Kouakou Marcellin KANGAH. L’entente des Indépendants de Côte d’Ivoire (EDICI) : 1949-1956.
Rev hist archéol afr (GODO GODO) 2012;22:130-141.
L’ENTENTE DES INDÉPENDANTS DE CÔTE D’IVOIRE (EDICI) : 1949-1956
Kouakou Marcellin KANGAH
Chercheur à l’IHAAAUniversité Félix Houphouët-Boigny - A bidjan-Cocody E-mail : kangahla@yahoo.fr
RÉSUMÉ
Cet article tente de faire ressortir l’activité politique de l’EDICI au temps colonial. Il va au delà des affirmations qui décrivent le parti des indépendants comme un parti sans ambition parce qu’inféodé à l’administration coloniale. Il faut souligner le rôle joué par les dirigeants de ce parti qui a contribué à l’enracinement du multipartisme colonial.
Mots clés : Partis politiques, Multipartisme, Système colonial, Parti pro colonial, Election ABSTRACT:
This article attempts to highlight the political activity of EDICI during the colonial period. It goes beyond the statements that describe the independent’ party as a party without ambition because it was subservient to the colonial administration. The role played by the leaders of this party should be noted since they contributed to the deep-rootedness of the colonial multiparty system.
Key words: Political parties, Multiparty system, Colonial system, Pro-colonial party, Election.
INTRODUCTION
En examinant l’histoire coloniale de la Côte d’Ivoire, un fait semble inévitable dans la désagrégation du système colonial : les partis politiques. Leur constitution est donc un facteur essentiel dans la marche de notre pays vers l’indépendance politique. Les premiers partis typiquement ivoiriens que sont le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire section du Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA) et le Parti Progres- siste de Côte d’Ivoire (PPCI) naissent en 1946. Une deuxième vague de partis dont l’EDICI naît entre 1948 et 1949. Cette catégorie de partis est suscitée et entretenue par le gouverneur Péchoux et toute l’administration coloniale. Le contexte de sa création est assez particulier. En effet, en 1949, la Côte d’Ivoire et particulièrement le PDCI-RDA connaissait des troubles et d’autres problèmes allant jusqu’à la perte de ses militants. Et c’est en cette période difficile que l’EDICI, comme une plante dans une oasis sort de terre toute resplendissante. Ici, l’adage « le malheur des uns fait le bonheur des autres » est plus que jamais vérifié. Dans sa volonté de faire barrage au PDCI-RDA, l’administration coloniale apporte son soutien à l’EDICI. Ce qui a permis son épanouissement sur la scène politique national.
Quelle fut l’évolution de l’EDICI de sa création à sa disparition ?
Cette contribution s’appuie sur les sources orales, les sources imprimées, les ouvrages et les travaux de recherche. Nous avons articulé notre travail en trois parties.
Dans un premier temps, nous traitons du contexte de la création de l’EDICI, dans un deuxième temps ; de son organisation et de son affirmation et dans un troisième temps ; du déclin du parti des indépendants.
I- LE CONTEXTE DE LA CRÉATION DE L’EDICI
La vie sociopolitique ivoirienne, calme depuis la pacification va connaître un regain d’activité. En effet, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la métropole française a lâché du lest. Consciente de l’effort de guerre fourni par les Africains, elle fait des concessions de taille sous l’œil observateur des USA, de l’URSS et de l’ONU. En Côte d’Ivoire, ces concessions débouchent sur la création des premiers partis politiques typiquement ivoiriens dont le PDCI-RDA. Ce parti interterritorial exige l’indépendance en multipliant les actions contre l’autorité coloniale. Cette manière de procéder déplaît à l’administration qui suscite la création d’autres partis en l’occurrence l’Entente Des Indépendants de Côte d’Ivoire, supposée s’opposer au PDCI.
I-1. L’état des relations Sékou Sanogo-Félix Houphouët- Boigny
Les deux hommes politiques étaient depuis 1946, militant de première heure pour l’un et président-fondateur du PDCI-RDA pour l’autre. Ils partageaient les mêmes visions politiques et le PDCI constitue le tremplin pour la réalisation de ces visions.
