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L'HOLOCAUSTE DE JEANNE BIGARD FONDATRICE DE L'OEUVRE PONTIFICALE DE SAINT-PIERRE APÔTRE

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L'HOLOCAUSTE

DE JEANNE BIGARD 1859 - 1934

FONDATRICE DE L'OEUVRE PONTIFICALE DE SAINT-PIERRE APÔTRE

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :

L ' A m b a s s a d e de F r a n c e p r è s le S a i n t - S i è g e s o u s l ' A n c i e n R é g i m e (ÉDITIONS SPES).

L a T e r r e e t les m o r t s de M a u r i c e B a r r è s (ÉDITlONB SPES).

I m p r e s s i o n s r o m a i n e s (ÉDITIONS SPES).

Le C a t h o l i c i s m e e n F r a n c e (LA PENSÉE CATHOLIQUE, Liège).

L a Cité d e C é s a r e t la C i t é de D i e u (ÉDITIONS DES PORTIQUES).

L ' Œ u v r e c i v i l i s a t r i c e e t s c i e n t i f i q u e d e s m i s - s i o n n a i r e s c a t h o l i q u e s d a n s les colonies f r a n - ç a i s e s (DESCLÉE DE BROUWER, éditeur) .

(Couronné par L'Académie fmnçaise.) Le Roi A l b e r t , h o m m e de d e v o i r (ÉDITIONS SPES).

L a V r a i e f i g u r e d u P è r e de F o u c a u l d (FLAMMARION, éditeur).

Le M i s s i o n n a i r e c a t h o l i q u e d e s t e m p s m o d e r n e s (FLAMMARION, éditeur).

L e s P è r e s B l a n c s d u c a r d i n a l L a v i g e r i e (GRASSET, éditeur).

L a B u t t e s a c r é e . Montmartre des origines au XXe siècle (ÉDITIONS SPES).

H i s t o i r e d e s m i s s i o n s c a t h o l i q u e s . (LIBRAIRIE DE L'ARC).

(Couronné par L'Académie française.)

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 193S.

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JEASNFMGARD

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DANS LE RAYONNEMENT DE SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX

L'HOLOCAUSTE

DE JEANNE BIGARD

1859 - 4934

FONDATRICE DE L'ŒUVRE PONTIFICALE DE SAINT-

PIERRE APÔTRE

PAR

PAUL LESOURD

Avec 2 qravvres hors texte

PARIS

L I B R A I R I E P L O N . LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT

IMPRIMEURS-ÉDITEURS — 8, RUE GARANCIÈRE, 68 Tous droi^tiwuiçs

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Copyright 1938 by Librairie Plon.

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U.R. S. S.

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A

LA MÉMOIRE DE

Monseigneur ANDRÉ BOUCHER Protonotaire apostolique Président du Conseil central de Paris de l'Œuvre pontificale de Saint-Pierre Apôtre de 1929 à 1936

Je dédie affectueusement ces pages qu'il voulait écrire et dont il me chargea lorsque, terrassé par la maladie, il offrit, lui aussi,

sa vie pour les Missions.

P. L.

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NIHIL OBSTAT :

ALEX. BROU S. J.

IMPRIMATUR : -

Lutetiœ Parisiorum, die 6° septembris 1938.

V. DUPTft, v. g.

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L'HOLOCAUSTE DE JEANNE BIGARD

En 1887, la petite ville de Lisieux n'avait guère d'importance. La Révolution l'avait privée de son siège épiscopal et la sainte, qui devait la rendre célèbre jus- qu'aux extrémités du monde n'était pas encore au Carmel, bien qu'elle brûlât déjà du désir de s'immoler pour sauver des âmes.

Le dimanche 21 août, de bonne heure dans la matinée, la ville était en émoi. Un jeune homme, torche vivante poussant des cris horribles, parcourait les rues, courant comme un fou, se roulant dans les ruis- seaux et, enfin, se réfugiant sous une borne fontaine suppliant qu'on éteignît le feu qui, à la suite de l'explosion d'une lampe

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à alcool, dévorait ses vêtements et sa chair. On le recueillit bientôt, on le pansa.

Malgré des soins dévoués, dix jours plus tard, il mourait d'une embolie.

