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COSMOTIQUE PAR L ÉCOLOGIE CORPORELLE : LUMIÈRE ET RESPIRATION EXACTE DANS LES ARCHIVES LE CORBUSIER

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COSMOTIQUE PAR L’ÉCOLOGIE CORPORELLE : LUMIÈRE ET RESPIRATION EXACTE DANS LES ARCHIVES LE CORBUSIER

Bernard Andrieu

CNRS Éditions | « Corps » 2017/1 N° 15 | pages 79 à 88 ISSN 1954-1228

ISBN 9782271114983 DOI 10.3917/corp1.015.0079

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-corps-2017-1-page-79.htm

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Cosmotique par l’écologie corporelle : lumière et respiration exacte dans les archives Le Corbusier

Bernard A

ndrieu

La cosmotique

Notre acosmisme éloigne l’homme de la nature (Andrieu, 2017a) et implique un accord nouveau entre les hommes pour définir une vie moins compéti- tive et plus coopérative. La cosmotique (Andrieu, 2017b) n’en reste pas à la cos- métique : elle propose ici, avec le travail pionnier de Le Corbusier dès les années 1930, de trouver dans la pratique corpo- relle une expérience de modification de soi par l’épreuve des éléments, y com- pris dans l’architecture : s’écologiser n’est pas un déguisement éthique de la relation avec la nature ni une illusion paysagère du tourisme néo- colonial.

La cosmotique est, à la différence de la cosmétique qui décore la surface de nos peaux et de nos immeubles, une analyse de la profondeur du cosmos et de l’approfondissement de nos corps dans la nature, dans la technique et dans les autres. Elle étudie les consé- quences de l’immersion des éléments dans les vivants et dans notre vivant mais pour dégager ce qui s’y éveille :

pas d’immersion sans émersion, même si l’éveil précède la conscience que nous pouvons en avoir, « émerger ou s’engloutir » (Berque, 2014a : 30) pré- cise Augustin Berque. Par l’étude des milieux, la mésologie, « le vivant est doué de subjectité » (Berque, 2014b : 53), l’environnement est optimal dès lors que le milieu est adapté aux êtres vivants et non l’inverse. Walt Witman le dit très bien : « Pour moi la terre me suf- fit » (Witman, 1855 : 212).

Selon Gaston Bachelard le corps dur disperse l’action sur la nature en vou- lant la maitriser dans une connaissance de la matière, il est « le miroir convexe de notre énergie » (Bachelard, 1948 : 29).

La volonté de domination s’exprime dans des images et des réalisations d’architectures élevées. La cosmotique se fonde plutôt dans le corps mou,

« miroir concave » (Bachelard, 1948 : 29), car la mollesse (Bachelard, 1948 : 103- 129), plutôt que la malléabilité, de la matière nourrit le désir de pénétration

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de la nature ou celui d’être pénétré par les éléments pour ressentir une nouvelle intimité. La boue, la grotte, l’apnée, sont des moyens d’être dans la nature en découvrant la nature de notre corps et

en particulier ce qui est vivant mais pas encore vécu par nos techniques habi- tuelles, comme Anna Halprin l’a déve- loppé dans sa danse (Nobrega, 2015 : 213- 247).

Le modèle cosmique

Le cosmos n’est pas décrit chez le Corbusier dans une référence mystique ou religieuse mais à travers une écolo- gie des éléments : la lumière, l’air pur, le soleil, le vent, l’hydrométrie sont des éléments qui viennent délimiter la vue et l’horizon des paysages des habita- tions : « la nouvelle médecine (par le retour aux conceptions cosmiques fon- damentales) » (3e CIAM de Bruxelles en 1930, Le Corbusier, 1930 : 36) sert ici de référence à Le Corbusier pour donner à l’air une vertu de purification. Formé par les lois de la nature l’homme doit en comprendre « l’esprit et du cosmique il fasse de l’humain » (Le Corbusier, 1933 : 83). Le cosmos est un moyen d’en finir avec les différences géographiques, celle des races et des climats car en ouvrant l’atlas et en considérant le planisphère,

« basons nous sur l’évènement cosmique qui domine tout : le soleil » (Le Corbu- sier, 1934b : 11).