La preuve, ils ont été élus tous deux en 1946 au Grand Conseil de l’AOF sur la liste RDA. Cependant, leurs relations n’ont toujours pas été bonnes. Comme Sékou Sanogo aime l’évoquer ; il y a entre les deux hommes politiques beaucoup de « frictions », de malentendus et d’incompréhensions qui couvaient malgré l’effort qui étaient fait de part et d’autre pour en faire fi. Deux ans après la création du parti, Sékou Sanogo n’en pouvait plus et le quitte. « Effectivement ma démission remonte à 19481 ».
Selon lui, sa démission est orchestrée par son adversaire politique. Il accuse Félix Houphouët-Boigny de faire preuve de légèreté et de partialité. En effet, dans l’optique des élections complémentaires au Conseil Général, il a été demandé d’établir des listes afin de coopter les candidats viables. La liste de Bouaké a prévalu sur celle d’Abidjan mais le président du PDCI-RDA en fait fi et impose de façon unilatérale ses propres candidats. Cette démarche est qualifiée de fallacieux prétexte par Sékou Sanogo. La deuxième raison qui explique leur discorde, est la déviation politique de Félix Houphouët-Boigny. En effet, le 28 septembre 1948, en dépit de l’opposition d’une grande partie des membres du RDA, Houphouët décide d’apparenter le parti au Parti Communiste Français (PCF). Egalement, la collaboration entre Sékou Sa- nogo et l’administration coloniale, surtout avec Péchoux, le bourreau du PDCI-RDA, déplaît aux dirigeants et aux militants. Il le dit si bien en ces termes « le gouverneur Péchoux est arrivé à Séguéla, je l’ai reçu et cela a constitué mon seul crime auprès
d’Houphouët 2 ».
Selon Félix Houphouët-Boigny, « Sékou Sanogo, conseiller général RDA nous quitte sans nous avoir adressé d’ailleurs de lettre de démission et crée le parti de l’union des indépendants de Côte d’Ivoire3 ». La démission de Sékou Sanogo semble ambigüe. D’ailleurs, il est confondu par Lansény Soumahoro, secrétaire de la sous section de Séguéla : « l’année dernière en 1949, j’ai envoyé un messager lui demander si oui ou non il était avec nous. Il a répondu qu’il était toujours au RDA ; au nom de Dieu4 ». Pour ces quelques raisons qui interviennent dans une atmosphère morose pour le PDCI-RDA, Sékou Sanogo crée avec Vamé Doumouya l’EDICI.
I-2. La création de l’EDICI
Le récépissé de déclaration de l’EDICI porte le numéro 368 du 14 décembre 1949. Le siège social est à Abidjan. Son bastion est le grand nord, à commencer par la région d’Odienné. En effet, c’est en jouant sur les fibres tribalistes et religieuse que Péchoux parvient à faire adhérer en masse les membres d’ « Odienné Idéal » au sein de l’EDICI. Le parti des indépendants constitue la cinquième zone de division établie par Péchoux et comprend non seulement les cercles du nord dont Odienné, Séguéla, Korhogo et Ferké mais aussi s’étend sur tout le centre du pays où habitent des mu- sulmans. « Il coiffe aussitôt l’UDICI créée à Bouaké et Odienné Idéal qui compte déjà dans le cercle de Korhogo des milliers de membres. Il comprend un grand nombre de musulmans qui avaient été jusqu’ici les meilleurs soutiens d’Houphouët5 ».