,Ce jeune homme de trente et un ans, René Bigard, était, depuis cinq ans, juge au tribunal civil de Lisieux. Sa gaieté, son entrain, sa valeur personnelle, ses qualités professionnelles, ses dons artistiques, lui valaient beaucoup de sympathies. Un bel avenir lui semblait assuré.

Cette mort accidentelle est, par ses con- séquences, à l'origine de l'Œuvre de Saint- Pierre Apôtre. Elle fut, pour la sœur de René, Jeanne Bigard, et pour leur mère, le coup décisif qui trancha les derniers liens les rattachant au monde. Les deux femmes ne vivront plus désormais que pour Dieu, pour les missions, pour les prêtres indigènes. Elles seront, Jeanne sur- tout, des victimes volontairement immo- lées pour cette cause. Leur corps broyé sera le grain de blé qui ne porte de fruit que mis en terre et y pourrissant.

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et Jeanne Bigard ! Il n'est certes pas dans

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mon intention d'établir une comparaison ou un parallèle entre ces deux âmes. Com- ment cependant ne soulignerais-je pas quelques coïncidences :

C'est à Lisieux, d'où la famille de M. Bi- gard était originaire, que se produisit l'accident d'où est sortie l'Œuvre de Saint- Pierre Apôtre. C'est à Alençon, ville natale de sainte Thérèse, que mourut, d'un mal qui la rongea des années, Jeanne Bigard, qui, dans sa jeunesse, avait songé à entrer au Carmel et qui s'était offerte en holo- causte pour le clergé indigène, pour son Œuvre de Saint-Pierre Apôtre. A l''Œuvre de Saint-Pierre Apôtre fondée par Jeanne Bigard, Pie XI donna officiellement, comme patronne, sainte Thérèse de Lisieux que la vocation missionnaire avait un instant enflammée et qui, pour les missions, s'offrit elle aussi en victime, mais sur un plan héroïque, à un degré sublime.

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II

Charles-Victor Bigard, magistrat estimé dont la carrière se déroula à Mortagne, Coutances, Pont-l'Évêque, de nouveau Coutances, puis Caen — où il était con- seiller à la Cour d'appel — était né à Lisieux en 1827 (1). Ses parents étaient

(1) Charles-Victor Bigard, né à Lisieux le 15 août 1827, était fils de Jean-Victor Bigard et de Françoise Métivier, marchands merciers mariés à Lisieux le 12 octobre 1825.

Au moment de son mariage, Jean-Victor Bigard qui était âgé de quarante ans (il était né à Lisieux le 9 mai 1785) était sans profession. Son père, propriétaire, dit l'état civil, était mort le 29 mars 1786. Sa mère, née Margue- rite Le Normand vivait encore. Françoise Métivier était la fille de marchands teinturiers et était marchande mercière au moment de son mariage. Elle était née à Lisieux le 22 février 1792. Son père était mort le 23 août 1800 ; sa mère, née Jeanne-Françoise-Justine Langrais, le 13 décembre 1796. Jean-Victor Bigard avait au moins trois frères : François-Joseph, propriétaire ; Jean-Michel, propriétaire et chevalier de la Légion d'honneur ; Pierre-Lambert, fabricant de toiles. Fran- çoise Métivier avait un oncle maternel, François-Jean-

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marchands merciers. En 1855, il avait épousé la fille d'un notaire de Mortagne, Stéphanie Cottin. Leurs deux enfants : René et Jeanne, étaient venus au monde l'un en 1856, l'autre en 1859.

Si cette famille avait une certaine aisance du point de vue matériel, si sous le point de vue intellectuel parents et enfants étaient assez bien doués, leur santé fut toujours déplorable et une lourde hérédité pesait sur les enfants. Jeanne Bigard, en 1906, sombra dans la folie.

