend rassembler dans un seul registre des données consignées de manière éparse au gré de l’entrée de ces objets dans les collections de l’Agence puis du Conseil des mines.

La première tentative d’ordonner méthodiquement cette collection est d’inspiration géographique, elle répond au projet de dresser un tableau des substances minérales de la République. Des catalogues départementaux qui inventorient les objets concernant chaque département français conservés par le Conseil des mines font encore partie aujourd’hui des archives du Musée de minéralogie de l’École des mines. Ces petits catalogues départementaux recensent les échantillons en fonction de leur type, le plus souvent ils présentent les combustibles, les métaux, les substances acidifères, les substances agrégées, les substances terreuses, les roches, les coquilles fossiles, les produits de l’art. Dans la colonne de droite, le nom de celui qui a fourni l’échantillon est mentionné, la cote de l’échantillon est indiquée dans la colonne de gauche, il s’agit du numéro du catalogue original et du numéro de l’objet. Au dos de la couverture, la référence à quelques articles consacrés par le Journal des

36 Archives nationales, F 14 1301a.

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mines au département concerné est systématiquement indiquée. Cet indice suggère que ces catalogues ne sont pas seulement utilisés à des fins de classification, mais qu’ils constituent des sources d’informations monographiques.

Si un certain nombre de textes prescriptifs mentionnent en effet l’existence de plusieurs types de collections et notamment d’une collection systématique, aucune version papier d’un catalogue systématique de l’ensemble des collections de minéraux ne semble avoir été conservée ; et aucune source n’indique même qu’un tel outil ait alors existé. Certes, un compte-rendu rédigé en frimaire an VIII par les membres du Conseil des mines précise que :

« La collection des minéraux qui existe au local du Conseil des mines, rangée suivant un ordre méthodique analogue aux cours, et aussi par ordre de départements, a présenté d’une part aux élèves et au public, la méthode adoptée pour l’enseignement, de l’autre le tableau des richesses de notre pays dans ce genre, et le degré d’intérêt que nous devons y attacher. »

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Cependant, la plupart des documents qui rendent compte de l’organisation matérielle des collections au cours de cette période insistent sur la structure topographique de celle-ci. Ce n’est, semble-t-il, qu’à partir de 1815 que les collections ont été réorganisées en suivant les catégories déterminées par Haüy.

Les modalités de rangement et d’exposition

Pendant la Révolution et l’Empire, l’Agence puis le Conseil des mines sont installés dans l’Hôtel du Périgord situé rue de l’Université et l’Hôtel Mouchy qui lui est contigu. C’est dans celui-ci que les enseignements sont dispensés, du moins jusqu’à la création de l’École pratique de Pesey ; c’est là également, au premier étage, que les collections sont rangées.

Parmi les archives consultées, aucune n’évoque avec précision l’ouverture de ces collections. Dans le compte-rendu de frimaire an VIII déjà cité, le public est cité. À ce jour, nous n’avons cependant pu confirmer cette assertion par aucun autre document qui indiquerait par exemple les conditions et les modalités d’accès. S’il est probable que les savants et les administrateurs pouvaient accéder à ces collections, rien ne permet d’affirmer qu’il en était de même pour le « grand public ». La diffusion des collections auprès d’un tel « public » est évoquée de deux autres façons, ou bien, comme nous l’avons déjà signalé, au travers du projet de créer des collections départementales, ou bien par l’intermédiaire de l’imprimé. Dans son premier numéro, le Journal des mines – qui, lui aussi, est placé sous la tutelle de l’Agence puis du Conseil des mines – propose ainsi, grâce aux planches qu’il entend publier, de mettre

37 ENSMP, Musée de minéralogie, Catalogues 1117 et Catalogue 1129.

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« ces objets entre les mains du public »

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. Dans les deux cas, c’est une version abrégée et simplifiée des collections qui est soumise au public. En revanche, les collections rangées au premier étage de l’Hôtel Mouchy sont des collections pratiques, constituées avant tout pour l’usage des agents des mines. De ce fait, les réflexions relatives à l’organisation matérielle des collections reflètent avant tout leurs pratiques ; le « Projet d’une distribution méthodique de la collection minéralogique de la France » rédigé par l’inspecteur des mines Baillet le montre bien.

