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POÉSIE DE SAINTE-BEUVE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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POÉSIE

DE SAINTE-BEUVE

O

n ne peut dire que les Poésies de Joseph Delorme publiées en avril 1829, quelques mois après le Tableau de la Poésie fran- çaise au XVIe siècle, révèlent un grand lyrique, mais elles rendent un son qui leur est propre et qui est loin d'être négligeable. Dès ce premier livre de vers, Sainte-Beuve, tout en ne cachant pas ses affinités avec le mouvement romantique et tout en laissant voir son admiration pour Lamartine et pour Victor Hugo, affirmait un dédain de la rhétorique en même temps qu'un goût certain pour une poésie intime, familière et souvent rustique dont les maîtres, tous Anglais, s'appellent Collins, Gray, Crabbe, Cooper, Coleridge et Wordsworth.

A cette influence anglaise, alliée à celle de Théocrite, si nette et si importante pour son inspiration, s'ajoutait, pour son métier, celle de Ronsard qui lui doit sa réhabilitation et celle d'André Chénier, incomparable musicien du vers, qu'il mit tout de suite à son véritable rang. Une des pièces les plus savantes et les meil- leures des Poésies de Joseph Delorme est cette Ode à la Rime, com- posée sur un joli rythme de la Pléiade, que Banville tenait pour un chef-d'œuvre, qu'André Thérive a eu raison de citer en entier dans son Florilège du Parnasse et dont voici plusieurs strophes d'une facture particulièrement brillante :

Rime, qui donnes leurs sons Aux chansons,

Rime, l'unique harmonie Du vers qui, sans tes accents

Frémissants, Serait muet au génie ;

LA BEVUE N° 12 3

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Rime, écho qui prends la voix Du hautbois

Ou l'éclat de la trompette, Dernier adieu d'un ami

Qu'à demi

L'autre ami de loin répète ; Rime, tranchant aviron,

Eperon

Qui fends la vague écumante ; Frein d'or, aiguillon d'acier

Du coursier A la crinière fumante ;

S

ainte-Beuve fut, en France, le restaurateur du sonnet, et celui qu'il dédia à Ronsard figure dans maintes anthologies ; mais il en est d'autres, dans ce recueil de début, dont le charme est indéniable qu'il y vante « sur un front de quinze ans les blonds cheveux d'Aline », « le pays de Rouen et ses pommiers fleuris », ou qu'il y évoque, en imitant Wordsworth, le vent qui souffle, les cloisons qui gémissent et les fagots qui flambent au chant d'une bouilloire. Auprès de ces sonnets, il faut mettre en évidence ce dizain dont François Coppée s'est probablement souvenu, quand il a écrit ses Promenades et Intérieurs, et qui a le double mérite de nous offrir, en son deuxième vers, une étonnante ellipse et d'exprimer harmonieusement les désirs de son auteur, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse :

Pour trois ans seulement, oh ! que je puisse avoir Sur ma table un lait pur, dans mon lit un œil noir, Tout le jour du loisir ; rêver avec des larmes ; Vers midi, me coucher à l'ombre des grands charmes ; Voir la vigne courir sur nïon toit ardoisé,

Et mon vallon riant sous le coteau boisé;

Chaque soir m'endormir en ma douce folie,

Comme l'heureux ruisseau qui dans mon pré s'oublie ; Ne rien vouloir de plus, ne pas me souvenir,

Vivre à me sentir vivre.'... Et la mort peut venir.

Il est juste d'apprécier également dans ce volume d'autres poè- mes plus longs comme la touchante « élégie d'analyse » au vers souvent cité « Toujours, je la connus pensive et sérieuse » ou com- me la Plaine qui se présente à nous tel qu'un triste et brumeux

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paysage d'automne où l'on voit, sur les coteaux lointains, s'étendre en frémissant « de longs bois couronnés de leurs derniers feuilla- ges ». A côté du poète simple et pur, proche des lakistes, il y a chez Sainte-Beuve un poète trouble et sensuel qui nous dit les attraits de Rose aux cheveux débouclés sur un sofa, dans une chambre que la pénombre voile, ou qui décrit les secrètes voluptés d'un bal finissant, plein de molle sueur, de seins haletants, de bras nus qu'on froisse, de bouquets effeuillés et de langoureux soupirs. Toutefois la pièce la plus originale des Poésies de Joseph Delorme a pour titre les Rayons Jaunes. Cette pièce bizarre qui prend sa source dans une page de Diderot extraite des Lettres à Mademoiselle Voland et qui mêle étroitement le rêve à la réalité, fut, à l'époque, totalement incomprise. Mais trente-huit ans plus tard, dans un article consacré à Baudelaire, Verlaine la plaçait très au-dessus des « jérémiades lamartiniennes », et René Lalou n'hésitait pas, en 1927, d'écrire à son sujet qu'on y découvre déjà

« ce souci des accords poétiques qui, spiritualisé par le génie, deviendra bientôt l'affirmation baudelairienne des correspon- dances ».

