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Bal(l)ades à trois temps : évocation littéraire du paysage lémanique

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Academic year: 2022

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Bal(l)ades à trois temps : évocation littéraire du paysage lémanique

LÉVY, Bertrand

Abstract

L'article découpe le Léman en trois parties : le Haut Lac, Le Grand Lac et le Petit Lac, plus un quatrième lac imaginé par Ramuz (les portes du lac) et qui se trouve en Valais, dans la Vallée du Rhône. Il commente des citations de Ramuz sur le lac et Lavaux, puis évoque des expériences personnelles, l'une musicale, à Montreux, l'autre paysagère, à Genève, sur la Rive droite.

LÉVY, Bertrand. Bal(l)ades à trois temps : évocation littéraire du paysage lémanique. L'Alpe, 2016, vol. 72, no. 1, "Lac Léman. Petite mer des Alpes", p. 8-11

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:82183

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Publié sous : Bertrand Lévy, « Bal(l)ades à trois temps », L’Alpe, 72, Printemps 2016, dossier « Lac Léman. Petite mer des Alpes », pp. 8- 11.

EVOCATION LITTERAIRE DU PAYSAGE LEMANIQUE Bertrand Lévy

Haut Lac

On divise le Léman de manière classique entre le Haut Lac, le Grand Lac et le Petit Lac. Le Haut Lac est encore un lac alpin où les montagnes descendent en pente drue. Montreux est au pied des Préalpes vaudoises et on dit que « les Savoyards étendent leur linge » lorsque les nuages enveloppent leurs montagnes. J’ai parmi mes plus beaux souvenirs dans cette région. L’humain est relié à quelque part à la nature et j’ai toujours trouvé les relations humaines plus équilibrées du côté de Vaud et du Valais que vers le Petit Lac. C’est un climat d’abri qui règne, plus lumineux en hiver, dès la sortie de Belmont près de Lausanne, que vers Genève. « Montreux marche avec le Valais », m’avait dit un vieil homme. Ecoutons, dans un registre plus littéraire, C.F. Ramuz, l’auteur romand qui s’est installé en 1930 à Pully près de Lausanne :

« Quand on sort du tunnel de Chexbres, on est d’abord dans l’éblouissement. On vient de quitter la lumière adoucie et terne des pays trop verts et qu’assombrissent les sapins : on est tout à coup entre deux nappes bleues dont l’une est en haut, l’autre est en bas, et en face de vous est une espèce de mur bleu, d’un bleu pâle et transparent, qui est les Alpes de Savoie. On est sur le flanc d’une immense conque dont les parois sont revêtues d’azur, et l’intérieur en est occupé par une espèce de brume blonde, dont on ne sait pas d’où elle vient, étant partout. Car ici, est-il dit, nous avons deux soleils, et c’est à l’eau qu’on doit le vin » (La Suisse romande, 1955).

Le vignoble de Lavaux, toujours menacé par l’urbanisation rampante – en dépit de son classement au Patrimoine mondial de l’Unesco – se double d’infinies nuances de formes et de couleurs. C.F.

Ramuz était aussi très attaché au Valais où il a situé parmi ses plus grandes œuvres (La Grande peur dans la montagne, Derborence…), mais c’est dans un texte moins connu, Portes du lac, qu’il décèle un

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quatrième lac, celui qui précède l’embouchure du Rhône dans le Léman. Il faut remonter jusqu’à Saint-Maurice, à une vingtaine de kilomètres de Villeneuve, pour en deviner les prémisses :

« C’est alors qu’on commence à deviner où le lac va être par le vide qu’il creuse devant vous. Le lac s’annonce ici pour la première fois par sa lumière et l’espèce de grande caverne qu’il a ouverte et pratiquée là-bas entre les montagnes qui s’écartent. C’est une voûte bleue contre laquelle quelque chose de blanc bouge et on devine qu’il est là, vingt kilomètres avant d’y arriver » (Portes du lac, 1932).

Dans sa progression, le poète décrit le milieu amphibie où le liquide se substitue au solide, où la goutte d’eau remplace le grain de sable.

Progressivement, le Rhône rejoint « sa toute petite Méditerranée », celle qui est bien à lui, avant de déboucher dans la vraie, qu’il partage avec d’autres fleuves.

