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Michel Lhospice. Romain Slocombe

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MATCH POUR

LA MANCHE

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Michel Lhospice

Michel Lhospice, avocat et historien, a publié plusieurs récits d'histoire contemporaine sur la Guerre de 70 et la Commune, la Guerre d'Espagne 1936-39, des études sur les divorces des Rois de France ou les Papes de l'Église romaine, un recueil de poésies, Contours, et une pièce de théâtre, Les Rougeacoeurs.

Mais c'est l'histoire de la conquête de l'air au début du siècle qui l'a fait connaître du grand public et des milieux aéronautiques qu 'il fréquente depuis trente ans comme commis-

saire de l'air et grand voyageur.

Romain Slocombe

Né à Paris en 1953, il suit les cours de B.D. de Moebius à la Faculté de Vincennes avant d'entrer à l'École des Beaux-Arts de Paris.

Illustrateur pour la publicité et la presse, également auteur de romans pour les adultes (Phnong-Dinh express) et les adolescents (Les Évadés du bout du monde, Le Détective du Palace Hôtel). Il s'avoue définitivement mar- qué p a r le Japon où il séjourne régulièrement et dont l'influence est très présente dans ses illustrations.

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MICHEL LHOSPICE

M A T C H P O U R

L A M A N C H E

IMAGES DE ROMAIN SLOCOMBE

H

Jeunesse HACHETTE

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À Victor Plumel.

MATCH POUR LA MANCHE a été publié en 1964 chez Denoël et édité pour les jeunes chez Hachette en 1965.

Le match que Blériot gagna en traversant la Manche sur un frêle appareil volant — alors qu 'on donnait Latham, son rival, vainqueur à trois contre un — fut en son temps un exploit aussi retentissant que, soixante ans après, la conquête de la lune.

© Hachette, 1990.

79, boulevard Saint-Germain. Paris VI TOUS DROITS DE TRADUCTION, DE REPRODUCTION

ET D'ADAPTATION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.

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1 ENFIN PARTI !

La mer est calme, le vent modéré, la visibilité excellente.

Du haut de la falaise de Sangatte où s'enfonce aujourd'hui le tunnel sous la Manche, à une trentaine de mètres en surplomb de la mer, un individu grand et mince, vêtu d'un chandail sombre, la tête ornée d'un bonnet de laine, surveille plusieurs hommes affairés autour d'un engin bizarre : une sorte de monstre ailé aux dimensions impressionnantes dont les extrémités palmées dépassent d'une bâche de toile rayée qui accroît encore le mystère. Quelques personnes chuchotent : la précision des gestes et l'activité fébrile dans ce silence nocturne ont quelque chose d'irréel. Le jour point lentement et le bruit des flots sur les rochers

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en contrebas ajoute encore à l'étrangeté du specta- cle.

Enfin, l'engin apparaît aux yeux de quelques badauds émerveillés. Avec précaution, les mécani- ciens sortent l'aéroplane hors de l'abri de fortune.

L'un d'eux a fixé une corde sur le patin avant et tire vigoureusement. Deux autres maintiennent les béquilles latérales. Un troisième soutient la crosse de queue du fuselage.

« Qu'il est grand !... Qu'il est beau !... s'exclame un spectateur. Regardez!... cette pureté de ligne... la masse imposante de ce moteur!... cette qualité de finition !... »

L'homme au chandail sombre s'est avancé, une cigarette aux lèvres :

« Si le temps se maintient, je pars dans un quart d'heure !

— Essai moteur!» lance une voix forte avec autorité.

Un signe : deux aides se placent de part et d'autre de l'appareil, derrière le baquet qui sert de siège au pilote. Un ordre bref: un mécanicien lance le moteur. Les aides s'efforcent de garder leur position pendant que l'hélice métallique avec un sifflement aigu tourne de plus en plus vite.

«Ça va comme ça !... »

Le moteur pétarade, toussote puis s'arrête, les gaz coupés. À nouveau, le silence.

Pendant ce temps, l'homme au chandail écrase à terre sa cigarette, enfile une paire de gants et s'approche lentement de l'appareil. Sans un mot, il

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monte à bord du monoplan, tandis que les aides maintiennent le fuselage à l'horizontale.

Un nouveau signe : l'équipe s'avance sur le chemin rocailleux qui conduit au point le plus élevé de la falaise et qui a été choisi pour le décollage.