Au vrai, le gouverneur a choisi le grand nord comme région, l’islam comme réligion et comme dirigeants, des assoiffés et des revanchards ; transfuges du RDA. Sékou Sanogo est conseiller général de l’AOF au titre du RDA depuis 1946, il était le secré- taire général de l’EDICI avant d’en devenir le président d’honneur. Vamé Doumouya, originaire d’Odienné, celui là-même à qui on attribue la paternité de l’EDICI, était anciennement animateur du RDA local. Il occupe dans son nouveau parti, le poste de secrétaire à l’organisation et à la propagande. De Bonaventure Eté, le trésorier, à Capri Djédjé, responsable des questions sociales en passant par Etienne Lattier, vice-président, Goffri Kouassi, responsable aux affaires économiques, Eyemon Nian- goran, responsable à l’éducation, tous sont conseillers généraux et démissionnaires du PDCI-RDA. Pour atteindre les objectifs à lui fixés par Péchoux, l’EDICI « phagocyte » l’UDICI, un autre parti politique pro-administratif à qui était dévolu les cercles baoulé de Bouaké et Toumodi. Le parti des indépendants réussit à implanter ses tentacules un peu partout, surtout dans le pays gouro au centre ouest, dans le sud, au centre et bien sûr dans le nord. Le vide semble comblé, d’où l’immense joie de son secrétaire à la propagande. « Déjà des races entières sont sorties du joug (celui du PDCI-RDA), tout l’est du pays de Bondoukou à Assinie, échappe désormais au RDA. Il en va de même du pays bété, des régions de Divo, Lakota, Gagnoa, Odienné6 ». Ainsi, Vamé
2 A.N.C.I., Rapport Damas, p. 474.
3 A.N.C.I., Rapport Damas, p. 69.
4 A.N.C.I., Rapport Damas, p. 815.
5 A.N.S., 2G 49/112, p.51.
6 La Côte d’Ivoire, 11mars 1951, cité par Guillaneuf R., in « La presse en Côte d’Ivoire : la colonisation à l’aube
Doumouya a raison de jubiler car la situation sociopolitique est morose et le PDCI- RDA connaît sa traversée du désert. « Au cours de l’année 1949, le RDA a subit un recul important au profit des partis plus jeunes ou même nouvellement crées en cours d’année»7. Et Sékou Sanogo d’ajouter lors de son audition : « Ce mouvement qui est représenté actuellement dans toutes les régions, à la prétention de supplanter le RDA dans les prochains mois »8. Cette joie est justifiée car l’EDICI commence à bousculer la hiérarchie. Et le PPCI de se sentir visé le premier et son représentant d’Arrah, Tanon Mangoua, de s’en morfondre en ces termes lors du congrès du PPCI : « mes chers camarades, cette région tremble parce qu’elle est abandonnée par son commandant de cercle qui n’aide que les indépendants et les démissionnaires du RDA. Et c’est pourquoi notre nombre d’adhérents n’augmente pas9 ».
L’EDICI, ce jeune parti aux dents longues suscite des appréhensions. En plus du soutien de l’administration coloniale, elle sait compter sur ses cadres généreux dans l’effort et des populations dévouées et acquises à sa cause. Mieux, elle a ravi le soutien de l’administration au Parti Progressiste de Côte d’Ivoire (PPCI), à la Section Française de l’Internationale Socialiste (SFIO) et au Bloc Démocratique Eburnéen (BDE) qui ne font plus le poids face RDA. Alors, comment le parti des indépendants s’organise t-il ?
II- L’ORGANISATION DE L’EDICI
Pour parvenir au niveau du PDCI-RDA, le parti des indépendants met en place une organisation moderne comparativement à celle des autres partis pro-adminis- tratifs. Même si l’EDICI n’a pas élaboré d’idéologie, elle s’est attelée à produire un programme comme toute ambitieuse formation politique. Son programme, à un degré moindre, reprend les grandes lignes de la politique du PDCI-RDA.
