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La Vie Privée DEPOMPADOUR. de Madame. Je ne mourrai que de chagrin... " JEANNE-ANTOINETTE POISSON MARQUISE DE POMPADOUR

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La Vie Privée de Madame

DE POMPADOUR

Je ne mourrai que de chagrin.... "

JEANNE-ANTOINETTE POISSON MARQUISE DE POMPADOUR

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LES VIES PRIVÉES

OUVRAGES PARUS* OU A PARAITRE

LA VIE PRIVÉE DE LUCRÈCE BORGIA,

par Bernard Nabonne.

LA VIE PRIVÉE DE MARIE STUART, par Janine Bouissounouse.

LA VIE PRIVÉE DE HENRI IV, par H. Lardaàs.

LA VIE PRIVÉE DE LOUIS XIV*, par Georges Mongrédien.

LA VIE PRIVÉE DE MOLIÈRE*, par Georges Mongrédien.

LA VIE PRIVÉE DU RÉGENT*, par André Ransan.

LA VIE PRIVÉE DE LOUIS XV, par Pierre Richard.

LA VIE PRIVÉE DE MADAME DE POMPADOUR*,

par Marcelle-Maurette.

LA VIE PRIVÉE DE RACINE*, par Pierre de Lacretelle.

LA VIE PRIVÉE DE MADAME DU BARRY,

par Pierre Descaves.

LA VIE PRIVÉE DE VOLTAIRE*, par Louis Francis.

LA VIE PRIVÉE DE JEAN- JACQUES ROUSSEAU*, par René Trintzius.

LA VIE PRIVÉE DE FRÉDÉRIC II*, par Pierre Lafue.

LA VIE PRIVÉE DE MIRABEAU*, par H. Lardaàs.

LA VIE PRIVÉE DE MARIE- ANTOINETTE*,

par Charles Kunstler.

LA VIE PRIVÉE DE ROBESPIERRE*, par Bernard Nabonne.

LA VIE PRIVÉE DE DANTON, par Jean Guirec.

LA VIE PRIVÉE DE BEAUMARCHAIS*

par Pierre Richard.

LA VIE PRIVÉE DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE*,

par Charles Kunstler.

LA VIE PRIVÉE DE TALLEYRAND*, par Jacques Vivent.

LA VIE PRIVÉE DE BALZAC*, par Jules Bertaut.

LA VIE PRIVÉE D'ALFRED DE MUSSET*,

par André Villiers.

LA VIE PRIVÉE DE GEORGE SAND*,

par Jacques Vivent.

LA VIE PRIVÉE DE NAPOLÉON III, par Robert Butnaud. j

Directeur de la Collection : FRANCIS AMBRIÈRE

W

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MARCELLE-MAURETTE

La Me Privée de Madame

DE POMPADOUR

Coll e ction "Les Vies Privées "

HACHETTE-

(5)

FRANCIS AMBRIÈRE A M.-M.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Copyright by Librairie Hachette 1951.

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LA VIE PRIVÉE

DE MADAME

DE POMPADOUR

PREMIÈRE PARTIE LE PRINTEMPS

LA VILLE ET LA FEMME

p

¡ARIS, au XVIIIe siècle, c'est le plan de Turgot en papier jaune, plissé aux toits, brodé de monu- ments : Notre-Dame ancrée sur son île, le vieux Louvre jouxtant la ruelle, et la rivière de Seine empor- tant le tout, avec sa flottille de mots anciens, vers des.

marges à moulins à vent et à fleurs de lis. Ou les estampes de Moreau, noires et blanches, tout à coup violentées de couleurs, puant la latrine et l'ambre, crissantes de cris, de roues de carrosses, de vielles, fouettées de pluies, de soleils capricieux.

