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GASTON BONHEUR COLLECTION L'HISTOIRE ET L'ÉPOPÉE. ÉDITIONS COLBERT 28, rue La Boétie, PARIS-8

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Texte intégral

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L'ENFANT

DE L'ÉPOPÉE

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Le Mystère de la Chavonnière. Ernest Fornairon La Passion héroïque de Mme de Lavalette. Pierre Nézeloff La Vie ardente de Bayard. Louis-Léon Martin Le plus bel Amour de Stendhal. Gaston Picard Les belles amies de M. de Talleyrand.

Jacques Dyssord L'assassinat du duc de Guise.

Pierre Lafue La violente amour de Mme de Brézé.

Edmond Pilon Batailles dans le ciel.

Marcel Migeo Yousouf, premier spahi de France. Paluel Marmont L'Agonie des Aigles. Georges d'Esparbès Ces Dames de Chamblas.

Ernest Fornairon Diane de Poitiers.

José Germain et Jean Mauclère Desmarest, policier de l'Empereur. Pierre Lafue Dunois, le bâtard d'Orléans. Louis-Léon Martin Le Prince aux Jasmins.

Marie Derennes

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GASTON BONHEUR

L ' E N F A N T

D E L ' É P O P É E

COLLECTION L'HISTOIRE ET L'ÉPOPÉE

ÉDITIONS COLBERT

28, rue La Boétie, PARIS-8

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 10 EXEMPLAIRES SUR CHARTA L. M. F. ÉDITION ORIGINALE DE

" LE PAPIER DE QUALITÉ "

NUMÉROTÉS DE 1 A 10

Chez Jacques Haumont Chemin privé - Poèmes - 1933 Aux éditions de la N. R. F.

La Mauvaise fréquentation - Roman - 1934 Les Garçons - Roman - 1937

Aux éditions Colbert

L'Infante aux Narcisses - Roman historique - 1943

La Maréchale Sans-Gêne - Roman historique (à paraître).

Aux éditions O. F. L.

Amour sacré - Reportages (à paraître).

Collection créée et dirigée par Jean d'Agraives

Copyright 1943 by Editions Colbert Tous droits de reproduction, de traduction

et d'adaptation réservés pour tous pays.

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A mon Frère G. B.

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PREMIÈRE PARTIE LE ROI DE ROME

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LES ADIEUX DES TUILERIES

N

APOLÉON, par la grâce de Dieu et les consti- tutions, Empereur des Français, Roi d'Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération helvétique, à tous présents et à venir, salut...

— Salut, citoyenne Bonaparte !

Les cérémonies pour rire qu'ils se font, autour de la cafetière de vermeil, sous l'œil goguenard de Beausset, préfet du palais, c'est leur manière à eux d'être complices, dans l'ombre rose de la pourpre.

Après la dernière estafette, avant la première joueuse de tric-trac, c'est pour Leurs Majestés Im- périales, l'intermède de l'amour. L'aigle un instant roucoule.

Mais ce soir ? Les pendeloques semblent des larmes retenues. Le couple, secrètement meurtri, ne tient plus que par artifice. « Empereur des Fran- çais, Roi d'Italie... », elle a dit tout cela d'une voix qui se brise — un peu comme un défi — ... « Ci- toyenne Bonaparte », il a répondu parce que c'est la mode. On n'est plus dupe de la comédie qu'on se joue, dans les coulisses des Tuileries, depuis le retour d'Autriche, depuis Wagram. On n'a réussi qu'à retarder l'instant douloureux du déchirement.

Joséphine va à la fenêtre, soulève le rideau. Il pleut sur l'arc de triomphe du Carrousel.

— Un temps de 18 brumaire.

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— Nous sommes le 30 novembre 1809.

Napoléon a le goût des dates, l'habitude des jour- nées historiques.

L'averse raye les vitres. Le salon vert s'emplit de fantômes, tendres ou chamarrés. Il y a là, pêle- mêle, merveilleuses du Directoire et Maréchaux d'Empire, belles des belles et braves des braves, toute la romance et toute l'épopée, la guitare do- lente et le fifre nageur.

Assaillie de souvenirs, bousculée, Joséphine se sent emportée dans les bras d'une valse où alternent les berlines d'Italie et les carosses du sacre, les char- ges et les pas glissés. Prise de vertige, secouée de sanglots, rompue, elle s'écroule dans le velours.

