A NNALES DE L ’I. H. P., SECTION B
J EAN B RETAGNOLLE
Notes de lecture sur l’œuvre de Paul Lévy
Annales de l’I. H. P., section B, tome 23, n
oS2 (1987), p. 239-243
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Notes de lecture
sur
l’0153uvre de Paul Lévy
Jean BRETAGNOLLE
Université Paris-Sud, U.A. n° 743 « Statistique appliquée »,
Mathématique, Bât. n° 425, 91405 Orsay Cedex
Sup. au n° 2, 1987, Vol. 23, p. 239-243. Probabilités et Statistiques
Ces
quelques
pagesreprennent
l’essentiel d’uneconférence faite
à Stras-bourg
à l’occasion d’un Séminaire d’Histoire desMathématiques..
>L’édition des 0153uvres
complètes
de PaulLévy
comporte 252publications ’ (hors
leslivres);
4 des 6 tomes sont consacrés au Calcul desProbabilités;
ilest hors de
question
d’en donner une idée enquelques
pages. D’ailleurs PaulLévy
afait
lui-même une revuehistorique
extrêmement intéressante de son oeuvre dans le livreQuelques aspects
de lapensée
d’un Mathématicienqu’on
peut trouver dans toutebibliothèque mathématique digne
de ce nom.Je me propose
simplement d’analyser quelques
articles sur lessujets
suivants : Théorème limite
central,
Loi0- 1 ,
Processus à accroissements indé-pendants.
Lesréférences chiffrées
renvoient à l’édition des oeuvrescomplètes,
et « Add. v. a. » au livre Théorie de l’addition des variables
aléatoires,
Gauthier
Villars,
1937.Classification A. M. S. : .
Annales de l’Institut Henri Poincaré - Probabilités et Statistiques - 0294-1449
240 J. BRETAGNOLLE
LA LOI DES ERREURS ET LE
RÔLE
DE LA LOI DE GAUSS(88,
89 et113)
Dans les deux
premières
Notes(mars
etjuin 1922), partant
d’une idéede Poincaré
(cas
où les variables sontidentiquement
distribuées et à fonctioncaractéristique entière)
P.Lévy
montre que sous les conditions« de
Lindeberg
», dont il ne connaissait pas letravail,
la fonction caracté-ristique
de la somme réduite(la
transformée deFourier)
tend versexp
(
-t2/2)
dont on sait que c’est la fonctioncaractéristique
de la loi deGauss ;
il conclut« Ce résultat me
paraît
suffisant pour que l’onpuisse
dire en termespeu
précis
que l’on a à la limite la loi de Gauss. Il seraitpréférable
d’établir que pour la loi
composante, supposée réduite,
on a :Bien que
je
n’aie pu yparvenir jusqu’ici, je
croisqu’il
estpossible d’y
arriver sans nouvelle
hypothèse
».C’est seulement en novembre 1922
qu’il
établira les deux résultats clés dans(113) :
toutd’abord,
la fonctioncaractéristique
l’est bien(elle
caracté-rise la
loi),
c’est la formule d’inversion de PaulLévy; puis
il établit laversion Fourier de la convergence en
loi, qui
est la convergencecompacte
des fonctionscaractéristiques.
Comme souvent dans ses travauxultérieurs,
il a commencé par donner une preuve
incomplète,
ou un énoncé condition-nel,
mais il a vu le bon chemin. Plus tard(cela
demanderaparfois plusieurs années),
il donnera une démonstrationplus rigoureuse
des résultats inter-médiaires.