L'étranger, débarquant du coche, s'y perdait, sautant les ruisseaux, harcelé d'oeillades, coiffé de pots de cham- bre, soulagé d'argent, heurté de chevaux, de chaises à porteurs, d'épiciers frisés, de parapluies verts. A peine sauvé sur les quais, où l'on baignait nu, les places vides à pavés d'herbes et leur Louis XIV de bronze, les cou- vents toujours clochetants, les églises embaumant le mort. Rejeté des Porcherons au Cours-la-Reine, des dames précédées d'un Nègre, glissant au poing d'un

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cavalier dans la solitude des robes, la tête minuscule et poudrée à blanc, aux maquerelles exhibées à cru sur un âne, au porte-Dieu sonnant la sonnette, et de rues en rues combles d'ordures, des perruquiers aux racoleurs, des familles, allant aux vêpres avec leurs ouvriers, aux fillasses, du matin au soir s'émerveillant, voguant, flot- tant, s'abandonnant à la presse, à la solitude, la table d'hôte à vingt sols servie en vaisselle plate, la Samari- taine à carillon, la poussière, la crotte, les arbres des Tuileries, la politesse des cochers, l'assassinat sous les lanternes, il croyait rêver Paris et s'y éveillait, contre le dieu sculpté d'un hôtel, près le porche d'ombre où dormait un Suisse, à la voix d'une femme invisible chantant l'amour sur un clavecin....

Ignorez ce Paris et vous ignorez la Parisienne : Jeanne- Antoinette Poisson d'Étioles, marquise de Pompadour.

Châtaine blonde, yeux charmants, ni gris, ni bleus, ni bruns : Ile-de-France; la bouche petite et caillette sou- vent mordue de vivacité, pâle de l'anémie des villes, les dents exquises et croquantes, le corps bien taillé, sans trop ni trop peu, fait pour la danse, le lit d'un homme, les bras d'enfant, léger à qui le porte et supportant tout, même un roi ; signé Paris comme un éventail de Boucher, une nymphe de Giraudon. Comme Voltaire. Dans ses portraits jamais ressemblante, suivant l'humeur du temps, la saison, l'amant, et ce fond de damas jaune qui tourne le regard et le ciel au bleu, et ce bouquet fleuri du matin à Vanves, ou à Sèvres, en porcelaine rose.

Nattier, Van Loo, La Tour, Drouais, et les sculpteurs, et les graveurs tenteront de la saisir, de l'immobiliser.

En vain. Ils nous la lèguent étrangère, pareille à une

fleur séchée. Variable comme Paris et ses aurores, tou-

jours bougeant, mourant, renaissant; muant de prénoms,

de noms, de robes; allant du juste d'indienne de la petite

fille pauvre au premier corps de soie de Reinette, de la

jupe écaillée de nacre de la jeune mariée d'Étioles aux

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paniers géants embrasés de roseaux d'or de Galathée. à l'amour, comme Paris sur sa Cité. Ame épuisée de féminité, tendue à l'amour, clouée

Car c'est de là qu'elle nous vient, de ce centre in- croyable d'un monde, cette capitale de la terre à laquelle rien ne sera jamais étranger ni de l'art, ni de la pitié mesurée de vivre. A cette ville unique, elle tient par les plus profondes racines : le peuple. Et peuple, elle l'est.

On la dira bourgeoise : à peine; depuis une génération par l'apport paternel; par le maternel de deux, sans trop appuyer. C'est assez pour démolir les fossés puants, planter les platanes des boulevards et cabrer les che- vaux de marbre sur les garennes des Champs-Élysées.

Assez pour faire une Pompadour. Et ne croyez pas qu'il soit si facile de rassembler les perfections et les faiblesses de son siècle, de s'établir, venant d'une mère entretenue et d'un père enrichi dans « le marché noir », à cette guerre de vingt-deux ans — sa vie amou- reuse —, dans l'air irrespirable, à une « mal née », de Versailles, et de porter le poids de Louis XV, surtout au- delà du corps. Il y faut une héroïcité féroce, un courage venu de près, de ces braves aïeules de Provenchères bataillant sous leur toit de chaume contre l'impôt et la famine. Peut-être y songea-t-elle à la fin du songe,

« Maman Putain », assise raide et haletante dans sa ber- gère d'agonie :

« Moi, qui n'ai jamais connu le bonheur.... » D'autres l'avaient connu, et mieux. Mais ce n'étaient pas des Parisiennes....

Et Parisienne, Pompadour va l'être comme personne, de ses pieds ravissants aux cheveux, de l'esprit au cœur.