Dans la piscine extérieure du casino de Montreux, aujourd’hui rognée par une allée prétentieuse en tartan qui descend sur le quai promenade, je lisais Le Sourire du Tao de Lawrence Durrell. Mes yeux faisaient l’aller et retour entre les palmiers du bas et les sapins du haut, les jambes fuselées des nageuses et la couleur du ciel. Je ressentais le Tao pénétrer en moi, dans un état d’absence du désir et d’éveil des sens. Ici, je n’étais pas gagné par la « molle », cet état un peu léthargique que provoque le Petit Lac. Ce doit être l’air catabatique descendant des montagnes qui rafraîchit Montreux, le fait aussi que dans la petite ville, chaque vie individuelle se distingue mieux que dans la grande. A Montreux, il y a toujours quelque chose d’étrange ou de réjouissant qui se passe sur les quais.

Voyage musical

Je débouchais sur le quai, ébloui par la lumière d’été. Je fus pris en sandwich par un groupe de filles vêtues de noir, des méridionales d’après leur chevelure, et je me mis à bavarder avec elles. « Nous venons de jouer de la musique, mais nous jouerons pour vous, si vous patientez un peu». Elles tinrent conciliabule, se séparèrent en deux groupes, l’un gagnant la ville et l’autre déballant des instruments traditionnels. Celle qui portait l’étendard, la plus spectaculaire, parlait français : elles étudiaient la musique à Lisbonne et venaient de débarquer. Montreux constituait leur première étape, avant Lucerne, le lendemain.

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Je m’assis sur le bord du ponton circulaire regardant vers la montagne de Caux, face à la statue de Freddie Mercury. Le porte- drapeau introduisit avec grâce et intelligence le contexte de chaque chanson. Le sens du fado est assez simple à saisir : le plus souvent, un malentendu amoureux ou un éloignement. Elles chantaient face au lac et aux Alpes de Savoie et je ne sais si c’est le vent qui leur rappelait le large, la légende musicale du lieu ou ma simple présence, le fait est qu’elles s’exaltèrent de plus en plus jusqu’à prendre des airs de vierges extatiques. Le public afflua, des Portugais se mirent à taper des mains : d’abord en battant la mesure, puis à contretemps, quand le fado se fait plus nostalgique et langoureux. C'est ce moment d’inflexion qui est important à saisir, quand le chant chavire et s’abandonne, sous l’effet du rythme syncopé. Puis elles entreprirent des chants populaires de leur pays que le public accompagna en chœur. Enfin, elles abordèrent les côtes du Brésil, en brisant la convenance qu’ordonnait leur tenue noire corsetée par la tradition.

Dans cet aller et retour océanique, je percevais les liens qui unissaient la musique portugaise de celle, métissée et entraînante, de la civilisation luso-américano-africaine. Sans oublier les influences andalouses et mauresques. Une troupe de cyclistes italiens d’âge mûr mit pied à terre. L’un d’eux se glissa derrière une des chanteuses particulièrement expressive. Il exécuta une pantomime qui fit rire une partie du public, mais les étudiantes, qui sentaient que quelque chose était en train de se tramer derrière leur dos, ne se laissèrent pas dérouter.

Grand Lac

A Lausanne, on guette toujours le moment où une rue ouvre sur une perspective bleue et blanche. Seuls les quartiers populaires, nichés dans des creux et balafrés par des ponts ou des tunnels, en sont irrémédiablement privés. Ce sont les grands hôtels qui se partagent la meilleure vista. Des balcons sur le lac, comme à Evian, où j’aime deviser dans les jardins du Royal, tout en bas, où les hautes frondaisons des arbres découpent leur silhouette sur le bleu profond du lac. Tout apparaît indistinct et mélangé sur la rive suisse : les constructions, les champs de blé, le vignoble se fondent dans une couleur de miel. Les lignes du paysage sont légèrement ennuyeuses.

Le côté français, plus étroit, a gardé quelque chose de moins domestiqué, d’inabouti dans l’urbanisme qui se traduit par d’innombrables culs-de-sac. La rive savoyarde n’a jamais constitué, contrairement à la rive suisse, un épicentre économique de la nation,

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mais le deuxième pôle touristique de la Haute Savoie, bien après la région du Mont-Blanc. Le tourisme de plage y est saisonnier (Excenevex, Sciez, Tougues, Thonon…), même si Evian et surtout Yvoire, le village médiéval archétypal, où les filets de perche sont devenus aussi chers qu’en Suisse, occupe une place de choix dans l’imagerie touristique. La vue, de la jetée d’Yvoire ou de la plage naturelle d’Anthy-sur-Léman, nous plonge dans l’infini marin. Sur la plage protégée d’Anthy, on chemine avec difficulté sur des amoncellements de galets toujours prêts à céder, des algues sèches, des branchages squelettiques qui abritent des nids d’oiseaux. C’est ce côté sauvage qu’on ne trouve plus côté suisse.