II-1. Le programme
Le programme se définit comme l’exposé général des intentions et objectifs qu’un parti ambitieux se fixe dans l’intention de parvenir au pouvoir. Le programme politique de l’EDICI est succinct et se résume en la lutte anti-RDA et en un soutien à l’autorité coloniale. En effet, l’apparentement du RDA au PCF a été le motif de la désagrégation du parti interterritorial. Pour les indépendants, il faut lutter contre le communisme sous toutes ses formes et en premier lieu, contre le RDA, devenu communiste par la faute d’une seule personne qui se veut charismatique : Félix Houphouët-Boigny. Il faut donc lutter contre la succursale du Kominform en Afrique noire francophone. Les dirigeants du RDA veulent tromper le peuple africain notamment ivoirien dans une bataille d’idées qu’ils ne sont pas censés maîtriser eux-mêmes. Selon les dirigeants de l’EDICI, le RDA a rompu avec la France, vue comme une nation faible pour s’al- lier à l’URSS. Alors, tant que le mythe RDA demeurera, il ne sera pas question que le parti des indépendants change sa ligne politique. L’EDICI se propose de réaliser
de la décolonisation 1906-1952 », p.429 7 A.N.S., 2G 49/112, p.56
8 A.N.C.I., Rapport Damas, p.830.
9 Le Progressiste, 1951, p. 1.
une union française fraternelle basée sur l’égalité des droits et devoirs. Soucieux du développement harmonieux et progressif de la Côte d’Ivoire, l’EDICI ne veut pas mettre la charrue avant les bœufs. Elle veut réaliser l’union sacrée autour de la France pour la défense des intérêts du pays avant d’aborder la question de l’indépendance.
A l’analyse, le parti des indépendants ne propose rien de nouveau si ce n’est qu’une pâle copie du programme du PDCI-RDA.
L’épanouissement vrai et total de l’Ivoirien passe par un programme socioécono- mique bien élaboré. Cet épanouissement ne peut s’accomplir que dans le cadre de l’Union française. Pour cela, les relations entre Noirs et Blancs doivent s’améliorer.
L’EDICI n’est pas pour le retour du travail forcé comme le font croire les propagandistes RDA. Le parti des indépendants propose une justice sociale égalitaire. Les richesses du pays doivent être exploitées dans l’intérêt de tous les habitants.
II-2. Les structures du parti
En si peu de temps, l’EDICI se pose en principal leader de l’opposition au RDA.
Dans son inébranlable intension de coiffer tous les partis politiques de Côte d’Ivoire, les indépendants se dotent de structures conséquentes, allant même à copier son rival, le PDCI-RDA. Le bureau directeur de l’EDICI regroupe tous les membres influents du parti. A la fin de l’année 1950, le bureau directeur se présente comme suit :
Tableau n°1 : Bureau-directeur de l’EDICI
Titre Noms et
prénoms Fonction Localité
Président Yoro Sangaré Conseiller Abidjan
Vice-présidents
Lattier Etienne Anaky Kouassi Bazoumana Coulibaly Logossina Cissé Tiemoko Coulibaly
Conseiller général Conseiller général Conseiller général Conseiller général Conseiller général
Abidjan Abidjan Abidjan Bouna Katiola Secrétaire politique Sékou Sanogo Conseiller général Séguela Secrétaire à
l’organisation et à la propagande
Vamé Doumouya Commis du cadre
supérieur Abidjan Secrétaire Amara Camara Commis des ser-
vices administra- tifss
Séguéla
Archiviste Namery Bamba Conseiller général Abidjan Responsable aux ques-
tions économiques Goffri Kouassi Conseiller général Abidjan Responsable aux ques-
tions sociales Capri Djédjé Conseiller général Abidjan
Responsable à l’édu-
cation populaire Niangoran Eyemon Clerc d’hussier Bouaflé Trésorier général Vaboua Doumbia Comptable com-
mis auxiliaire Adzopé Trésoriers adjoints Ali Savané
Gorongo Coulibaly Transportteurs Treichville Commissaires aux
comptes El Hadj Amadou Tou-
ré Commis PTT Treichville
Conseillers Politiques
Mohité Fondio Maître-maçon Treichville Oumar Cissé Chef de village,
tailleur Treichville Idrissa Seydou Commerçant Treichville Jean Kouassi Commerçant Treichville Bada Diaby Commerçant Treichville El Hadj Comara Commerçant Treichville El Hadj Vatouré Touré Commerçant Treichville El Hadj ismaêl Kama-
ra Commerçant Treichville
Siaka Komara Commerçant Treichville Moussa Diabaté Commerçant Duékoué Hibrahim Touré Chef du village,
Dioula Agboville
Vakaba Diaby Commerçant Agboville
Lamizana Maurice Commis Abidjan
Johnson Tapsoba Commis Abidjan
Sources: A.N.S., 2G 49/112, p.56,Yao (k.b), op.cit., p. 322.
