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L Les raffinements sexuelsd’une bactérie du sol...au servicedu génie génétique

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L

a trangénèse végétale s’est

développée au début des années 1980, à peu près dans le même temps que se met-taient en place les techniques efficaces de transferts de gène pour les cellules animales. Avant la fin des années 1990, des raffinements tech-niques imprimaient des rythmes ful-gurants aux applications des tech-niques de génie génétique chez les plantes (m/s 1988, n° 7, p.463 et n° 9,

p. 597). Ainsi, la première

autorisa-tion de mise sur le marché aux

États-Unis était délivrée dès 1994, pour une tomate à mûrissement ralenti. Rapidement, d’autres plantes de grande culture (maïs, soja…) ont été autorisées en Amérique, et connais-sent un réel succès puisqu’elles sont cultivées sur des dizaines de millions d’hectares.

Cependant, il est encore un peu tôt pour décider de leur intérêt agrono-mique durable, tandis qu’un large débat sur les conditions d’utilisation des plantes transgéniques se déve-loppe.

Les raffinements sexuels

d’une bactérie du sol...

au service

du génie génétique

Caractérisées à l’origine comme les agents responsables de

la formation de « tumeurs » végétales, des bactéries du

genre Agrobacterium ont adapté un système d’excrétion de

type IV afin d’adresser une portion délimitée d’un plasmide

particulier vers les noyaux végétaux. En un siècle, la

conjonction d’un ensemble de recherches en pathologie et

en biologie végétales, puis en microbiologie, ont

progressi-vement contribué à la compréhension du processus de

transfert de gènes, qui se traduit par un « détournement »

métabolique des cellules végétales au profit des bactéries.

Depuis que ces processus ont été élucidés, ils ont été mis à

profit par les biologistes. Des améliorations successives

fournissent aujourd’hui l’ensemble de techniques de

trans-fert de gènes le plus utilisé chez les plantes. Cependant, il

reste à comprendre le détail des mécanismes d’intégration

dans les génomes « receveur ».

ADRESSE

Y. Chupeau : Laboratoire de biologie cellu-laire, Inra U501, Centre Inra de Versailles-Grignon, 78026 Versailles Cedex, France.

SYNTHÈSE

médecine/sciences 2001 ; 17 : 856-66

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Le transfert de gènes

chez les plantes

Nous nous limiterons dans ces lignes à l’intérêt scientifique du génie géné-tique qui constitue avant tout un remarquable outil. Associé aux déve-loppements récents de la génomique [1] (séquençage du génome complet de la plante modèle Arabidopsis

tha-liana, analyse globale du

transcrip-tome, du protéome...), le transfert de gènes procure un outil synthétique qui permet de vérifier non seulement la fonctionnalité de la séquence codante mais également d’étudier la régulation de l’activité du gène. Il permet de localiser le produit du gène, dans certaines cellules, et jusque dans les compartiments cellu-laires, et encore de caractériser les éventuels partenaires de la protéine. Aujourd’hui, les démarches de géno-mique fonctionnelle renouvellent complètement les approches de la physiologie et de l’étude du dévelop-pement des plantes.

Les procédés de transfert « direct » de gènes (Tableau I) mis en œuvre chez les végétaux [2] sont semblables à ceux qui sont utilisés pour les cel-lules animales.

Nous analyserons donc plus spéciale-ment le système de transfert le plus utilisé, qui repose sur les propriétés naturelles et originales des bactéries du genre Agrobacterium, propriétés qui semblent également fonction-nelles pour les cellules animales en culture in vitro [11].

Pour les plantes, le développement du génie génétique résulte, pour une très large part, d’une remar-quable maîtrise des procédés de clo-nage, en raison de la totipotence d’un grand nombre de types cellu-laires végétaux.

Quelques spécificités

du développement végétal

En laissant de côté les aspects évi-dents qui caractérisent le développe-ment et le fonctionnedéveloppe-ment d’une plante (nature sessile, photosynthèse, organisation tissulaire), il est utile pour le lecteur d’avoir à l’esprit trois différences qui démarquent les ani-maux et les végétaux :

– des tissus « embryonnaires » fonc-tionnent pendant toute la vie de la plante ;

– il n’existe pas chez les plantes de circulation générale d’un milieu inté-rieur ;

– la durée de vie des cellules diffé-renciées chez les végétaux est courte. Des tissus « embryonnaires » perdu-rent et fonctionnent pendant toute la durée de vie de la plante : les méris-tèmes, qui assurent croissance, déve-loppement et architecture, jusqu’à la formation des gamètes. En effet, la mise en place, dans les fleurs, des organes sexuels (feuilles modifiées), et la production des gamètes, sont assurés également par les cellules des méristèmes de tige. L’étude du fonc-tionnement du méristème constitue un domaine crucial de la biologie végétale, et de nombreuses équipes s’y consacrent. Notre laboratoire, voué depuis l’origine à l’étude des méristèmes [12] consacre aujourd’-hui des moyens importants à la défi-nition des outils moléculaires adaptés à l’étude du fonctionnement du méristème [13].