Comme délivré d'un coup de ses frayeurs nocturnes, le groupe se répand en cris, en rires et jurons. Seul le pilote reste impassible. Un peu voûté sur le siège, il laisse apparaître tout le haut de son corps. Des photographes arrivent à cet instant et règlent leurs appareils tandis que le ciel s'éclaircit.

Une vingtaine de personnes au moins suivent à présent cette étrange procession.

Arrivé au sommet de la côte, l'appareil est retourné en direction de la plus grande pente. Un moment on craint qu'il ne la dévalle. On l'immobi- lise à grand-peine.

« Attendez ! »

Un homme arrive en courant, avec une échelle et un bidon d'essence. Perché au-dessus du moteur, il complète le plein du réservoir pendant que les photographes fixent cet instant solennel.

«Allez-y... Prêt pour la traversée ! »

Alors tout se précipite : le pilote lève le bras en signe d'adieu, l'engin s'ébranle lentement, les aides courent à ses côtés de manière à le pousser tout en lui maintenant son assiette.

« Lâchez tout ! »

Les hommes s'écartent rapidement et le mono- plan en augmentant sa vitesse commence à s'équili- brer sur l'air. L'arrière du fuselage quitte d'abord le

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sol, puis les béquilles d'ailes, en dépit de quelques oscillations transversales. Seule la roue du patin avant touche encore terre. Mais la pression sur le sol va en diminuant à mesure que la vitesse s'accélère.

Au bout d'une soixantaine de mètres, l'appareil quitte le sol.

Les mécaniciens se sont arrêtés, le nez en l'air. Il est exactement 6 heures 47 et le soleil de ce lundi 19 juillet 1909 vient à peine de se lever. L'aéroplane vole en direction de Calais à une altitude de 80 mètres, puis continuant à s'élever et virant légère- ment sur la gauche, il surplombe bientôt la falaise et la mer en direction de l'Angleterre. Son pilote déroule une banderole tricolore.

Hubert Latham vient de prendre le départ pour la traversée de la Manche.

Il est le premier à s'être envolé, il dispose du plus bel aéroplane, et il est le mieux préparé de tous ses concurrents, dans cette étonnante compétition.

L'idole des foules

En ce début de l'été 1909, Hubert Latham a tout juste vingt-six ans. Il n'est certes pas issu d'un milieu modeste. Dans sa famille on relève le nom des plus gros armateurs du Havre qui lui ont donné, très jeune, le goût des voyages et la passion de l'aventure. Il aime l'Angleterre pour y avoir séjourné comme étudiant à Oxford. Il adore la France pour la vie de dandy qu'il y mène : il fait partie du Tout-Paris fortuné, noctambule, et sportif.

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Mais Hubert Latham est aussi l'idole des foules françaises qui l'aiment pour les risques qu'il sait prendre dans les compétitions aériennes, et l'habi- leté qu'il y manifeste. Ses détracteurs insinuent que cet aimable virtuose de l'air compte bien plus sur son talent que sur son expérience. Qu'importe ! Tout semble jusqu'ici lui réussir : les femmes, l'argent, la célébrité. C'est un grand dilettante, courageux et impertinent. Au Président de la République qui lui demandait un jour, à l'issue d'un meeting aérien, ce qu'il faisait dans la vie, il a répondu :

« Homme du monde, monsieur le Président. » Quatre ans auparavant, par une nuit glacée de février 1905, il a déjà rendu son nom célèbre en traversant la Manche en ballon comme passager de l'aéronaute Jacques Faure. Puis il s'est distingué à Monaco en gagnant des courses de canots automo- biles équipés de moteurs légers à huit cylindres construits par l'ingénieur et industriel Levavasseur, ami de son cousin le financier Gastambide . Avant de partir plusieurs mois en Afrique pour y chasser le buffle et le rhinocéros, il a insisté pour pouvoir être le premier à voler sur le monoplan que Levavasseur prépare déjà en secret.

« Il ne sera pas prêt de sitôt, a répondu l'ingénieur de sa voix bourrue. Je veux sortir un appareil qui sera sans rival. »

Revenu en France à la fin 1908, Hubert Latham n'a pas perdu de vue son projet de piloter le nouvel engin extraordinaire dont on lui a si souvent parlé.

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Et lorsque le cousin Gastambide, commanditaire du projet, lui a annoncé que l'appareil était enfin prêt, il a simplement répliqué :

«Je suis rentré juste à temps pour apprendre à le piloter.»