Le bureau-directeur comprend 32 membres dont 10 conseillers généraux et 15 conseillers politiques. Les secteurs essentiels de la vie sociale et économique ont un responsable. Des 32 membres, 26 sont malinké-dioula ou musulmans. Des sous- sections sont même installées dans les quartiers indigènes d’Abidjan et dans les villes de l’intérieur ; en témoigne ce tableau.
Tableau n°2 : Les sous-sections et leurs responsables locaux
Sections Dirigeants
Adjamé Sékou Diaby, Nabintou Soko Treichville Baba Diaby, Vaboua Doumbia
Oumé Zouan Bi Douabou Bouaflé Vamé Doumouya
Sinfra Amery Diomensy, Sékou Baradji, Jean Kouadio
Zuénoula Zoro Bi Semi, Sékou Diabaté Bouaké Moussa Coulibaly, N’dia Koffi Toumodi Abdoulaye N’diaye, Andoh Pascal Yamoussoukro Kouassi Kouamé Célestin
Mankono Adama Dosso
Séguéla Sékou Sanogo, Lancina Koné, Masseba Soumahoro
Touba Kelemassa Diabaté Odienné Vamé Touré Ferké Kalilou Fadiga
Kong Babala Barro, Yaya Ouattara Dimbokro Morry Doucouré
Man Don Siadé
Daloa El Hadj Thei Diaby, Yoro Sangaré Gagnoa Abderhamane Diaby
Sassandra Goffri Kouassi
Source : Yao, K.B., op. cit., p.323.
En dehors de ces organes, une assemblée générale s’est tenue les 9,10 et 11 février 1951 à Abidjan-Treichville au cinéma Comacico où les délégués sont repartis satisfaits et avec la promesse de se jeter dans la lutte afin de briser les foyers de résistance RDA.
II-3. L’implantation et l’affirmation
Autrefois soutenue par quelques journaux des colons, l’EDICI veut être en phase avec son temps et ses militants en créant son journal. L’indépendant, son organe de presse est mis sur le marché au mois d’avril 1950. Ses tirages s’élèvent successive- ment à mille, mille cinq cent puis deux mille exemplaires. L’indépendant eut maille à partir avec Le Démocrate, le journal du PDCI-RDA qu’il qualifie de démon-crache.
Les inquiétudes du RDA font jubiler, Yoro Sangaré, le directeur de publication de L’indépendant : « A présent, ça y est : le coup a porté. La bataille devient serrée et implacable. Notre but est atteint (…) Ils avaient (dans le passé) compté sans nous et sont amenés (actuellement) à compter avec nous car ils savent que quiconque notre existence, ils constatent eux-mêmes le rapport des forces en présence et sont
obligés de reconnaître, malgré les apparences d’un passé glorieux que le pays qui les suivait s’est orienté à nouveau, écoutera désormais la voix et suivra la voie des indépendants »10.
L’EDICI s’ancre davantage au sud, dans les quartiers indigènes, notamment à Adjamé et Treichville. A Grand-Bassam, Dabou, Aboisso, Anyama, Adiaké et Tiassalé, le succès des indépendants est organisé par des responsables administratifs. Cela suscite des démissions dans les rangs du RDA « le secrétaire du RDA d’Adiaké a démissionné et s’est inscrit librement à l’EDICI… A Anyama-Zossonkoi, Anyama-Ad- jamé, Ebimpé, les notabilités de ces trois villages ont démissionné du RDA et sont avec nous »11. En un mot, le sud n’est plus l’apanage du seul PDCI. Le grand nord, la zone dévolue aux indépendants par Péchoux demeure leur bastion. Ils y sont profon- dément fixés et y recrutent même la quasi-totalité des membres du bureau-directeur.