Ce projet a été présenté à la Conférences des mines le 28 germinal an IV et approuvé par le Conseil des mines ; puis après avoir été lu par son auteur à la Société d’histoire naturelle de Paris, il a été publié en pluviôse an X dans le Journal des mines

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. Or, à la fin de ce texte on apprend que ce projet « a été mis à exécution dans les galeries de minéralogie de l’École des mines, avec quelques légères modifications que des circonstances locales ont nécessitées »

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. C’est, à ce jour, la seule source précise relative à l’organisation matérielle des collections que nous avons pu identifier.

Dans ce projet, Baillet entend concilier les principes d’une distribution systématique et d’une division topographique, ou comme il le dit lui-même la clarté de l’un et la simplicité de l’autre. En effet, si les arrêtés de l’an III ont imposé à l’Agence des mines d’ordonner ses échantillons en suivant « l’ordre des localités »

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, Baillet n’entend pas se démarquer des méthodes de classifications systématiques car ce sont elles qui ont fait des sciences expérimentales « des sciences de collection et d’analyse, de rangement et d’ordre »

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. À mots couverts, Baillet voit dans la juxtaposition topographique des minéraux un retour en arrière, c’est-à-dire une simple accumulation dépourvue d’ambition cognitive. Il propose donc une solution pour retenir deux modalités de subdivisions : les départements d’une part, les classes minéralogiques de l’autre.

Baillet imagine de juxtaposer sur l’un des côtés d’une longue galerie des armoires toutes semblables, il préconise même qu’elles mesurent 2,5 mètres de haut, ce qui semble pour lui un compromis satisfaisant entre les bonnes conditions d’observation et les possibilités de présenter un nombre suffisant d’objets. Pour cela, il suggère d’installer dans l’armoire cinq tablettes et d’isoler ainsi de bas en haut d’abord les roches, les pierres, les terres et les sables

38 Archives nationales, F 14 1301b.

39 Journal des Mines, Volume I, n° 1, vendémiaire an III, p. 7.

40 Journal des Mines, Volume XI, n° 65, pluviôse an X, p. 385-395 + 2 planches.

41 Idem, p. 394.

42 Idem, p. 385.

43 François Dagognet, Le catalogue de la vie. Étude méthodologique sur la taxinomie, Paris, PUF, 1970 ; cité dans Dominique Poulot, op. cit., p. 44.

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qui composent la masse du terrain du département, puis les substances terreuses qui se rencontrent pures et isolées dans la masse même du terrain, ensuite les substances acidifères à base terreuse ou alkaline, au-dessus les métaux, les minerais métalliques et les gangues qui les renferment, encore au-dessus les combustibles fossiles (tourbes, bitumes, houilles), enfin les morceaux lithologiques de grande taille. C’est donc une sorte de tableau à double entrée qu’imagine Baillet : une lecture verticale permet de saisir en un coup d’œil les substances produites par un même département, une lecture horizontale offre un aperçu des substances d’une même classe. Baillet vante la facilité avec laquelle il sera possible de se repérer dans un tel système et insiste plus encore sur la pertinence de celui-ci même aux yeux de quiconque chercherait à effectuer une lecture plus économique que minéralogique de cette collection.

Selon lui, cette disposition permet de lire la richesse de la France en telle ou telle substance, tout comme l’état de situation minérale de chaque département. Cependant, elle préserve les catégories utilisées par les minéralogistes ; Baillet s’efforce d’ailleurs de signaler la correspondance entre son système et les classes établies par Haüy, du moins pour les minéraux des quatre tablettes supérieures.

Afin de pouvoir établir des subdivisions, Baillet imagine de séparer chaque compartiment par quatre gradins, non pas pour justifier une accumulation qui serait contradictoire avec sa conception d’une collection, mais pour, le cas échéant, séparer les terrains de différents ordres. Il propose de consacrer le premier échelon aux roches primitives, le second aux pierres plus récentes, le troisième aux terrains modernes, le quatrième aux substances « produites, altérées ou vomies par les feux souterrains ».