L’outil introduit à l’occasion de ce travail se révélera extrêmement fécond : il s’en est servi immédiatement pour construire les lois
stables,
par passage à la limite en loi. Il se pose ensuite les
problèmes
de divisibilité(théorèmes
de Cramer etRaikov),
lesproblèmes
de domaine d’attraction(manifestement
en 1922 il pense que les constantes de normalisation nepeuvent
être quen1~2) ;
enfin ce sont les fonctionscaractéristiques
de PaulLévy qui permettront
de résoudre leproblème
de la Limite Centrale.Dans les 20 années
qui
vontsuivre,
lesproblèmes
essentiels de la Théorie vont être :1 ° le passage du discret au continu dans l’étude des
phénomènes
aléatoi-res ; ,
Annales de l’Institut Henri Poincaré - Probabilités et Statistiques
2° le passage de
l’indépendance
des accroissements à unehypothèse plus faible,
disons poursimplifier
lecentrage
conditionnel.LES « VARIABLES
ENCHAÎNÉES » [article (101)
de1935]
Dans ce travail
célèbre,
PaulLévy
démontre sa version de la loi 0-1 et la versionmartingale
du théorème des trois séries : enlangage moderne,
notant En
l’espérance
conditionnelle parrapport
aux~n,
famille croissante detribus,
il prouve que :En
(1~,)
converge presque sûrement vers 1 sur A.Si
An
est une suited’événements,
les sérieslA
et sont demême nature
(Bn étant
la tribuengendrée
parA 1,
...,An).
Si les
Un
sont uniformémentbornées,
et(Un) = 0,
alors la série desUn
est de même nature que celle desEn -1 (U;).
Ces résultats sont bien évidemment des résultats de
martingales;
lanotion n’existe pas, ce sera Ville
qui
ladégagera.
Ce travail est écrit dansune
langue
très claire et très belle. Les notions detemps d’arrêt,
de théorèmed’arrêt,
deprévisibilité
du processus croissant associé à la sommedes
U,,
pour n’être pasdégagées,
sont si visibles que le lecteur moderne reconnaît immédiatement la démonstration actuelle. On y trouve uneinégalité
maximale et un théorème de normalitéasymptotique.
Manifestement Paul
Lévy
a là encore une intuition siprofonde qu’elle l’empêche d’aller jusqu’au
bout : iln’éprouve
pas le besoin de formaliser lesétapes
du calcul etperd
donc lagénéralité
de la notion.LA
DÉCOMPOSITION
DES LOIS
INDÉFINIMENT
DIVISIBLES(96, 104, 144, 145,
Add. v.a.)
Le
problème
de ladécomposition
des processus à accroissements indé-pendants
estbeaucoup plus
difficile àl’époque. Curieusement,
PaulLévy
n’utilise pas les fonctions
caractéristiques,
comme l’a faitKolmogorov
dans le cas des processus
homogènes ;
pour nous, ils’agit
d’un processusXt
dont les accroissements sontindépendants, qui
sedécompose
en : une242 J. BRETAGNOLLE
somme de discontinuités
ayant
lieu en des instants fixés(dénombrables),
une
partie certaine,
un brownien et une somme de Poisson. Les deux dernièresparties représentent
un processus continu enProbabilité,
et cetteremarque
permet
d’isoler et d’extraire les sauts fixes. Extraire lapartie
certaine est
beaucoup
moinssimple,
et disons tout de suite que leproblème
ne
peut
être correctementposé
sans la notion derégularité
destrajectoires.
Aussi les fonctions
caractéristiques permettent
ladécomposition
en loid’une variable aléatoire
(X 1)
dont on suppose que pour tout entier n ellepeut
s’écrire commeX i + X 2 +
...+ Xfl, indépendantes
etéquidistribuées (c’est
le cashomogène).
Lesquestions
de mesurabilité étant mises decôté,
le processus
ayant
été rendu continu en Probabilité(on
extrait les sautsfixes en
remarquant qu’ils correspondent
à une discontinuité de la familleLt
des lois desXt - Xo), le
programme de PaulLévy
est de construire le processus en tous les instantsdyadiques (comme
il l’a fait pour le mouve- mentbrownien) puis
de leprolonger
par limite àgauche
et à droite.Ensuite,
il extrait les sauts,qui
sont des sommes dePoisson,
il resteun processus à acroissements
indépendants, continus,
c’est un brownien.Seulement,
pour démontrerqu’il n’y
a pas de discontinuités de secondeespèce,
il nedispose
ni destemps d’arrêt,
ni de la finitude du nombre de passages descendantsqui
devront attendre Doob. Aussi toute sa théorie estbasée sur la concentration :
[Q(x, a) = Sup P (x _ X _ x + a)
et sa fonctionréciproque
ladispersion,
notionsqu’il
adéveloppées
dans le travail(96)
de 1931 sur les séries à termes
indépendants] :
ladispersion augmente quand
onajoute
des termesindépendants,
et si on extrait d’une v. a. Sdes sommes
+Xn
àcomposants indépendants,
de sorteque
Sn
etS - Sn
soientindépendants,
la série desXn
est essentiellementconvergente
c’est-à-dire p. s.convergente
si elle est convenablement recen-trée
(techniquement,
il existe une manièrecanonique
de le faire : on centre auxmédianes,
bien définies si on aajouté
une fois pour toutes un termeindépendant
etdiffus).