Latham s'est aussitôt rendu à Puteaux. Pour voir le monoplan déjà terminé, et un second en cours de montage. Deux merveilles de conception et de finition, lui a fait remarquer Gastambide: «Vois-tu:

cette pureté de ligne, cette élégance de forme ! J'ai investi beaucoup de temps et d'argent. Mais je suis sûr de moi cette fois. Les trois premiers prototypes de Levavasseur n'avaient misé que sur le moteur. À présent, nous avons réussi l'accouplement avec la cellule. Je suis si fier de cet engin, que je l'ai baptisé du prénom de ma fille Antoinette ! La petite marraine des moteurs de notre génial ingénieur...

— Antoinette? a dit Latham. Quel joli prénom pour un aéroplane ! Cela nous portera bonheur !

— Eh bien, a renchéri Levavasseur en bombant le torse et caressant sa barbe rousse ; après le temps des efforts, voici celui des lauriers. »

L'équipe de la société Antoinette Latham a longuement examiné l'aéroplane, s'est fait expliquer la façon de le piloter, et s'est préoccupé des moindres détails.

«Avez-vous pensé aux pièces de rechange et au terrain pour les essais ?

— Nous irons au camp de Mourmelon, lui a dit

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Levavasseur. Pour y intéresser aussi les militaires. Et recevoir des commandes de L'État ! »

L'ingénieur a ajouté :

«Nous avons innové sur tous les plans. Nous ne craignons plus maintenant d'être dépassés.

L'Antoinette est un aéroplane d'avant-garde qui volera encore dans dix ans. Avec lui, tous les espoirs sont permis. Il nous apportera la gloire et la fortune.

— La gloire seule m'intéresse», lui a répondu Latham d'un air pincé.

Pourtant, dès les premiers essais de cet appareil révolutionnaire, les désillusions ont commencé : si les formes de l'appareil sont d'une rare perfection, l' Antoinette n'est pas réellement aussi au point que l'a proclamé son constructeur.

« Les vols d'essai vont nous permettre d'améliorer la machine », a répété Levavasseur sans se lasser.

Malgré ce bel optimisme, Latham a « cassé beaucoup de bois », c'est-à-dire des roues, des béquilles, des ailes, du châssis et même du fuselage.

Enfin, un beau soir, à l'heure où dans le crépuscule le vent tombe pour quelques minutes, après avoir coûté fort cher à la société Antoinette et désespéré même de parvenir à maîtriser jamais l'indomptable et capricieux appareil, le jeune pilote a accompli un premier vol impeccable de dix minutes à vingt mètres de hauteur. Cela ne s'était encore jamais vu avec un appareil de ce type.

Et peu à peu, tout est devenu plus facile : le

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26 mars, Latham a volé sur deux kilomètres, et le 17 avril, sur mille cinq cents mètres avec virages.

Un jour tout récent, le 5 juin 1909, une performance extraordinaire a valu au pilote la une des journaux et consacré d'un coup sa gloire naissante: «En une heure sept minutes trente-sept secondes de vol ininterrompu, Hubert Latham s'est attribué le record mondial des monoplans et le record français de vol mécanique. »

Les succès se sont alors accélérés : un vol de quarante kilomètres en trente-neuf minutes le 12 juin en présence du groupe parlementaire français d'aéronautique a ouvert des perspectives nouvelles et fait du jeune homme, hier encore inexpérimenté, l'un des grands conquérants de l'air.

« Cette fois, a dit Latham après cet essai sur longue distance, il ne me reste plus qu'à cueillir comme un fruit mûr une dernière victoire qui consacrera mondialement le renom d '

— Et ce sera ? lui a demandé Levavasseur.

— La traversée de la Manche », a répondu Latham sûr de lui.

Ému, Levavasseur n'a rien trouvé à répondre et s'est contenté de lui donner l'accolade.

Deux prix pour la traversée de la Manche Le 5 octobre 1908, en effet, le journal britannique Daily Mail a offert un prix de cinq cents livres

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sterling à la première personne qui réussira la traversée aérienne de la Manche, dans l'un ou l'autre sens, sur un appareil plus lourd que l'air.

C'est une façon habile de se faire de la publicité, et sans risquer d'avoir à verser la somme promise avant des années, a répliqué aussitôt le journal parisien Le Matin. Entente cordiale et concurrence ! Pourtant, la plus courte distance entre les deux côtés du détroit du Pas de Calais est de vingt milles et demi et depuis peu des aviateurs confirmés comme Wright, Farman et Delagrange ont dépassé cette longueur. Et déjà en 1906 la maison de champagne Ruinart avait lancé l'idée d'un prix semblable, tombé à l'eau... faute de participants!