L’inhumanité des habitations de la ville industrielle aura éloigné les corps du contact direct avec les éléments :

« c’est le manque d’harmonie, la caco- phonie qui ont détraqué aujourd’hui la biologie humaine et le cœur humain » (3e  CIAM de Bruxelles en 1930, Le

Corbusier, 1933 : 40). La biologie lors de la CIAM de Francfort de sep- tembre 1929, est la science de référence de Le Corbusier dans une lecture écolo- gique de tout le phénomène naturel qui n’est que « mouvement ininterrompu, roulement, développement, cycles, régu- larité et harmonie » (Le Corbusier, 1933 : 9). Le refus de l’artifice vient nourrir son admiration pour les formes exprimant la nature. Ce naturisme n’est pas une natu- ralisation de l’esthétique mais une incor- poration dans les rythmes et formes naturelles : « je suis attiré par toutes les organisations naturelles » (Le Corbusier, 1933 : 6) écrit- il en avril 1933. Cette rela- tion harmonieuse repose sur une beauté organique « comme des êtres dans la nature » (Le Corbusier, 1934a : 16) mais dans une référence très maternelle à la terre car « je ne me réfère à la nature qui est notre mère, la terre- mère » (Le Corbusier, 1934a : 20). La fonction loi- sir, en 1937 dans le 5e Congrès de Logis et Loisirs à Boulogne sur Seine (Paris) doit répondre au « exigences psycho- physiologiques » (Le Corbusier, 1937a : 20) du corps humain. Un logis ayant retrouvé des bases humaines doit se fon- der sur une relation « homme et nature,

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cosmos » (Le Corbusier, 1937a : 18). Il s’agit moins de rejoindre le cosmos que se cosmociser en fabriquant un corps et une architecture qui puissent communi- quer et s’insérer dans les lois et les élé- ments de la nature. Il convient d’utiliser

« le mécanisme cosmique » (Le Corbu- sier, 1950 : 46) pour se protéger par le pare soleil, de l’insolation comme dans la Cité radieuse à Marseille. Le soleil est, dès sa lettre à ses parents depuis Vienne le 5  décembre 1907, notre « dictateur » car il « proclame la loi fondamentale de notre terre » (Le Corbusier, 2001 : 78).

Une interprétation organiciste de l’ha- bitation mais aussi de ses habitants est au centre de la perspective architecturale des espaces : l’habitation elle- même, à la 3e  CIAM de Bruxelles en 1930, « est un phénomène éminemment biologique » (Le Corbusier, 1933 : 36). Le corps est bien dans la ville verte car le logis est

« le poumon et le cœur de la ville verte » (Le Corbusier, 1938) grâce à l’action du soleil, de la verdure et de l’espace. La cel- lule n’est pas seulement une métaphore architecturale sur le modèle cellulaire

de la prison pour le Corbusier. La cel- lule est ici biologique mettant en avant l’efficience et l’intégrité de la cellule car elle « commande la validité et la santé de l’ensemble » (Le Corbusier, 1950 : 9).

L’appartement doit devenir « un orga- nisme d’une biologie infiniment plus subtile » (Le Corbusier, Boll, 1941 : 45).

En comparant la société à l’homme, Le Corbusier espère atténuer l’impact du domaine bâti de la nature en le rendant

« semblable au corps humain » (Le Cor- busier 1942 : 144). Il convient d’accom- plir une « reformation moléculaire de la conscience universelle » (Le Corbusier, 1945 : 3). Cette universalité doit faire face aux événements cosmiques en se pla- çant « au sein de la grande nature : ciel stratosphérique, océan, steppe, savane, Sahara, forêt vierge, mers et océans, soleil, étoiles, orages, foudres et tem- pêtes » (Le Corbusier, 1947 : 17) La phy- sique et la biologie sont les sciences de références principalement car elles pro- viennent « de la pression des lois cos- miques, des règles de croissance et de la vie des êtres » (Le Corbusier, 1954 : 1).