Mieux, le parti y réalise ses meilleurs scores électoraux. Dans les autres régions, l’EDICI a pion sur rue. En effet, les chefs des cantons du grand ouest adhèrent aux idéaux des indépendants. Don Siadé, chef du canton Blouno, Yaké, chef du canton Bouroussi, Vlin Robert, chef du canton Kaké et Tonga Gondo,chef du canton Gun se sont inscrits à l’EDICI. Auréolée de cette implantation, le parti des indépendants s’affirment sur l’échiquier politique national. Il ne serait d’ailleurs pas prétentieux de qualifier l’ère Péchoux d’apogée de l’EDICI. Sékou Sanogo réussit à remporter un siège de député lors des élections législatives du 17 juin 1951 grâce au jeu de la proportionnelle. Ce qui faire dire à Houphouët-Boigny que Sékou Sanogo est un « candidat mal-élu de la Côte d’Ivoire »12. Le 30 mars 1952, aux élections à l’assem- blée territoriale, l’EDICI, sous la bannière de la coalition PUFCI, remporte 4 sièges sur 32 soit 22,93% des suffrages exprimés ; et ce, en dépit du désapparentement RDA/PCF. D’ailleurs Capri Djédjé, responsable des questions sociales de l’EDICI en assurera la présidence.
III- LA MARGINALISATION DE L’EDICI
Trois années ont suffit à l’EDICI pour construire son succès. C’est surtout aux élections législatives du 17 juin 1951 que le parti fait sensation en obtenant un siège à l’Assemblée nationale. La deuxième tranche de son existence (1952-1956) ne plaide pas en sa faveur. Le succès a été bref, trop bref à tel point qu’il constitue un lointain souvenir. Le parti des indépendants a perdu de sa superbe.
III-1. Les fondements de la chute
La décadence du parti repose sur sa nature de parti administratif. En effet, l’EDICI n’est plus le cheval favori de l’administration coloniale. L’honorable Sékou Sanogo de s’en plaindre : « je me doutais de la chose. Je suis dégoûté. Houphouët se moque de nous. Ici à Paris, vous le considérer comme un fils prodige mais en Côte d’Ivoire il va pouvoir dire qu’il est membre du parti du chef du gouvernement. De quoi ai-je
10 L’indépendant, N°4 du jeudi 1er juin 1950, p.1.
11 L’indépendant, N°71 du 28 mars 1951, p. 1.
12 A.N.C.I., Rapport Damas, p.50.
l’air si Houphouët que je combats au nom de la France devient le suppôt du gouver- nement ?... Nous ne pouvons accepter cela »13. Les administrateurs et les maisons de commerce leur ont retiré leur confiance. Pire, Péchoux quitte le pays en 1951 et est remplacé par le gouverneur Geay en avril. Pellieu Pierre François est nommé gouverneur le 25 avril 1952, à sa mort il est remplacé par Camille Victor Bailly le 10 juillet 1952. Le 19 février 1954, Pierre Auguste Messmer devient gouverneur avant de se faire remplacer à ce poste le 18 février 1956 par Pierre Auguste Michel Marie Lami. De tous ceux-là, personne n’a daigné apporter son soutien aux indépendants.
Le déclin du parti repose aussi sur sa coloration. En effet, c’est un parti de fonction- naires donc la masse rurale de l’époque, socle fiable de toute formation politique ne s’y reconnaît pas. Dans la répartition géographique planifiée des mains de maître par Péchoux, le nord puis le centre revenaient prioritairement aux indépendants. Au vrai, ces deux zones n’ont jamais demeuré leur chasse gardée car le PDCI-RDA y était solidement enraciné. Les populations de ces zones sont devenues opportunistes à souhait. En effet, pour les nombreux avantages accordés à l’EDICI, elles se décla- rent indépendants mais de cœur RDA. Elles ont toujours en leur possession deux cartes: une carte EDICI et une autre RDA. Aussi, le caractère élitiste des dirigeants indépendants constitue t-il une source de rivalité interne. Ils étaient tous fonction- naires ou agents de l’Etat, alors, ils luttaient pour le leadership. Lors des élections législatives du 17 juin 1951, Dignan Bailly, offusqué de n’être pas le colistier de Sékou Sanogo, forma avec Vamé Domouya la liste de l’Union Républicaine. Le PUFCI, censé booster les actions des indépendants, est plus un front électoral qu’une véritable coalition politique. Seulement présente à Abidjan, l’EDICI est absente à l’intérieur et dans les villages. A cela, il faut ajouter le comportement peu recommandable de certains délégués tel Zogbo Faustin qui a contribué à jeter l’opprobre sur le parti.