Il n’existe pas chez les plantes de cir-culation générale d’un milieu inté-rieur. Une différenciation pariétale complexe, la paroi cellulaire (dont le composant essentiel est constitué de fibre de cellulose), limite les agres-sions, mais aussi les échanges cellu-laires. Attention cependant, les cel-lules végétales dans un tissu jeune, sain et fonctionnel ne sont pas du tout isolées les unes des autres par le « carcan » de la paroi. Les cyto-plasmes et même les réticulums de cellules adjacentes sont en continuité au travers de perforations de la paroi. On s’intéresse aujourd’hui à l’organi-sation des protéines du plasma-lemme et du réticulum dans ces per-forations. Cette organisation, qui contrôle les mouvements de macro-molécules (donc de divers signaux) doit jouer un rôle crucial dans les communications cellulaires.

Cepen-dant, au cours de la différenciation, certains tissus sont progressivement isolés des autres par des parois très épaisses sans aucune perforation [14].

Enfin, la durée de vie des cellules dif-férenciées chez les végétaux est courte, contrairement à l’idée que l’on peut en avoir subjectivement. Certes, on conçoit que les espèces herbacées des zones à climat tempéré assurent un cycle rapide, du prin-temps à l’été. En dehors des méris-tèmes justement, une cellule de feuille de blé, photosynthétique (donc totalement différenciée) ne fonctionne que quelques semaines tout au plus. Chez les arbres, dont la durée de vie est évidemment plus longue, outre les territoires méristé-matiques, seules les cellules de cer-tains tissus conducteurs peuvent fonctionner deux ou trois saisons. Cependant, en culture in vitro, les cellules végétales ont effectivement la capacité de se développer indéfini-ment. Les mécanismes de différencia-tion et de sénescence cellulaires ne sont donc probablement pas mis en place de la même façon que chez les animaux.

Le clonage des plantes

Ces quelques spécificités du dévelop-pement végétal, permettent de com-prendre les difficultés initiales pour établir les techniques de culture in

vitro, surtout dans les premières

ten-tatives qui se proposaient de vérifier la théorie cellulaire selon laquelle, hors de l’organisme mortel, les cel-lules étaient dotées de la capacité de vie éternelle... La mise en culture d’explants importants, qui compor-taient très fréquemment des méris-tèmes, sur des milieux simples mais sucrés, permettait le plus souvent de faire fonctionner ces méristèmes et

Date Procédé Référence

1983 Utilisation des propriétés des agrobactéries [3] 1984 Perméation de protoplastes par le polyéthylène glycol [4] 1984 Utilisation de liposomes sur protoplastes [5] 1985 Micro-injection [6] 1986 Électroporation de protoplastes [7] 1987 Macro-injection [8] 1988 Biolistique [9] 1992 Électroporation de cellules et de tissus [10]

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donc de régénérer des plantules mortelles. Rien de mieux que le clo-nage, par bouturage, connu depuis les débuts de l’agriculture, tandis que la mise en culture de cellules indé-pendantes se heurtait à l’inadéqua-tion des milieux utilisés : pas de milieu intérieur donc pas de serum ! Pour élaborer des milieux de culture adaptés, il faudra attendre la mise en évidence des substances de crois-sance végétales, qui sont des molé-cules assez simples : les auxines dans les années 1940 (dont le type est l’acide indolyl acétique), mais sur-tout des cytokinines (adénines substi-tuées en 6), dans les années 1950. En culture in vitro, l’utilisation com-binée de ces deux substances de croissance a enfin permis de provo-quer des proliférations à partir d’un grand nombre de tissus, prélevés sur de nombreuses espèces différentes. Surtout, on a pu ainsi progressive-ment raffiner la composition globale des milieux de culture en adaptant les niveaux des autres constituants (sels, oses, vitamines...).

Enfin, la capacité de régénération, sporadiquement observée sur cer-taines espèces en culture in vitro, fut maîtrisée par la découverte essen-tielle [15] que c’est justement (et simplement) l’équilibre des concen-trations de ces deux substances de croissance qui permet d’orienter le type de développement en culture in

vitro. Il est possible d’obtenir soit la

prolifération inorganisée de cellules de type parenchyme, soit la forma-tion de méristèmes radiculaires qui

fonctionnent pour mettre en place des racines, soit la formation de méristèmes apicaux et la production de tigelles.

Aussi et surtout, il est possible de pas-ser d’un type de développement à l’autre en repiquant les tissus de l’un à l’autre des équilibres de substances de croissance. On peut ainsi obtenir la formation de racines à la base de méristèmes apicaux néoformés, reconstituant des plantules complètes capables de poursuivre leur dévelop-pement en serre, et donc régénérer des plantes qui se révèlent normales et fertiles (en dépit de très nombreux travaux, les modes d’action de ces sub-stances de croissance végétales ne sont pas encore bien compris).

Pour certaines espèces végétales, le processus de régénération est encore plus extraordinaire : les cellules en culture in vitro enclenchent un pro-gramme d’embryogenèse, dénommé « embryogenèse somatique », dont le déroulement est en tous points com-parable à celui des embryons zygo-tiques.