— Joséphine, ma bien-aimée.

Les mains indécises, Napoléon se penche. Il s'in- terrompt au milieu d'une caresse, serre les dents, chasse Beausset d'un geste brusque, piétine son amour qui ne veut pas mourir. Silence, mon cœur.

— Joséphine...

— Sire, ne dites rien. Pas encore. Quand il me faudra vous quitter...

— Tu as écouté Fouché. Ne t'ai-je pas répété cent fois que si jamais la raison me déterminait à rompre nos liens, c'est de moi seul que tu l'ap- prendrais ?

Elle relève la tête et, soudain résolue, glacée, décidée à sa perte.

— Eh bien je vous écoute. Sachez enfin ce que vous voulez, et finissons de telles scènes. Fouché menace... Talleyrand console... J'en ai assez de désespérer et d'espérer. J'attends le verdict. Ils sont là, au milieu de ce palais des tambours et des violons, des conquérants et des courtisanes, seuls entre quatre murs, avec le tapage insolite de leurs cœurs affolés, abandonnés à leur drame, dépouillés du masque d'Empereur et du loup d'Im-

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pératrice, un homme et une feme acharnés à finir, rien de plus.

Lui... on le connaît ce profil fabuleux, figé d'avance comme un plâtre et, pourtant, palpitant, sujet aux migraines, irrigué de vie, avec ses affluents mauves sur les ailes du nez, ses gouttes de sueur au coin des tempes, sa mèche qui tressaille.

Non plus le Bonaparte échevelé des victoires légè- res, mais le Napoléon à la tête ronde des batailles disputées. Non plus le pont d'Arcole, mais Wagram.

Non plus le blé vert de la gloire, mais les moissons alourdies. Parvenu au milieu de la vie, l'homme s'arrête un moment sur la crête, entre Hier et Demain, soudain songeur et soudain soucieux.

Traîneur de sabre qui s'en allait conquérir le monde pour les beaux yeux d'une créole mainte- nant écroulée à ses pieds, il eut les lauriers d'Italie, les Pyramides le contemplèrent. Il fut Empereur des Français. Il est Empereur d'Occident. Au seuil de l'immortalité, il hésite. En lui, deux hommes s'affrontent, l'homme de tous les jours et l'homme de toujours. Déjà marqué du destin et semblable à son dernier moulage ; mais, encore, l'empreinte est fraîche, l'avenir malléable. Ainsi, le soleil de midi, avant que commence le soir, semble retenu au plafond. Les choses sont jugées. La balance est immobile. Rien m'annonce le déclin, sinon que le matin est fini.

Lui.. c'est un homme entre deux âges, encore hanté par le passé, déjà harcelé par l'avenir et qui promène son débat sans le résoudre.

Napoléon est au bout de sa gloire. C'est l'heure du relais. Il est temps de se transmettre si l'on veut se survivre. Fils de lui-même, le champion n'aspire plus qu'à être le père de lui-même. A qua- rante ans, cet adolescent prodigieux se sent, sou- dain, devenir un homme et, dans sa plénitude, il prend conscience de ses limites. Sa condition est

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périssable. Sa condition est de durer. L'homme peut mourir. Le fils de l'homme vivra. N'est-ce pas, déjà, abdiquer un peu que d'avoir le souci de se perpétuer ? Napoléon l'unique devient Napoléon premier. Le visage à venir d'un Napoléon Il se substitue dans son âme au visage de Joséphine qui n'est déjà plus qu'un souvenir.

Et, de cet homme mûr, qu'habite une tragédie, l'amante éplorée attend le mot de la fin.

Ils sont face à face. Lui, avec son gilet de casi- mir blanc, sa promenade furieuse, son colloque secret. Elle, effondrée dans les plis de velours comme une rose déchue au milieu de ses pétales.

Elle, qui fut de tous les rendez-vous légendaires, de Milan, de Mayence, de Laeken, elle la frivole, l'inconstante, l'adorable, celle que le conquérant appelait « mio dolce amor », qui inspira les plus belles lettres d'amour du monde, elle, la grâce au milieu des épées. Infidèle, repentante, pardonnée, couronnée et maintenant vaincue par l'ombre d'un enfant.

L'empire, entre eux, avec ses victoires en lettres d'or, ses fanfares, ses étendards, sa grande armée, ses grands préfets, ses grandes orgues, l'empire entre eux n'est qu'un roman d'amour.

