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S'impliquer dans la fiction ou comprendre l'anéantissement ? Des récits d'histoire et des témoignages en concurrence
RONVEAUX, Christophe, VÉDRINES, Bruno
Abstract
Notre démarche se fonde donc sur la spécificité du texte de témoignage. Nous mettrons à l'épreuve l'hypothèse suivante : si l'usage scolaire ne tient pas compte de la spécificité générique des textes à visée mémorielle, il les dévoie, les neutralise, les tire vers une interprétation qui ne leur rend pas justice, qu'ils soient d'ailleurs factuels ou fictionnels. Notre étude consistera à confronter cette hypothèse aux pratiques actuelles de la discipline français. Cette description doit nous permettre de mieux comprendre le cout didactique que représente l'introduction au cours de français des textes qui relatent l'anéantissement en concurrence avec les textes qui narrent, et plus généralement, de réfléchir aux implications didactiques, pédagogiques et éthiques de tous ces textes qui posent de manière cruciale le rapport de l'homme au temps et à la mémoire.
RONVEAUX, Christophe, VÉDRINES, Bruno. S'impliquer dans la fiction ou comprendre l'anéantissement ? Des récits d'histoire et des témoignages en concurrence. In: Colloque international. Devoir de mémoire et pouvoir des fictions, Liège (Belgium), 02-04 mai 2013, 2013, p. 1-20
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33273
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S’impliquer dans la fic2on ou comprendre l’anéan2ssement ?
Des récits d’histoire et des témoignages en concurrence
Chr. Ronveaux & Br. Védrines GRAFE
Université de Genève
SEMIOTISATION PAR LA FICTION
« On peut tabler sur les impressionnantes et redoutables ficNons. »
DIDACTISATION/ACCULTURATION DES ELEVES
LUTTER CONTRE L’OUBLI/INJONCTION DEONTOLOGIQUE
« Faire connaître des événements et des acNons qui ne peuvent pas tomber dans l’oubli sous peine de compromeTre l’avenir de nos fragiles démocraNes. »
La mise en garde des témoins sur la
perNnence de l’aTestaNon
Deux thèses
ò Le récit d’histoire à l’école, parce qu’il parie sur l’implicaNon du lecteur dans la ficNon, est
contreproducNf pour un travail qui viserait la mémoire ;
ò le genre du témoignage, parce qu’il est en
émergence, posé en contraste de la narraNon, permet un travail plus adéquat sur la
compréhension des grands traumaNsmes collecNfs
du XXe.
Du brouillage générique des récits d’histoire
Dans la liTérature contemporaine et à l’école
Un genre défini
« On posera que les ficNons historiques proposent un récit ficNf dont la fable et l’énonciaNon relèvent de deux temporalités différentes. Le cadre, certains personnages, certains éléments de l’intrigue renvoient à une réalité historique aTestée. Sans être vrai, ce qui est raconté est vraisemblable, historiquement vraisemblable mais c’est par le recours à la fois à des éléments ficNonnels et à des stratégies discursives propres aux genres ou langages
narraNfs que la ficNon historique foncNonne. L’hybridité (vérité des éléments historiques et ficNon du récit
englobant) est consubstanNelle du genre. » (Jaubère, Lalagüe-‐Dulac & Louichon, 2013)
Une poéNque de l’Histoire
« […] Je pense que si les théoriciens de l’histoire négligent le modèle à deux niveaux [histoire et discours], ce n’est pas parce qu’il serait inapplicable ou non perNnent dans leur discipline, mais plutôt parce qu’il est insuffisant et incomplet. Le fait est qu’une poéNque de la ficNon centrée sur le texte exclut en principe le domaine qui est au centre même des préoccupaNons de l’historiographe : l’a9esta2on, fondée sur des documents plus ou moins fiables, d’événements
passés à parNr desquels l’historien élabore son histoire. C’est ceTe autre relaNon, celle entre le niveau de l’histoire et ce qu’on pourrait appeler le niveau référenNel (ou le niveau de la base de données), qui n’a cessé de capNver l’aTenNon des historiographes depuis que la poéNque moderne en a élaboré la problémaNque (Cohn, 2001, p.
170). »
Un exemple liTéraire
Note du paratexte
Le chapitre 2 est un résumé du livre de Jan Karski, Story of a Secret State (Emery Reeves, New York, 1944), traduit en français en 1948 sous le Ntre Histoire d'un État secret, puis réédité en 2004 aux édiNons Point de mire, collecNon « Histoire », sous le Ntre Mon
témoignage
devant le monde.Le chapitre 3 est une fic:on
. Il s'appuie sur certains éléments de la vie de Jan Karski, que je dois entre autres à la lecture de Karski, How One Man Tried to Stop theHolocaust de E. Thomas Wood et Stanislas M. Jandowski (John Wiley & Sons, New York,
1994)
. Mais les scènes, les phrases et les pensées que je prête à Jan Karski relèvent de l'inven:on.
NOTE
Les paroles que prononce Jan Karski au chapitre 1 proviennent de son entre:en avec Claude Lanzmann, dans Shoah.
