894 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 avril 2010
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Principe de précaution : une déclinaison islandaise
«Eyjafjallajökull». En quelques jours le Vieux Continent a appris l’existence de ce volcan islandais situé sous un glacier et dont l’érup- tion a paralysé une fraction importante du transport aérien international. A l’heure où nous écrivons ces lignes, nul ne sait quelle sera la suite de cette spectaculaire affaire.
«Eyjafjallajökull» ? Un nom composé de trois mots islandais : «Eyja», l’île, «Fjalla», la mon- ta gne et «Jökull», le glacier. «Eyjafjallajökull»
pour rait aussi rapidement devenir le der- nier syno nyme en date du principe de pré- caution.
Au départ, mi-avril, les choses semblaient simples : comme pour toutes les éruptions volcaniques ce fut d’abord un spectacle ra- pidement qualifié de «catastrophe naturelle» ; le rappel brutal que la Nature peut prendre différents visages à l’exception notable de celui de cette étrange «mère maternante»
que vénèrent nombre de Verts. Rencontres de laves sous pression et de glaces suivies de projections dans la stratosphère. Puis constitution d’un énorme nuage de parti- cules volcaniques ; un nuage invisible en- flant et progressant vers l’Est. Mais nous restions alors dans le vieux registre (presque oublié) de la fatalité ; avec son corollaire : pas de quête de bouc émissaire, aucune voix pour réclamer l’identification en urgence des responsables et leur traduction immédiate devant les tribunaux. Puis tout commença à basculer avec l’interdiction décrétée des espa- ces aériens nationaux européens pour pré- venir toute forme de «crash» du fait de la rencontre des particules et des réacteurs. Des
centaines d’avions condamnés à ne plus prendre l’air ; quelques millions de voya- geurs condamnés (pour combien de temps ?) au non-rapatriement.
L’affaire prit en quelques jours la dimen- sion d’un gigantesque collapsus asphyxiant, un infarctus planétaire. Avec les infinies con- séquences économiques que l’on peut ima- giner et qui ont progressivement gommé la dimension «naturelle» de la catastrophe ; sans pour autant que les responsables scientifi- ques et politiques soient en mesure d’éclai rer l’opinion. Quand on lui demanda, dans les premiers jours, pourquoi cette affaire com- portait autant d’incertitudes, Jean-Louis Borloo, ministre français de l’Ecologie, de l’Energie et du Développement durable ré-
pondit, fort justement, que c’était «parce que personne ne sait comment éteindre un volcan». «Nous rencontrons exactement les limites de la toute puissance de l’homme, ajouta-t-il. Notre technologie ne va pas au- delà de la nature». On conviendra que c’est là un bien étrange pléonasme ministériel ré- publicain. Que serait une technologie qui irait «au-delà» de la «nature» ?
Toujours dans les premiers jours, l’Asso- ciation internationale du transport aérien annonça que la paralysie décrétée coûterait chaque jour près de 200 millions d’euros aux nombreuses compagnies concernées. Et ces dernières commencèrent bien vite à faire pres- sion pour obtenir la réouverture des espaces aériens, accusant ouvertement les autorités nationales européennes d’un «excès de pré- caution». Où réapparaît le pur principe du même nom et la polémique qu’il génère dé- sormais de manière récurrente : «trop en faire»
versus «ne pas en faire assez». Ces dernières années, cette polémique ne semblait guère pouvoir sortir des frontières de l’Hexagone.
en marge
NASA image by Jeff Schmaltz
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 avril 895 Tel n’est plus le cas aujourd’hui : d’essence
naturellement atmosphérique, elle s’est d’em- blée installée à l’échelon international.
Question : sommes-nous bien ici dans le cadre du principe de précaution ? Rien n’est moins certain si l’on s’en tient à la définition qu’en donne la Constitution française : «Lors- que la réalisation d’un dommage, bien qu’in- certaine en l’état des connaissances scienti- fiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du prin- cipe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procé- dures d’évaluation des risques et à l’adop- tion de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.»
A ce stade les inconnues sont trop gran- des, le feuilleton trop débutant pour que l’on puisse en tirer les leçons qui devront en être tirées. Mais, qui sait, peut-être revien- drons-nous bientôt sur l’affaire «Eyjafjalla- jökull» ?
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
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