Les cabanes de pêcheurs du petit port d’Anthy avec leurs filets étendus ont hélas disparu, remplacées par des constructions fonctionnelles ; c’est que les normes d’hygiène européennes n’y étaient pas respectées : le sol doit à présent être lavable, carrelé. C’est ainsi que Bruxelles a provoqué, sans le vouloir, la création de la première cabane-musée de pêcheur, bicoque hissée au rang d’objet patrimonial.

Petit Lac

C’est en sortant sur le parvis du Château de Nyon que la vue sur la chaîne dentelée des Alpes est la plus majestueuse, par effet de symétrie. Le mont Blanc ressort comme un diadème taillé en pointe entre deux chaînes de montagnes qui s’affaissent pour le laisser apparaître dans sa munificence blanche d’hiver. Les châteaux et les villas prestigieuses cherchent à bien voir plutôt qu’à se faire bien voir.

C’est un des jeux préférés des architectes que de jouer avec le cadrage de l’Olympe des Alpes. A Genève, je conseille le belvédère de Bellevue, près de Pregny et des Organisations Internationales, Le Creux-de-Genthod, et le parc de la Perle du Lac et de Mon Repos, en particulier le parvis de la Villa Bartholoni, le Musée d’Histoire des sciences : ici est l’écrin de verdure le plus achevé qui dévoile sept ou huit plans paysagers. Point de vue très proche de celui de La Pêche miraculeuse de Konrad Witz (1444), où la succession des lignes touche à l’essence même de la peinture paysagère : douceur des pentes, progression presque linéaire des altitudes, formes variées des monts : pyramides du Môle, de l’Aiguille Verte, des Grandes Jorasses, du mont Blanc du Tacul et du mont Blanc. Pointe des Drus. Sans oublier la pyramide très émoussée du Petit Salève et la montagne tabulaire des Voirons. Ces triangles rythment la régularité et l’ordonnancement des plans qui s’allient au classicisme pictural. Il

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faut y aller en fin de journée, avec la lumière du crépuscule sur le mont Blanc qu’on prendrait alors pour le mont Rose. C’est là que Mercè Rodoreda, grande auteure catalane, admiratrice des fleurs de l’Orangerie, a écrit ses plus belles pages.

Pour Gonzague de Reynold, le Léman est un lac latin ; vu de la promenade du Château de Nyon, des deux colonnes romaines remises sur pied et jointes par une corniche, l’illusion est parfaite. Par un dimanche d’été, avec son bleu balnéaire parsemé de voiles couleur de cygne, le Lacus Lemannus ressemble bien à une petite Méditerranée des Alpes.

Finissons par Genève. L’endroit où j’aimais aller est le Vengeron, à quelques kilomètres du centre, sur la Rive droite, où une pelouse descend en pente douce jusqu’au lac. J’y compte parmi mes plus belles heures passées en planche à voile, au sein d’un paysage dont j’ignorais à l’époque qu’il avait été la source d’inspiration de Konrad Witz. Pour moi, il était inspirant par lui-même, j’y écrivais ma thèse – le chapitre sur « Narcisse et Goldmund » de Hermann Hesse composé à même l’herbe. Je louais toujours une planche et une voile de grande dimension, car j’aimais la vitesse, la résistance du vent sur la voile, la traction sur la double bôme avec mes bras exercés, l’aileron creusant un sillon d’écume volant, les virements de bord accomplis avec célérité. Ivresse des heures quand le vent tombe, quand le corps bruni se fait caresser par l’onde ou prend des claques, dérive somnolente toujours attentive du marin. Point de vue tournoyant sur le paysage ; on saisit là l’esprit du lac relié aux montagnes, dont la simple présence se passe du regard.

Bibliographie

Guy de Pourtalès, Marins d’eau douce, Carouge-Genève, Zoé, 1995.

Paru en 1919, ce roman est remarquable par les pratiques du lac qu’il décrit.

Paul Guichonnet, Le Guide du Léman, Lyon, La Manufacture, 1988.

Le guide le plus érudit qui contient un chapitre sur le Léman dans la littérature.

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6 Sitographie

http://www.ville-ge.ch/mhs/index.php : Musée d’histoire des sciences, Genève.

BERTRAND LEVY

Géographe à l’Université de Genève. Auteur de plusieurs ouvrages de géographie humaniste et littéraire : Hermann Hesse. Une géographie existentielle, Paris, José Corti, 1992. Le Voyage à Genève. Une géographie littéraire, Genève, Metropolis, 1994. Avec Claude Raffestin (dir.), Ma Ville idéale, Genève, Metropolis, 1999. Avec Alexandre Gillet (dir.), Marche et paysage. Les chemins de la géopoétique, Genève, Metropolis, 2007.

Genève. Voix du Sud. Ville et littérature, Genève, Metropolis, 2014.

Références

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