La vibration de la lumière

C’est la lumière qui doit assurer le lien entre « santé physique » et « santé morale » (Le Corbusier, 1923). S’ins- pirant des travaux des médecins naturistes sur les effets de la lumière naturelle, Hugo Höppener dit Fidus (1868- 1948) crée en 1894 une « prière de lumière » (un jeune homme qui étire

ses bras dans le ciel) qui devient le sym- bole de cette culture du corps (Kennedy, 1998). En 1911 le docteur Albert Mon- teuuis, apôtre de la cure de lumière et de soleil, décrit l’importance du bain de lumière (210 bains d’air en Allemagne) après sa visite à Berlin : « Moyennant une cotisation modique, les membres Cosmotique par l’écologie corporelle

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peuvent, chaque matin, aller prendre leur bain d’air et y faire leurs exercices hygiéniques. Ils trouvent au local de la société une installation sommaire d’hy- drothérapie, voire même un coin de terre recouvert de sable où ils peuvent l’été se reposer au soleil après le bain et se délasser en prenant un bain de lumière » (Monteuuis, 1911 : 260). La ville rend la lumière « malade » en rai- son de la « diminution des infrarouges et des autres éléments vitalisants » (Le Cor- busier, Boll, 1941 : 23). Avant le projet de la ville verte, Le Corbusier décrit Paris comme responsable de la « dépression, vie anormale et contre nature » (Le Cor- busier, 1931 : 4). « Un flux de lumière : nous savons que la lumière solaire nous est indispensable » dans sa conférence sur le Lotissement rationnel au 3e CIAM de Bruxelles en 1930 (Le Corbusier, 1933 : 36). Mais si la lumière solaire doit bien être « directe », il faut éviter l’aveu- glement et profiter de la chaleur l’hiver tout en se protégeant de l’exposition caniculaire.

La peau est conçue ici comme per- méable mais moins selon le modèle poreux de la communication qu’ à partir de celui de la vibration ondula- toire : « Notre peau est un vaste réso- nateur spécialement accordé pour les vibrations lumineuses ». Cet accord est cosmique comme si la peau avait été conçue pour recevoir la lumière et que l’urbanisation nous en aura détournés.

Ainsi le lien entre lumière et cosmos tient au rayonnement des fluides qui dans la ville industrielle manquerait à l’homme « l’action de ces fluides vitali- sants, invisibles que le cosmos, dont il n’est qu’une simple combinaison provi- soire, peut seul lui apporter » (Le Corbu- sier, Boll, 1941 : 29). La journée solaire,

« horloge de la Terre 24 heures solaires » (Le Corbusier, 1933 : 76), est le rythme perdu faute d’une orientation de la maison au point que l’homme « s’étiole et crève » (Le Corbusier, Boll, 1941 : 29) par la perte de contact avec les éléments dont le rythmes alternant devrait consti- tuer un repère quotidien.

Entretenir la machine corporelle

Le sport est le moyen d’une « com- pensation du labeur moderne » (Le Cor- busier, 1921 : 1) car le sport chaque jour favorise la « récupération des forces ner- veuses » (Le Corbusier, 1921 : 1). Le Cor- busier fait de l’entretien physique la base d’une réparation régulière du corps :

« d’entretenir  les hommes, les femmes et les enfants de tous âges. Il n’y a pas

d’âge pour faire du sport » (Le Corbu- sier, 1930a : 16). Cette phrase conclue le texte de la conférence en s’adressant aux spécialistes de l’éducation pour inclure cette logique de l’entretien régulier tant dans l’architecture moderne que dans les programmes d’exercices physiques.

La récupération des forces nerveuses nourrit une cosmologie intérieure qu’il

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faut rétablir par une relation plus har- monieuse avec les « forces bellicistes propres à la nature humaine » (Le Cor- busier, 1937a : 22) : il convient par « l’en- tretien physique du corps, la satisfaction aux besoins de compétition par le sport » de les « absorber harmonieusement » ces forces. Ce thème est présent aussi dans le texte de 1934 sur « l’absorption des béllicités individuelles (sport) » (Le Corbusier, 1934b : 4), même si les cinq moyens de cette absorption sont 1. Le travail collectif, 2. La culture du corps, 3. Culture de l’esprit, 4 Famille ; 5 Som- meil. Ainsi le maintien ou l’accroisse- ment des forces physiques passent par

« la culture physique et le sport quoti- dien » (3e CIAM de Bruxelles en 1930, Le Corbusier, 1933 : 39).