A tout cela, il faut souligner le rôle de Félix Houphouët-Boigny. Officieusement, le président du PDCI-RDA a mené une politique de division des autres partis politiques.
Sa méthode consiste en l’ « achat » de dirigeants et militants indépendants. Le cas de Vamé Domouya est patent. Lors des élections législatives du 17 juin 1951, Félix Houphouët-Boigny finance sa candidature ainsi que sa campagne. Même s’il n’a pas été élu, il aura contribué de par sa dissidence à diviser les indépendants, véritables concurrents du RDA. Ce qui fait dire à Bernard Dadié qu’ « au sein de l’EDICI, Vamé Doumouya travaillait pour le RDA »14. Avec Félix Houphouët-Boigny, les friands de postes et d’espèces sonnantes sont toujours satisfaits. Par des contacts souterrains et ciblés, il réussit presque toujours à amener à lui des individualités fortes dont « Goffri Kouassi à qui il promit un siège pour représenter la région de Sassandra afin de concurrencer Etienne Djaument. Ce furent aussi les cas de Yoro Sangaré et Nian- goran Eyemon »15. Officiellement et publiquement, le 6 octobre 1951 au Géo André, Félix Houphouët-Boigny décide de la séparation RDA/PCF et de sa collaboration avec l’administration locale et surtout avec un parti métropolitain en l’occurrence l’UDSR de François Mitterrand et de René Pleven. A cette occasion, de façon habile, il lança
13 France-Afrique-Abidjan, N°530 du 12 janvier 1952, cité par Traoré Bakari in « Le Parti Socialiste (SFIO)en Côte d’Ivoire : 1937-1958 », p.188.
14 Entretien avec Bernard Dadié le 27 juin 2004 à Cocody.
15 Tra Lou I., 1985, « Le PDCI-RDA en pays Gouro de 1946 à 1957 », UNACI , Département d’Histoire, p. 167.
un appel solennel à l’union de tous les partis politiques de Côte d’Ivoire. Un appel qui ne tarda pas à produire ses effets.
Félix Houphouët-Boigny, en suscitant l’appétit et jouant sur les ambitions égoïstes et individuelles des indépendants, réussit à compromettre la coalition PUFCI et à désorganiser l’EDICI.
A la fin de l’année 1951, le PDCI-RDA maîtrise la situation politique comme l’at- teste le rapport de l’année « En fin d’année, le RDA avait reconquis mais grâce à un habile glissement, une bonne partie de son influence perdue ; le prestige de Félix Houphouët-Boigny était intact »16.
III-2. Les manifestations de la décadence
La chute de l’EDICI est la manifestation directe de son manque d’assise populaire.