Joséphine va se parer de souvenirs. Elle évo- quera les veilles incertaines et les lendemains triom- phants...

Elle sera la passante parfumée des rues de Paris, au temps des muscadins, quand Bonaparte n'était qu'un révolutionnaire famélique que flanquaient deux aides de camp aux joues creuses : Junot et Marmont...

Elle sera, dans ses atours, la ci-devant vicomtesse de Beauharnais.

Elle sera, sous le coup de Vendémiaire, cette épousée de deux jours, rue Chantereine, entre un

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mariage à la diable et le départ pour la campagne d'Italie.

Elle sera la princesse lointaine qui ne se plaît qu'à la pénombre des boudoirs, pendant que, pour la mériter, Napoléon, là-bas, remporte six victoires en quinze jours.

« Mon âme est triste, écrivait-il dans sa berline ailée, mon cœur est esclave. Souviens-toi de ce que je t'ai dit quelquefois : la nature m'a fait l'âme forte et décidée. Elle l'a bâtie de dentelle et de gaze. »

Proclamations de son cœur...

« L'absence guérit les petites passions, l'absence accroît les grandes. Prends des ailes. Viens... Viens ! »

« Ce sera un jour bien heureux que celui où tu passeras les Alpes. Ce sera la plus belle récompense de mes peines et de mes victoires... »

Mais elle restait sourde aux cris de la passion.

Boudant sa destinée, elle inventait des malaises sou- dains, de grosses espérances. Il se laissait moquer.

« Je meurs d'envie de voir comment tu portes les enfants. Cela doit te donner un air majestueux et respectable. Tu feras un petit enfant joli comme sa mère, qui t'aimera comme son père. Mais, d'ici là, garde-toi de l'aimer plus que moi. Je commence déjà à en être jaloux... »

Floréal passera. La rue Chantereine s'appellera rue des Victoires.

encore, pendant la prodigieuse expédi- tion d Egypte, l' oublieuse Joséphine reprise par les bals et les cavaliers parfumés.

Elle sera, au retour, la Joséphine repentante qui se lamente toute une nuit derrière une porte fer- mée, et qu 'il accueille à l'aube pour des baisers furieux où se mêle le sel des larmes.

Elle sera, à ses côtés, un jour de Pluviôse, dans

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la calèche empanachée, la première dame de France, et il se penchera vers elle pour murmurer :

« Ce soir, nous coucherons aux Tuileries. » Première nuit des Tuileries où le palais des Rois n'était plus que l'auberge promise à leur amour.

Elle sera l'alliée. Elle apprendra la géographie, la politique, le métier de femme d'Etat.

Elle sera, enfin, dans son manteau de pourpre et d'or, à Notre-Dame, celle qu'il fait impératrice sous les yeux de David.

Tant de souvenirs évoqués, que ponctuent les san- glots, et contre lesquels il se débat au nom d'un espoir minuscule. L'épopée a eu sa mère. L'épo- pée aura son enfant. Toutes ces fleurs seraient vai- nes sans le fruit en qui l'été s'accomplit. Tout est conquis. Tout est menacé. Tout repose sur un ber- ceau.

En vain, plusieurs saisons, Joséphine, conseillée par la faculté, s'est-elle abonnée aux eaux de Plom- bières qui ont la réputation de raviver les fécon- dités paresseuses. Depuis longtemps, elle sent gran- dir entre eux cet enfant qui lui est refusé et qui les sépare aujourd'hui.

Elle s'est parée de souvenirs. Elle a cru qu'il allait céder, mais il a ravalé ses baisers. Alors, deux fois blessée, elle va se faire tigresse.

— C'est la faute de ta Polonaise. Je le sais. Et je sais que vous avez un fils. Avoue. Mais avoue donc...

Elle est femme. Elle n'a que deux armes : le souvenir et le poison. Elle se traîne aux pieds de l'Empereur, le paralyse de ses bras dorés. Intrai- table, il va la condamner du haut du trône.

— Ne cherchez plus à m'émouvoir, Madame, je n'y suis que trop enclin. Mais la politique n'a pas de cœur. Elle n'a que de la tête. Nous divorçons.

