Léon LORRAIN
Professeurà l’École des Hautes Études Commerciales Secrétaire de laChambre
de Commerce
LA VALEUR
ÉCONOMIQUE
DU
FRANÇAIS
Prix
: 10sous
Bibliothèque
de
V Action française
Lisez et faites lire
£ jtfction
française
Organe de la“Liguedes Droits du français”, centre d’actionauservicedelalangue,de lacul- ture etdes traditions françaisesau Canada,
L
1Action française traiteàfond touteslesquestionsnationales.L
1Action française publie des articles des premiers écrivains du pays.h
fAction française donne danssa partiedocumentairelesprinci- pales pièces relatives à la question bilingue, aux luttes scolaires, etc. Cette collection offre un intérêt de premier ordre.L”Action française renseigneles uns sur les autres lesgroupes français d’Amériqueet ne traite que de questions qui les intéressent.
h
1Action française publie actuellement(1919),unesérie d’articles intitulée Les Précurseurs, où sont évoqués par la plume d’écrivains connus, quelques-unes desplus intéiessantes figures de notre his- toire.
Pour les abonnements, annonces ou toute autre communication, écrireàî
l’Action française
Immeuble
“La
Sauvegarde”
MONTRÉAL
1917
(très rare)
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19~Î8
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FRANCO
$ 1.22
par
année
Tousles
abonnements partent dejanvier.
La valeur économique du
français
1Le français a une haute valeur économique. Cela
va
sans dire, pensera-t-on peut-être; je crois qu’à notre époque et dans notre pays, celava
beaucoupmieux
enle disant Je ne
me
dissimule pas,du
reste, qu’il neme
suffit pasde l’affirmer : c’estpourquoij’apporte desfaits et j’amène des témoins.
Personnene contestelesbeautés delalanguefrançaise, pas
même
ceux qui n’en ontqu’entendu parler, pasmême
ceux qui ne les ont goûtées, si j’ose dire, que dans les
romans
populaires. Mais, précisément parcequ’ilsrecon- naissent sapuissancedansl’expressionlittéraire, plusieurs nient ou sous-estiment lavaleur économiquedu
français.Il
y
a desgenspressésqui,dansleurhâte de toutétiqueter, décrètent que le français est la langue de la diplomatie, de l’éloquence déclamatoire,du
marivaudage, et quel’anglais est lalangue des affaires.
Malheureusement
ce n’estpasaussisimplequeça.Lefrançaisest
un
langage subtil, nuancé :il suggère,il insinue, il laisse entendre, si on le désire, tout autre chose que ce qu’il exprime; mais il a,
quand
on le veut, une précision telle que nul n’y saurait découvrir deuxsens. Cette précision uniqueest si bienreconnue queles négociateurs de la paix entre la Russie et le Japon, en 1906,
y
ont eu recours afin de prévenir tout malentendu.L’article 25
du
traité russo-japonais est ainsi conçu :«Le présent traité sera signé en français et en anglais.
Les textes en seront absolument conformes; mais en cas de contestation dans l’interprétation, le texte français fera loi. »
Or
les qualités qui valent au français d’être le langage de la diplomatie—
la limpidité, la précision,1 ConférenceprononcéeàMontréal,souslesauspicesde YActionfrançaiseet la présidenced’honneur deM.lesénateur Belcourt,le18décembre 1919.
l’ordre
—
n’en font-elles pas une langueéminemment
propre aux grandes opérations commerciales?
Quelques-uns assurent
que
le françaismanque
de concision.Ce
sont ceux que leur vocabulaire étriqué contraint de périphraser. Le mauvais ouvrier se plaint toujours de son outil. Si ceux-là se rendaientcompte
de leur insuffisance, ils auraient peut-être moins de suffi- sance. Ily
a en anglais, il est vrai, des termes dontl’équivalentenfrançais est
un
peuplus long. Seulement,comme
des locutions intraduisibles se rencontrent dans toutes les langues, cela ne prouve rien.N’est-ilpaspuérildemesurerlaconcisiond’une langue àlatraduction d’une formule?
Au
parlementdu Royau-
me-Uni,le 7mars
1917,M. John Redmond,
reprochant sonindécision àM.
LloydGeorge, déclarait quela politi-que irlandaise
du
premier ministre pouvait se formuler par Waitand see.Et
le Manchester Guardianrapportait que l’extrême concision de cette phrase décourageait les correspondants des journaux de langue française à Lon-dres,etque
M.
Coudurierdu
Journalde Genève, qui avait seulessayé detraduire cestroismots,avaitdû
enemployer sept : «Attendezetvousverrezcequi arrivera. »Il arrivera qu’un jour, à la
Chambre
des députés,M. Clemenceau
répondra à quelqueinterpellateur parun
impénétrable «Nous
verrons. »Et
alors le correspon- dant parisiendu
Manchester Guardian traduira ces deuxmots
par ces neuf-ci :We
shall see to this at somefuture date.Et un
Français affirmera, avec tout l’aplomb que donne l’ignorance, que l’anglaismanque
de concision.Et
lapreuveserafaite, je crois,quece n’est nilefrançais, ni l’anglais quimanquent
de concision, mais que c’est lemauvais traducteur ou le correspondant prolixe, à moins quece ne soit l’intarissable conférencier.
