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Le médecin face aux bénéfices et aux dangers des réseaux sociaux

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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S. Tisseron

introduction

Les réseaux sociaux sont une façon rapide, commode et sur- tout avantageuse de rester en contact avec les camarades de classe et les amis.1 C’est un lieu où se partagent les ragots et les commérages. Chacun s’y tient réciproquement au courant des nouveautés, consulte les idées et les pensées des autres membres de son groupe d’âge, y montre sa rapidité d’esprit, dit des choses qu’il n’oserait pas exprimer s’il se trouvait face à son interlocuteur, frime… Les discus- sions approfondies n’y ont pas leur place. Pourtant, ils peuvent avoir un rôle po- sitif à l’adolescence dans la façon dont ils accompagnent la métamorphose de l’enfance à l’âge adulte.

bénéficesdesréseaux sociaux

Construction de nouvelles identités

Tout d’abord, en y déposant des images de lui-même, l’adolescent s’affranchit de celles que ses parents ont privilégiées de lui auparavant. Aux images de l’en- fant souriant et toujours bien vêtu, succèdent celles de l’adolescent grimaçant, mal peigné, habillé de façon provocante, voire outrageusement maquillé. Ces jeux avec l’apparence sont une façon de se construire un nouveau réseau de relations.

Le «capital social» ainsi constitué serait même susceptible de constituer un avan- tage dans nos sociétés futures.2

Construction de nouvelles intimités

Le Web 2.0 entre ainsi au service de ce que j’ai appelé en 2001 le désir d’exti- mité.3 Le mot désigne le désir de chaque humain de rendre publiques certaines facettes de lui-même jusque-là gardées intimes afin de les faire valider par des proches. Ce désir a toujours existé, mais il a pris une dimension nouvelle avec la téléréalité, et c’est ce qui m’a incité à lui trouver un nom en 2001, lorsqu’est ap- parue en France la première émission de ce type, baptisée Loft Story. Et ce désir a évidemment explosé avec internet. Il n’est pas négatif, bien au contraire, même si internet lui offre d’innombrables occasions de se fourvoyer. Il participe en effet à la construction d’une estime de soi plus forte et de relations plus nombreuses et plus riches. Il se distingue en cela de l’exhibitionnisme : l’exhibitionniste est un cabotin répétitif qui ne montre de lui que ce qu’il sait pouvoir séduire ses inter- Doctors and the benefits and dangers

of social networks

Social networks have many different uses.

Most young people use them for experimen- tation and innovation. Social networks help young people get familiar with the digital world, and develop themselves in interrela- tion with their peers. But social networks can also be used to avoid relationships in the real world, or to practice different forms of harass- ment. A specific danger lies in forgetting that a great number of people can have access to personal information posted online. Doctors should be particularly aware of this issue.

Rev Med Suisse 2015 ; 11 : 1082-4

Les réseaux sociaux sont caractérisés par une grande diversité d’usages. La plupart des jeunes les utilisent comme un espace d’expérimentation et d’innovation qui leur permet de se fami­

liariser avec les mondes numériques et de se construire en in­

terrelation avec des pairs. Mais les mêmes réseaux sociaux peuvent aussi être utilisés pour éviter des relations dans la réa­

lité ou pratiquer diverses formes de harcèlement. Leur danger spécifique est l’oubli du très grand nombre d’interlocuteurs qui peuvent avoir accès aux informations que chacun y dépose sur lui­même et sur ses proches. Les médecins doivent être parti­

culièrement vigilants à cet aspect.

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13 mai 2015 Dr Serge Tisseron

Université Paris VII Denis Diderot Rue Titon 11

75011 Paris, France serge.tisseron@gmail.com

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locuteurs, alors que le désir d’extimité pousse à prendre des risques.

Les manifestations du désir d’extimité sur internet con- tribuent à la création de nouvelles manifestations d’intimité, appelées intimité «light», dont la fonction est de maintenir un lien social léger susceptible d’être activé à tout moment.

L’expression «d’intimité ambiante»4 a aussi été proposée pour en souligner les aspects positifs : il s’agirait de décou- vrir des personnes, qui, sans cela, seraient restées de sim- ples connaissances, et de rester en contact avec eux à un niveau de régularité et de proximité qui n’est pas celui des intimes, mais sans pour autant qu’ils soient des étrangers.

En fait, internet oblige à faire une distinction entre «in- time» et «intimité».5 Le mot d’intimité recouvre en effet deux catégories bien distinctes : ce qu’on décide de ne par- tager que «dans l’intimité» – et les relations sexuelles en font généralement partie ; et ce que chacun ne partage avec personne – voire qu’il ignore lui-même à son sujet : c’est l’intime. Sur internet, chacun partage une part plus ou moins grande de son intimité, mais on ne partage pas l’intime : soit parce que celui-ci suppose une proximité physique qu’in- ternet n’assure pas, soit parce que ce sont des choses que nous n’avons pas nous-mêmes symbolisées et que nous ne pouvons donc pas formuler à notre propre sujet.