Mais cette fois l'Aéro-club de France a pris le concours au sérieux. Le 31 décembre 1908, il a apporté, en accord avec les donateurs, des précisions pour faciliter l'organisation matérielle de la compéti- tion. Le 5 janvier suivant, la commission d'aviation a complété le règlement définitif de l'épreuve. Léon Barthou, frère du ministre des Travaux publics, Georges Besançon, secrétaire général de l'Aéro-club, et Louis Blériot ont participé à ces réunions. La somme promise sera bientôt doublée par le Daily Mail qui entretient l'intérêt de ses lecteurs en rappelant que le survol de la Manche a toujours excité les aéronautes: pas moins de trente-sept traversées en ballons ont déjà été réussies depuis le

1. Soit 12 500 francs de l'époque

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p r e m i e r v o l h i s t o r i q u e d u F r a n ç a i s B l a n c h a r d e t d e l ' A m é r i c a i n J e f f r i e s le 7 j a n v i e r 1 7 8 5 s u r u n e d i s t a n c e d e 5 0 k i l o m è t r e s e n t r e D o u v r e s e t la f o r ê t d e G u i n e s , p r è s d e Calais. D a v a n t a g e d ' a i l l e u r s d a n s le s e n s A n g l e t e r r e - c o n t i n e n t ( v i n g t e t u n e ) q u e d a n s le s e n s c o n t r a i r e ( s e i z e ) . Le v e n t s o u f f l e o ù il veut... Le r e c o r d e s t m ê m e d é t e n u d e p u i s l e 12 o c t o b r e 1 9 0 7 p a r t r o i s A n g l a i s q u i , s u r l e b a l l o n Le M a m m o u t h , o n t c o u v e r t e n 19 h e u r e s la d i s t a n c e d e 1 1 7 5 k i l o m è t r e s q u i s é p a r e L o n d r e s d ' u n lac d e S u è d e .

« J u s q u ' o ù l ' h o m m e ira- t- il d a n s la c o n q u ê t e d u c i e l s u r u n e n g i n p l u s l o u r d q u e l'air ? » s e d e m a n d e à p r é s e n t l ' h o m m e d e la r u e .

Il n e v a p a s t a r d e r à a v o i r la r é p o n s e .

U n m o n o p l a n à l a c o n d u i t e d é l i c a t e L ' A n t o i n e t t e q u e p i l o t e L a t h a m e s t u n m o n o p l a n , e t c e c h o i x , à l ' é p o q u e d e s s u c c è s s u r b i p l a n s d e s f r è r e s W r i g h t e t V o i s i n , c o n s t i t u e d é j à u n e o r i g i n a l i t é . Le m o n o p l a n n é c e s s i t e u n m o t e u r m o i n s p u i s s a n t q u e le b i p l a n p o u r u n p o i d s e t u n e v i t e s s e i d e n t i q u e s . Il c o p i e d a v a n t a g e l ' o i s e a u a v e c u n e g r a n d e é l é g a n c e d e l i g n e . S o n f u s e l a g e p l u s a é r o d y n a m i q u e o f f r e a u s s i m o i n s d e t r a î n é e e n l'air.

Le c o r p s d e l ' a p p a r e i l a d o u z e m è t r e s d e l o n g p o u r u n e e n v e r g u r e c o m p a r a b l e . Il a la f o r m e d ' u n e c o q u e d e c a n o t e t l ' o n c r o i r a i t q u ' i l e s t fait a v a n t t o u t p o u r f l o t t e r s u r l ' e a u . S e s a i l e s , e n t o i l e c a o u t c h o u t é e b l a n c h e , p o s s è d e n t à l e u r s e x t r é m i t é s d e s e m p e n -

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n a g e s h o r i z o n t a u x p o u r la s t a b i l i t é e n vol. U n g o u v e r n a i l p e r p e n d i c u l a i r e e t d e u x a i l e r o n s a r t i c u l é s à l ' e x t r é m i t é a r r i è r e d e s a i l e s p e r m e t t e n t d e le d i r i g e r . P a r s o u c i d e s é c u r i t é , e t p o u r é v i t e r la f a t i g u e d e la s t r u c t u r e e t la t o r s i o n d e l ' a s s e m b l a g e , le c o n s t r u c t e u r a é c a r t é , s u r c e m o d è l e , le g a u c h i s s e - m e n t d e s a i l e s r e t e n u s u r d ' a u t r e s m o n o p l a n s .