Alors, frappée à mort, Joséphine retombe sur le tapis semé,d'abeilles d'or. Elle est là, tuée, la ten-

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dre fée des insomnies. Elle est là, défaite, celle que les grognards appelaient Notre-Dame-des-Vic- toires. Napoléon, qu'elle habillait de caresses, a froid, soudain, comme s'il était nu. Il se met à genoux, suppliant qu'elle ressuscite. Il voudrait pleurer contre elle, et qu'elle dise encore, en souf- flant distraitement sur sa mèche : « Tu es mon enfant chéri de la gloire ».

Mais l'Empire se fait entendre, l'Empire inquiet de le voir se survivre, l'Empire qui est sa voix intérieure. Il se relève. En lui, l'homme et la sta- tue se chevauchent. Il n'est plus que la statue.

— Beausset ! Sa Majesté s'est trouvée mal...

Aidez-moi.

Il prend les jambes. Le préfet du Palais se met aux épaules. On emprunte l'escalier dérobé qui mène aux appartements de l'impératrice. Les degrés sont étroits. Juste la place d'une amoureuse qui grim- pait chaque nuit et faisait, dans l'épaisseur de la muraille, un froufrou de tourterelle. Maintenant, on a l'air de descendre à la crypte et d'aller, aux flambeaux, enterrer l'amour.

Grande soirée d'Empire ! Le mameluk qui annonce les fabuleux convives semble déclamer l'épopée.

— Duc de Valmy !

— Prince d'Essling !

— Duc de Dantzig !

— Duc d'Elchingen !

— Prince de Wagram !

Ces victoires, ce sont des hommes. Noblesse des champs de bataille, voici les maréchaux à chamar- rures. Ils s'inscrivent un instant dans le cadre de la porte, comme dans le cadre d'or de l'immortalité.

On les reconnaît au passage : Oudinot les trente-

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trois blessures, Ney le brave des braves, Kellerman l'ancêtre des trois couleurs.

Ils vont à Joséphine, s'inclinent gauchement, cherchent une phrase qui dise tout, ne trouvent rien, et se mettent à table en bougonnant. Ils ont un appétit d'aigles, et même de vautours. Ils ont grandi aux côtés de la première citoyenne. Ils l'ont connue pantelante, aux printemps de Milan. Ils sont entrés ensemble dans la légende. Elle reste la cantinière de l'Empire.

Mais de tous ces parvenus, fils de tonnelier, fils de palefrenier, dont le cœur se dérobe sous des épaisseurs de broderies, de grands cordons et de crachats, n'est-ce pas Napoléon qui souffre le plus de ce dernier rendez-vous entre l'amour et la gloire ? Quelque chose de grand finit, ce soir.

Dissimulés derrière leur collet, conspirant dans leur jabot, le prince de Bénévent et le duc d'Otrante règnent sur des groupes hostiles. L'un Talleyrand, vice-grand chambellan, spécialiste des relations extérieures, tenait pour Joséphine. Il a perdu. L'au- tre, Fouché, ministre de la police, poussait au di- vorce. Il est vainqueur. Personnages à histoires, personnages d'Histoire, ils viennent tous les deux de l'Eglise en passant par l'échafaud de Louis XVI.

Le prince de Bénévent fut évêque d'Autun, le duc d'Otrante débuta chez les oratoriens de Nantes. Ils ont plus ou moins fait Napoléon et n'aspirent qu'à le défaire. Par goût de construire et de démolir.

— Tant qu'ils intriguent aux antipodes, souffle Napoléon à Duroc,.je peux dormir tranquille. Mais gare quand tu les verras bras dessus bras dessous ! Le prince de Bénévent promène une tête de mort suave. Il porté sa tasse de café comme un calice.

Il joue de son pied bot. C'est par lui que l'Empire boite.

— Que dites-vous, monsieur de Talleyrand, vous mordez la poussière ?

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— Je dis que la parole fut donnée a l'homme pour cacher sa pensée.

— Le collègue Fouché semble bien méprisant.

— Le mépris des hommes qu'il affiche me sem- ble tenir à ce qu'il s'est beaucoup étudié lui-même.

Le duc d'Otrante, à l'autre bout, affecte un air bonhomme. Pourtant, son œil mort s'illumine sou- dain. Lèvres blêmes, sourcils incolores, épaules voûtées, mains sèches et enveloppantes, il ne sait ni rougir, ni pâlir. Il cherche l'ombre, se pare de dentelles sales. C'est le pion de l'Empire.

— Le vice-grand chambellan nous observe.