Renforcement des relations sociales

Non seulement l’usage d’internet n’isole pas ses utilisa- teurs de leur entourage immédiat, mais il renforce au con- traire leurs relations sociales réelles, voire leur permet d’en établir de nouvelles.6 Autrement dit, celui qui a des rela- tions dans le monde virtuel ne cherche pas moins à savoir ce qui se passe dans le monde réel, mais il ajoute à cette préoccupation celle du monde virtuel. Les processus d’in- teractions s’amorcent à travers les tchats, les courriels et les réseaux sociaux comme Facebook au même titre que dans les relations en face-à-face.

Les réseaux sociaux ne rendent pas non plus moins exi- geant dans les relations. On y entre en contact avec des personnes que l’on juge proche de soi parce qu’elles par- tagent les mêmes passions, les mêmes centres d’intérêt, les mêmes préférences musicales. Dans la vie réelle, ces rencontres sont plus aléatoires. Les réseaux sociaux aug- mentent les chances d’organiser des relations plus fortes et durables.

Renforcement de l’estime de soi

Les jeunes inscrits sur Facebook présentent un niveau d’estime d’eux-mêmes supérieur à ceux qui n’y sont pas.7 Le niveau d’estime concerne à la fois ce que l’on appelle l’estime de soi privée, c’est-à-dire ce que chacun pense de lui-même, et l’estime de soi publique c’est-à-dire ce que chacun pense de ce que les autres pensent de lui. Or, l’es- time de soi est un élément déterminant pour réussir de nombreux projets tels que les études, les relations amou- reuses, la recherche d’un emploi… Le fait de fréquenter sa page d’amis pourrait donc contribuer indirectement à aug- menter son taux de réussite.

Cette situation semble être également celle des étu- diants qui se sentent peu attrayants physiquement. Les communications via internet leur permettent de mettre en

avant d’autres qualités et de ne rencontrer leurs interlocu- teurs dans la réalité que lorsque la relation est déjà engagée de manière à éviter un effet dissuasif de leur apparence.

Pour la même raison, les jeunes qui ont du mal à établir des contacts parce qu’ils se sentent facilement intimidés, semblent faire un usage plus marqué des réseaux sociaux.

L’adolescent introverti, mal à l’aise dans le schéma de com- munication en face-à-face, pourrait être incité à s’investir davantage sur le Net, ce qui renforcerait à terme ses apti- tudes à communiquer.

aspectsproblématiquesdes réseaux sociaux

Mais les réseaux sociaux n’ont pas, hélas, que ces aspects positifs. Ils favorisent en effet indéniablement les prises de risque, qui constituent le versant dangereux de ce que j’ai appelé le désir d’extimité. Il s’agit des comportements, isolés ou répétitifs, qui mettent en danger l’adolescent dans son identité physique, ou symbolique. En effet, les adoles- cents ont une sensibilité bien plus grande que l’adulte au contexte socio-émotionnel. Cela signifie qu’un adolescent provoqué par un camarade à prendre un risque excessif saura refuser pour ne pas mettre sa vie en danger, mais qu’il risque, bien plus qu’un adulte, de s’y soumettre s’il apprend que de nombreux pairs l’observent sur les réseaux sociaux. Pour ne prendre qu’un seul exemple, avant le télé- phone mobile, un jeune s’accrochant à un train en marche n’était vu par ses camarades qu’au passage du train alors qu’il peut désormais filmer l’ensemble de la séquence et la diffuser largement sur internet.

Surexposition de soi

Beaucoup trop de jeunes s’engagent sur les réseaux so- ciaux sans avoir conscience du très grand nombre de per- sonnes qui ont accès à leurs données personnelles, et en ayant trop tendance à croire tout ce qui y est écrit. Ceux qui ont une faible estime d’eux-mêmes peuvent être tentés d’exposer de grandes parties de leur intimité afin de cap- ter l’attention d’un grand nombre d’interlocuteurs. L’usage des réseaux sociaux sur internet n’entraîne pas une plus grande solitude, mais un sentiment important de solitude et/ou une faible estime de soi peuvent mener à la circula- tion d’informations personnelles très intimes, avec des con- séquences possibles de harcèlement. Les sites de rencon- tre, qui se diffusent sur des plateformes en ligne et mobiles, que les jeunes utilisent de plus en plus, ont aussi pour effet de contribuer à cristalliser certains critères corporels, avec aussi des rencontres dont les jeunes n’arrivent pas toujours à évaluer les risques : par exemple, augmentation des cas de viols suite à des rencontres en ligne.