Mais son père Charles Bigard s'était sui-

Baptiste Langrais, directeur des postes à Lisieux. Chose curieuse, dans l'acte de mariage de Jean-Victor Bigard et de Françoise Métivier figure cette mention : « La contractante [Françoise Métivier] nous a déclaré par serment ignorer le lieu du décès et celui du dernier domicile de ses aïeuls et aïeules paternels et maternels et les quatre témoins nous ont aussi certifié par serment cette déclaration, ajoutant que quoique connaissant parfaitement les contractants, ils ignorent cependant le lieu du décès et celui du domicile de ces aïeuls et aïeules paternels et maternels. » Or, parmi les témoins indiqués se trouve l'oncle maternel de Françoise Méti- vier, le directeur des postes. En admettant que Fran- çoise Métivier, qui avait huit ans lorsque son père mourut, n'ait rien su de ses grands-parents, comment le directeur des postes ignorait-il le lieu du décès et du dernier domicile de ses propres parents?

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cidé en 1878 ; son bisaïeul maternel ayant dit-on perdu la raison, se serait empoi- sonné avec du savon noir ; sa grand'mère maternelle aurait eu un délire mystique pendant trois mois. Sa mère mourut de congestion cérébrale. On verra comment de ces grands maux Dieu fit sortir un grand bien ; on verra comment les prédis- positions héréditaires de Jeanne Bigard furent, par la Providence, dirigées de telle sorte que l'exaltation qui en résultait fut, peut-être, ce qui assura le succès de l'Œuvre qu'elle fonda. On verra aussi que, dernier rejeton, dernier rameau de cette branche, sinon maudite, du moins physi- quement tarée, Jeanne Bigard, par ses souffrances et l'acceptation — son holo- causte — de sa maladie, spirituellement rachètera, ou expiera ; et fera tourner à la gloire de Dieu, son déséquilibre mental.

Mme Bigard, qui n'avait pas un carac- , tère agréable — on la dépeint comme auto- ritaire, impérieuse, peu affectueuse et

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plutôt sauvage — était cependant une femme aux sentiments chrétiens extrême- ment forts, allant à la messe chaque matin et s'approchant fréquemment des sacre- ments. Elle avait un directeur de cons- cience, se montrait fort scrupuleuse, un peu exaltée et d'une piété que certains qualifiaient d'exagérée. On conçoit ce que fut l'éducation religieuse qu'elle donna à sa fille, nature sensible et maladive. A peine âgée de quelques mois, Jeanne avait, en effet, eu une grave maladie qui lui avait laissé bien des souffrances, et lui valut de passer une enfance paisible et solitaire.

Elle fut littéralement couvée par sa mère qui la tint à l'abri de tout, voulant la préserver aussi bien physiquement que moralement (1). Elle lui inculqua ses sen- timents religieux et jusqu'à ses scrupules.

Mais la Providence avait doué Jeanne d'une amabilité et d'une bonne grâce dont était dénuée sa mère.

(1) « Dieu m'a traitée, écrira Jeanne Bigard, comme une de ces petites plantes bien fragiles qui doivent tou- jours rester en terre, à l'abri du vent, d'un soleil trop ardent, des bourrasques. »

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J'imagine la piété de la mère et de la fille redoublée par le fait que M. Bi- gard et son fils laissaient, de ce point de vue, beaucoup à désirer. Elles en souf- fraient silencieusement, mais réellement beaucoup. A une époque que j'ignore, et peut-être par l'effet des ardentes prières de sa femme et de sa fille, M. Bigard s'était bien converti, mais, tout en restant pratiquant, n'avait pas conservé sa fer- veur. Quant à René, pendant ses études de droit, il avait mené la joyeuse vie des étudiants, ne fréquentant plus, en consé- quence, les sacrements ; et sa pieuse sœur se voilera la face lorsqu'elle pensera, plus tard, aux fredaines de son frère, à Paris et ailleurs, aux locations de pied- à-terre, aux jeunes personnes qu'il y ame- nait, à certaines promenades au Bois de Boulogne, et aux conséquences plus graves qui s'en suivirent puisque, vingt ans plus tard, lui parviendront des demandes d'ar- gent d'un jeune homme se disant son neveu. Les prières des deux femmes, là encore, ne furent pas vaines, puisque pen- dant les dix jours qui s'écoulèrent entre

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son accident et sa mort, René Bigard écri- vit à sa sœur et sa mère, alors à Vichy et à Lourdes, qu'il venait, sur son lit de souf- frances, de faire à Dieu des promesses et qu'il saurait les tenir. Un prêtre enfin, au dernier moment, put lui donner l'Extrême- Onction et une dernière absolution.