Cettetechnique permet
d’isoler les discontinuités fixes(leur série).
Pourl’oscillation,
une trèsingénieuse inégalité
en contrôlela concentration en fonction de celle de la variable terminale. La
première
démonstration étant
insuffisante,
PaulLévy
lareprend
de manièreplus
formalisée dans le livre de 1937. Extraire les discontinuités mobiles est
plus délicat,
l’outiltechnique
se trouve dans la Note(104)
de 1936 avecW. Doeblin : c’est la célèbre
inégalité
de concentration : si pour un pdonné,
lesdispersions D (Xi, p)
sont(au moins) L,
lesXi indépendantes
en nombre n, la
dispersion
de leur sommeD ( S, p)
serasupérieure
àC
(p)
Ln1~2,
celapermet
de contrôler avecprécision
le nombre(moyen)
defois où
dépasse~ ~
en valeur absoluequand n
tend versAnnales de l’Institut Henri Poincaré - Probabilités et Statistiques
l’infini,
et de montrer que lapartie composée
des sautsd’amplitude
minoréeest
indépendante
du reste. La conclusion du travail(théorème
54. 2 dansl’édition de
1954)
resteambiguë :
« SiXo=0, Xt
à accroissementsindépen- dants,
si les loisLt
varientcontinûment,
on a ladécomposition en
loi »(à laquelle
ons’attend,
et queje
ne détaillepas).
Autrementdit,
ladécomposi-
tion
trajectorielle proprement
dite n’est pasexplicite !
Il faut bien insistersur le fait que le processus n’est pas
homogène,
d’unepart,
et sur le fait que PaulLévy
sait construire un processus combinaison de brownien et de Poissonqui
suit la loi enquestion,
d’autrepart.
Ce travail est d’une ambition extrême pour
l’époque,
la concentration est utilisée d’une manière extraordinairementingénieuse.
L’intuition de PaulLévy
luipermet
de voir onpeut
direphysiquement
lesobjets
que la Théorie Générale des Processusdégagera beaucoup plus
tard.La lecture de Paul
Lévy
esttoujours
d’actualité. On en tirera d’abordune
juste
admiration de ses brillantesintuitions,
de son travail depionnier,
et de la très belle
langue
danslaquelle
ils sont écrits. Les résultats quej’ai rapidement présentés
sont bienclassiques,
on les démontre maintenant d’une autre manière.Mais,
d’unepart,
les outilsqu’il
a élaborés sont unpeu
négligés,
à tort me semble-t-il(je
pense à laconcentration)
et, d’autrepart, après 1945,
bien d’autres textes(sur
lesgaussiens,
ou lesmarkoviens)
sont
toujours
très intéressants.~
TRAVAUX CITÉS
(88) Sur le rôle de la loi de Gauss dans la théorie des erreurs, C.R. Acad. Sc., 27 mars 1922.
(89) Sur la loi de Gauss, C.R. Acad. Sc., juin 1922.
(96) Sur les série dont les termes sont des variables éventuelles indépendantes, Studia Mathematica, 1931.
(101) Propriétés asymptotiques des sommes de variables aléatoires enchaînées, Bulletin
des Sciences Mathématiques, 1935.
(104) Sur les sommes de variables aléatoires indépendantes à dispersions bornées
inférieurement (avec W. Doeblin), C.R. Acad. Sc., 1936.
(113) Sur la détermination des lois de Probabilité par leurs fonctions caractéristiques,
C.R. Acad. Sc., 13 novembre 1922.
(144) Sur les intégrales dont les éléments sont des variables aléatoires indépendantes,
Ann. d. R. Scuola Normale Superiore di Pisa, 1934.
(145) Observation sur un précédent mémoire de l’auteur [correctif à (144)].
(Add. v. a.) Théorie de l’addition des variables aléatoires, Gauthier Villars, 1937, seconde édition, 1954.