ParNe 1
«C'est dans Shoah de Claude Lanzmann. Vers la fin du film, un homme essaye de parler, mais n'y arrive pas. Il a la soixantaine et s'exprime en anglais ; il est grand,
maigre, et porte un élégant costume gris-‐bleu. Le premier
mot qu'il prononce est : «Now » (Maintenant) (Haenel,
2009, p 13). »
ParNe 2
« Jan Karski raconte son expérience de la guerre dans Story of a Secret State (Histoire d'un État secret), paru aux États-‐Unis en novembre 1944, et traduit plus tard en français sous le Ntre : Mon témoignage devant le monde.
Le livre commence le 23 août 1939. Jan Karski revient d'une
récepNon organisée par l'ambassade du Portugal à Varsovie. Il a vingt-‐cinq ans. Il vient de passer trois ans dans ce qu'il appelle les « grandes bibliothèques d'Europe », en Allemagne, en
Suisse, en Angleterre (Haenel, 2009, p. 35). »
ParNe 3
« Il [Roosevelt] a fini par prendre la même pose que je lui ai vue plus tard sur la célèbre photographie de la conférence de Yalta, où Churchill, Roosevelt et Staline, assis l'un à côté de l'autre,
rivalisent de lourdeur, tous les trois repus, saNsfaits -‐ ou plutôt se donnant du mal pour en avoir l'air. […] De temps en temps, il se tournait vers la femme au chemisier blanc, il ne se gênait pas pour regarder ses jambes. Je parlais abondamment, j'essayais de
décrire ce que j'avais vu dans le camp d'lzbica Lubelska [camp d’exterminaNon]. La jeune femme prenait des notes, mais
Roosevelt ne disait rien. Il avait ouvert son veston, et s'enfonçait confortablement dans son fauteuil. Je crois qu'il digérait ; je me disais : Franklin Delano Roosevelt est un homme qui digère -‐ il est déjà en train de digérer l'exterminaNon des Juifs d'Europe (Haenel, 2009, p. 125). »
Un exemple scolaire
Kressmann Taylor (1938). Inconnu à ceKe adresse.
ò Les édiNons scolaires et l’éNquetage générique ò Les tâches scolaires sur la compréhension (la
contextualisaNon historique)
=> transposiNon didacNque
(« désancrage », transformaNon des significaNons)
Synthèse intermédiaire
ò Brouillage générique => proto-‐genre qui informe, mais surtout implique le lecteur dans sa
parNcipaNon à l’acNon représentée
ò Faux problème de la ficNon ou non ficNon des faits représentés => abandon du rapport à la référence ò Vrai problème de l’aTestabilité des faits comme
une des dimensions du processus de généricité
De l’émergence du témoignage
J.-‐N-‐ Cru et le travail sur un genre nouveau, la place de ce genre dans la configuraNon disciplinaire actuelle
J.-‐N. Cru et l’élaboraNon de règles d’un genre en émergence (savoir sur le genre) critère de l’aTestabilité
«J’ai dit que notre baptême du feu, à tous, fut une
ini2a2on tragique. Le mystère ne résidait pas comme les non-‐combaTants le croient, dans l’effet nouveau des
armes perfecNonnées (…). Sur le courage, le patrioNsme, la mort, on nous avait trompés, et aux premières balles nous reconnaissions tout à coup le mensonge de
l’anecdote, de l’histoire, de la liTérature, de l’art, des bavardages de vétérans et des discours officiels. Ce que nous voyions, ce que nous éprouvions, n’avait rien de
commun avec ce que nous aTendions d’après tout ce que nous avions lu, tout ce qu’on nous avait dit (Cru 2006 :
12-‐13).»
Un genre transposé
Le témoignage dans les manuels, quels effets de la transposiNon (« désancrage », Reuter, 1994) ?
ò assemblages de textes qui narrent
=> proto-‐genres (genre scolaire)
ò contextualisaNon par des documents historiques =>
centraNon sur le contenu (≠ texte) ò tâches sur le contenu thémaNque
=> dimension référenNelle des textes (≠ dimension langagière)
2 e synthèse
ò Le témoignage comme genre en émergence est le produit
-‐ de l’école (la masse des écrits des témoins) ;
-‐ d’un travail de catégorisaNon qui évalue et élabore des critères (Cru) ;
-‐ d’une remise en cause de l’auctorialité et de la référenNalité
ò La lecture de témoignages à l’école implique une cohérence nouvelle (fondamentaux de la discipline français => lecture impliquante dans une histoire)
Epilogue
ò Sur la quesNon de la mémoire et du mode d’acculturaNon des élèves
=> pouvoir hallucinatoire des convenNons
ò sur la quesNon du choix du genre ficNonnel pour impressionner le jeune lecteur
=> étude du processus de la généricité par la mise en contraste des textes de genres disNncts (témoignage en construcNon) ò sur la quesNon du savoir véhiculé par les textes
=> savoir sur la mise en convenNon du genre (aTestabilité, énonciaNon, vertu perlocutoire de la promesse)
ò sur la quesNon du rapport du texte avec l’histoire
=> choix didacNque du langagier et des ressources par lesquelles s’élaborent un effet de cohérence
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