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LE PACTE DESTABILISE Michel Husson,

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LE PACTE DESTABILISE

Michel Husson, Rouge n°2042, 4 décembre 2003

L’enterrement du Pacte de stabilité ouvre une crise très grave dans le projet bourgeois de construction européenne.

La France et l’Allemagne se sont trouvées dans l’incapacité, économique et politique, de respecter la règle selon laquelle le déficit budgétaire ne devait en aucun cas dépasser 3 % du PIB. Et surtout, ces deux pays ont obtenu de la majorité des autres gouvernements que ne soient prononcées à leur égard aucune des sanctions pourtant explicitement prévues par le Pacte. Cette décision a évidemment provoqué la fureur de la Commission, dont la légitimité et l’autonomie découlent en grande partie de sa fonction de gardien du Pacte de stabilité.

Le Pacte était donc « stupide » pour reprendre l’adjectif que lui avait collé le Président de la Commission, Romano Prodi. Mais le problème, c’est qu’il était d’un certain point de vue indispensable. Quand on fait une monnaie commune, on se trouve en effet dans une situation nouvelle : il n’y a plus de politique monétaire ou de change possible puisque chaque monnaie nationale s’est fondue dans l’euro. La politique budgétaire est quant à elle libérée d’une contrainte, puisque la dette publique est libellée en euros et non plus en monnaie nationale. Cela rend possible des comportements dits de « passager clandestin » où un Etat s’endette sans en supporter toutes les répercussions, notamment en matière de taux d’intérêt. Elles sont en quelque sorte mutualisées alors que, par définition, le taux de change de la monnaie n’est pas menacé. C’était la fonction technique du Pacte de remplacer la contrainte disparue afin d’empêcher de telles dérives budgétaires.

La crise va encore plus loin que ces aspects techniques et conduit à la remise en cause de modalités essentielles du processus de construction européenne. On peut dire que les inconvénients de l’euro l’emportent sur ses avantages.

Certes, il existe toujours un accord profond entre les bourgeoises européennes sur l’orientation néo-libérale et notamment la nécessité de discipliner les salaires, et d’élargir le champ de la marchandise en privatisant les services publics et la protection sociale. C’est pourquoi les déficits budgétaires en France et en Allemagne ne résultent pas d’une volonté d’appliquer une politique de relance dite keynésienne. Ils sont le produit mécanique de la rencontre entre une mauvaise conjoncture et une politique dogmatique de baisse des impôts pour les riches. A terme, Pacte ou pas, le projet est bien de revenir à l’équilibre en réduisant les dépenses sociales, comme le montre le programme de

« réformes » baptisé Agenda 2010 en Allemagne, ou le gel des traitements des fonctionnaires en France. On est très loin d’une véritable alternative, qui passerait par l’augmentation des impôts pesant sur les revenus du capital.

La base économique de cette crise est la sensibilité différente de chaque économie nationale à la basse conjoncture.

Durant la reprise 1996-2001, tous les pays de l’Union européenne ont plus ou moins tiré leur épingle du jeu. Mais le retournement de conjoncture a au contraire pour effet d’introduire une différenciation assez nette entre les pays, notamment par rapport à la baisse du dollar. On pourrait appeler cela la « malédiction de l’euro » ou la « revanche du Club Méditerranée », car ce sont les pays qui sont rentrés dans l’euro avec un taux de change trop fort, comme l’Allemagne et la France, qui subissent de plein fouet la récession. Des pays comme l’Espagne ou l’Italie (« le Club Med ») résistent au contraire beaucoup mieux grâce à un taux de change initial plus favorable ; quant au Royaume-Uni, il est en quelque sorte déconnecté de la conjoncture européenne moyenne. Bref, tout se passe comme si le levier dollar/euro introduisait un clivage entre deux pôles de l’Union européenne. Dans une telle circonstance, les intérêts spécifiques de chaque Etat, avec ses rapports de classes particuliers, tendent à l’emporter sur leurs intérêts collectifs, dont la gestion est déléguée à la Commission.

Cette crise est d’autant plus aiguë que les contradictions ne sont pas strictement économiques : que ce soit à propos de l’intervention en Irak ou de l’architecture institutionnelle, le couple franco-allemand tend à s’opposer au reste de l’Union. Les ballons d’essai sur une « Union » entre les deux pays vont dans ce sens et rejoignent des projets plus anciens d’une Europe à deux vitesses, avec un noyau dur et une périphérie de pays associés. Cet écartèlement ne renvoie pas à un modèle social différent : les gouvernements français et allemand mènent au contraire une politique de contre-réforme très radicale qui vise à un alignement accéléré (mais jamais assez rapide, de leur point de vue) sur un modèle néo-libéral standard. Il s’agit plutôt d’un repli sur les intérêts nationaux, qui va rendre difficile la mise au point du projet de Constitution au sein de la Conférence Intergouvernementale. Même si la tentation existe aussi de passer en force pour éviter l’éclatement d’une crise ouverte, la cohésion de la bourgeoisie européenne est aujourd’hui largement écornée.

Michel Husson

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