A la fin des années 1960, dans les laboratoires spécialisés, l’idée de la totipotence des cellules végétales acquiert davantage de consistance, et les vérifications pratiques s’enchaî-nent. Ainsi, il devient possible d’obte-nir des plantes normales et fertiles à partir de cellules indépendantes les unes de autres. La différenciation de la paroi cellulaire constitue cepen-dant un obstacle expérimental. La recherche des conditions de prépara-tion de protoplastes viables (cellules dont la paroi est hydrolysée) aboutit dès le début des années 1970 : il est alors possible de disposer de grandes quantités de cellules indépendantes, isolées directement de la plante et de l’organe choisis, donc avec le géno-type et l’état physiologique souhaités

(figure 1). Les protoplastes, même s’ils

sont plus fragiles, fournissent l’équi-valent expérimental des préparations de cellules animales et donc la possi-bilité de recourir aux différentes techniques de « génétique cellulaire » : sélection biochimique [16], hybri-dation somatique [17], transfert de gènes [4]. Ces cellules ont l’intérêt supplémentaire de pouvoir régéné-rer des individus, et ce, avec une effi-cacité très grande (pratiquement 100 % pour certaines espèces comme le tabac !).

A

A

B

B

C

C

D

D

Figure 1. Le clonage de plantes de

(4)

Il convient de mentionner, au pas-sage, que les cultures indéfinies in

vitro (depuis plusieurs dizaines

d’années), et les très nombreuses plantes clonées, dont un grand nombre seront utilisées en pratique, vérifient que le vieillissement cellu-laire chez les végétaux ne repose pas sur les mêmes mécanismes que chez les cellules animales [18].

Les agrobactéries :

de la pathologie

végétale…

au transfert de gènes

Découvertes à la fin du XIXesiècle, les bactéries du sol du genre

Agrobacte-rium seront officiellement

caractéri-sées en 1907 [19]. En effet, elles sont sytématiquement associées aux excroissances, parfois volumineuses

(figure 2), observées sur les végétaux (A. tumefaciens) ou à des chevelus

raci-naires (A. rhizogenes). Ces bactéries provoquent une maladie, la « galle du collet » (crown gall), qui entraîne des dégâts essentiellement sur des cultures pérennes (vignes, vergers...) d’où l’intérêt des pathologistes à l’origine pour ces bactéries à Gram négatif. La « célébrité » des agrobac-téries se forgera dans les années 1940, après la mise en évidence de la capacité des tissus de ces « tumeurs » de se développer in vitro sans apport de substances de croissance [20]. Progressivement, il a été établi que la prolifération des cellules de ces excroissances résultait de la produc-tion d’auxine et de cytokinine en quantité plus importante que dans les cellules de tissus normaux. Ces propriétés se manifestaient durable-ment, en culture in vitro, même en l’absence de bactéries. Ce qui a

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A

A

B

B

C

C

Figure 2. Agrobacterium et les

syndromes « tumoraux ». A.

Agro-bacterium tumefaciens (2µm de long) en microscopie électronique à balayage (photothèque Institut

Pas-teur). B. Prolifération « tumorale »

(5 cm) provoquée par l’inoculation expérimentale d’une agrobactérie, « souche à octopine » sur une tige de tabac (photothèque INRA). C. Déve-loppement de nombreuses racines sur une tige de Kalanchoé au point d’inoculation d’une souche

d’Agro-bacterium rhizogenes (photothèque

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conduit à formuler l’hypothèse selon laquelle les bactéries mettaient en œuvre « un principe inducteur de tumeur » [21]. Cette hypothèse, un peu floue, a été renforcée par la découverte de nouvelles substances, les opines, produites par les cellules des « tumeurs » [22]. Ces opines, inconnues jusqu’alors dans le monde végétal, sont des guanidines mono-substituées qui résultent de la condensation entre un acide aminé basique et un acide organique, ou un ose. Il existe une grande variété d’opines. La démonstration que les souches de bactéries qui induisaient des « tumeurs » à octopine (conden-sation entre arginine et acide pyru-vique) étaient spécifiquement capables de dégrader cette opine, a permis alors aux collaborateurs de Georges Morel (Inra, Versailles, France) de formuler l’hypothèse, hardie pour l’époque, d’un transfert d’information génétique de la bacté-rie aux cellules végétales [23]. A cette époque, en dépit des progrès de la biologie moléculaire chez les plantes, les premières vérifications de la présence d’ADN bactérien dans les cellules des tumeurs se sont révélées difficiles [24]. Elles ont d’ailleurs été longtemps controversées... Dans les années 1970, la découverte « offi-cielle » des plasmides [25] chez les bactéries réorientait les recherches sur les agrobactéries, et conduisait à la caractérisation de plasmides spé-ciaux : les plasmides Ti (tumor

indu-cing) dont une portion, la région T,

est transférée sous forme d’ADN simple brin dans les cellules végétales viables, à proximité immédiate de blessures [26].

Les relations

agrobactéries-plantes

Certains aspects de ces relations ne sont toujours pas éclaircis, mais on dispose aujourd’hui de suffisamment d’éléments [27-29] pour dresser le tableau suivant.

Les agrobactéries se trouvent dans les sols du monde entier. Mobiles, dans la solution du sol, elles sont attirées par les substances émises par les plantes blessées, sucres, acides orga-niques et surtout composés phéno-liques (acétosyringone). Selon les souches bactériennes, et de façon spécifique, ces substances sont

égale-ment activatrices de gènes de viru-lence. Les produits de ces gènes, pro-téines de différents complexes fonc-tionnels, permettent l’arrimage des bactéries sur la paroi des cellules végétales blessées, puis l’excision, la protection, l’excrétion et enfin le ciblage vers les noyaux végétaux de l’ADN-T, une portion définie du plas-mide Ti.