— Vice-grand chambellan, il ne lui manquait plus que ce vice-là.

— Enfin, Monsieur Fouché, vous avez fini par divorcer.

— Dans tout cela, je ne fus inspiré que par mon dévouement à la dynastie.

On rit, et il ajoute :

— Il nous faut du sang royal.

Napoléon qui a entendu les derniers mots s'ap- proche.

— Mais vous avez voté la mort de Louis XVI, Monsieur le duc d'Otrante.

Et lui, contrarié, mais souriant.

— Sire, c'est même le premier service qu'il m'a été donné de vous rendre.

Joséphine passe de groupe en groupe. Sa gentil- lesse semble un fard et, parfois, quand il s'écaille, on devine une peine immense. Dans sa gorge agitée où luttent des sanglots, on dirait un combat de pigeons... Son beau roman d'amour s'achève...

Hier, c'étaient des regards de pitié, aujourd'hui, ce sont des regards de haine. Joséphine, somnam- bule, meurt avec le sourire. Rien ne transparaît à

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travers les schalls et la carapace de joyaux. Elle a son pansement de souveraine.

Divorcer, pour elle, ce n'est pas seulement quit- ter l'Empereur : c'est se séparer de l'Empire.

Sous les lustres, les Bonaparte, convoqués, vont applaudir le final. Ils n'ont jamais aimé cette Beau- harnais. Ils lui reprochent son âge, ses dépenses, son inconduite.

Mamma Laetitia, habillée de noir comme la fatalité, se penche vers Louis, « ce pouacre cons- ciencieux ».

— Je savais que cela ne dourerait pas.

Murat de Naples, tout en brandebourgs comme un écuyer de cirque, rejoint le clan. Qui prétendrait qu'il est fils d'aubergiste, et que Julie de toutes les Espagnes est fille d'un fripier marseillais ? Caro- line, c'est la tête de Cromwell sur le corps d'une jolie femme. Seule, la folle Pauline, déesse de Canova, qui s'arrange pour être à moitié nue quand elle est le plus habillée, semble comprendre quel- que chose au cœur de Napoléon et lui tend de douces mains d'infirmière. Eugène et Hortense sont là, mais ils sont bien plus vice-roi d'Italie et reine de Hollande, que fils et fille de Joséphine.

Les époux déchirés se tiennent au premier plan devant l'Europe qu'ils ont faite, et qui les juge.

La scène va recommencer, mais avec des formes.

Il va falloir se confesser en public. Leurs rôles sont écrits sur un papier qu'ils déroulent d'une main émue. Dernière représentation du couple impérial.

Napoléon a la parole.

« ...et Dieu sait, récite-t-il, combien une pareille résolution m'a coûté, mais il n'est aucun sacrifice qui soit au-dessus de mon courage lorsqu'il m'est démontré qu'il est utile au bien de la France. »

C'est au tour de Joséphine.

— Avec la permission de notre auguste et cher époux, je dois déclarer que, ne conservant aucun

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espoir d'avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et les intérêts du pays, je me plais à lui donner... »

Elle n'en peut plus. La mascarade a trop duré.

Il faut que le cœur crève. Les lèvres hésitent... Et c'est soudain le cri atroce d'une assassinée. Hortense entraîne sa mère vers les corridors. L'archi-chan- celier Cambacérès, impassible, ramasse le papier et continue d'une voix claironnante.

— ...Je me plais à lui donner la plus grande preuve d'attachement et de dévouement qui ait jamais été donnée sur la terre. Je sais combien cet acte, commandé par la politique, a froissé mon cœur, mais l'un et l'autre, nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie.

Napoléon n'a pas bronché. Mais son visage de marbre est trempé. L'homme sue à travers le mas- que de l'Empereur.

Les Bonaparte se dépêchent de signer l'acte fatal.