Je songeais à cela l’autre jour en tramway. (Que
faire en
un tramway
à moins que l’on n’y songe?)Un ami
vint s’asseoir près de moi. Je lui fis part demes
réflexions. Mais, avec
un
sourire oùl’ironie setempérait d’un peu de pitié, ilme
désigna d’un index péremptoire la petite pancarte bleue que, dans sasollicitude, laCom-
—
3—
pagnie acollée surles portes desesvoitures : Doorwill beopenedonly
when
carstops.La
portenesera ouverte qu'à l'arrêt du tramway.Tu
vois bien, triomphamon
ami, que le français est pluslong quel’anglais.—
Plus long sur la pancarte de la Compagnie, j’en conviens.Mais
si l’on avait écrit :On
n'ouvre qu'à l'arrêt,comme
nous nesommes
pas au Japon, tout lemonde
ne comprendrait-il pas que c’est la porte qu’on ouvre,etnon
lewattman
?On
prétend souvent que la correspondancecom-
mercialefrançaisemanque
de concision à cause des for-mulesdepolitesse : «Veuillezrecevoir l’assurancede notre considération ». «Agréezl’expression de nos sentiments dévoués », etc.
Et
l’on admire la brièvetédu
«Yourstruly. » Il
y
amême
des Américains qui suppriment toute phrase de politesse à la fin de leurs lettres. Je nesuis pas encore convaincu, cependant, que le
manque
d’urbanité dansla conversationoulacorrespondance soit
un moyen
pratique de réussir,même
dans les affaires.Un
Américain qui a vécu en Francemet
en garde ses compatriotes contre la trépidationdu
traditionnel voya- geur decommerce
yankee, dont le plus parfaitmodèleest celuiquisurgitcomme un
polichinelle àressortdansvotre bureau, et d’unseulmouvement
de samain
experte vous extraitlecigareque vousavezentrelesdentsety
substitueun
échantillon de lamarque XX,
dont l’autre bout est misencontact aveclaflamme
d’un briquet delamarque
ZZ. L’Américain qui a vécu en France dissuade ses compatriotes de tenter de vendre quoi que ce soit àun
Bordelais entre l’express de 7 h. 43 et le rapide de 8 h.02. Il faut, pour traiter une affaire en France et dans plusieursautrespays,prendreletempsd’enparler,prendre
letempsd’êtrepoli.
D’autres, niant l’existence de ce qu’ils ignorent, affirment tranquillement que lalangue française
manque
de mots. Il faut s’entendre.
Une
revue d’Angleterre notaitrécemment
que le Standard Dictionary donne la définition d’environ 350,000 mots anglais ou étrangersplus ou moins naturalisés; mais que Shakespeare n’a fait usage que de 16,000 mots, que Milton n’en a utilisé que 8,000 et quel’Anglais instruit ne se sert de nos jours que de 3 à 4,000 mots, tandis queles journauxn’enemploient guère plus de 2,000.
Un
petit dictionnaire français queje connais... de vue contient 85,000 vocables, assure l’éditeur, etj’aime
mieux
lecroiresur parolequed’y aller voir. Mais,même
si l’éditeur exagèreun
peu, ceux qui nei trouvent pas là-dedans les mots qu’il leur faut pour fa re leurs affairesme
paraissentbienexigeants.M.
A. Barton Kent,recommandant
l’adoption de l’esperantocomme
langue commerciale universelle, dans une conférence devant laChambre
decommerce
de Londres, le vendredi 31mai
1918, faisait la déclaration suivante : <( Consentirions-nous à adopter une autre langue nationaleque lanôtreet àdonnerainsiun énorme
avantageàl’unde nos concurrents?Non.
L’Allemagne adopterait-elle l’anglais? Mille fois non... Serait-il juste dedemander
à nosalliésles Français ou les Italiens d’adopter notre langue? Je ne le crois pas.Mais
siquelque langue vivante pouvait prétendre remplacer touteslesautres,jepensequeceseraitlefrançais. Depuis
un
grandnombre
d’années, c’est lalangue diplomatique,, bien que j’aie souvent entendu des observations peu flatteusessurlefrançais de notre ForeignOffice. Lefran- çais est plus limpide et plus précis que l’anglais, et la prononciationen est plus facile aux étrangers. »Lefrançaispossède donc,
même
auxyeuxd’un apôtre esperantiste, plus que toute autre langue vivante, les qualitésd’unebonnelangue commerciale.* * *
Mais
quelle est la meilleure langue commerciale?La
réponseestfacile :c’est lalanguequeparlevotreclient.Sivousvoulez vendre quelquechose aux Chinois, lameil- leurelangue commerciale, n’en doutezpas,c’estlechinois.
L’idéal serait donc que tout exportateur fût polyglotte? Qu’il soitseulement bilingue et ce seratrès bien.
Quand
—
5—
on connaîtl’anglais et le français on peut faire des offres
au
monde
entier.Ce
fut longtemps l’erreur de l’Angle- terre de croire que l’anglais seul suffisait. Le résultat en aétéque souvent, jusqu’àlaguerre, c’étaitdes agents allemands parlantlefrançais qui représentaientenFranceet dans quelques autres pays, des industries anglaises.. .
en
même
temps que des industries similaires allemandes.Aux
industries anglais qu’ils représentaient, ces courtiers dont lamain
gauche ignorait ce que faisait la droite, transmettaient juste ce qu’il fallait decommandes
pour qu’on ne les remplaçât pas par des concurrents redouta- bles; aux industriels allemands qu’ils représentaient beaucoup mieux, ils passaient les grosses affaires.Ces procédés n’étaient pas mis en
œuvre
qu’en France. Depuis la guerre, qui nous a appris tant de choses, on en a relevé la trace dans d’autres pays où le français—
plusrépandu qu’onnele croitgénéralement—
est la langue auxiliaire.