Sa fascination pour les progrès de la médecine moderne exprime ce para- digme du bon mécanicien : « faire des hommes sains » (Le Corbusier, 1930a : 3) en entretenant la machine physique.

Plutôt que de guérir des maladies, il faut les anticiper en plaçant le sport comme une « partie intégrante de la cellule d’habitation » (Le Corbusier, 1930a : 16). Les loisirs, au 2e  CIAM de

Bruxelles en 1930, ont une double effi- cacité autant morale que physique : ils font retrouver à l’homme moderne « sa dignité aujourd’hui malmenée » (Le Corbusier, 1933 : 66) et participe à le faire vivre enfin, afin de « sauver son corps » (Le Corbusier, 1933 : 66). Ce sauvetage du corps est à comprendre de manière globale avec une hygiène tant, physique, morale que sociale par la valorisation de la famille, de la parti- cipation collective. Une nouvelle défini- tion du sport, contraire au spectacle du sport, vient unifier ses différents sens de l’hygiène : « Qu’est- ce que le sport ? Une action physique quotidienne, disci- plinée, régulière, une alimentation aussi indispensable que le pain » (Le Corbu- sier, 1933 : 65). Par sa pratique régulière l’ensemble des parties du corps pourra

« revivifier leurs poumons, leur système cardiaque, leurs muscles et gagner de la joie et de l’optimisme » (Le Corbusier, 1933 : 65). Ce lien entre les valeurs phy- siologiques du bon fonctionnement du corps, dans le contexte de la tubercu- lose, et celle morales d’une psychologie de la joie est constant dans l’œuvre de Le Corbusier.

Vers une respiration exacte

Face à la dégradation respiratoire des villes, l’air de la Nature a pu consti- tuer une utopie (Rouhet, 1913) régénéra- trice, celle d’un retour (Fukuoka, 1996) à l’état originel contre la société et ses désordres. Survalorisées, la vie paysanne

puis la campagne restent un refuge moins romantique que vertueux pour le repos de l’âme et la vitalité du corps. Jardin d’Eden perdu, la nature non urbanisée devient un idéal respiratoire (Rahbi, 2008) par une conscience environnementale et

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par la qualité de ses produits et de ses élé- ments vierges de toute action humaine.

Le Corbusier est très influencé par le courant hygiéniste de la nouvelle méde- cine. « La consommation de l’air pur : la nouvelle médecine (par le retour aux conceptions cosmiques fondamentales) entend trouver dans l’air naturel des vertus » (3e  CIAM de Bruxelles en 1930, Le Corbusier, 1933 : 36). Pendant l’hiver 1931- 32 dans un texte intitulé « La respi- ration exacte » il recherche une solution pour renouveler l’air dans l’architecture nouvelle, contre l’air vicié et mort qui asphyxie la ville et le climat urbanisé de la pollution. Contre les miasmes, l’air doit être traversant le logis afin que « la matérialité bienfaisante de l’air vivant » soit efficace (Le Corbusier, 1933 : 43). La res piration doit être « exacte (mur neutra- lisant et circuit intérieur » (Le Corbusier, 1933 : 44).

Déjà face à l’air confiné, en 1887 D’Ar- sonval imagine un aspirateur pulmo- naire à partir d’expériences menées avec Brown- Séquart à l’Institut et à la Société de biologie entre novembre et décembre.

En 1907, Albert Lévy dans le no  39 du Bulletin de la Société libre pour la psycho- logie de l’enfant présidée par Alfred Binet décrit l’air insalubre (Albert  &  Binet, 1907) dans les écoles : il invente un appareil portatif et automatique pour filtrer l’air vicié, dont deux furent dispo- sés, par Alfred Binet, dans le laboratoire de pédagogie normale de l’école de la rue Granges aux Belles pendant un an afin d’analyser l’air respirable : « Nous pourrions même rechercher quelle est l’influence qu’exercent, sur la pureté de