Jeanne Bigard eut une enfance mala- dive, ce qui la priva des amusements bruyants. C'est à Saint-Pierre de Coutances qu'elle fit sa première communion, le 29 mai 1870. Six mois auparavant, à l'occa- sion du jubilé, pour la fête de Noël 1869, à Notre-Dame de Saint-Lô, un saint prêtre entendit sa première confession, lui donna sa première absolution. Elle avoua plus tard devoir beaucoup à ce premier con- fesseur. Sa mère lui prodigua, en ces occa- sions, exhortations et conseils. Elle devait aussi consoler la petite Jeanne qui fon- dait en larmes chaque fois qu'il s'agissait de confesser ses peccadilles d'enfant. Pre- mières larmes qui ne devaient pas être les

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dernières, versées sur ses fautes ! Larmes que l'on arrive facilement à tirer de bien des enfants pour peu qu'ils aient l'âme sensible, quand on les met en face de ce que représente l'offense à Dieu et qu'inter- vient un rapprochement avec le supplice de la Passion. Méthode et procédés inspirés par de bonnes intentions ; mais qui ont par- fois le défaut d'inspirer plus de crainte que de confiance en matière religieuse.

En raison du Concile du Vatican qui tint, en 1870, les évêques éloignés de leur diocèse, Jeanne Bigard ne fut confirmée qu'en 1871 par Mgr Bravard, évêque de Coutances. Elle se reprocha, bien des années après, de ne s'être pas assez bien préparée pour recevoir ce sacrement. Au moment de la cérémonie, interrogée par l'évêque et fort intimidée, elle déclara qu'il n'y avait qu'une personne en Dieu, ce qui fit sourire le clergé mais contrista fort le curé de Saint-Pierre de Coutances qui attendait mieux de celle qui était tou- jours la première du catéchisme, celle qui se levait chaque fois qu'une question diffi- cile était posée.

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Déjà un peu exaltée, et tenant en cela de sa mère, Jeanne dans ses élans de ferveur religieuse, dès l'âge de dix ans, était per- suadée que Dieu lui parlait.

A la même époque, et peut-être parce qu'elle pensait agir suivant la volonté di- vine, elle était d'un entêtement ou, du moins, d'une ténacité T extraordinaire. Elle aimait mieux se fatiguer, à en être llla- lade, que d'avouer la fatigue quand elle avait résolu de faire quelque chose. Elle conservera toujours cette disposition qui lui permit d'arriver à bout de bien des difficultés et sans laquelle l'Œuvre de Saint-Pierre eût été par elle abandonnée dès le début, ou n'eût pas atteint, au mo- ment où la maladie la contraignit de s'en désintéresser, le développement et l'essor suffisants pour se passer de la fondatrice.

Des missionnaires du Maduré, témoins de ses efforts, de sa persévérance et des obs- tacles qu'elle surmonta, la surnommeront Tête de Fer.

Au moment de sa première communion, Jeanne crut entendre l'appel de Dieu. Sa santé ne lui permettra jamais d'embrasser

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la vie religieuse, de réaliser ses rêves ; mais la pensée de cette vocation la pour- suivra toujours. Dans ses dernières années de lucidité elle y songeait encore, se de- mandant parfois si Dieu ne la voulait pas au couvent : « Dieu, disait-elle en 1903, ne peut pas avoir fait naître cette idée dans mon cœur pour que je meure sans l'avoir réalisée tôt ou tard... tard hélas ! »

A plusieurs reprises elle tentera quelques essais de vie de communauté.

La guerre de 1870, puis la Commune, mûrirent bien des âmes d'enfant. Jeanne n'était assurément pas « une enfant du siège )) ; mais on pouvait se demander si la France entière ne serait pas bientôt à feu et à sang : on était mal renseigné sur l'am- pleur du mouvement, les nouvelles arri- vaient déformées et grossies. Les Bigard crurent prudent de quitter Coutances. Ils allèrent passer cinq mois à Jersey. Cinq mois qui leur semblèrent un véritable exil, et mirent, dans l'esprit de Jeanne, des pensées sérieuses. Le confesseur qu'elle y trouva, accrut la force de sa piété.