Sauf une année, celle du couvent, elle ne quittera pas sa ville, été comme hiver, car Étioles c'est encore Paris, sa banlieue. Enfant, elle naîtra dans le quartier le plus serré, rue de Cléry, à l'épais des maisons sans air. Au hasard de la fortune des Poisson, elle habitera

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1 hôtel confortable et le logis étroit. Elle n'émergera du ruisseau débordant aux premières averses, des sen- tines des demeures princières voisines, des chaleurs de juillet déversant leurs commères et leurs nichées au- devant des portes, qu'à vingt-quatre ans, un soir d'au- tomne, quand elle quittera Paris pour l'exil. Car la cour sera cela pour elle, malgré tout. Dès qu'elle le pourra elle reviendra dans Paris, bâtira, rêvera d'y mourir, au moins d'y être ensevelie. En Pompadour, le cri au petit matin des laitières en cottes rouges : « Au lait! Au lait!

Vite! » qui fait courir dans les escaliers en échelle les servantes et les demoiselles de mode, et l'orgue mélan- colique des Savoyards, au fond des brumes de décembre, survivront au velouté de la jeunesse, à l'orgueil et même à l'amour....

ENFANCES

A six ans, elle se rappelait mal la rue de Cléry, M. d'Om- bre val, le propriétaire, qui était lieutenant de police, et l'église Saint-Eustache, sentant la halle, où elle avait été baptisée; mais bien la rue Thévenot où elle jouait « en appartement », surtout le grand logis Beauvais, rue de Moussy, bâti dans une pierre d'ombre et dont le portail bougeait, aux flambeaux, de figures gothiques.

Cet ancien hôtel somptueux, mais fourni de rats, éblouis- sait son père l'ancien haut-le-pied, Pierre Cauchon l'ayant habité.

Un curieux homme ce François Poisson, vulgaire et

le verbe haut. Paysan, fils de tisserand, parti du fumier

de ses vaches comme conducteur de chevaux à main des

munitionnaires de l'armée, assez honnête pour n'être

point pendu, sinon en effigie, assez intelligent pour

faire en dix ans sa fortune, grimper du croquant au

bourgeois et se titrer de son propre chef « sieur de Lucy,

écuyer de Son Altesse Royale Mgr le duc d'Orléans,

Régent de France ». De plus, en secondes noces, convo-

lant avec une beauté blanche et noire, une rareté, qui le

haussait d'un échelon social : Louise-Madeleine de

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Lamotte, fille de l'entrepreneur en boucherie des Inva- lides. Grisé, le sieur de Lucy faisait en 1721 un premier enfant à cette nymphe : Jeanne-Antoinette, puis, quatre ans plus tard, un garçon : Abel-François. Entre-temps, il achetait des fermes, une forte maison à Nogent- l'Artaud et guignait un hôtel « à lui », à l'angle des rues Saint-Marc et de' Richelieu, plein de boiseries, de glaces à trumeaux et de peintures de bergeries qui eussent bien ébahi monsieur le tisserand son père. Par grâce, « le ciel était pisseux » cette année-là et déversait des trombes sur le mariage de « Maruchna » : lisez Sa Majesté Marie Leczinska, reine malheureuse comme on sait. S'enlisant sur toute la route, elle arrivait avec un bon sourire pour voir s'éteindre les lampions. Mais deux personnes au moins s'en réjouirent dans le royaume : le roi de quinze ans, qui ne pensait qu'à la mettre au lit, et François Poisson, assuré de gagner gros sur les blés pouilleux.

Cependant, le peuple sortait la châsse de sainte Geneviève et processionnait dans Paris, réclamant et soleil, et pain. L'un vint sans l'autre, avec toutefois neuf millions de bénéfices que se partagèrent quelques- uns. Sur quoi, nos dévots pillèrent les boulangeries et pendirent les boulangers aux lanternes. Sa Majesté, durant ce temps, se déclarait fort satisfaite de la reine qu'elle épuisait de sa tendresse, et M. de Lucy brûlait des cierges à la Providence et à M. d'Ombreval, lequel le chargeait d'aller querir du froment partout où il en trouverait.

Il en trouva si bien en Bourgogne et ailleurs, « poussant au cul les convois et les gens d'affaires », qu'il n'eut que le loisir de sauter la frontière, « la vieille femme Fleury », le cardinal, ayant mis le nez dans ses comptes. En Alle- magne, il rêva douloureusement de Reinette et d'Abel- François, car il avait la fibre de la famille, un peu moins de sa femme dont la beauté le rassurait.