L ' a t t e r r i s s a g e s e fait s u r d e u x p e t i t e s r o u e s à r a y o n s et b a n d a g e p l e i n . U n p a t i n a v a n t , m u n i d ' u n e r o u l e t t e , e m p ê c h e l ' a p p a r e i l d e p i q u e r d u n e z a u s o l e t d ' e n d o m m a g e r l ' h é l i c e . D e u x b é q u i l l e s l a t é r a l e s s o u s l e s a i l e s f r e i n e n t l e s b a l a n c e m e n t s d e t r o p g r a n d e a m p l i t u d e . U n e c r o s s e d e q u e u e , e n f i n , p r o t è g e l e f u s e l a g e a r r i è r e . A i n s i le d é c o l l a g e et le r e t o u r s u r t e r r e , t o u j o u r s si d é l i c a t s , o n t - i l s é t é t r è s é t u d i é s .

Le m o t e u r e s t u n h u i t c y l i n d r e s e n V à r e f r o i d i s s e - m e n t p a r e a u . C o n ç u e t m i s a u p o i n t p a r l ' i n g é n i e u r L e v a v a s s e u r , il d é v e l o p p e 55 CV. Il a c t i o n n e u n e h é l i c e m é t a l l i q u e à d e u x b r a s e n a c i e r et d e u x p a l e s e n a l u m i n i u m .

Le p o i d s t o t a l d e l ' a p p a r e i l d é p a s s e la d e m i - t o n n e .

Le p o s t e d e p i l o t a g e a fait l ' o b j e t d e s o i n s attentifs.

M a i s il c o m p o r t e d e u x g r a v e s d é f a u t s : c e l u i d ' o f f r i r t o u t le b u s t e d u p i l o t e à la r é s i s t a n c e d e l'air e t d e le m e t t r e e n d a n g e r e n c a s d e t r o u d'air. C e l u i d e c o m p o r t e r d e s c o m m a n d e s c o m p l i q u é e s n é c e s s i t a n t d e s m o u v e m e n t s p e u n a t u r e l s : u n v o l a n t à l ' e x t é - r i e u r d u s i è g e d u p i l o t e c o m m a n d e le g o u v e r n a i l d e p r o f o n d e u r . D e u x a u t r e s , l e s a i l e r o n s e t le gouver-

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nail de direction. Sans parler des boutons, des tirettes, des leviers et des manivelles.

Tout cela ne fait pas appel aux réflexes innés.

« Il me faudrait deux bras de plus ! » s'était plaint Latham tout au début de ses essais en vol.

Mais Levavasseur l'avait vite rassuré :

« Le pilotage est difficile ? Non ! c'est une question d'entraînement. La nacelle n'est pas un endroit où l'on doit rester passif. Il faut faire corps avec l'engin comme un cavalier avec sa monture. Bien connaître ses réactions. Et mieux encore, les prévoir. En même temps éduquer ses réflexes... »

Et au bout de quelques jours, Latham s'était enfin montré très satisfait de l'appareil.

« On ne saurait être plus exigeant que le principal intéressé ! » avait conclu Gastambide en vrai financier pressé de faire concourir le monoplan et de toucher ses dividendes.

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2

INDUSTRIEL, CONSTRUCTEUR ET PILOTE !

Quelque six mois auparavant, une grande manifes- tation, la première du genre dans le monde, a réuni à Paris l'élite internationale du sport automobile et aérien. En annexe du Salon de l'Auto, la foule émue a contemplé au Grand-Palais de curieuses machines qui sommeillent là en attendant que quelques magi- ciens leur prêtent vie pour de courts moments : sveltes libellules de Santos-Dumont, monoplans audacieux, biplans à étages, il y a là, outre le grand ancêtre de Clément Ader au nom insolite « avion » et dont l'étrange silhouette jette une note déjà anachro- nique et désuète au milieu de toutes les nouveautés, les dernières réalisations des Farman, Delagrange, Wright, Esnault-Pelterie, Voisin et Blériot.

Ce dernier a présenté au Président Fallières, le jour

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de l'inauguration, le plus petit des modèles qu'il a déjà construits: un monoplan de 12 mètres d'envergure seulement, actionné par un moteur R.E.P. de 30 CV et qui peut atteindre la vitesse de 80 kilomètres à l'heure d'après la fiche technique.