De retour à Coutances, elle fut inscrite

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parmi les Enfants de Marie de sa paroisse.

Les cérémonies, les réunions, les retraites avaient pour elle un attrait extrêmement vif. Pour rien au monde, elle ne les aurait manquées. C'était la pieuse, vertueuse et candide jeune fille si bien tenue à l'écart de tout, qu'elle ignorait jusqu'à l'existence du mal.

Vers treize ou quatorze ans, son attrait pour la vie religieuse, sa vocation, furent renforcés par la lecture de la fameuse lettre où saint Hilaire montre à sa fille Abra la virginité comme étant l'une des voies les plus sûres pour assurer le salut éternel. Avec émotion, avec enthousiasme, lisant et relisant ces lignes, plus que jamais elle jurait de se consacrer à Dieu, elle considérait la virginité comme un idéal, une fin, un état sublime et incomparable.

Aussi lorsque, vers le même moment, elle assistait à une cérémonie de fin de retraite au Carmel (1) de Coutances, avouait-elle

(1) Ce Carmel avait été fondé par l'abbé Hervieu (1812-1880), vicaire à Saint-Pierre de Coutances pen- dant trente-neuf ans. C'était cet abbé Hervieu qui avait préparé Jeanne Bigard à sa première communion.

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que, volontiers, elle serait pour toujours restée au milieu des religieuses. C'était avec un plaisir toujours très vif et jamais émoussé, qu'elle allait au Carmel faire des visites fréquentes. La prieure, Mère Emilie de Saint-Ange, voyant en elle, peut-être, une future postulante, du moins une enfant vouée à Dieu, cultivait cette vocation, lui rendait le couvent de plus en plus dési- rable, le monde de plus en plus haïssable.

Un j our ne lui donna-t-elle pas une image représentant une jeune fille, les mains pleines de bijoux avec, à l'arrière-plan, dans le lointain, un convoi funèbre, un cimetière et comme légende : Et puis après? Ces symboles produisirent une vive impression sur l'âme sensible de Jeanne qui, au Carmel, en entendant chanter dans un cantique : Sois-nous propice à l'heure du danger! avait pris conscience de ce que représentait ce mot danger et l'avait aus- sitôt appliqué au monde, à ses périls, à ses embûches.

Le monde, à quinze ans, Jeanne Bigard, à Caen, où son père fut nommé conseiller à la Cour d'appel, en 1874, en entrevit les

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joies, les devoirs, les périls et les futilités.

Elle l'entrevit, mais de loin, parce que sa mère soigneusement, jalousement, la tenait à l'écart de tout ce qui aurait pu, non pas ternir, mais effleurer cette candeur et cette innocence. Jamais elle ne lui laissait lire un roman, jamais elle ne l'emmenait au théâtre. Mme Bigard, cependant, tint à faire donner à sa fille, mais chez elle à cause de son état de santé, une instruc- tion, une culture dépassant le niveau moyen, ou du moins habituel aux jeunes filles de ce temps. L'amour du travail, de l'étude, de la lecture qui embrasait l'âme ardente de Jeanne, répondait d'ailleurs aux vœux de Mme Bigard qui, avec sa fille, se rendait chaque matin à la messe. Chaque matin, depuis l'âge de dix-sept ans et demi, Jeanne s'approchait de la Sainte Table, donnant ainsi à sa ferveur religieuse une force et une « douceur » — le mot est d'elle — quotidiennement renouvelées.

Si peu mondaine que fût Mme Bigard, elle était tenue, par suite de la situation, dans la magistrature, de son mari, à un minimum de vie mondaine. Elle ne se pliait

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qu'au strict nécessaire. Mais, au moment où sa fille atteignit ses dix-huit ans, on n'en songea pas moins, malgré les désirs de vie religieuse de celle-ci, à son entrée dans le monde. Cet événement, on le con- çoit facilement d'après tout ce qui pré- cède, ne procurait à Jeanne, par avance, aucune joie. L'idée, fausse par son exagé- ration, qu'on lui avait inculquée du monde et des dangers qu'on y courait, contribuait à l'effrayer et renforçait à la fois sa timi- dité (1) et cette espèce de terreur reli- gieuse qui étreignait son âme à la pensée de ce qui pourrait lui arriver (2).