Risque d’attenter à sa vie

Les performances dangereuses sont considérablement encouragées par le fait que les jeunes peuvent devenir cé- lèbres s’ils ne décèdent pas en les réalisant. Un autre ris que est celui des rencontres dangereuses. De plus en plus de viols sont liés à des sites de rencontre pour adolescents. Il peut s’agir aussi de rencontres avec des mouvements ex- trémistes ou sectaires valorisant la prise de risque dans

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une optique présentée comme altruiste (en fait altruiste à l’intérieur de la communauté). Enfin, certains sites présen- tent comme salutaires des comportements à risque. Par exemple, les sites pro-ana font l’éloge de l’anorexie et don- nent une plateforme aux jeunes filles pour organiser des concours de maigreur. Ils permettent cependant aux jeunes filles de disposer d’interlocuteurs pour évoquer leurs pro- blèmes intimes. D’autres sites font la promotion du sui- cide. Mais internet et les technologies mobiles sont aussi d’excellents moyens de joindre les jeunes pour la préven- tion des risques suicidaires.

Dépendance aux médias sociaux

Certains chercheurs ont créé de nouveaux indicateurs pour mesurer la dépendance à internet comme cela existe pour la dépendance aux substances toxiques, mais d’autres chercheurs sont mal à l’aise avec ces indicateurs qui ne tiennent pas compte des sociabilités qui se développent en ligne, et surtout de leur inscription dans la continuité de ce qui existe hors ligne. En pratique, le temps passé doit toujours être contextualisé. Un usage normal des réseaux sociaux est un usage socialisant, qui correspond au fait que 80% de notre activité sur Facebook consiste à parler de soi, selon la logique du désir d’extimité qui pousse chacun à faire valider par des témoins des parties de lui jusque-là gardées cachées. L’usage pathologique s’installerait quand la recherche de la comparaison sociale devient effrénée : le but recherché n’étant plus de se faire valider, mais de se faire valider plus que les autres. Le moteur d’une utilisa- tion pathologique de Facebook serait le désir de comparer son réseau social à celui des autres usagers, en créant un cercle vicieux.

conclusion

Les réseaux sociaux imposent aux médecins généra- listes de nouvelles responsabilités. Tout d’abord, ils leur

imposent de veiller à ne pas établir de trop grande proxi- mité avec leurs patients dans les espaces numériques.

Certains d’entre eux sont en effet tentés de poser à leur médecin, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, les ques- tions qu’ils peinent à lui poser en face-à-face. Et quelques- uns peuvent même tenter de connaître la vie privée de leur médecin afin de disposer d’un levier émotionnel pour obtenir de lui ce qu’ils en attendent.

Il est également important qu’ils gardent à l’esprit que, chez l’adolescent et le jeune adulte, l’usage excessif des réseaux sociaux, tout comme celui des jeux vidéo, est le plus souvent le signe d’une souffrance familiale et un appel à l’aide.

Enfin, les médecins généralistes sont des agents essen- tiels de la prévention des dangers des écrans à tout âge.

En effet, pour éviter des habitudes de surconsommation à l’adolescence, il est important d’éviter une introduction trop précoce et trop massive des écrans, à un moment où l’en- fant n’a pas encore construit ses repères corporels et tem- porels. J’ai proposé pour cela les balises que j’ai appelées

«3-6-9-12». A tout âge, il est essentiel de veiller à la qualité des programmes, de limiter le temps d’écran, d’encourager les activités de création et de parler avec le jeune de ce qu’il voit et fait sur les écrans. Tout cela permettra aux pa- rents non seulement de mieux éduquer leurs enfants, mais aussi de mieux les connaître et de mieux connaître les écrans.

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13 mai 2015 1 Feinberg M, Willer R, Stellar J, Keltner D. The vir- tues of gossip : Reputational information sharing as pro- social behaviour. Department of Psychology, Depart- ment of Sociology. University of California, Berkeley. J Pers Soc Psychol 2012;102:1015-30.

2 Le Monde, 7 octobre 2007.

3 Tisseron S. L’intimité surexposée. Paris : Ramsay, 2001.

4 Reichelt L. Conférence Future of Web Apps. Lon- dres : 2007.

5 Tisseron S. Intimité, extimité, communications. Cul- ture du numérique. Paris : Seuil, 2011;88.

6 Hampton KN. Neighborhoods in the network so- ciety : The e-neighbors study, in Information, Commu- nication & Society. Special Issue : e-Relationships 2007;

10:714-8.

7 Steinfeld C, et al. Social capital, self-esteem, and use of online social network sites : A longitudinal analysis.

J Appl Dev Psychol 2008;29:434-45.

Autres références

** Bach JF, Houdé O, Léna P, Tisseron S. L’enfant et les écrans, un avis de l’Académie des sciences. Paris : Le Pommier, 2013.

* Tisseron S. Apprivoiser les écrans et grandir. Tou- louse : Erès, 2013;3-6-9-12.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Une vidéo en ligne, accessible depuis le site de la Revue Médicale Suisse (www.revmed.ch), illustre et complète le propos de l’auteur.

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