De 1952 à 1955, le parti ne fait que subir des revers électoraux. Les élections à l’as- semblée territoriale du 30 mars 1952 sont un avertissement sérieux. Les indépendants s’en sortent avec seulement 4 sièges, trop peu pour un parti qui se veut national et apte à conduire les destinée du pays. En début d’année 1953, lors de l’élection du conseiller territorial à Odienné, Yah Bamba, le candidat RDA est élu avec 2702 voix contre 1279 pour Gaoussou Touré, le candidat de l’EDICI. Odienné, localité autrefois dite chasse gardée des indépendants n’est plus qu’un lointain souvenir. Pire, aux élections du conseil de la république dite élection sénatoriale le 6 septembre 1953, l’EDICI n’ose présenter de candidat au deuxième collège. En mai 1954, les élections municipales dans les communes d’Abidjan, Grand-Bassam et Bouaké consacrent l’hé- gémonie du RDA. Le 19 septembre 1955, aux élections sénatoriales, une fois encore, les indépendants ne présentent pas le moindre candidat. Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Sékou Sanogo tente un baroud d’honneur en se présentant. Sur 583.410 suffrages exprimés, l’EDICI à travers sa coalition PUFCI « obtient seulement 39.193 voix soit 6,7% contre 506.494 voix pour le PDCI-RDA soit 87%. Le socialiste Dignan Bailly obtient 21.586 voix soit 3,6%. Les onze autres listes en compétition ne recueillent qu’un faible pourcentage des suffrages exprimés »17. Ainsi, au profit de Ouezzin Coulibaly, Sékou Sanogo perd son titre de député qu’il détenait fièrement depuis 1951, titre qui lui donnait son audience. Désemparée, que doit faire l’EDICI
? La réponse à cette question est trouvée par Félix Houphouët-Boigny lui-même et elle consiste en la fusion des indépendants dans le grand ensemble qu’est le PDCI- RDA. Pour cela, le président Houphouët convoque le 20 février 1956, les derniers réticents à son appel d’union. Au cours de cette réunion, il prit soin de préciser que son parti les accueillerait sans condition, mieux, il leur promis des postes au sein du bureau-directeur. « Il assura les leaders de l’opposition ralliés de sa bienveillance, de celle de tous les dirigeants et militants de base »18. Cette déclaration dissipe les inquiétudes des indépendants qui acceptent la proposition. Ainsi l’EDICI est absorbée.
Aux élections municipales de 1956, Fama Touré et Niangoran Eyémon sont élus sur
16 A.N.C.I., EE 9087/9088, Rapport politique, 1951, p. 95.
17 Abidjan-matin, N°1332 du mercredi 4 janvier 1956, p. 3.
18 Tra Lou, op. cit., p.197.
les listes RDA de Bouaké et Agboville. Moins qu’une alliance, c’est une phagocytose.
C’est le début du monopartisme avec le PDCI-RDA seul au contrôle des affaires de la Côte d’Ivoire. C’est dans ce contexte que le nouveau ministre Félix Houphouët-Boigny et Gaston Deferre élaborent la loi-cadre qui accorde l’autonomie, la décentralisation administrative et la mise en place d’un conseil de gouvernement.
CONCLUSION
Nous pouvons affirmer que l’EDICI est créée suite à la démission de certains cadres du PDCI-RDA qui n’étaient plus en odeur de sainteté avec Félix Houphouët- Boigny et sa politique d’apparentement d’avec le PCF. Profitant du coup de pouce donné par le gouverneur Péchoux, le parti se positionne comme la deuxième for- mation politique du pays. Le parti des indépendants s’est construit une organisation relativement solide et une implantation quasi nationale. A défaut de coiffer le PDCI- RDA, parti interterritorial, l’EDICI en présente une copie. Son programme ainsi que ses objectifs sont relayés par l’indépendant, son quotidien. Entre 1949 et 1951, le parti des indépendants atteint son heure de gloire. Il prend part aux différentes élec- tions nationales et parvient même à remporter un siège aux élections législatives du 17 juin 1951. Parti avant-gardiste, l’EDICI s’allie au PPCI et au BDE pour former le PUFCI. Ainsi, les indépendants supplantent les autres de la coalition en réalisant ce qu’aucune autre formation politique d’opposition n’a fait. Sékou Sanogo élu député et siège au palais Bourbon avec Félix Houphouët-Boigny. Après les élections du 30 mars 1952 à l’assemblée territoriale, le parti amorce son déclin. Après 1951, l’EDICI n’est plus le cheval favori de l’autorité coloniale et ne put résister aux appels à l’union lancés par Félix Houphouët-Boigny, le président du PDCI-RDA. Dignement, en 1956, l’EDICI se fond dans le PDCI-RDA.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE Sources imprimées
L’indépendant : du n°1 au n°71
Rapport Damas, n°11348 sur les incidents survenus en Côte d’Ivoire, Abidjan, Imprimerie Nationale, 1950, 3 tomes, 1250p.
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