Cet ADN-T comporte des gènes de synthèse d’auxine et de cytokinine, ainsi que d’opines, assortis de séquences de contrôle qui permet-tent effectivement l’expression de ces gènes dans un contexte végétal. Au passage, le promoteur d’un gène bac-térien de l’ADN-T sera de fait le pre-mier promoteur caractérisé permet-tant la transcription dans les cellules végétales [30].

La production de substances de crois-sance végétale dans les cellules cibles entraîne la réorientation de l’activité de ces cellules vers une synthèse pro-téique accrue, orientée vers l’activa-tion des processus de division cellu-laire. Pour les plantes dicotylédones, cibles naturelles des agrobactéries, ces processus viennent, en fait, ren-forcer les réactions de cicatrisation des cellules viables à proximité des blessures dont les divisions condui-sent, normalement, à former un cal cicatriciel protecteur.

Ainsi, les agrobactéries sujettes à la disette dans les sols, naturellement pauvres, ont mis en place par co-évo-lution un ensemble de mécanismes d’asservissement de la machinerie cellulaire végétale. Cela leur permet surtout de détourner à leur profit les réserves en molécules organiques d’un végétal, au site de blessure dont le métabolisme est exacerbé. Ce détournement métabolique est entiè-rement voué à la production de l’opine spécifique de chaque souche. Cette opine constitue donc, d’une part, une source importante de car-bone et d’azote pour la bactérie inductrice et, d’autre part, un induc-teur spécifique de transferts conjuga-tifs [31].

Dans ce schéma général, il faut noter au passage que l’expression transi-toire des gènes de l’ADN-T suffit pour rendre compte de l’intérêt du processus pour les bactéries. L’inté-gration dans les génomes des cellules « receveuses », qui ne semble pas contrôlée par la bactérie (voir plus

loin), conduit à la formation de

« tumeur » en raison de la capacité de production de substances de crois-sance exprimée de façon stable. De fait, in situ, ces tumeurs sont généra-lement compactes et perdent souvent la capacité de produire des opines. Elles sont constituées de mosaïques complexes de différents types cellu-laires, résultant de différents évène-ments d’insertion de portions variables d’ADN-T. Elles sont d’ailleurs assez rapidement indemnes de bactéries, ce qui permet de les cultiver in vitro.

En résumé, les agrobactéries se sont dotées de la capacité de détourner de façon transitoire le métabolisme de certaines cellules végétales afin de festoyer et de désinhiber leur sexua-lité...

Mécanismes du transfert

de l’ADN-T

Le génome d’Agrobacterium

tumefa-ciens est tripartite. Il se compose d’un

chromosome circulaire, d’un chro-mosome linéaire et de plasmides. Le plasmide Ti, de grande taille – géné-ralement de 180 à 250 kb –, est limité à la famille des Rhizobiaceae (qui com-porte deux genres principaux :

Rhizo-bium et Agrobacterium) [27].

Les mécanismes bactériens du trans-fert de l’ADN-T sont assez bien connus aujourd’hui (figure 3) par l’étude de mutations affectant les fonctions dites de virulence (d’où les appellations un peu ésotériques des différentes composantes : VirA, B, C, D...).

Les fonctions de virulence ne sont pas toutes portées par le plasmide Ti, les produits d’un petit nombre de gènes chromosomiques, qui codent pour des enzymes de synthèse de polysaccharides, sont responsables de l’arrimage des bactéries aux parois végétales, sur des sites particuliers (saturables et sensibles aux pro-téases).

Pour les gènes de virulence portés par le plasmide Ti, l’induction des opérons de virulence est un système à deux composants : la protéine péri-plasmique VirA s’autophosphoryle en présence des composés phénoliques relargués par la blessure végétale, puis phosphoryle la protéine VirG qui, à son tour, active la transcription des autres gènes de virulence.

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Selon un dispositif assez similaire au fonctionnement des origines de trans-fert de certains plasmides conjugatifs, les nucléases spécifiques, VirD1 et VirD2, excisent l’ADN-T aux sites spé-cifiques des séquences-bordures de 24 bases répétées de l’ADN-T. La por-tion de plasmide destinée à être adres-sée aux noyaux végétaux est exciadres-sée sous forme simple brin, puis re-syn-thétisée entre les sites de coupure, ce qui régénère un plasmide complet. Outre son activité de nucléase spéci-fique, la protéine VirD2 se fixe à l’extrémité 5’ de l’ADN-T simple brin et joue un rôle fondamental dans le transfert puisque, outre la protection de l’extrémité 5’ contre les exonu-cléases, la protéine VirD2 comporte deux séquences de ciblage des noyaux (NLS). La protection et l’efficacité du ciblage sont complétées par la fixation de quelques six cents monomères de la protéine VirE2 tout le long de l’ADN-T. Cette protéine contribue à maintenir le complexe nucléopro-téique dans la conformation la plus allongée, la plus fine et étroite possible (2 nm). Elle comporte également deux domaines de ciblage des noyaux. Ce ciblage semble très efficace vers les noyaux des cellules « jeunes », ce qui implique des interactions avec des pro-téines végétales spécifiques. Il faut noter que le ciblage de la protéine VirD2 est également fonctionnel pour les noyaux des cellules animales. Le dispositif de sécrétion de l’ADN-T repose sur l’organisation d’un com-plexe de onze protéines de l’opéron VirB [28] associées à VirD4. L’assem-blage des protéines de VirB est typique d’un système d’excrétion ana-logue à celui de la sécrétion de toxine chez Bordetella, et que l’on retrouve d’ailleurs chez de nombreuses bacté-ries pathogènes d’animaux [28]. L’assemblage de ces protéines est pré-cédé de l’hydrolyse localisée de la paroi bactérienne par VirB1, dont une partie reste associée à d’autres protéines à l’extérieur de la paroi afin de participer à l’association avec la paroi végétale. L’organisation de la continuité avec l’édifice de polysac-charides du pseudo-pilus rétractile n’est pas encore très claire.