Mais
oncommence
à s’aviser de la grande diffusiondu
français dans le monde. Parlé par des masseshomogènes
de 39 millions en France, de 4 millions en Belgique, d’environ 3 millions au Canada, d’un millionetdemi
auxAntillesetdansla Guyane, d’un millionàHaïti, deprès d’unmillionen Suisse,lefrançais, que connaissent plusieurs centaines de mille habitants des autrespays de l’Europeet quiest lalangue demillions de coloniaux parmilesquelsson expansion est trèsrapide, est aussi largement répandu sur tout le littoral de la Méditerranée, en Égypte où il est la langue seconde, dans le Levant où dès leXlIIe
siècle laChambre
deCommerce
de Marseille organisait la pénétrationcom-
merciale. C’est précisément à cause de cette grande diffusion qu’il est difficile d’apprécier l’importance
du
français en tant que langue commerciale, parce que les statistiques internationales, qui font d’intéressantes cons- tatations dansles populations compactes, ne tiennent pas compte des groupes épars.
A
défaut de statistiques, il est facile de recueillir, enlisant des ouvrages spéciaux, en feuilletant des publica-
tionscommerciales,
même
enparcourantlesjournaux,une fouledefaitscaractéristiques.Un
jour, en pleine guerre, une délégation bulgare se rendit auprèsdu
gouvernement austro-hongrois dans lebut de discuter des questions d’intérêt
commun. Mais quand
l’un des délégués voulut prendre la parole, unedifficulté inattendue surgit : Bulgares et Austro-Hon-
grois, quipourtant s’entendaient
comme
Teutons enfoire,ne se comprenaient point. Ils ne parlaient pas la
même
langue. Après avoir tenté de s’exprimer en divers idiomes,ilsdurentavoirrecoursaufrançais.
Sait-on que dans l’Empire
ottoman —
ou ce qui en reste—
le français est la langue européenne la plus con- nue?M.
Marius André, dans le Guide psychologique du Français à Vétranger, rapporte qu’afin de développer leur influence à Constantinople, les Allemandsy
fondèrent en 1909un
journalen langue allemande.Mais
niles Turcs, ni les Arméniens, ni les Syriens, ni les Arabes, à qui il était destiné, ne lelisaient : les abonnés étaient tous des Allemands.Pour
que le journal atteignît son objet, ilfallutmettre,enregard
du
texteallemand,laversionfran- çaise. Ily
amieux
encore.On
sait qu’avant la guerre une partiedu
chemin de fer deBagdad
était construite, et que c’était une entreprise allemande.Eh
bien! la langue écrite et parlée par l’administration et le per- sonnel, c’était—
puisqu’on ne pouvait pas faire autre-ment —
c’était le français.Sil’onveutconstatercombienlefrançaisestrépandu dans l’Amérique méridionale, il suffit de jeter
un
coup d’œil surun
petit tableau accusant en francs la valeur des importations de livres européens dans les quatre principales républiques sud-américaines pendant les cinq années qui ont précédélaguerre :République
argentine Brésil Chili
Uruguay
France 950,000 2,858,000 305,000 605,000 Allemagne... 880,000 706,000 61,000 306,000Italie 746,000 400,000 800,00 54,000
Espagne 1,850,000 1,650,000 450,000 280,000
—
7—
Dans
toutes ces républiques, sauf le Brésil qui est portugais, la langue maternelle est l’espagnol.Or
le totaldes envois delivresdanscespaysest,pourlaFrance de 4,718,000francs, alors que pour l’Espagneiln’est que de 4,230,000francs.Lefrançais est
même
siconnu auChiliqu’enmai
1914laFaculté deMédecinel’adoptait
comme
langueofficielle,au
même
titrequelecastillan, quiest lalanguenationale.Au
surplus, les journaux canadiens rapportaientrécemment
les paroles d’unhomme
d’affaires de Détroit qui, revenant del’Amérique méridionale, déclarait quelereprésentant de
commerce
ayant une culture française (French scholar) a de grandes chances de succès dans lespays sud-américains, parce que tous les gens des classes instruites parlent cette langue.
La
Gazette ajoutait ce commentaire : « Les commerçants et les industriels de Montréal ne devraient pas avoir de difficultés à trouver de bons agentsà déléguer dansle sud. Ily
a, dans notreville,
un
grandnombre
de jeunes gens qui parlent avec une égale facilité l’anglais et le français. Il est difficilededire dequelleraceils sont. »
Nous, nousle savons.
* * *
Ces faits et des dizaines d’autres semblables, à peu près ignorés avant la guerre hors des pays de langue française, sont aujourd’hui assez généralement connus.
Ils attestent Futilité
du
français dans lecommerce
inter- national. Et puiscomme
la France, hier le principalchamp
de bataille, serademain
lemarché
le plus intéres- sant, des milliers d’étrangers ont éprouvé le besoin et trouvé l’occasion d’apprendre le français.Ceux
qui en avaient déjà une connaissance suffisante ont rendu des services à la cause alliée tout eny
trouvant pour eux-mêmes
de légitimes avantages. Il serait facile de citer des exemples; mais, tirés d’une situation extraordinaire,ilsne seraient pas probants. Il
me
paraît plusconcluant de montrer que plusieurs pays, la Grande-Bretagne entête,reconnaissentenfinla valeuréconomique dufrançais.
Le premier ministre
du Royaume-Uni
a formé, au plus fort de la guerre,un
comité ayant pour objet d’en- quêter sur la situation des langues modernes dansl’orga- nisation de l’enseignement (to enquire into the 'position ofmodem
languages intheeducationalSystemof Great Britain).Ce
comité, présidé parM.