A Paris, pourtant, la pauvre épouse avait fort à faire : le Trésor saisissait Vandières — la ferme de Lucy-le- Bocage —i et le bien de Nogent-l'Artaud, enfin, pire que tout : l'hôtel, encore vierge, son carrosse neuf, ses bergers galants. Elle se séparait de biens au plus tôt,

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mais on ne l'en mettait pas moins dehors par huissiers, un mannequin de paille à la figure de Poisson brûlant gentiment sur la porte gothique; et tous y passèrent avec leurs paquets, la vaisselle d'argent vendue, les che- vaux saisis : Madeleine, les enfants et les domestiques, ceux-ci s'en allant en pleurs et sans gages, Liégeois le cocher, Nicolas le laquais, Charlotte la soubrette et Marie Leclerc la cuisinière, qui chantait si bien les vieux airs à Reinette, assise entre les chaudrons. C'eût été le désastre, si Mme Poisson, ainsi qu'y songeait son mari, n'avait eu vingt-huit ans et les plus beaux yeux. Elle en usa.

De ce fait, on lui en voudra beaucoup dans les pam- phlets, messieurs leurs auteurs anonymes se montrant fort sévères pour les pauvres femmes. En 1727, comme aujourd'hui, on était sensible au déshonneur, surtout quand il s'osait désargenté. Mme Poisson ne connaissant point de métier prit le plus naturel, sinon le plus facile, tout en continuant à disputer un reste de hardes aux greffiers et au Châtelet, en raison de quoi elle plaça Jeanne-Antoinette aux Ursulines de Poissy, près l'abbaye où Mme Geoffrin prenait sa marmelade de fleurs d'orange, deux de ses sœurs y étant religieuses sous les titres de sœurs Perpétue et Sainte-Élisabeth. Pour le garçon, il dut la suivre, étant à l'âge des bouillies.

Ainsi la future Pompadour connut cet air de cou-^

vent, au moins une année, en 1729, qui la rend si proche de nous avec ses petits fourreaux propres, son corset de presque pouponne — elle a huit ans — et son premier chapelet.

La Communauté l'adorait, avec ces préférences délicates qu'ont les tristes filles sevrées. Du reste, la pensionnaire était sur le modèle des chérubins, fort douce et rieuse en bonne santé, ce qui au vrai n'était pas souvent, car elle allait de rhume en rhume et con- cluait en coqueluche. Entre ses quintes, « qui la suçaient », elle sortait pour aller aux foires, en compagnie d'une cousinette, Mlle de Blois, voyait Polichinelle, les danseurs de corde, et ce lièvre qui battait la caisse et fumait du

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tabac. Ou on les menait à l'abbaye « où on les caressait beaucoup, les trouvant fort aimables ». Aux grands jours, on poussait en voiture jusqu'aux Invalides où régnaient ks aïeux Lamotte. Est-ce là qu'elle fit connaissance d'une fillette qui se nommerait plus tard Du Hausset? La maî- tresse d'écriture s'appliquait à la mettre en état d'envoyer son cœur à son père, le brave homme, qui s'en inquiétait, ses lettres subissant des retards bizarres du fait qu'elles passaient, aller et retour, entre les jolies mains mater- nelles. Sœur Perpétue, offrant tout à Dieu, n'en aver- tissait pas moins son beau-frère que les nouvelles lui arrivaient toutes décachetées quand elles venaient des Invalides. Ce toit, quoique militaire, lui paraissant à bon droit suspect depuis que M. Le Blanc, ministre de la Guerre, s'y était pâmé un peu trop haut sur le portrait de Madeleine, puis sur le modèle lui-même. Poisson, philosophe, répondait par un louis dont on achetait un corps pour Reinette et des confitures, tandis que la moitié de l'hiver les saintes âmes la tenaient au lit, crainte du froid qui la tuait, garnie de chaude soupe, de bouillon, d'œufs frais et, quand elle était en force de se divertir, « chantant les vespres de la Vierge dans sa classe, dont elle était la meilleure chantre ».

Enfin, elle pouvait tracer à son père qu'elle l'aimait autant qu'il le méritait « mais qu'elle n'avait point, pour son malheur, le cœur aussi grand que son amour ».

François Poisson en pleurait dans ses Allemagnes, deux fois plus enragé pour rentrer et correspondant pour cela avec des plaintes aux Pâris, tout ce qui lui restait d'amis.