Ce système d’exportation de protéine a évolué chez Agrobacterium pour expor-ter des complexes nucléoprotéiques. L’énergie de transfert du complexe doit être fournie par trois protéines qui

présentent de fortes analogies avec des ATPses (VirB4, VirB1,VirD4) en asso-ciation avec d’autres protéines non codées par les gènes vir.

Les associations fonctionnelles du complexe de protéines VirB sont assez bien connues, d’autant que Vir B11 est un membre du complexe PulE répandu chez de nombreuses bactéries pathogènes (Pseudomonas,

Neisseria, Klebsiella...), et des

homo-logues de VirD4 sont présents dans de nombreux systèmes d’excrétion-sécrétion bactériens [28].

Une des questions qui restent encore en suspens est celle de la fonctionna-lité du diamètre intérieur du pilus qui semble un peu juste pour le passage du complexe nucléoprotéique. Cette interrogation est renforcée par cer-tains résultats qui montrent que VirE2 serait exportée seule, puis associée à l’ADN-T dans la cellule végétale. Le rôle de type chaperon des protéines VirC1 et VirE1 serait justement de favoriser l’exportation de VirE2. La protéine VirF fonctionne égale-ment dans la plante et joue un rôle lié au cycle cellulaire de la cellule végétale réceptrice qui entraîne une spécificité d’hôte et de type cellulaire. Le rôle de VirH, analogue d’un cytochrome P450, n’est pas connu. Enfin, VirJ serait une autre protéine liée à l’ADN-T.

L’expression de l’ADN-T

dans les cellules

végétales

Du côté végétal, la vision des proces-sus de transfert du complexe nucléo-protéique est beaucoup moins claire. Dans un premier temps, l’étude a été réduite aux considéra-tions un peu disparates de « spécifi-cité d’hôte », qui recouvraient la variabilité des réactions de diffé-rentes plantes aux inoculations expé-rimentales par les agrobactéries. La sélection de mutations chez les plantes, puis leur étude, étaient évi-demment beaucoup plus compli-quées que l’analyse des mutations chez la bactérie. L’utilisation systéma-tique d’Arabidopsis thaliana, la plante modèle de la génomique végétale, commence à donner quelques indi-cations. La caractérisation et l’exploi-tation de mutants qui ne forment pas de « tumeurs », les mutants rat

(resis-tant to Agrobacterium transformation),

sur ce système modèle est à peine

débutée, mais devrait se révéler parti-culièrement fructueuse [29].

Depuis une quinzaine d’années, l’uti-lisation de gènes rapporteurs dans les constructions moléculaires intégrées dans l’ADN-T (uidA pour l’expres-sion de la β-glucuronidase de

E. coli…) a révélé deux éléments

insoupçonnés jusqu’alors.

Tout d’abord, le processus de mobili-sation de l’ADN-T et de fléchage vers les noyaux végétaux est très rapide. En conditions expérimentales, seule-ment deux heures de contact entre les bactéries et les explants végétaux suffisent pour permettre la révélation ultérieure de l’activité de la glucuro-nidase.

Ensuite, l’expression des gènes rap-porteurs peut atteindre des niveaux importants, mais fluctuants dans le temps. Cette activité est maximale de façon transitoire, pour de nom-breuses cellules, deux à trois jours après la co-culture, puis décroît pro-gressivement dans les jours qui sui-vent. En culture in vitro, l’activité peut réapparaître après quelques semaines de culture en raison de la proliféra-tion des quelques cellules qui ont intégré l’ADN-T de façon stable. Ces caractéristiques d’expression sug-gèrent fortement que l’expression transitoire résulte de la formation d’ADN-T double brin dans les noyaux des cellules capables de syn-thèse d’ADN. On comprend l’atti-rance des agrobactéries pour les cel-lules « actives » au voisinage des blessures de plantes dicotylédones. Cependant, ces ADN-T « libres » dans les noyaux semblent progressivement éliminés, et le nombre de cellules végétales qui expriment le gène rap-porteur de façon stable, à la suite d’une intégration, représente seule-ment 1/1 000, voire 1/10 000 de celles qui l’exprimaient de façon transitoire. La représentation que l’on se fait aujourd’hui du processus de transfert de gènes par les agrobactéries se déroule en deux actes : le ciblage vers les noyaux, très efficace, sous la dépendance de gènes bactériens, puis l’intégration dans le génome végétal, moins efficace, et qui semble dépendre de fonctions de la cellule receveuse.