« Cet engin peut-il vraiment s'envoler ? a demandé le chef de l'État incrédule.

— Rappelez-vous, la Demoiselle ... Santos- Dumont déjà... il n'y a pas si longtemps ! »

Au moteur et à l'hélice près qui seront changés, ce monoplan est celui-là même qui, pourtant, sept mois plus tard, traversera la Manche par la voie des airs.

Mais qui est donc ce Blériot ?

C'est un homme de trente-sept ans, le nez accusé et la moustache à la gauloise. Il est né à Cambrai. Un homme du Nord, solide, opiniâtre et têtu. Il s'est lancé très tôt dans les affaires. Dès sa sortie de l'École Centrale, il a monté à Paris une fabrique de phares à acétylène pour automobiles qui a rapidement pros- péré. C'est un industriel sans histoire.

Mais il s'est mis lui aussi à rêver à la conquête de l'air. Et à vouloir concrétiser ce rêve. En ces temps d'inventions et de découvertes, il a senti qu'une fortune dans les accessoires automobiles ne lui apporterait jamais la célébrité. L'aéronautique peut- être. Et puis il y a le risque, le frisson, le sport, la découverte...

À vingt-sept ans, il a commencé tout seul à fabri- quer une sorte d'oiseau mécanique. L'appareil, à ailes

1. Abréviation du nom du motoriste: Robert Esnault -Pelterie.

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réserve. Ce n'en est pas moins un fiasco commercial, l'État ayant annulé ses premières commandes.

Blériot ne désespère pas pour autant. Car il a encore pris de l'avance : avec une autre merveille technique: le Joseph Le Brix motorisé avec un Hispano de 500 CV et qui s'attribue, en 1931, tous les records du monde de distance et de durée.

Nommé vice-président de la Fédération Aéronau- tique Internationale et commandeur de la Légion d'honneur, Blériot, reconnu comme la gloire de l'aviation française, s'est aliéné pourtant trop de sympathies. Par ses démêlés incessants avec les officiels de la navigation aérienne et la franchise de son caractère. Sa santé s'en ressent. Il se relève mal de la perte d'un fils de vingt-quatre ans terrassé par une attaque foudroyante d'appendicite alors qu'in- génieur et pilote, il devait tenter la traversée de l'Atlantique en compagnie de Bossoutrot sur un appareil sorti des usines paternelles...

Avec Louis Paragot, qui le suit comme son ombre, il parcourt encore à grandes enjambées les ateliers de Suresnes.

« Comment ça va aujourd'hui? Tout est en ordre ?

L'ordre est pour lui la condition première de la réussite.

Mais son cœur est malade. Il faut user de stratagèmes pour l'empêcher de monter trop vite les escaliers de la direction. Alice Blériot a chargé Petit- Louis de ralentir cet homme éternellement pressé.

Mais c'est lui qui s'essouffle à suivre le rythme.

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«Surveillez-le davantage», s'inquiète son épouse.

Quelqu'un peut-il se flatter d'avoir ralenti Blériot ? Il n'en a jamais fait qu'à sa tête.

Il continue ses recherches sans se lasser. Mais les prototypes ne donnent pas toujours aux essais les résultats escomptés, et l'usine s'emplit de rangées de modèles nouveaux abandonnés. Il en rend respon- sables les hommes politiques, incapables, dit-il, de concevoir un programme aérien à long terme. Il est de plus en plus amer.

Les grèves de 1936 l'affectent profondément. Des piquets ouvriers isolent son usine. Il n'en vient pas moins chaque matin comme si de rien n'était. Gênés mais respectueux, les ouvriers soulèvent leur casquette. Il leur répond d'un air bourru mais paternel. Pour cacher son anxiété.

« C'est un grand homme, murmurent les meneurs.

Mais c'est un partisan de l'ordre... » Pour eux, Blériot, c'est déjà le passé.

La nationalisation des industries de la Défense nationale fait passer son empire entre les mains de l'État. En quelques lignes du Journal officiel du 20 mars 1937, la République française exproprie ses usines, mettant fin à toute une époque : celle de l'entreprise aéronautique individuelle et un peu anarchique, qui aura donné à la France ses premières ailes et ses plus étonnants succès.

Blériot aura cessé de vivre avant que se produise cette nationalisation. Jusqu'au bout, il aura été le patron. Jusqu'au bout il aura tenu la barre.

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