Stanley Leathes etcomposé d’hommes
éminents, a siégé 49 jours, a visité les univer- sités d’Angleterre et d’Écosse, a interrogé 136 témoins : commerçants, financiers, industriels, éducateurs,représen- tants dela Marine, de la Guerre, des Affaires étrangères,du Board
of Trade, etc. et il a soumis cette annéemême
au Parlement britannique son rapport dont plusieurs constatations et conclusions sont
du
plus haut intérêt.Au XVIe
sièclel’excellence delalittératurefrançaise engageait les Anglais à apprendre le français; mais ledéveloppement de la littérature anglaise restreignit bientôtl’étude deslangues étrangères, qui
demeura
néan- moins en honneur dans les grandesfamilles.Au
XVXIIe, grâce auprestige delaFrance,lefrançais devintlalangue étrangère la plus étudiée en Angleterre; son influence, accrue par les émigrés, était telle que les'hostilités qui durèrent de 1793 à 1815 ne l’entamèrent point. Aprèslapaix de 1815d’étroites relations serenouèrent entreles
deux paysetletourdeFrancefutde
nouveau
àlamode.Pendant
la première moitiédu XIXe
siècle les gens cultivés parlaient en assez grandnombre
le français;mais, jusque vers le second quart
du
siècle, les langues modernes, enseignées dans quelques familles nobles ouriches, ne l’étaientguère dans les collèges.
Des
rapports de commissions d’enquête mettent au jour, cependant, qu’en 1864 lefrançais et l’allemand étaient obligatoires à Wellington, et que l’étudedu
français fut introduite à Christ’s Hospital vers 1835.En
1886 onétablit àCam-
bridge des cours de langues médiévalesetmodernes;mais, au lieu de voir dans le langage d’un peuple l’expression de son génieetlacléde sonhistoire,l’onnecherchaitdans
les littératures que des
morceaux
à analyser, des pièces anatomiques.On
n’enseignait pas à parler les langues modernes : jusqu’à 1894 il n’yavaitmême
pas d’examen—
9—
oral. C’est alors qu’on introduisit dans les
programmes
l’épreuve de prononciation,maisce n’estqu’en 1909qu’ony
ajoutauneépreuvefacultative de conversation. Enfin, depuis 1917,lescoursréorganiséscomportentl’étude dela langue, del’histoire,delalittérature,delavieetdelapen- sée des cinq principales nations européennes. L’histoire deCambridge
est à peu près celle d’Oxford, où l’on ne fonda qu’en 1903 des cours de français, d’allemand, d’italien, d’espagnolet,en 1904,derusse.Trop
souvent, dansles écoles d’Angleterre,leslangues vivantes furent enseignées àl’aidedeméthodescrééespour l’enseignement des langues mortes; trop souvent aussi ces matières furent considéréescomme
propres aux moins doués, desorte que lesprofesseurs, ayant des élèvesd’une intellection laborieuse,eurent des ambitionsbornées. Les examens,du
reste, nefavorisaientaucunement
l’enseigne-ment
des languesmodernes, puisqu’ilsne comportaient,lànon
plus, aucune épreuve orale : on s’en tenait à des rédactions surdes sujets imposés, à desinterrogations sur la grammaire auxquelles l’étudiant pouvait répondre parle
mot
àmot
de son livre.Et
les parents étaient satis- faits, assure le rapport, pourvu que leurs fils excellassent au cricket et aufootball.Si j’esquisse, d’après le rapport Leathes, l’évolution qu’asubiedepuis quelques sièclesl’enseignementdufran- çaisenAngleterre,c’estpourbienfairevoirquel’étude de cette langue, considérée d’abord
comme
le couronnement d’une éducationaristocratique, puiscomme un
instrument de culture, à l’égaldu
grec etdu
latin, est maintenant tenue, par surcroît, pour une matière pratique. Aussi s’est-on efforcé, depuisun
certainnombre
d’années, de réaliser tous les progrès possibles. Les budgets de l’enseignement ont gonflé, on a créé de nouvelles écoles secondaires décentralisées où les langues modernes sont enseignées davantage et à l’aide de meilleures méthodes.Les commissaires
du
Service civil font maintenant au français et à l’allemand, dans les concours d’admission, uneplaceégaleàcelledu
grecetdu
latin.Les dépositions des témoins interrogés par le comité Leathes sont souvent péremptoires.
Des
centaines de réponsesauquestionnairedresséparlecomitéetprovenant de chambresdecommerce
etde grandesfirmes, reconnais- sent que l’ignorance des langues étrangères a été une entrave au développementdu commerce
britannique.Ceux
qui saventune
langue autre que l’anglais déclarent que cela leur a été très profitable.Un
grandnombre
de compagnies conviennent qu’elles ontmanqué
des affaires faute de notices, catalogues, prospectus, devis, en langue étrangère. Quatre-vingt-treize grandes maisons encou- ragent leurs employés à apprendre des langues vivantes enpayantleurs cours, parfoismême
en enorganisantdans leurs bureaux.Dans
certains établissements la connais- sance d’une seconde langue vaut une prime ou une aug- mentation de traitement. D’autres envoient leurscom-
mis à l’étranger.Et
voicidescitations oùiln’est questionquedu
fran- çais :Trenteet
un
professeurs d’universitéécrivent : «De
tous les besoins, le plus pressant, à notre avis, c’est la création immédiate de chaires de français dans toutesles universités britanniques où il n’en existe pas déjà. »
« L’importance d’une langue-
—
conclut le comité—
peut être déterminée parl’apport
du
peuple qui la parle dans le développement de la civilisation moderne, par la valeur intrinsèque de la littérature dont elle est l’expres- sion, parsa contribution àla science contemporaine,par
l’usage qu’ilen estfait dansles échanges
commerciaux
et les relations nationales.Le
français est de beaucoup la languelaplus importante dansl’histoire dela civilisationmoderne. »
Et
encore : «Même du
seul point de vue pratique, la grande majorité de nos témoins assigne au français la premièreplace.Non
seulementlefrançais estlelangage diplomatique, mais dans les paysoù
l’on ne parle pas l’anglais, le français est généralement lemoyen
decom-
munication entre deux personnes de nationalité dif- férente. »—
11—
Etenfin : « Sous tous rapports lefrançais est, pour nous Anglais surtout, la plus importante des langues vivantes; il a et devrait conserverla première place dans nos écoles etdans nosuniversités. »
Le comité Leathes n’a fait que constater
un
étatd’espritdontilest faciled’observerlesmanifestationsdans diversdomaines,
notamment
danslessphèrescommerciales où le besoin d’apprendre le français est plus évident et plus immédiat qu’en d’autres milieux. Les chambres decommerce
de Grande-Bretagne reconnaissentmieux
que jamais, nousl’avons vu, l’importance deslangues envue
de l’expansion économique.Le
Weekly Bulletin, publié parleministère canadiendu Commerce
et de l’Industrie, contenait en février 1916 l’information suivante : «Un
comité spécial
nommé
par laChambre
deCommerce
d’Aberdeen (Écosse) afin d’étudier la questiondu com-
merced’après-guerre, afaitunesériederecommandations.Il préconise la création d’un ministère
du Commerce,
le choix de consuls d’origine britannique et l’attribution de pouvoirs plus étendus à ces fonctionnaires, la refontedu
régime d’instruction publique, surtout sous lerapport de l’enseignement des langues modernes, qui devrait être obligatoire dans toutes les universités. »Ce
courant d’opinion, général dans les chambres decommerce du Royaume-Uni,
s’exprime nettement dansles chambres de
commerce
britanniques à l’étranger, quiveillent de plus près au développementdu commerce
extérieur anglais.
