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Mémoire : bien songer à ne pas la perdre

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

1er février 2012

actualité, info

en marge

Voici un délicieux petit ouvrage qui tombe à pic ; 141 pages tout juste sorties de l’Imprimerie Floch, avenue Gutenberg à Mayenne ; bien jolie ville traversée par la ri­

vière (et dans le département fran­

çais) du même nom. Aux confins du Maine et de l’Anjou si l’on se souvient bien. Ouvrage opportun : il laisse entrevoir ce que pouvait être la culture analytique et litté­

raire du siècle passé ; et ce au mo­

ment où s’entrouvre la perspective d’un espace cérébral décrypté et manipulé, sinon libéré. Opuscule bien précieux signé J.­B. Pontalis, un survivant que nous avions, l’an dernier, laissé sur les lieux de quel­

ques­uns de ses crimes.1

Compagnon de Sartre et client de Lacan, J.­B. Pontalis vient de fêter (15 janvier) ses quatre­vingt­huit ans. Et voici qu’il s’intéresse à sa mémoire. On ne dira pas que c’est, chez lui, un effet de l’âge puis qu’il estime désormais avoir tous les âges et qu’il se refuse à découper le temps. Ainsi ce grand séducteur penche­t­il toujours pour les ita- liques. Il se souvient d’un Roland­

Garros où des joueurs immaculés

ne tendaient pas le poing à l’image des gladiateurs repus d’aujour­

d’hui. J.­B. Pontalis a connu une Toscane sans parkings, une Venise peuplée de Vénitien(ne)s, le jeu de croquet sur de grasses pelouses jouxtant des plages maritimes, une 4 CV, des nuits sans sommeil et d’autres sans insomnie (ce sont souvent les mêmes), un prêtre capable de vous convaincre (sans faire mal) que vous aviez (mais oui, mon cher, c’est ainsi) une âme.

J.­B. Pontalis a connu tout cela et il s’en souvient comme si c’était hier alors que nous sommes aujour d’hui et, bientôt, demain.

Une astuce de balayeur intellectuel qui a le mérite de faire disparaî tre la nostalgie sous le tapis sur lequel le divan repose. Et avec lui, nous sommes place de la Cisterna, porte d’Auteuil, ou au Jardin du

Luxembourg. Nous traversons Paris en voiture à quatre chevaux et en dix minutes. Le facteur n’a pas encore été préposé à la distri­

bution du courrier. Des hommes en uniforme ont pour métier de garder la paix. Et nous fumons li­

brement là où nous avons envie de mourir. Ce ne sont là que des bribes qui toutes renvoient au

«c’était mieux avant» devenu ré­

current. Pour J.­B. Pontalis, ce sont aussi des exemples sortis pêle­mêle dans le précieux désordre du sac de sa mémoire ; un sac où, comme dans celui des femmes, sont en­

fouis le futile (aux yeux des autres) et l’indispensable.

Cet ouvrage ne manque pas de détonner dans une époque où l’on évoque volontiers, l’âge aidant,

l’infidélité mnésique.

«La mémoire autobio­

graphique est une mémoi re mouvante se reconstruisant en per­

manence, tout à fait différente d’une mé­

moire cristallisée» expliquait, il y a peu dans les colonnes du Figaro, le Pr Pascale Piolino, à la tête du laboratoire de recherche consacré à la mémoire de l’Univer sité Paris­

Descartes. Les neuro scientifiques (qui estiment qu’un cerveau qui ne serait plus capable d’oublier ne pourrait plus fonctionner correcte- ment) nous parlent généralement d’un fonctionnement en trois temps : encodage des informations, stockage et rappel de celles­ci. Un cerveau, en somme, fidèle reflet des machines informa tiques d’au­

jourd’hui.

Un cerveau toujours siège de la mémoire mais une mémoire qui aurait besoin, le temps passant, de béquilles. A fortiori lorsque l’anosognosie est là. On sait ce qu’il en est des effets de la dégé­

nérescence : l’atteinte de la mé­

moire autobiographique récente, puis le sauvetage des connaissan­

ces relativement anciennes avant que ne résistent plus que les con­

naissances de l’enfance. Du moins celles qui sont perçues comme émanant de l’enfance. Et pour l’essentiel, ce paradoxe qu’il ne faut surtout pas oublier : se plain­

dre de sa mémoire infidèle n’a, le plus souvent, rien à voir avec une pathologie de la mémoire.