En plaçant au bas des armoires les roches, les pierres, les terres et les sables qui composent la masse du terrain du département, Baillet suggère une reproduction fidèle à la disposition originale. Cependant, il prend la peine de rappeler que l’analogie avec les configurations du terrain ne sont que partielles : ces armoires ne peuvent contenir l’ensemble du réel, il faut accepter de perdre en détail pour gagner en intelligibilité. C’est à ce prix que cette collection pourra offrir « une grande esquisse du tableau minéralogique de la France ».

De tels arguments sont mobilisés au même moment dans les discussions sur la réalisation de la carte minéralogique de la République ; il existe une analogie très forte entre ces deux outils : le tableau synoptique des minéraux et la carte minéralogique

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. Tous deux sont des

44Voici la manière dont ce projet est décrit dans le compte-rendu que le Conseil des Mines adresse au ministre de l’Intérieur en thermidor an 4 : « Le Conseil rassemble avec activité les matériaux d’une carte complette minéralogique qui manquoit à la France ; par sa disposition, elle montrera la nature des terreins qui composent le sol de la France ; elle indiquera l’espèce, la situation et la direction des gîtes des minerais, les fourneaux, les fonderies, etc., ces objets seront d’abord portés sur la carte de Cassini, qui pourra ensuite être réduite. De longues recherches et des vérifications multipliées peuvent seules porter à sa

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outils de travail essentiels pour les agents des mines ; des outils qui, cependant, sont guidés par des logiques distinctes selon qu’ils doivent donner un aperçu des ressources ou aider à saisir la configuration des terrains.

Cette analogie entre mise en espace des collections et configurations de terrain conduit Baillet à voir dans les lacunes des armoires – les blancs de cette sorte de carte minéralogique – une vertu : il considère en effet que les lacunes visibles dans les armoires signalent de manière très immédiate les substances qui manquent dans le département concerné. Il établit lui-même une comparaison explicite entre le dispositif de classification qu’il imagine et les productions cartographiques : « Se plaint-on que les géographes nous représentent nus et inhabités les sables brulans de l’Afrique, les terres glacées du cercle polaire, etc., etc. On leur sait gré de cette nudité de leurs cartes, quand elles ont le mérite de la vérité et de l’exactitude ». On retrouve ici le legs de Bourguignon d’Anville qui a éliminé des cartes le recours aux allégories pour ne plus faire figurer que des données fiables. Pour Baillet, cette

« collection sera le tableau minéralogique de la France », la représentation fidèle doit donc prévaloir sur la répartition équilibrée des objets dans les vitrines, répartition peut-être plus esthétique mais dépourvue d’utilité ; et surtout il établit une analogie entre le tableau qui répertorie les objets de la collection et la collection elle-même.

Baillet regarde ce dispositif comme « un moyen facile de mettre en tableau le catalogue minéralogique de la France » et propose deux planches à titre d’exemple. Le catalogue synoptique qu’il propose consiste simplement en une reproduction de la collection des objets, les choses étant simplement remplacées par les mots qui servent à les désigner. Baillet est conscient que ce « catalogue synoptique » ne sera qu’un « simple répertoire », mais qu’en aucun cas, il ne fera office de traité de minéralogie. Ces mots qui terminent le texte de Baillet montrent qu’à ses yeux, cet outil qui peut suffire à l’homme de la pratique qui inventorie les ressources, n’est pas satisfaisant pour le minéralogiste, même si la classification systématique ne disparaît pas totalement du dispositif d’exposition qu’il a imaginé.

Ce projet d’organisation des collections est parfaitement conforme aux objectifs assignés à l’Agence puis au Conseil des mines pendant la Révolution et l’Empire : il concilie les acquis de la minéralogie et les attentes de l’économie, ou plus encore de la statistique – l’expression « statistique minéralogique » est d’ailleurs très souvent utilisée à cette période –,

perfection ce travail dont tous les officiers des mines sont spécialement chargés. Pour l’exécution de cette carte, le comité de salut public a attaché au Conseil un ingénieur géographe, le Cit. Dupain-Triel, homme âgé. Cette place pourra par la suite faire une retraite active pour un ingénieur des mines. ». cf. Archives nationales, F 14 1301a.

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il tente de réunir les principes de l’inventaire et les méthodes de la classification

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. Or, c’est bien en ce « lieu », au confluent de la science et de l’administration, de la minéralogie et de la statistique que se constitue l’identité spécifique des agents des mines pendant la Révolution et l’Empire.