La
British Chamber ofCommerce
de Paris acommuniqué
à ses membres, dans son rapport annuel de1917,lerésultatd’uneenquêteconduite par son comité de l’enseignement commercial.En
voici les con- clusions : « Il serait désirable de consacrer beaucoup de temps, dans les écolesdu Royaume-Uni,
à l’étude des langues modernes qui devraient être enseignées plus tôt auxécoliers... Les langues modernes les plus utiles dansle
commerce
sont les suivantes : français, espagnol, por- tugais, allemand. »Il n’y a pas que les
hommes
d’affaires de Grande- Bretagnequi apprécient depuis quelques années lavaleuréconomique
du
français.La
Equitable TrustCompany
deNew-York
vientdes’enrendrecompte,etsadécouverte lui a paru assez importante pour justifier la publication d’unmémoire
qu’ellerépand danslescerclescommerciaux
des Etats-Unis : « Les institutions financières,— y
lit- on—
les principaux négociants et parfois les Etats devraient s’unir pour fonder dans chaquecommunauté
desécoles decommerce,ou
du
moins pourintroduiredansles écoles l’enseignement pratique des langues étrangères, surtout
du
français, de l’espagnol etdu
russe. »Au moment
oùindustriels etcommerçants
des États- Unis envahissent lemarché
français, la collaborationdu
groupe franco-américain ne leur sera-t-elle pas indis- pensable?Au Japon même,
oncomprend
maintenant l’utili édu
français en tant que langue commerciale. E'Infor- mation d'Extrême-Orientnotait,il ya quelques mois,qu’un grandnombre
d’industriels et decommerçants
japonais se sont mis à l’apprendre. Le Conseil de l’Instruction publiquedu Japon
manifestait dernièrement le désir«que les autorités encouragent les directeurs de lycées à enseigner à l’avenir le français ou l’allemand à leurs élèves au lieu de l’anglais exclusivement ».
Et
les direc- teurs des écoles techniques supérieures proposaientque
«la langue étrangère sur laquelle doivent être interrogés lescandidats àl’admissibilitésoitdésormaislefrançais
ou
l’allemand, au lieu d’être exclusivement l’anglais,
comme
auparavant. »
Tout
lemonde
sait combien l’enseignement des lan- gues étrangères était développé avant la guerre en Alle- magne,et quelsavantagescetteformationprésentaitpourle développement
du commerce
extérieur. Je citeraicependant
un
témoin, dont la déposition fera voir quel parti les industriels allemands en tiraient.M.
Daniel Bellet,mort
en octobre 1917, qui était secrétaire perpé- tuel de la Société d’économie politique de Paris et pro- fesseur à l’École des Hautes Études commerciales, écri- vait en 1916 dans son livre sur leCommerce
allemand:«... Il suffit d’avoir été mêlé au
monde
de la technicité,-
13—
d’avoir parfois
demandé
des renseignements, des docu- ments à des maisons de construction allemandes, sur telsou tels travauxexécutés par elles,
demandé
demême
des renseignements sur des produits ou des procédés à quel- qu’une des grandes fabriques germaniques, pour avoir été inondé, presqueauretourdu
courrier,sous une multitude de documents souvent photographiques. Ces documents étaienttrèsfréquemment
rédigésetimprimés enfrançais. »Les Allemands, qui ont eu pendant la guerre bien des aberrations, n’ont pas eu celle d’interdire l’enseigne-
ment du
langage de leurs ennemis.Tout
au contraireilss’efforçaient,pendantlesaccalmies,dediffuserlalangue française en faisant circuler dans leurs tranchées le Petit Parisien. .
.
de
Hambourg.