(1) Parmi les grâces qu'elle estimait que Dieu lui avait faites, Jeanne Bigard inscrivait : « Timidité qui me faisait préférer la solitude et la compagnie de mes parents à toute autre société ; qui a souvent rabattu mon orgueil en me faisant échouer en public dans les choses que je croyais savoir. »

(2) Le 28 novembre 1903, elle écrivait : « Je me suis souvenue d'une prière que j'avais faite à dix-huit ans en m'inspirant d'un verset de l' Imitation qui m'avait frappée : Seigneur mettez pour moi de l'amertume sur tout ce qui n'est pas vous, afin que je ne m'attache à rien de créé. Depuis, j'ai vu se réaliser ce vœu bien souvent ; il y a eu des flots d'amertume sur ma vie, mais grâce à Dieu je n'ai point regretté ce que j'avais dit dans l'élan d'un cœur bien jeune, mais sincère, je crois. »

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Timidité, terreur religieuse, il y avait aussi un peu de tout cela dans cette pu- deur exagérée qui lui faisait redouter comme une faute de se laisser examiner par un médecin. L'auscultation, par exemple, lui paraîtra indécente. Quant à des exa- mens plus intimes, elle fera toujours tout pour s'y soustraire (1), même au risque de voir, par cette abstention, sa santé en souffrir gravement. Comme sa nature impatiente (2) et bouillante — véri- (1) Jeanne Bigard écrivait, le 11 juin 1903, à propos de certains examens médicaux : « Maman n'était pas d'avis de tout cela, non pas qu'elle trouvât mal d'y avoir recours quand c'est indispensable, mais elle pensait que les médecins vont souvent trop loin dans cette voie...

J'ai été plus souffrante. Il va falloir que je retourne con- sulter et j'ai peur que le médecin n'en revienne à ce qu'il m'avait dit l'autre fois. Je voudrais bien mettre le bon Dieu de mon côté pour que cela me soit épargné.

Hier matin, en m'habillant: en donnant mon cœur à Dieu, il m'est venu une idée : ce serait de m'offrir au bon Dieu pour supporter telles souffrances qu'il voudra m'envoyer à condition qu'il veuille bien m'épargner ce que je redoute le plus, incomparablement plus que de souffrir. Certes, il le peut bien notre bon Seigneur, soit qu'il éclaire le médecin, soit que la maladie prenne une autre tournure et il me semble qu'il doit favoriser mes désirs... Veuillez prier surtout afin que Dieu me fasse la grâce de garder, jusqu'à la mort, la sainte modestie. » (2) Le calme, disait Jeanne Bigard à la fin de sa vie

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table volcan — ne faisait et ne voulait rien à demi, elle mettait fougue et ardeur dans ces dispositions, ces résolutions, ces intentions et ces terreurs ; au point de se lancer, d'elle-même, dans l'homéopathie, avec le seul espoir d'éviter ainsi certains examens médicaux (1). -

Le 2 janvier 1878, M. Bigard mourait subitement. On prétendit officiellement qu'il avait été frappé de congestion. En réalité, il s'était tué. On devine la douleur

consciente, « est ce qui m'a toujours manqué le plus, avec tous ses dérivés : la patience, l'acceptation des retards, savoir attendre. Je m'en aperçois tous les jours et me retrouve la même que j'étais à dix-huit ans quand je trépignais d'impatience d'avoir une boîte à peinture, un livre... C'était tout de suite, à la minute, qu'il me fallait l'objet de mon désir. »

(1) En 1903, elle écrivait : « Ma pauvre santé n'est pas sans me donner un gros souci depuis la consultation de tantôt. J'avais été vers les homéopathes pour éviter bien des choses extrêmement pénibles et que je ne vou lais pas subir. Et voilà que même un médecin homéo- pathe m'en parle aujourd'hui. Que le bon Dieu me fasse souffrir ce qu'il voudra mais qu'il daigne m'épargner ces choses qui me répugnent trop. »

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