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L’âge des promesses non tenues

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L'âge des promesses non tenues

HURST, Samia

HURST, Samia. L'âge des promesses non tenues. Revue médicale suisse , 2015, vol. 497, p.

2303

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:84881

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ActuAlité

www.revmed.ch

2 décembre 2015

2303

formé à la prescription des antirétroviraux et des professionnels ou volontaires habi­

lités dans le domaine de la prévention, de l’éducation thérapeutique (dans son sens large, étendu à l’éducation pour la santé), du soutien psychologique et de l’accompa­

gnement social ».

Toutes les questions concrètes et pra­

tiques sont encore bien loin d’être posées.

Pour sa part, l’association The Warning prend d’ores et déjà position.3 Cette asso­

ciation se présente comme « un groupe de militants francophones des deux côtés de l’Atlantique ». « Notre activité a débuté en 2004, d’abord sous la forme d’un groupe au sein d’Act Up­Paris, puis très vite de manière indépendante, peut­on lire sur son site. Nous avons émergé alors comme un groupe de “folles furieuses” en colère face à l’attitude réactionnaire des institu­

1 Il s’agit des essais dits « proud » et « Ipergay ».

2 « prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH ; recommandations du groupe d’experts. actualisa- tion 2015 prophylaxie pré-exposition. sous la direction du professeur philippe morlat et sous l’égide du cns et de l’arns ».

3 « pilule préventive : Warning salue une décision qui doit être suivie d’engagements concrets » association the Warning. 23 novembre 2015.

tions et associations sida ou LGBT sur nos corps et identités en transformation, con­

testant des politiques préventives sur le VIH et les IST / ITSS alors complètement obsolètes, voire liberticides. »

« Aujourd’hui il y a deux priorités, fait valoir cette association. Il faut tout d’abord diffuser une information claire et précise autour de la PrEP car le niveau de con­

naissance sur le sujet est encore nettement insuffisant à la fois dans les populations concernées et dans le monde médical. Les résistances à ce nouvel outil révolution­

naire sont fortes. L’autre priorité est que les services hospitaliers partout en France puissent le proposer. Mais il faut aller plus loin. Pour étendre l’accès au plus près des individus, il est impératif de modifier la réglementation sur les prescriptions d’anti­

rétroviraux afin de permettre aux futurs

centres de dépistage de fournir la pilule préventive parce qu’actuellement cette prescription ne peut être faite qu’à l’hôpi­

tal. Enfin, le mieux serait que les médecins de ville puissent aussi la prescrire. »

Pour le Pr Jean­François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale française de recherches sur le sida, la décision du gouvernement français « devrait maintenant ouvrir les portes à une autorisation de la PrEP dans les autres pays européens ».

L’âge des promesses non tenues

Ce sont deux économistes qui ont signé ce papier, mais ils y parlent en fait de santé publique.1 Anne Case et Angus Deaton, le second tout fraîchement adoubé d’un prix Nobel d’économie, décrivent avec une sobre rigueur ce qui pourrait représenter les premières lignes d’une tragédie moderne. Après des années de recul, la mortalité a augmenté chez les Américains blancs âgés de 45 à 54 ans. Ce revers démographique ne touche ni les autres pays riches, ni les autres tranches d’âge, ni les autres groupes ethniques américains. Les Américains noirs par exemple ont toujours une mortalité plus élevée que celle de leurs concitoyens, mais elle continue tranquillement de diminuer. Non, ce sont les

blancs parvenus à ce qui devrait être la moitié de leur vie qui sont ainsi touchés, prématurément, par un surcroît de décès. Cette con­

clu sion a survécu à un barrage de critiques méthodologiques dont les plus pertinentes touchaient à la taille de l’effet : l’effet, lui, est bel et bien là.

C’est très impressionnant, ce genre de virage dans une grande tendance. Ça n’arrive pas si faci­

lement. On l’avait vu en URSS, lorsqu’elle existait encore, sur les trois décennies qui en ont précédé la chute.2 Le signe, avaient déjà dit certains, d’une société qui ne tient plus vraiment ensemble. Cette fois aussi ce sont de grands nombres qui sont concernés par cette surmortalité. Les auteurs font un rapide calcul : si la mortalité de cette tranche d’âge était restée à son niveau de 1998, ce sont 96 000 décès qui auraient été évités. Si elle avait continué de chuter au même rythme qu’entre 1979 et 1998, on serait arrivé à un demi­

million de morts en moins. Un taux comparable au total des morts américains du VIH jusqu’en 2015.

Les causes de décès sont impres­

sionnantes elles aussi. En gros, ces personnes meurent de leur propre main. Le cancer pulmonaire ou le diabète ne tuent pas plus qu’avant : ce sont les suicides, les maladies chroniques du foie et surtout les empoisonnements qui ont augmenté.

L’interprétation des auteurs ? Ces

personnes décèdent parce que l’histoire les a mises au placard.

Ces décès touchent surtout les personnes les moins éduquées, qui meurent à présent 4,1 fois plus dans la même tranche d’âge que leurs concitoyens les plus éduqués. D’autres études mon trent une chute simultanée de la santé mentale, de la capacité au travail, et une augmentation de la préva­

lence de la douleur physique. Des contrôles plus stricts sur la pres­

cription d’opiacés ont conduit certains patients vers l’héroïne de rue. Vient s’ajouter à cela une augmentation de la précarité matérielle depuis 2008. Les délo­

calisations, le chômage sans filet social. Une sorte d’épidémie, donc, mais pas dans le sens usuel. Une population qui perd le fil de son histoire et voit son avenir se fermer.

Une génération éduquée dans le

« rêve américain », convaincue de pouvoir améliorer sa vie à force d’effort, pour qui ce récit ne fonc­

tionne plus comme auparavant.

Pour eux, le réveil déchante sans doute plus que pour des minorités ethniques d’emblée plus lucides.

Une génération qui endure à nouveau la douleur physique sans aide réelle, et succombe à l’addic­

tion. C’est l’âge des promesses non tenues.

Les auteurs, à la fin, sont prudem­

ment optimistes. La douleur et l’addiction sont difficiles à traiter, mais méritent des efforts impor­

tants. La perte du récit de sa vie,

en revanche, sera plus difficile à aborder. En Europe, nous ne sommes apparemment pas touchés.

Nos filets sociaux et nos services publics nous permettent une vie plus sûre, un avenir moins angois­

sant. Notre faible mobilité évite que le déracinement ne vienne s’ajouter à la marginalisation. Un environnement de travail plus humain, une histoire en dehors du travail, tout cela est protecteur.

Une conclusion à laquelle la science économique ne nous avait pas habitués…

1 Case A, Deaton A. Rising morbidity and mortality in midlife among white non­Hispanic Americans in the 21st century. Proc Natl Acad Sci USA 2015 Nov 2, epub ahead of print.

2 Grigoriev P, Meslé F, Shkolnikov VM, et al. The recent mortality decline in Russia: Beginning of the cardiovascular revolution. Population and Development Review (Internet). 2014. Available from : http://onlinelibrary.wiley.com/enhanced/

doi/10.1111/j.1728­4457.2014.00652.x/

carte blanche

Pr Samia Hurst

Médecin et bioéthicienne Institut Ethique, Histoire, Humanités

Faculté de médecine CMU, 1211 Genève 4 Samia.hurst@unige.ch

© istockphoto.com/kevinruss

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