0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 janvier 2012 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 janvier 2012 207 introduction
Depuis un peu plus d’une dizaine d’an
nées, la sécurité des processus de soins est devenue un objectif majeur en santé et une cible importante dans l’utili
sation des systèmes d’information clinique.
On estime que le nombre d’erreurs fatales potentiellement évitables aux EtatsUnis se situe dans une fourchette de 44 000 à 98 000 cas annuels,1,2 et il a été calculé que près de 7000 Américains décèdent chaque année en raison d’erreurs liées aux médicaments.3,4 Dans une étude prospec
tive très bien menée, les auteurs rapportent un taux de 6,5 événements indésirables par 100 admissions, dont 28% auraient été évitables. Les erreurs se répartissent dans toutes les étapes du circuit du médicament, lors de la prescription (49%), de la trans
cription (11%), de la dispensation (14%) et finalement lors de l’administration (26%).5 Des chiffres similaires se retrouvent dans d’autres études, par exemple jusqu’à 10%
d’erreurs lors de calculs de doses.6,7 Ce taux d’erreurs élevé est en partie lié à la complexité de l’environnement dans les hôpi taux et à la forte charge cognitive asso
ciée à l’activité des médecins et du person
nel soignant en général. Les technologies de l’information, principalement dans leur capa cité à soutenir la standardisation et la forma lisation des processus, se sont rapi
dement imposées comme le plus important facteur d’amélioration dans le cadre de ce type d’erreurs,8 d’autant que ces technolo
gies sont bien adaptées à des approches systémiques plutôt qu’individuelles, comme ceci a été bien démontré dans d’autres
domai nes tels que l’industrie spatiale ou l’aviation.9
the good
De nombreux travaux démontrent l’im
pact de la prescription informatisée sur les erreurs, d’une part lié à la formalisation qu’elle impose, et d’autre part grâce à l’aide à la décision qu’elle peut fournir, avec des réductions pouvant dépasser les 80%.1012 Sans surprise, la baisse la plus faible tou
che la prescription (19%), alors que la re
transcription (84%), la dispensation (68%) et l’administration (59%) sont particulière
ment améliorées.13 La baisse modérée lors de la prescription est essentiellement due au fait que les erreurs sont peu liées à la formalisation et beaucoup à l’aide à la déci
sion.
the bad
Hélas, ces dernières années, il s’est avéré que le problème n’était pas si simple, et que l’informatisation du processus, si elle dimi
nue les erreurs liées à certaines étapes du processus, comme la transcription, la dis
pensation et l’administration, peut en revan
che avoir des effets contraires sur d’autres étapes, notamment la prescription, ou en
co re sur le processus global dans certains contextes. Un des articles ayant fait le plus de bruit est sans doute celui publié dans Pediatrics en 2005, qui montre une aug
mentation de la mortalité de 2,8% à 6,57%
après l’introduction de la prescription infor
matisée, avec un odds ratio de 3,28 attri
buable à la prescription après analyse multivariée.13 D’autres études montrent des résultats tout aussi inquiétants, par exemple le fait que la prescription informatisée favo
rise certains types d’erreurs, ce qui a amené Ross Koppel à parler de eiatrogénicité.14,15
Un des problèmes importants relevé est lié à la multiplicité des alertes non pertinentes, particulièrement en ce qui concerne les in
teractions médicamenteuses.16
theugly
En résumé, il existe une littérature abon
dante sur l’introduction, la gestion, la main
tenance et l’utilisation des systèmes d’infor
mation cliniques, en particulier de la pres
cription informatisée. De nombreuses études sont en cours, et devront encore être réali
sées, afin de définir les conditions suscep
tibles d’améliorer réellement la sécurité des patients, l’efficience du processus. On sait d’ores et déjà que la formation des utilisa
teurs est un élément capital, trop souvent négligé. On sait aussi que l’aide à la déci
sion doit être intimement intégrée au proces
sus de prescription pour être efficace, et en aucun cas déconnectée. Finalement, il a été récemment démontré que la valeur pré
dictive positive des systèmes d’alertes basés sur des bases de connaissances com mer
ciales est très basse, de l’ordre de 20%. De même, la surcharge cognitive entraînée par des alertes non pertinentes amène à la non
prise en compte des alertes utiles et réduit la vigilance du prescripteur. Ces éléments montrent que ces outils ne sont utiles que s’ils sont manipulés en connaissance de cause, en se basant sur l’évidence, et que leur utilisation peut entraîner une augmen
tation des erreurs dans certaines situations.
Il s’agit d’une science, au même titre que le reste de la médecine, et il est important que les mesures appropriées soient prises afin de créer les compétences requises à l’utili
sation adéquate de ces outils, et que la re
cherche dans ce domaine soit soutenue avec vigueur.
Prescription informatisée et aide à la décision : the good, the bad and the ugly
Quadrimed 2012
C. Lovis
Pr Christian Lovis
Département d’imagerie et des sciences de l’information médicale Service des sciences de l’information médicale
HUG, 1211 Genève 14 christian.lovis@hcuge.ch
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 207-8
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