Il n’en reste pas moins qu’un mar­

ché est ici en gestation, l’Eldorado de la stimulation cognitive (huit milliards de dollars prévus en 2015). En France, l’affaire donne

lieu au projet du centre d’expertise national (http://censtimco.org/).

Il vise notamment à apporter un éclairage scientifique sur ces «bé­

quilles» cérébrales et à en faciliter l’accès. «Quand une personne a des difficultés de mobilité, on comprend très bien qu’elle ait besoin d’un fauteuil roulant pour l’aider à se déplacer. Dès lors qu’on est dans la sphère cognitive, les choses sont un peu plus compli­

quées, a expliqué, à l’Agence France­Presse, le Dr Serge Reinge­

wirtz, gériatre et directeur du Cen Stimco. On peut compenser des troubles de la mémoire par des rappels de tâches, des aides tech­

niques, mais on peut aussi essayer de les compenser en mobilisant les ressources restantes.»

Les champs d’application de la stimulation cognitive sont a priori très larges, pathologies cérébrales dégénératives, enfants hyperactifs, autistes, adultes handicapés après un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien. On ima­

gine aussi avec gourmandise le développement de programmes de gestion du capital cognitif des salariés en entreprise, la neuropé­

dagogie et tout ce qui permettra d’améliorer les performances co­

gnitives de l’humain.

Le premier congrès de stimulation

Mémoire : bien songer à ne pas la perdre

ce sont aussi des exemples sortis pêle-mêle dans le précieux désordre du sac de sa mémoire

LPLT / Wikimedia Commons

Jean-Bertrand Pontalis

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

1er février 2012

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1 Pontalis JB. Avant. Paris. Editions Galli- mard, collection nrf, 2012. ISBN : 978- 2-07-013685-8.

2 Voir «Jour de crime, crime du jour». Rev Med Suisse 2011;7:782-3.

000 signatures pour réinté- grer la prestation dans l’assurance de base. «La baisse des prix de la part des opticiens nous avait choqués», conclut-il. «Cela voulait dire que nous avons payé trop cher jusque-là.» (…)

Pierre-André Sieber La Liberté du 25 janvier 2012

cognitive est prévu du 23 au 25 mai à Dijon. Faire un nœud à son mouchoir.

Pour l’heure, J.­B. Pontalis n’archi­

ve rien, jette ses manuscrits, ne conserve que quelques jours les lettres de ses amis, a déjà brûlé les lettres qu’il a pu recevoir des fem­

mes aimées. Seul lieu d’archive, désormais : sa mémoire. «Toutes les inscriptions gravées sur la mé­

moire inconsciente reparurent comme par l’effet d’une encre sympathique». Est­ce de Freud (1856­1939) ? Non, nous dit­il : de Baudelaire (1821­1867). La Genèse, Œdipe, Ulysse. La quête éternelle des origines que la vérité génétique vient bouleverser de manière irré­

médiable. L’enfance omniprésente (et non pas le retour vers l’enfance) avec, dans cet ouvrage un bien dérangeant abécédaire. D comme dévoration : «Un géant se confec­

tionna un délicieux sandwich ainsi composé : un nourrisson entre une tranche de père et une tranche de mère.» (de M. Charles Chassé qui, grand amateur de nonsense et de Mallarmé (1842­1898), fut le pro­

fesseur d’anglais de l’auteur en classe de sixième). E comme espoir :

«L’abîme et là qui gronde et les enfants sourient». Victor Hugo, bien sûr (1802­1885). Et rappels de Swift (1667­1745) et de la

monstruosité inégalée (sinon in­

dépassable) du Poil de carotte de l’horrible Jules Renard (1864­1910).

Un Poil de Carotte qui, c’est diffici­

lement compréhensible, échappa à la censure et qui passionne J.­B.

Pontalis.

Celui qui donna naissance à Mme Lepic vit le jour par hasard à Châlons­du­Maine, non loin de Mayenne, dans le département du même nom. Soit deux cent dix ans avant l’impression du livre qui nous parle de lui. Grand ad­

mirateur du Cyrano de Rostand, il est mort d’artériosclérose, dit­

on, à l’âge de 46 ans. Qui s’en souvient ? Nous, désormais.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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