Le lendemain, il pleut toujours. Joséphine est assise sur une chapelière, dans un coin de ses appar- tements bouleversés. Elle est comme une poupée cassée. Les femmes rouges et les femmes blanches, à travers le déménagement, font le ballet merveil- leux des frivolités. Fichus de cachemire, robes de soie, de gaze, de crêpe, de mousseline, de tulle, de blonde, de casimir. Deux cent vingt-trois che- mises de batiste, cent soixante-trois de percale, cent quatre de mousseline (elle était si éprise d'étof- fes qu'elle changeait de chemise trois fois par jour, en disant : « Je change de caresse »). Et les parures de rubis, d'émeraude, d'opale, de saphir, de tur- quoise. Autour d'elle, naufragée, ce murmure de traînes froissées, de bijoux entrechoqués, rappelle

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le bruit de la mer et de ses galets. Mais voici qu'on frappe à son cœur. La muraille s'entr'ouvre, et l'Empereur apparaît, comme il apparaissait aux nuits merveilleuses, quand elle tardait trop à le rejoindre. Elle relève la tête, ses joues baignées de larmes, ses beaux yeux sombres de noyée. Napo- léon s'avance au milieu du désordre, attentif à ne pas écraser des chemises. Les femmes se sauvent.

— Etait-ce la peine, Bonaparte ?

Elle l'a appelé comme autrefois, les soirs de vic- toire. Elle parle d'une voix assourdie où chante une guitare t r i s t e .

— Il me semble, parfois, que je suis morte et qu'il ne me reste qu'une sorte de faculté vague de sentir que je ne suis plus.

Rien à regretter, rien à espérer. C'est irréparable.

On ne peut que bercer.

— Tu seras toujours Majesté, Impératrice de mon cœur. Tu garderas les livrées à mes couleurs, les huit chevaux de souveraine. Tu garderas le man- teau aux abeilles d'or. Je te laisse Malmaison... Je te donne l'Elysée. Tu seras toujours ma femme.

L'autre ne sera qu'une mère. Sois forte parce que je suis faible. Allons, citoyenne...

Ils s'embrassent longtemps, et leur baiser raconte quinze ans d'amour comme un coquillage raconte l'Océan. Brusquement, elle s'arrache, se pare d'un sourire fragile.

— Sire, dépêchez-vous de partir, je crois que je suis forte.

La porte refermée, son sourire fané se détache d'elle. Et c'est vraiment l'Automne.

Il pleut toujours. Dans la cour des Tuileries, les chevaux impatients piétinent les flaques. Avant de s'engouffrer dans la calèche qui sent le chien avant de partir pour toujours, Joséphine lève les yeux vers la fenêtre où se profile, d'habitude, contre les vitres éclairées, la silhouette sombre de l'Empe-

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reur. La fenêtre est éteinte. Joséphine baisse la tête, comme si le palais de son bonheur s'écroulait sur elle.

Pourtant, dans l'ombre des rideaux, Napoléon la regarde s'en aller. La cage à perroquet qu'elle serre sur son cœur, les cartons à chapeaux qui résonnent comme des tambours mouillés, les cou- leurs qui fondent comme des bonbons... c'est friste comme une estampe de naufrage aux îles.

Napoléon a laissé retomber le rideau.

— Voyons, Méneval, allumez un peu que l'on me regarde pleurer. Il va à la cheminée se chauffer les mollets.

— Que pensez-vous de tout cela, monsieur mon secrétaire ?

— De Joséphine ?

— De Marie-Louise...

— Le comte de Metternich dit qu'elle est plu- tôt laide que jolie, qu'elle a une très belle taille et quand elle sera un peu arrangée, habillée...

— On ne peut pas être laide à dix-huit ans. Et puis, il s'agit bien de cela. Les filles d'Autriche sont fécondes, c'est tout ce qui m'intéresse. Mon fils ne sera pas le bâtard de la Révolution. Il sera l'infant d'Autriche.

Il marche de long en large, impatient.

— Méneval ?

— Sire ?

— Je serai le gendre de Louis XVI.

Méneval n'est ni figue ni raisin.

— Riez, imbécile !

On introduit le courrier de Vienne. Diplomatie sentimentale.

— Eh bien, Lejeune, comment est-elle ?

— Sire, la voici ! C'est un croquis que j'ai pris au théâtre. C'est assez ressemblant.

Napoléon s'approche d'un candélabre. Elle a de jolis cheveux qui bouclent, de gros yeux à fleur de

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tête, de petites mains fatiguées par les bagues, la poitrine haute... Mais ce qui compte, aux yeux de l'usurpateur, c'est cette bouche lourde, cette moue définitive, ce baiser latent par quoi elle est Habs- bourg.