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les noyaux des plantes. Ce fléchage de nombreuses copies d’ADN-T, d’ailleurs vraisemblablement ampli-fiées par les cellules receveuses, met en place de manière indirecte un contexte propice à l’intégration, beaucoup plus rare, de certaines copies dans le génome receveur.

L’intégration de l’ADN-T

dans le génome

de la cellule végétale

Le détail de l’intégration, l’une des étapes importantes du processus de

transformation, semble contrôlé par des protéines végétales et reste encore largement incompris.

L’ADN-T s’intègre dans les séquences ouvertes de l’ADN, les zones pour lesquelles la structure de la chromatine est relaxée, probable-ment les zones de transcription ou de réplication actives : toutes les activités requises (hélicase, ligase, polymé-rase...) sont en action à proximité. Certaines mutations d’hypersensibi-lité aux mutagènes entraînant une résistance à la transformation par les agrobactéries, des processus de

répa-ration de l’ADN sont donc sûrement mis à contribution pour l’intégration de l’ADN-T [29]. On peut supposer que des micro-homologies servent à établir des appariements limités mais assez stables. Cependant, il n’y a pas de séquences cibles dans le génome végétal [32]. Cela est particulière-ment net, et mis à profit pour l’éti-quetage de gènes, chez Arabidopsis : il est possible de détecter des insertions d’ADN-T dans tout le génome de la plante [33].

L’intégration semble donc se pro-duire « au hasard », entraînant une Agrobacterium

tumefaciens

AttR L’arrimage de la bactérie à la cellule végétale est contrôlé par les produits

de quelques gènes du chromosome bactérien Chv CelA VirG+PO 4 Gènes vir Plasmide Ti ADN-T simple brin VirD2 LB ADN-T RB Vir B VirD2 VirE2 ADN-T VirA Oses, acides organiques, phénols... Paroi végétale Cellule végétale blessée VirE2 Opine Auxine Cytokinine Cellule végétale viable et activée Membrane nucléaire Chromosome végétal ADN-T double brin Noyau végétal Chloroplaste

Figure 3. Un processus naturel de transfert d’ADN. Les agrobactéries ont développé la capacité d’exciser une

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courte délétion de l’ADN de l’hôte au site d’insertion [32]. La bordure gauche de l’ADN-T est souvent moins bien conservée que la bordure droite,

qui est protégée par VirD2. L’arri-mage par une ligase de l’extrémité 5’ de l’ADN-T à l’extrémité 3’ de l’ADN de la plante constitue l’une des étapes

cruciales de l’intégration. Le rôle de VirD2 dans cette étape ne semble pas déterminant, car en essais in vitro cet arrimage est plus efficace lorsque VirD2 n’est pas en place [34]. L’intégration à partir de nucléopro-téines doit faire intervenir d’autres interactions protéiques : on a récem-ment montré que l’histone H2A interagit avec VirD2 [29]. Il reste bien sûr à comprendre le rôle des différentes protéines Rat, dont on suspecte le rôle dans les mécanismes de « compétence » de transformation par les agrobactéries.

863

A

A

Bordure gauche iaaH iaaM

Synthèse d’auxine Synthèse de cytokinine Nopaline synthase ipt Bordure droite Ori T, conjugaison Catabolisme nopaline Réplication Conjugaison virH virE virD virC virG virB virA

Plasmide Ti, ADN-T souche à nopaline 226 000 bp Plasmide Ti délété de l’ADN-T 206 000 bp virA virB virG virC virD virH virE Conjugaison Réplication Catabolisme nopaline Ori T, conjugaison Résistance à la tétracycline

B

B

LB β-lactamase Sites de clonage multiples Bordure droite RB Origine

Plasmide E. coli navette

4 000 bp

Figure 4. Le plasmide Ti et les

systèmes binaires dérivés. A. Schéma simplifié de l’organisa-tion « naturelle » d’un plasmide Ti (tumor inducing) d’une souche d’Agrobacterium à nopaline. Ce plas-mide comporte : (1) les fonctions de maintien et de transfert du plasmide chez les agrobactéries ; (2) les opé-rons de virulence ; (3) la portion de l’ADN-T de cette souche, encadrée par les séquences bordures, com-porte le gène de synthèse de la nopaline (codant pour une déshydro-génase qui catalyse la condensation de l’arginine avec l’acide α -céto-glu-tarique), un gène de synthèse de cytokinine (ipt, isopentényltransfé-rase) et les gènes de synthèse de l’auxine, iaaM, dont le produit cata-lyse l’oxydation du tryptophane (indolylalanine) en indolylacétamide, à son tour hydrolysé par le produit de iaaH, ce qui engendre l’acide indolylacétique, c’est-à-dire l’auxine. B. Schéma d’un système binaire. La portion de l’ADN-T a été amputée, un gène de résistance à un antibio-tique permet de sélectionner ce plas-mide « désarmé ». Cependant, les gènes de virulence du plasmide Ti sont actifs et assurent le transfert lorsque les séquences bordures sont placées sur un plasmide de E. coli afin d’encadrer les gènes que l’on souhaite transférer aux plantes, qui peuvent être clonés aux sites choisis. Ce plasmide de E coli est lui même sélectionnable et il comporte une ori-gine de réplication fonctionnelle chez

Agrobacterium. Il est possible de

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864

En résumé, l’intégration semble effectivement contrôlée par des fonc-tions végétales, dont la nature et le rôle restent à déterminer.