l’air d’une classe, les divers systèmes d’aération, car vraiment, il ne suffit pas de doser l’air, il faut encore, dans l’inté- rêt des enfants, chercher à le purifier » (Albert  &  Binet, 1907 : 121). En 1890 Fernand Lagrange (1846- 1909) défend cette hygiène du plein air. Une « éduca- tion respiratoire » (Lagrange, 1888 : 93) devrait, dans une Physiologie des exer- cices du corps, faire partie de l’enseigne- ment obligatoire. L’auto- intoxication, qui peut aller jusqu’à « l’autophagie et l’épuisement » (Lagrange, 1888 : 153) par l’acide carbonique, implique que le besoin de respirer puisse rencon- trer un milieu défavorable et surtout une absence d’exercice : l’insolation, en empêchant l’homme de « se défaire de sa chaleur intérieure » (Lagrange, 1888 : 137), comme le travail maintient le corps dans un miasme nauséeux.

Dans la chapitre  III « Les exercices en plein air » de son livre publié en 1890 Hygiène de l’exercice chez les enfants et les jeunes gens, Fernand Lagrange précise que « le grand air est un agent hygié- nique de premier ordre. Tout le monde sait, et chacun reconnaît qu’il n’est pas sain de respirer un air vicié par la cohabitation de plusieurs personnes » (Lagrange, 1890 : 78). Le climat ne peut être invoqué puisque « les exercices dits de plein air » (Lagrange, 1890 : 79) pro- viennent justement d’Angleterre dont les citoyens viennent chercher le soleil l’hiver sur nos côtes tandis nous nous calfeutrons soigneusement pour faire de la gymnastique en chambre. La crainte des intempéries de l’air produisent des variations de la température qui sont,

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en réalité « un moyen d’entraînement » (Lagrange, 1890 : 80). Pour notre enve- loppe cutanée, la congestion produit une réaction thermique par le mouvement du sang vers la peau. Pour vivre « au grand air » (Lagrange, 1890 : 82) la vigueur ner- veuse ne doit pas s’amollir et en perdant l’exercice de ses forces l’urbain subit le miasme humain. Pour une sécurité hygié- nique complète, seule compte « l’installa- tion au grand air » (Lagrange, 1890 : 87),

« L’homme qui fait de l’exercice dans sa chambre à coucher active bien sa respi- ration par le travail musculaire ; mais, pour satisfaire son besoin d’oxygène, il ne peut introduire dans la poitrine que de l’air déjà respiré ». La qualité de l’essoufflement témoignerait de la diffé- rence de récupération après la course en montagne et après celle dans une salle d’armes ou gymnase : « une sorte de quiétude respiratoire accompagnée d’un grand bien- être » (Lagrange, 1890 : 88).

La force musculaire ne suffit pas pour être bien portant. Le travail des muscles amène « la soif de l’air » (Lagrange, 1890 : 44) qui pousse chacun à introduire dans sa poitrine une grande quantité d’oxy- gène. Seule la vivification du sang par l’exercice à l’air libre, et non dans un air confiné, peut apporter un bien être.

Produire des athlètes ce n’est pas for- cément être bien portant : « le manque d’air pur » (Lagrange, 1890 : 91), joint à une sédentarité excessive, nuit à l’acqui- sition d’une santé robuste  sauf par les promenades et exercice « au grand air » (Lagrange, 1890 : 237). Il est désormais établi que les exercices du corps (Cou- vreur, 180, 265) doivent être les plus

naturels à l’homme, comme la marche, la course et le saut là où la lutte, la lutte et la natation ont un caractère plus artificiel.

Philippe Tissié (1852- 1935) voit dans la respiration un moyen de développement de la cage thoracique. Les principes de psycho- dynamique repose sur une gym- nastique respiratoire faite lentement et avec amplitude afin d’exciter l’attention volontaire : « c’est en effet de la surface d’épandage pulmonaire que vient toute force évolutive, grâce à l’oxygénation plus profonde du sang » (Tissié, 1912 : 19). La cérébration et la musculation trouveront dans l’oxygénation du sang le moyen d’un réel développement et pas seulement « la beauté dans la forme du corps ». Dans sa clinique de gymnastique médicale à Pau, l’inspiration forcée doit établir un jeu de la cage thoracique : la respiration est physiologique mais relève surtout d’une « pneumo- psychologie » ; si la vie est une oxydation, « il faut oxyder et ne pas asphyxier » (Tissié, 1912 : 21).