« Ah !, s'écrie-t-il, elle a la lèvre autrichienne. »

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SA MAJESTE L'AMOUR

A

travers les vitres embuées du carrosse où se fanent les lys de Vienne, on voit des paysages détrempés, des frontières gluantes. En quel- ques tours de roues, l'archiduchesse d'Autriche est devenue l'Impératrice des Français. On l'a mariée, par bonne politique, à ce bandit corse qui fut la terreur de son adolescence.

Elle a des airs de « fiancée du pirate ». Depuis Strasbourg, son exil est un conte de fée.

« Ces étangs, ces forêts, ces châteaux, ces villa- ges, ce sont les vôtres, Majesté. »

Paysages hostiles et doux de sa nouvelle patrie.

Visages aimables et redoutés de ses nouveaux sujets. Faut-il bénir ? Faut-il maudire ? Marie-Louise a dix-huit ans. On lui donne un Empire. Mais elle a peur de l'Empereur.

Sa belle-sœur, la reine de Naples, l'accompagne.

Aime-t-il la musique, s'il vous plaît ?

Napoléon chante faux, mais ce n'est pas une raison.

Pensez-vous qu'il me laissera prendre un maî- tre de harpe ?

Vos désirs seront des ordres.

Je ne sais pas danser le quadrille. Il va m'en vouloir beaucoup.

— Il sera enchanté d'avoir quelque chose à vous apprendre.

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— Oh ! ma sœur, dites-moi, me laissera-t-il aller à la messe ?

— Il a déjà choisi votre confesseur. C'est l'évê- que de Nantes.

La reine de Naples réchauffe dans ses mains les mains glacées d'Iphigénie.

Un cavalier boueux s'approche de la portière avec un couple de faisans qui saignent encore...

« Je les ai tirés moi-même, écrit Napoléon, comme redevance bien due à la souveraine de mes plus secrètes pensées. »

Marie-Louise, en réponse, griffonne ces mots :

« Je voudrais être fleur de laurier pour vous approcher de plus près... »

Sur les routes de l'Est, les messagers d'amour, qui pataugent entre Compiègne et le carrosse crotté, croissent à mesure que la distance décroît. L'empe- reur interroge le dernier venu :

— Voyons, parlez franchement, comment la trou- vez-vous ?

— Sire, elle a la taille... (il hésite un moment) comme la reine de Hollande.

— Ah ! c'est bien... De quelle couleur sont ses cheveux ?

— Sire, elle est blonde... (il hésite encore) comme la reine de Hollande.

— Bon ! Et son teint ?

— Sire, fort blanc, et de couleurs très fraîches...

comme la reine de Hollande.

— Elle ressemble donc à la reine de Hollande ?

— Non, Sire, mais...

— Si elle était jolie, vous seriez moins embar- rassé, jeune homme. Enfin, qu'elle soit bonne et me fasse un gros garçon, et je l'aimerai comme la plus belle...

A la fin, l'Empereur n'y tient plus. Il choisit sort

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uniforme vert de colonel des chasseurs de la garde.

— Constant ! Dis à Murat qu'il fasse atteler.

Murat est de mauvaise humeur.

— Ce n'est guère un temps pour les fredaines.

On roule un train d'enfer. La fange giole sur les carreaux. On écrase des limaces. Napoléon se moque.

— Allons, monsieur le Roi de Napl es. Tu vas retrouver ta femme et moi la mienne. Nous aurions tort d'être maussades.

On croise une estafette ruisselante.

— Ils sont loin ?

— Ils arrivent.

A l'entrée de Braisne, on gare la voiture près d'un cimetière, dans un chemin de terre, au milieu des flaques. Murat, bougon, refuse de descendre.

L'Empereur en maraude se drape dans son frac vert et affronte l'averse. Il y a deux gouttières à son bicorne. Il se plaque contre la muraille avec des airs de coupe-jarret. Ce cimetière sous la pluie, cette route ravinée : c'est un décor de mauvais coup.

Soudain, au tournant de la brume, les chevaux de l'impératrice...

Napoléon bondit... Avant que l'escorte ait eu le temps de rejoindre, il s'est glissé dans la tiédeur de la calèche.

— L'Empereur ! s'écrie la reine de Naples.

Marie-Louise, très pâle, se jette aux pieds du conquérant et commence un discours incohérent.

— Sire, à l'instant solennel — quand les nations radieuses — mon père — toute l'Autriche — toute l'Autriche...

Elle ne sait plus sa leçon. Elle balbutie n'importe quoi. Un long baiser l'empêche de poursuivre. Les officiers accourus à la rescousse s'éloignent et sou- rient.