Pendant la Révolution française, les collections de minéraux de l’Agence puis du Conseil des mines ont été constituées pour servir à la fois la science des mines et la science du bon gouvernement. Il faut d’ailleurs attendre la Restauration pour que ces échantillons soient ordonnés de manière méthodique et non plus en suivant le maillage départemental. Cela dit, à cette époque encore, les échantillons restent des outils de travail répondant à la fois aux besoins des agents des mines et aux exigences de la formation des élèves. La mise en patrimoine de ces collections semble bien plus tardive. On parle d’ailleurs encore sous la Restauration de « collections » et non pas de « musée ». Il faut attendre près de quarante ans pour que ce terme apparaisse. Une circulaire du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, adressée aux préfets le 25 novembre 1853 insiste en effet sur la nécessité de recueillir et d’envoyer « au musée paléontologique de l’École impériale des mines » les fossiles d’une certaine valeur trouvés au gré des travaux liés à la construction des chemins de fer

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. Ce « musée » ne semble pourtant pas réunir l’ensemble des échantillons minéralogiques et géologiques rassemblés depuis la Révolution, mais exclusivement les objets paléontologiques.

Aujourd’hui, tous ces objets sont visibles dans les salles du Musée de minéralogie de l’École des mines de Paris. Cependant, parmi toutes les publications qui émanent de cette institution, aucune ne mentionne la date de création du « musée ». Toutes établissent au contraire une analogie entre la création du cabinet de minéralogie et celle du Musée, postulat qui a, évidemment, le mérite d’attribuer une ancienneté de plus de deux siècles à cette collection mais qui tend malheureusement à faire disparaître la valeur d’usage de ces objets

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.

45 Isabelle Laboulais, « Du « sein de la terre » aux « mains du commerce » : la connaissance des richesses minérales diffusée par le Journal des Mines (1794-1810) », in Dominique Margairaz et Philippe Minard (dir.), L’information économique XVIe- XIXe siècle, Journées d’études du 21 juin 2004 et du 25 avril 2006, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2008, p. 311-334.

46 M. Lamé-Fleury, Recueil méthodique, op. cit., p. 164-165.

47 Le mot « musée » n’apparaît dans aucune des sources que j’ai consultées. Si, comme l’a montré Dominique Poulot,

« musées et collections tissent des histoires largement communes depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle », c’est davantage pour le prestige du mot « musée » et la visibilité sociale que celui-ci confère à son institution de tutelle que cette assimilation a été faite. « Musées et collection tissent des histoires largement communes depuis la seconde moitié du XVIIIe

siècle, qu’il s’agisse de leurs modes d’enrichissement, des critères de conservation et d’aménagement, ou encore des savoirs mobilisés en matière d’étude et de classement des pièces. De manière plus ou moins évidente selon leurs histoires respectives, l’importance des legs ou des achats qui les constituent, les musées sont des collections de collections, et plus fréquemment d’éléments – d’aucuns diraient d’épaves – de collections. », D. Poulot, op. cit., p. 27.

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On peut postuler que les circonstances de la mise en patrimoine de ces collections correspondent à un moment où l’institution s’est trouvée en quête de visibilité sociale. Ce moment, vraisemblablement tardif, reste pourtant à déterminer. La création d’une association, aux fins de « faire connaître ce patrimoine », ABC mines

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, offre peut-être une piste à creuser…

48 « Pour faire connaître ce patrimoine, et surtout briser la réserve du visiteur usuel de l’Institution École des Mines, et lui donner un rayonnement d’abord national, une solution s’est imposée : la création d’une association. En 1988, Mme Lafitte, MM. Mudry, Phan, Matharan et Gentilhomme ébauchent un premier projet, rédigent des statuts qu’ils soumettent à une assemblée consultative. En un mois et demi, leur travail voit sa concrétisation dans la naissance d’ABC Mines (Amis de la bibliothèque et des collections de l’École des mines) le 24 mars 1988 », Lydie Touret, Philippe Gentilhomme, « Historique et rôle de la collection de minéralogie à l’École des Mines », ABC Mines 10 ans, 1988-1998, Supplément au Bulletin ABC Mines, 14, 1998, p. 15.

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