La domestication

des agrobactéries

À la fin des années 1970, de nom-breux laboratoires sont déjà coutu-miers, non seulement de l’utilisation expérimentale des agrobactéries, mais aussi des procédés de clonage cellulaire chez les végétaux. Cela explique la rapidité de mise en pra-tique de la connaissance progressive des mécanismes du transfert de l’ADN-T.

Par rapport aux autres procédés de transfert de gènes (Tableau I), plu-sieurs aspects essentiels des plasmides Ti sont mis à profit dans les utilisa-tions expérimentales. Nous l’avons vu, le mécanisme de ciblage est parti-culièrement efficace. Il faut avoir également à l’esprit les rapports de populations entre bactéries et cel-lules végétales receveuses : en inocu-lation expérimentale, des dizaines, voire des milliers d’agrobactéries « ciblent » leur ADN-T vers la même cellule !

La portion transférée – l’ADN-T – ne comporte aucun gène impliqué directement ni dans le transfert, ni dans l’intégration. Entre les deux séquences « bordures » – seuls élé-ments indispensables –, il est possible de remplacer les gènes naturels de l’ADN-T par les séquences que l’on veut faire exprimer dans la cellule végétale (cela évite de provoquer les proliférations dues à l’expression des gènes de synthèse de substances de croissance).

Enfin, les nucléases spécifiques (VirD1 et VirD2) sont efficaces sur ces séquences bordures de 24 paires de bases, quelle que soit leur posi-tion. Il est donc possible de transfé-rer ces séquences dans des plasmides de E. coli, plus petits, parfaitement connus et beaucoup plus faciles à uti-liser que les « gros » plasmides Ti. En pratique, le dispositif (qualifié de binaire) le plus généralement utilisé repose ainsi sur l’utilisation de deux plasmides (figure 4). Ce dispositif a engendré de larges panoplies de vec-teurs qui combinent différentes asso-ciations de trois éléments sélection-nables :

– la « souche » bactérienne « porteuse », dont le chromosome comporte les quelques gènes de virulence dont les produits contrôlent les fonctions d’arrimage, ainsi que la résistance naturelle à la rifampicine ;

– un plasmide Ti, qui comporte l’essentiel des gènes de virulence naturels, spécifiques d’une souche donnée (il peut provenir d’une autre souche). Ce plasmide est amputé de l’ADN-T, y compris des séquences bordures. Il comporte également un gène bactérien sélectionnable (résis-tance antibiotique) ;

– un plasmide de E. coli qui apporte – outre des fonctionnalités classiques (origine de réplication, sites de clo-nage, et marqueur de sélection) – deux éléments spécifiques : l’origine de réplication qui doit être fonction-nelle chez E. coli mais également dans les agrobactéries, et les séquences bordures de l’ADN-T qui doivent encadrer les sites de clonage. Les constructions moléculaires desti-nées aux végétaux comportent des « gènes-outils » classiques (rappor-teur, sélection) auxquels s’ajoutent les résistances aux herbicides (anti-biotiques particuliers), ainsi bien entendu que les gènes dont on veut étudier le rôle et le contrôle. Les procédés de mise en œuvre des agrobactéries ainsi modifiées déri-vent directement des procédés clas-siques d’inoculation expérimentale de la galle du collet. Les bactéries « porteuses » sélectionnées par cul-ture in vitro sur les milieux appro-priés, sont co-cultivées avec des frag-ments végétaux qui peuvent être variés. Les plus fréquemment utilisés concernent les feuilles [35], organes minces et dont on contrôle générale-ment bien le développegénérale-ment in vitro jusqu’à la régénération de plantes. Après la phase de contact ou de co-culture de quelques heures à quelques jours, les explants sont repi-qués sur des milieux comportant des antibiotiques, sans effet sur les cel-lules végétales, afin d’éliminer les bactéries porteuses. Les milieux suc-cessifs, jusqu’à l’obtention de plan-tules enracinées, comportent égale-ment les agents de sélection appropriés pour les caractères que l’on souhaite transférer aux cellules végétales.

Tout dernièrement, c’est un système binaire de ce type qui a permis de

montrer que le dispositif de trans-fert de l’ADN-T était efficace chez les cellules humaines en culture (cellules HelaR19, rénale HEK 293 et neuronale PC 12), du moins autant que la précipitation par le phosphate de calcium [11]. Les séquences de l’ADN-T comportaient des séquences de contrôle, efficaces dans un contexte animal, telles que que le promoteur précoce du virus SV 40. Le ciblage correct vers les noyaux n’est pas étonnant, mais, en revanche, la surprise résulte de la capacité des agrobactéries de s’arri-mer aux cellules animales, ce qui implique que les protéines cibles soient conservées.