Ces constatations cliniques « ont une grande valeur au moment où les exer- cices physiques de plein air, exercices respiratoires par excellence, tendent à pénétrer dans la pédagogie et à prendre une place de plus en plus justifiée et prépondérante dans la vie de la nation par une éducation physique scolaire, post- scolaire et militaire mieux com- prise et plus rationnellement appliquée d’après les principes biologiques » (Tissié, 1912 : 23). La santé repose ainsi sur une bonne nutrition gazeuse pour développer

« toutes les fonctions de la vie aérienne » (Tissié, 1912 : 41) selon les principes de L’Anatomie gymnastique du muscle vivant.

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Conclusion

La cosmotique n’est- elle pas pour- tant la conséquence de ce que l’anthro- pologue Jean- Didier Urbain appelle la Grande inversion ? Celle qui nous aurait fait basculer de l’hygiénisme du Nord à l’hédonisme du Sud : « Le temps est venu de changer de registre. De modèle ou de paradigme… comme un autre monde, le fondant et l’inventant dans un exotisme à vivre aux antipodes géographiques mais aussi historiques, morales et symboliques de la culture atlantique » (Urbain, 2014,

228). Gauguin, Matisse, Le cabanon de Le Corbusier, Victor Segalen, Alain Ger- bault… autant de recherches d’une cos- motique où nudité, soleil et nature sont à la recherche même de l’immersion mari- time. En son temps, Le Corbusier, natu- riste, cosmoscien et hygiéniste, participe à ce mouvement de fonder un ailleurs mais ici dans la ville urbaine cosmocisée par l’entrée dans les fenêtres, les toits ter- rasses et les terrains des éléments comme l’air, la lumière et le soleil.

Sources

Archives Le Corbusier (merci au conser- vateur des Archives LC Arnaud Dercelles pour son aide et ses conseils précis et scien- tifiques)

Le Corbusier, 1921, Manuscrit, Archiv LC, F. 3- 1, 23 p. 7 décembre.

Le Corbusier, 1923, Le Logis contemporain, dans Bulletin de la vie artistique, Arch LC A.3- 2.11- 16.

Le Corbusier, 1924, « La maison moderne », Archiv LC C.  3- 16- 2026, Aout, 14 p. Manuscrit.

Le Corbusier, 1930a, « Commentaire relatif à Moscou et à la ville verte », 12  mars, Archiv LC A2- 19, 17 p.

Le Corbusier, 1930b, « Note concernant la construction d’un grand centre de réjouis- sance populaire », I1, Arch LC.

Le Corbusier, 1931, « Pour contrôler la tra- dition de Paris : manifeste d’une nouvelle génération », Arch LC F.  31- 28- 37, 14  mai 1931, 10 p.

Le Corbusier, 1932a, « Aménagement d’une journée équilibrée », 1er  mai, Archiv LC Manuscrit, U3- 5 64- 139, 2 pages

Le Corbusier, 1932b « L’éducation de l’enfance », Archiv LC Manuscrit U.3- 5 Groupe 64- 139, 6 pages.

Le Corbusier, 1933, La Ville radieuse. Soleil- Espace- Verdure, Paris, Ed Vincent Fréal, 1964.

Le Corbusier, 1934a, « Raison d’être de l’ar- chitecture moderne », Archiv LC Manus- crit A2- 19- 23 Texte de la conférence de Zurich 15- 16 fevrier 1934.20p.

Le Corbusier, 1934b, Les Graphiques expri- ment, Arch LC U 3- 5 194- 205, 1er  mars 1934, 12 p.

Le Corbusier, 1935, Urbanisme total, Arch LC, U. 3.5. 206- 210, 18 janvier, 5 p. Tapuscrit.

Le Corbusier, 1937a, Rapport no 1 « Solution de principes », Logis et Loisirs, 5e  congrès de Paris, Éd.  L’Architecture aujourd’hui, avril, p. 17- 31.

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Le Corbusier, 1937c, V Congrès du CIAM de Paris, Logis et Loisirs, 7 p.  Tapuscrit, UE 3.7. 310- 316.

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