EtJ. C., négociant à Dussel- dorf, constataitencestermesl’utilité de cette intelligente initiative : «Quoique j’aie habité pendant longtemps la France, je dois reconnaître que j’ai toujours appris quel- que chose denouveau
par la lecture de votre journal le Petit Parisien. C’est précisément pendant la guerre que cejournalest d’une haute importance pourchacunde nos commerçants. »* * *
Si, pour réaliser toute l’expansion économique pos-
sible,
ü
est utile d’apprendre le français en Grande-Bre- tagne et aux États-Unis, au Japon, en Allemagne et ail- leurs, n’est-ce pas nécessaire au Canada, où le tiers de la population est de languefrançaise, et oùse prépare encemoment
l’assaut des marchés extérieurs?Nous
nesommes
sûrementpasmoinsdedeuxmillions et quart dans notre bonne province de Québec, et des centaines de mille des nôtres ont débordé dans les autres provinces. Grandes familles, gros consommateurs, nous constituons une clientèle intéressante à laquelle d’honnê- tesindustrielsontariensveulentbien reconnaîtreuneassez hautemoralitécommerciale.Nous sommes
entrèsgrandnombre
bilingues; mais, parlant l’anglais par nécessité à ceux qui ne connaissent pasd’autre langue,nousparlons françaisd’instinct,comme
nousrespirons, etnousdévelop-ponsainsien
Amérique
delavie française. C’estpourquoiles acheteurs
même
bilingues sont plus faciles à convain- crequand
onleurfait des offres dans leurlangue.Nous
avons aussi, pour parler français, des raisons secondaires qui sont encore toutes à notrehonneur;par exemple, notre délicatesse et notre serviabilité. Si nous correspondons en français avec les honorablesmembres du
cabinet fédéral, c’est que nous serions désolés que le moindre d’entre eux s’imaginât que nous lui faisons l’injure de supposer qu’il ignore l’une des deux langues officiellesde ce payset celle des gens cultivés de tous les pays. Si
nous parlons français dans les bureaux et les grands magasins de Montréalet d’ailleurs, c’est que nousvoulons insinuer discrètement aux patrons qu’un personnel bilin-
gueleurrendplusdeservices et leurpermetderecruterune plus nombreuse clientèle dans une grande province et dans
un
vastemonde
oùtous les gensne parlentpasl’an- glais.Pour
cequi est delaprovince de Québec, l’utilitédu
françaisest, bienentendu, incontestée. Elleestreconnue
même
par les industriels ontariens qui, ignorant tout de notre langue, s’en rapportentimprudemment,
pour la traduction de leurs circulaires et autres imprimés, à des experts torontoniens dontles incroyablesproses sontpour nous une source de gaîté.Nous
en rions beaucoup, trop peut-être.Tout
en déplorant leur ignorance, dont ilssont les premières victimes, constatons que, s’ils sont volés,leurinitiativen’en témoignepas moinsdelavaleur économique
du
français.J’ailu, dans
un manuel
decorrespondancepubliéaux États-Unis, qu’il est recommandable,quand
on s’adresse à la clientèle féminine, de glisser dans son texte certains mots français, tels que chic, fin de siècle, dernier cri.Encore qu’en 1918 fin de siècle ne soit pas tout à fait dernier cri, le procédé est peut-être bon.
On
l’emploie aussi ailleurs.On
sait qu’à Paris quelquesmots
anglais font bien dans le langage boulevardier, où il est smart d’employer fashionable et high life.Mais
baragouiner n’estpas parler. Et pourétendrelanotoriétéd’une mar-—
ils—
que,pourcréerdesaffairesetleurdonnertoutel’extension qu’elles sont susceptibles de prendre dans la province de Québec, en France, danslemonde, ilest indispensable de savoir le français. Il ne suffit pas d’en avoir appris à quelque Higln School des rudiments
—
fût-cedu
genuine français parisien—
il faut connaître lalangue afin d’être enétat d’exercerson pouvoir de persuasionsur desclientsenperspectivesollicitésdetoutes partspar des concurrents.
Rien ne serait plus faux ni plus funeste que de pré- tendre que cheznousl’enseignement
du
françaisestbeau- coup moins important au collège commercial que dansle cours classique.
Parmi
ceux qui ont fait leurs études secondaires et universitaires l’avocat est sans doute celui qui aleplusbesoin de possédersalangue,puisqu’illuifaut souvent s’efforcer, selon qu’ilale droit pourluiou contrelui, soit d’éclairer, soit d’obscurcirl’intelligence d’un juge ou la conscience d’un jury.
Le
commerçant, qui n’a presque jamais dépassé le collège commercial, peut-il se dispenserimpunément
d’une solide connaissancedu
français, luiqui par ses lettres, prospectus, prix-courants, cataloguesetautrestextes,doitrépandre chaquejourchez
le plusgrand
nombre
possiblede genslaconfiance, lacon- viction, l’enthousiasme, le goût d’un article, le désir de l’acheter? Les relations commerciales étant avant tout des rapports humains,comment
pourrait-on prétendre qu’on enseigne les affaires sil’on négligeait d’enseigner la langueaumoyen
delaquelleelles setraitent?Le TorontoGlobe signale, parmiles
moyens
d’appren- drelefrançais, celuiqu’ontprisdix milleSammies
qui ont épousé des Françaises. Cet excellentmoyen
n’est pas malheureusement à la portée de tout le monde, mais ily
en aun
autre qui est à la portée de tous les Anglo- Canadiens,—
c’est delelaisser enseigner dansles provin- ces anglaises.* * *
La
concurrence mondiale, personne n’en doute, sera désormais plus âpre que jamais.La Grande
Guerre, qui aprofondémentmodifiélavieéconomiquechezlesneutrescomme^chez
les belligérants, a provoqué dans certainspays
un
gigantesque développement, danscertains autres une profonde dépression.Or
les uns et les autres, soitpouralimenterleursoutillages, soit pourreconstituer leur richesse, auront besoin d’exporter.