Pour les plantes, l’efficacité de ces systèmes a conduit à un foisonne-ment extraordinaire d’utilisations pratiques ou expérimentales chez de nombreuses espèces. Cependant, la majorité des plantes monocotylé-dones, dont les céréales, restait réfractaire à la transformation par les agrobactéries. Cette limitation importante avait conduit au déve-loppement de procédés de transfert direct, mais également à mieux affi-ner encore l’utilisation des agrobac-téries.

L’étude de plasmides Ti qualifiés de « super-virulents », en raison de l’effi-cacité de la formation de « tumeurs » sur une large gamme d’espèces végé-tales, a récemment fourni des possi-bilités supplémentaires. Ainsi, la sur-expression de VirG, la protéine inductrice de la transcription des autres gènes de virulence, couplée à l’utilisation d’acéto-syringone (phé-nol inducteur de l’auto-phosphoryla-tion de VirA) dans le milieu de co-culture, permettaient d’induire des transformants chez des espèces réfractaires [36].

La transformation des céréales est désormais possible, en forçant expé-rimentalement l’induction du sys-tème à deux composants (VirA/ VirG) et surtout en utilisant des cel-lules cibles en division (suspensions embryogènes ou embryons imma-tures cultivés in vitro) [37].

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Perspectives

Parmi les différents procédés de transfert de gènes aux végétaux, l’uti-lisation des agrobactéries représente de très loin le processus le plus utilisé en raison de trois caractéristiques favorables.

Les raffinements expérimentaux récents permettent de surmonter les limitations naturelles du spectre d’hôtes : aujourd’hui, pratiquement toutes les espèces végétales sont transformables.

Les processus de transfert et de ciblage des séquences encadrées par les séquences bordures de l’ADN-T sont très efficaces. Cette caractéris-tique favorise les situations les plus propices aux événements d’insertion stable.

Les séquences bordures de l’ADN-T permettent généralement de mieux contrôler la portion d’ADN effective-ment insérée dans le génome rece-veur, même si la reconnaissance des sites spécifiques par les nucléases n’est pas systématiquement efficace [39].

Globalement, le transfert d’ADN par les agrobactéries constitue aujourd’-hui le procédé de génie génétique le plus fiable, mais également, et sur-tout, le plus perfectible. Ainsi, la caractérisation des gènes des plantes dont les produits président à l’inté-gration des transgènes est en cours, justement en raison de l’étiquetage dû à l’efficacité des agrobactéries chez une plante modèle, dont le génome est aujourd’hui entièrement séquencé [1]. Dans ces prolonge-ments, il est possible d’envisager d’accéder à la caractérisation des mécanismes de recombinaison homo-logue chez les plantes supérieures. Ces événements se produisent dans les processus actuels avec une fré-quence bien plus faible – de l’ordre de 100 000 fois inférieure – de celle des recombinaisons illégitimes [40]. Clairement, la recombinaison homo-logue représente un outil fondamen-tal qui fait lourdement défaut dans les démarches de génomique fonc-tionnelle chez les végétaux.

La « saga » des agrobactéries, que nous venons de survoler, met en lumière le « sens de l’accueil » du génome végétal, déjà largement attesté par ce que l’on connaît de l’évolution des génomes végétaux [41].

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Cette assez grande souplesse du génome végétal recouvre vraisembla-blement des différences importantes de fonctionnement avec celui des génomes des animaux. En restant sur cette idée de « souplesse géno-mique », il faut rappeler que les séquences « naturelles » de l’ADN-T comportent des séquences de contrôle de type végétal, dont cer-taines contiennent des introns [42], d’où l’hypothèse de l’origine euca-ryotique de ces gènes bactériens. L’histoire de la domestication des agrobactéries révèle l’imbrication permanente entre recherches fonda-mentales et investigations plus finali-sées : mis en route pour des préoccu-pations de santé des plantes, les travaux sur ces bactéries « patho-gènes » du sol ont davantage porté sur les substances de croissance, donc sur des aspects fondamentaux de bio-logie végétale, puis sur l’idée assez forte que ces bactéries joueraient un rôle dans le génie génétique… Juste retour au rôle pathogène, les caractéristiques du transport de l’ADN-T, surtout leur extraordinaire flexibilité, pourraient procurer des dispositifs pour l’étude de certains des mécanismes de la virulence de bactéries pathogènes pour les ani-maux.

Enfin, l’efficacité du transfert de l’ADN-T pour les cellules animales constitue, s’il en est encore besoin, une preuve supplémentaire de la conservation fonctionnelle de cer-tains mécanismes hérités d’un loin-tain ancêtre commun des plantes et des animaux ■

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Summary

Soil bacterium’s sexual refinement : in the genetic engineering’ service Initially characterized as the agents responsible for plant « tumor » forma-tion, agrobacteria have evolved a type IV secretion system to export a spe-cific segment of a particular plasmid and address it to plant nuclei. Over the last century, the conjunction of research in plant pathology, cell bio-logy, and ultimately in microbiobio-logy, led to the understanding of the pro-cess of gene transfer. In the natural propro-cess, the genes transfered to the plant create a metabolic pathway for the benefit of the bacteria. Once understood, this process has been diverted by biologists to provide a tech-nique of gene transfer, which has become the most widely used for plants. However, it remains to unravel the details of the mecanism of integration of the bacterial DNA in the host genome.

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