Les Consolations, parues en mars 1830, un an après les Poésies de Joseph Delorme, contiennent une longue préface, dédiée à Victor Hugo, qui débute ainsi : « Mon ami, ce petit livre est à vous ; votre nom s'y trouve à presque toutes les pages ; votre présence ou votre souvenir s'y mêle à toutes mes pensées. Je vous le donne, ou plutôt je vous le rends : il ne serait pas fait sans vous. Au moment où vous vous lancez pour la première fois dans le bruit et les orages du drame, puissent ces souvenirs de vie domestique et d'intérieur, vous apporter un frais parfum du rivage que vous quittez ! Puissent-ils, comme ces chants antiques qui sou tenaient le guerrier dans le combat, vous retracer l'image adorée du foyer, des enfants et de l'épouse ! »

A cette épouse, Mme V. H..., est adressée la pièce liminaire du recueil, aimée d'Anatole France qui la considérait comme « ce que la poésie intime a donné en France de plus vrai dans la mé- lancolie » ; et, quelques pages plus loin, le poème pour Auguste Le Prévost, où dominent les impressions d'enfance, commence par ces vers d'une attachante inspiration urbaine que Baudelaire, avec autant de force que d'humanité, devait porter à son plus haut point, quand il composa ses Tableaux parisiens :

Dans l'île Saint-Louis, le long d'un quai désert, L'autre soir je passais; le ciel était couvert, Et l'horizon brumeux eût paru noir d'orages, Sans la fraîcheur du vent qui chassait les nuages ;

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Le soleil se couchait sous de sombres rideaux ; La rivière coulait verte entre les radeaux;

Aux balcons çà et là quelque figure blanche Respirait l'air du soir ; — et c'était un dimanche.

On trouve aussi dans les Consolations une remarquable traduc- tion de la Harpe éolienne de Coleridge, une sorte d'ode, parfaite- ment réussie, sur les Larmes de Racine, deux vibrantes épîtres à Lamartine et à Vigny et de tendres élégies, d'un ton grave et confi- dentiel, pleines d'élans vers Dieu et vers l'amour.

Cet ouvrage connut un vif succès et valut à Sainte-Beuve des lettres élogieuses de Chateaubriand, de Lamartine, de Béranger et de Stendhal. Il n'en fut pas de même des Pensées d'Août publiées sept ans plus tard, en octobre 1837, qu'une partie de la critique attaqua fort sévèrement. Ces Pensées d'Août, dont les longs récits à tendance morale sont fâcheusement dénués de tout lyrisme, ras- semblent pourtant certains courts poèmes de qualité, parmi lesquels on doit mettre hors de pair la pièce inspirée par une statue d'en- fant de David, d'un art tellement accompli qu'il semble annoncer celui des meilleurs parnassiens et, dans un genre tout différent, les cinq stances, En revenant du convoi de Gabrielle, si chargées d'émo- tion et cadencées par Sainte-Beuve, après sa rencontre avec Victor Hugo dans le fiacre qui les ramenait du cimetière, en compagnie du poète Fontaney, mari de la jeune morte et leur ami commun.

Dans les mêmes années que les Pensées d'Août, Sainte-Beuve écrivit pour Adèle Hugo son fameux Livre d'Amour qui ne fut i m - primé clandestinement qu'en 1843 et dont la plupart des poèmes sont assez médiocres. Il est, cependant, possible d'en détacher les pièces XXVI (Non, je ne chante plus...) et XXXVIII (Premier Septembre), l'une et l'autre d'une harmonieuse mélancolie, et d'y goûter cette romance qui s'apparente, en sa musique plaintive, à celles de Marceline Desbordes-Valmore :

Laissez-moi ! tout a fui. Le printemps recommence ; L'été s'anime et le désir a lui;

Les sillons et les cœurs agitent leur semence.

Laissez-moi ! tout a fui.

Laissez-moi ! dans nos champs les roches solitaires, Les bois épais appellent mon ennui.

Je veux, au bord des lacs, méditer leurs mystères, Et comment tout m'a fui.

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Laissez-moi m'égarer aux joules de la ville ; J'aime ce peuple et son bruit réjoui;

Il double la tristesse à ce cœur qui s'exile, Et pour qui tout a fui.

Laissez-moi ! midi règne, et le soleil sans voiles Fait un désert à mon œil ébloui.

Laissez-moi! c'est le soir et l'heure des étoiles;

Qu'espérer ? tout a fui.

Oh ! laissez-moi, sans trêve, écouter ma blessure, Aimer mon mal, et ne vouloir que lui.

Celle en qui je croyais, celle qui m'était sûre...

Laissez-moi ! tout a fui.

L'œuvre poétique de Sainte-Beuve, comme Ferdinand Brunetière l'a noté dès 1894, vit beaucoup moins par elle-même, car elle est trop souvent prosaïque et dépourvue d'accent, que par l'exemple profondément naturel et profondément humain qu'elle a proposé à de grands poètes tels que le Victor Hugo des Feuilles d'Automne, le Banville des Stalactites, le Verlaine à'Après trois ans, de Noc- turne parisien, d'Amour et surtout le Baudelaire de l'admirable Crépuscule du Matin.

PHILIPPE CHABANEIX

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