Le
Canada, à quilaguerrea coûtébeaucoup desang et beaucoup d’or,y
auratrouvé—
sans qu’ily
ait jamais compensation, certes ! quelques avantages pratiques.En
nous fermant les marchés extérieurs, laguerre nousa révélé notre puissance financière; en exigeant de notre paysun
rendementmaximum,
elle nous a révélé notre puissanceindustrielle.Et comme
leCanada
a unefaible population, la rupture d’équilibre s’est accentuée entre nos facultés de production et notre capacité de consom- mations.Nos
excédents exportables seront donc àl’ave- nirbeaucoupsupérieursàcequ’ilsétaientavantlaguerre.En
1913, dernièreannée normale, nous avonsexporté pour $355,754,600 de marchandises canadiennes dont la destination s’estrépartie de la manièresuivante :Empire
britannique :54 pour 100 États-Unis : 40 pour 100c’est-à-dire que 54 pour 100 de nos exportations a été livré dans l’Empire presque uniquement par la marine
marchande
britannique, et 40 pour 100 s’est dirigé vers l’Union parchemin deferou àbord decaboteurs battant pavillonétranger.Des
6pour100 quirestent,1 pour100 est allé en Belgique, et une fraction de 1 pour 100 a eu pour destination, par ordre décroissant d’importance, lespays dont les
noms
suivent : Allemagne, Hollande, France, Argentine, Russie, Cuba,Japon
et trente autres oùlaproportionestinappréciable.Ces chiffres sont faciles à interpréter. Ils accusent nettement, outre quelquesfaitssecondaires, notre
manque
de capitaux et surtout de marine marchande. Les capi- taux étrangersengagés dans nos industries en attirent les produits, qui sontlivrés aumonde
par desintermédiaires, et notre recoursau tonnage étranger aggrave cette situa~tion désavantageuse.
—
17Mais, sous cedouble rapport, la situation s’améliore.
Jusqu’àla guerre, lorsquenous avions besoin de quelques centainesdemillions dedollars,nous trouvions tout natu- reldelesemprunteràLondres ouà
New-
York.Pendant
laguerre, le public canadien a souscrit des obligations de l’État pour plus d’un milliard et demi; il a absorbé des émissionsmunicipaleset autres dontauparavantles titres tombaient en partie dans le portefeuille étranger; et,
malgrécela,les dépôtsdanslesbanquessontplus considé- rables quejamais. L’épargnepopulaire, ainsidéveloppée et familiarisée avec les placements mobiliers, collaborera désormais plus volontiers sans doute avecle travail dans l’industrie nationale.
Pour
l’écoulement de notre productionnouspossédonsun
puissant réseau de transports intérieurs. (Si nous n’avons pas encore le canal de la baie Géorgienne, en revanche nous avons déjà un transcontinental de trop !)Le point faible de notre pays, auquel ses
immenses
res- sources et sa situation entre Europe et Asie réservent les plus brillantes destinées économiques, c’estlemanque
de flottede commerce.Mais
l’Étaty
remédie. Quoi qu’onpuisse penser de la substitution
du
pouvoir public à l’initiative privée, noussommes
en présence d’un faitaccompli dont ilfaut tirer le meilleur parti possible. Le mardi 3 décembre à midi, aux chantiers Vickers dont l’emplacement a étéreconquis surle fleuve, lady
Borden
coupait les amarres enrubannéesdu
Canadian Pioneer, premier cargo de lamarinemarchande
nationale. L’évé-nement
fait époque puisque c’est la première fois que lepavillon de
commerce
canadien claque*entre le ciel et l’eau. Leprogramme du
gouvernement comporte trente- neuf bateauxd’acier, dont deux de plus de 10,000 tonnes et quatorze de 8,100 tonneaux, tous en voie de construc- tion dans les dix-sept chantiers maritimesdu
Canada.Cette flotte marchande, coordonnée à notre réseau de transports intérieurs, pourra toucher tous les ports
du
globe et faire rayonner notrecommerce
sur toutes les parties accessibles de la terre.Nous
traiterons directe-ment
avec tous les pays susceptibles d’acheter nos pro-duits etde nous vendre lesleurs.
Et
l’utilité dufrançais s’affirmera delafaçonlaplus concrète.Je sens que, dans le
moment même
où j’aspire à la servir, je trahiraislalanguefrançaise—
languelumineuse élaborée par le peuple le plus logiquedu monde —
si,après avoir tentéunedémonstration, je nevousproposais
une
conclusion que,du
reste, vous avez déjà tirée sans doute.J’aiessayé defairevoird’abord que lefrançais aune hautevaleur économique, parce qu’il possède à
un
degré éminent lesqualités qui font une bonne langued’affaires, et parce qu’il est parlé,non
seulement en France, dans notre province et en Louisiane, dans la moitié de la Bel- giqueetunepartiedelaSuisse,maisencoredansdegrands pays de l’Europe continentale et de l’Amérique méridi- onale, oùil est lalangue seconde,et dans d’immensester- ritoiresdel’Asie etdel’Afrique,oùilestl’idiomeeuropéenle plus répandu, le seul connu parfois; je
me
suis efforcé de montrer ensuite que la révolution économique provo- quée dans notre pays par la guerre aura eu pour effet d’intensifier notre production et de nous mettre en état d’en distribuer lesfruits dans les cinq partiesdu monde.
Notre
commerce
ne pourra pas atteindre tous les pays sans le secoursdu
français.Quand
nos compatriotes d’autre origine reconnaîtront enfin cette vérité—
et elle est si évidente, si tangible, qu’il faudra bien qu’un jourils l’admettent
—
ils devront reconnaîtredu même coup
que l’élément françaisdu
Canada, dont le concours fut souvent dédaigné, outre qu’il apporte au groupe de race anglaise des qualités complémentaires, constitue grâce à sa langue, qui est l’une des ressources naturellesdu
Canada, l’un des facteurs de son expansion commerciale.Allocution
deM.
le sénateurN -A.