Le voilà donc ce « Monsieur la Guerre », dont le nom seul fait peur aux petits archiducs. « Si

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tu n'es pas sage, leur disait-on, Bonaparte te man- gera. » On lui a fait une place sur la banquette. Il est là, trempé, espiègle, tendre, ravisseur et ravi. L'ar- chiduchesse vaincue ne sait déjà plus depuis com- bien de temps elle appartient à cette main tyran- nique qui la presse à travers l'étoffe blanche.

Pour elle, sujette aux émois, il est le prince des romances, et sa cape légendaire l'enveloppe d'un frisson inconnu.

Pour lui, attentif à son destin, elle est l'héritière des dynasties repentantes. Il ne voit pas les gros yeux, la peau trop blanche. Il ne voit que la lèvre, la lèvre boudeuse, la lèvre offerte, le stigmate royal.

Toute sa race à elle qui fut, toute sa race à lui qui sera...

Une table chargée de vermeil, de porcelaine, de fleurs. La nuit est aux fenêtres, nuit d'arbres et de pluie, nuit de Compiègne. On est au milieu des flambeaux comme au milieu des étoiles. Marie- Louise aime le faisan, le chambertin, les drôleries de la reine de Naples. Soudain, sa tête penche comme à l'âge du marchand de sable. Elle est lasse.

La duchesse de Montebello, choisie pour son service, la conduit dans une chambre de velours et d'or.

Cependant, Napoléon a une grave discussion avec M. de Ségur qui défend le repos de l'archiduchesse. — Le cérémonial ! Le cérémonial ! Vous finirez par m'agacer. Suis-je marié, oui ou non ? Metter- nich et l'évêque de Nantes m'ont dit oui. Eh bien, puisque tout est en règle, allez vous promener. Marie-Louise a tiré tous les rideaux. Elle est seule. Elle a peur. C'est sa première nuit d'impéra- trice. Peur de quoi ? Ici, tous les murs ont des por- tes secrètes, le baldaquin abrite des terreurs, la chemise de linon est une maigre cuirasse... Un

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déclic... Un petit cri... Napoléon vient de surgir par un défaut de la cloison. Vite, elle se fourre sous les draps. Hier encore, elle était une demoiselle qui a peur des souris. Et, maintenant, il y a un homme dans sa chambre.

— Vous tremblez, Marie-Louise ?

— Sire, excusez-moi, je crois voir partout les assassins de ma tante.

Il s'assied sur le bord du lit et prend de force les doigts craintifs qu'on lui dispute, qu'il veut apprivoiser. Le fantôme de Marie-Antoinette est là...

— Je ne suis pas l'ogre, petite fille.

— Sire, il m'arrivait de jeter mes poupées au feu en disant que je vous rôtissais et je souhai- tais de tout cœur que se réalise la prédiction de l'Apocalypse, suivant laquelle vous deviez mourir l'an dernier à l'auberge de l'Ecrevisse-Rouge, à Cologne.

— Et maintenant ?

— Maintenant, Sire, je suis votre femme.

— Et que vous a-t-on dit de faire, quand vous seriez seule avec moi ?

— Ma bonne gouvernante, madame Lazansky, m'a bien recommandé de m'en fier à vous là-des- sus et, en tous cas, de vous obéir pour tout ce que vous pourriez exiger. Qu'exigez-vous, Sire ?

Il est touché par tant d'ingénuité. Il s'éprend d'un seul coup de cette jeune fille innocente qui s'offre à lui. Il embrasse ce poignet frêle qui frémit encore entre révolte et abandon.

— Voulez-vous que je souffle les lumières ?

— Oh ! non, s'il vous plaît, j'ai trop peur des revenants.

Il se plaît à éveiller dans ce corps inquiet des rumeurs heureuses.

Dès les premiers baisers, la sage promeneuse des

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parcs viennois s'est révélée la petite-fille de Marie- Caroline, aux nuits réputées.

Napoléon laisse rouler sa tête au creux de l'épaule émue. Il a, contre son oreille, une artère affolée. Il écoute ce sang puissant où courent des cavalcades pourpres, sang des Bourbon, sang des Habsbourg, sang des Lorraine, tout cela qui régna sur l'Europe et qui ne bat plus que pour lui, à la racine de ce cou d'archiduchesse.

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