BelcourtC’est bien la minorité française d’Ontario que vous, Messieurs de VAction française, avez voulu particulière-
ment
honoreren m’appelant àprésider l’auditoiresympa-
thique et distingué quime
fait en cemoment
l’honneur d’écouterma
parole. Cet honneur s’adresse, et jem’em-
presse de le dire, aux 250,000 Canadiens, disséminés
un
peu partout dans la province voisine, et qui depuis neuf ans surtout, combattent avec une ténacité irréductible, malgré les défaillances et les défections, les haines et les jalousies, en dépit de l’insuffisance des moyens, pour assurerlavie àla langue et à laculture françaises surla terre ontarienne, etquiconserventunefoiinvincible dansle triomphe ultime de leur cause.
En
1910,nos compatriotes ontariens,mus
par leuramour
pourlalangue française etle désirde la faire plus etmieux
enseignerdansles écoles,envoyèrent douzecents délégués àOttawa
et, au congrès qu’ilsy
tinrent au mois dejanvier, proclamèrent sans jactancemaissansfaiblesse, leurattachementàlalangueetauxtraditions ancestrales, demême
quela détermination irrévocable d’en conserverle dépôt intact pour le transmettre à leurs descendants.
Le congrès formula des
vœux
et desdemandes
pour l’amélioration de l’enseignement. Personne alors ne songea à les blâmer; les chefs politiques des deux partis, àOttawa
età Toronto, ainsiquequelquesrares représen- tants de l’élémentirlandais catholique, venus au congrès, rivalisèrent d’élogesetd’encouragements.Le gouvernement de la province accueillit d’abord avec sympathie les résolutions
du
congrès et l’on putun moment
entretenirl’espoirquel’enseignementdu
français dansles écolesbilinguesallaitêtre missurunebaseet faitavecdesméthodesplus rationnelles et plus conformesàla
saine pédagogie.
Mais
il n’en fut pas ainsi.Au
con- traire, c’est laproscription delalangue françaisedans les écoles anglo-françaises d’Ontario quifut décrétée. Pour- quoi,comment
etpar quifutopérécechangement
subit?Comment
l’or pur fut-il sipromptement
changé en vilplomb
?Ni
letempsnivotrebienveillanteindulgence neme
permettent de répondre à la question, sur laquelledu
reste, je vous crois passablement renseignés.
Qu’il
me
suffise de rappeler que laguerre aufrançais dans Ontario ressemble de près à la guerre aux Français en France... qui vient de se terminer par le désastre allemand.
Je
me
suis souvent demandé, au cours de nos diffi- cultés scolaires, si les ennemis de la langue française nelui avaient pas rendu
un
service plus grand en décrétant sa proscription que s’ils avaient accordé les modestes concessions que nousavionsformuléespourelle.Aujourd’huilaréponsen’est plusdouteuse.
Parce que nous nous
sommes
tenus debout, droits et fiers, devant l’ennemi, parce que, de la province de Québec, vous nous avez soutenus avec des renforts spi- rituels et matériels, en dépit de certaines défaillances et quelques défections, nos rangs sont encore au complet.Aussije puisrépéter cesoirle
mot
que jeprononçais dans cette salle, ily
a près de cinq ans : «Nous
lutterons jusqu’au bout».On
n’apasréussi et onne réussirapas àétranglerles syllabes françaises sur les lèvres de nos enfants.La
langue de nos pères est aujourd’hui enseignée dans nos écoles.La
langue de nos pères sera enseignéedemain
dans nos écoles.Somme
toute, lalangue maternelle, en cette fin d’année 1918, se porte assez bien,même
dans l’Ontario.La
conspirationdu
silence sur nos justes plaintes et nos légitimes revendications, les appels aux préjugés et aux préventions, les mensonges, les accusations perfides, les agissements d’une alliance monstrueuse se briseront une fois de plus contreles forces de la vérité,du
droit et dela justice.—
21—
La
résistance nous a déjà valu des sympathies inat- tendues etdes adhésions inespérées; d’autresne tarderont pas à se manifester.Nous
pouvonsmême
apercevoir l’aube dujour où la languefrançaise occupera dans notre payslaplacequi lui appartientet exerceral’influence qui lui revient. Je n’en veux pas de meilleur augure que l’apparitiondu
livre deM.
Moore, de cet Anglais protes- tant de Toronto, qui, avec unelogique implacable et une lucidité merveilleuse, afaitbonneetcomplètejusticedela guerre aufrançais.Lelarge et
magnanime
geste deM. Moore
en provo- quera d’autres; et, vous pouvez en prendrema
parole, ilenestquine tarderont pas à s’esquisserdansla province sœur.
Si la persécution delalanguefrançaise dans Ontario a assurélàsasurvivance, elleaaussi
marqué
l’heure desa renaissance danslaprovincede Québec. C’estlecongrès d’Ottawa de 1910 qui aamené
le congrès de la langue française à Québec en 1912. L’œuvrecommencée
à Ottawa, élargie à Québec, a produitun
fécond réveild’amouretd’énergiepourlalangueet laculture françaises dans notre provinced’origine.
Notre tâche à nous a été de lui assurer la vie dans Ontario.
La
vôtre est et restera celle de lui rendre la vie ici plus vigoureuse, plus belle, plus large, plus féconde.On me
permettra, j’espère, de proclamer, cesoir, que vous avez parfaitement comprislagrandeuretn’avez pas hésité devant les exigences de cette tâche, et que vous êtes en train de l’accomplir noblement, ainsi que l’attes- tent vos récentes et fructueuses fondations :La
Société du Parler français et VActionfrançaise.Donc
il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui nous ont si rudement secoués et réveillés.La
conférencedeM.
Lorrain arrivebien à sonheure.L’horrible, la stupéfiante guerre a enfin cessé. Les énergies,les activités,lesforcesde