Grâce à eux et à son étoile il pensait revenir en avril ou mai étreindre sa fille, lorsqu'il apprit que sa femme l'avait emmenée « toute bouffie et pleine de fièvre », après une querelle fort aigre avec ses sœurs, celle-ci soignant la petite pour des vers, l'autre pour l'asthme.

Pour conclure, elle la reprenait, au grand désespoir des recluses, qui ne devaient jamais oublier ce petit visage déjà joli, ses premières grâces et cet élan qu'elle avait pour Dieu et pour la chapelle.

- Pompadour y pensa aussi dans ses gloires. Au long de

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ses carnets d'aumôneries, des rentes s'alignent pour Poissy et la supérieure Perpétue. Le cher couvent l'habitait, l'année paisible, les âmes pures habillées de lin — et peut-être ce Dieu indulgent dont un homme avait pris la place....

« ELLE SERA MAITRESSE DU ROI ! » Vraie bourgeoise, elle était sauvée.

Elle entrait dans le paradis de Chardin à mères droites en tablier blanc, à gros meubles et parquet lavé. Elle eût dit le bénédicité devant son assiette, l'Angélus à l'heure des cloches, porté le bourrelet carré, le petit « juste » et joué aux quilles ou au toton avec son frère en robe à fleurs, sous une pendule à battant. Le dimanche, rincée au cuveau, après la messe, elle se serait égayée au charnier ou au jardin du Roi où l'on voyait le rhinocéros. Et elle serait devenue cette mariée de quinze ans, au bras d'un jeune époux coiffé en bourse, qui l'eût aimée en bon maître sans la mener à l'Opéra.

Au contraire, elle tomba dans le demi-monde, ou ce qui en tenait déjà lieu, planète transitoire habitée de fermiers généraux, de financiers craignant la corde, d'acteurs célèbres et de dames de moyenne vertu abritées d'un époux facile. La noblesse y consentait deux ou trois roués qui troussaient les belles et les payaient en coups de pied.

Le peuple y servait ou crachait dessus. La malice était d'en sortir par la bonne porte : le mariage ou la conversion ; mais ne se sauvait pas qui voulait. Les mères s'en vengeaient par leurs filles qui, bien dressées, les décrassaient.

Ne doutez pas que Madeleine n'y songeât lorsqu'on lui rendit son ingénue, et qu'elle s'avisa de cette ébauche de perfection et de ce que le temps et elle-même en donne- raient. Pourquoi l'eût-elle traînée chez la Lebon? Sans doute, celle-ci lui avait-elle prédit, en voyante habile, ce qu'elle souhaitait : de M. Le Blanc, ministre, au

« Nigaud » Pâris-Montmartel, en passant par M. de Vederkop, Danois, sans oublier ce gros, gris, gai Tour-

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neheim Le Normant, célibataire et farci d'écus, qui était pour l'heure sa passion. Du reste, elle dura et ils s'ai- mèrent jusqu'au dernier souffle, François Poisson tenant galamment la chandelle. Mais pour l'heure, ce dernier était encore loin du revoir conjugal, malgré toutes ses espérances, et le bon Tourneheim s'empressait de servir de père aux mi-orphelins avec beaucoup de rectitude et cette sentimentalité d'almanach, déjà romantique, qui amènerait dans l'avenir bien des soupçons. Faut-il le dire? Poisson était le géniteur légitime et le resta, tout en se félicitant de cette bienheureuse tutelle. La Lebon ne s'en trouvait pas moins nécessaire, au moins pour Rei- nette. Ainsi regarda-t-elle dans les mains mignonnes, visa les prunelles naïves promptes à changer de couleur, écouta la mère et s'en laissa guider vers un avenir de roman :

« Elle sera maîtresse du roi! »

Madeleine paya et dut rire; elle pourrait en égayer Tourneheim qui appelait déjà l'enfant « un morceau de roi » et le pousser à la dépense. Longtemps on redirait le mot, on s'en parerait même auprès du futur épouseur;

ce serait la légende de la famille. Vieille dame, Jeanne- Antoinette le répéterait encore à ses progénitures der- nières et s'en ornerait toute seule.

Elle ignorait, en rentrant rue Neuve-des-Bons-Enfants, le nouveau logis, qu'un jour elle inscrirait la dite Lebon sur sa rente : « 600 livres pour m'avoir prédit à neuf ans que je serais maîtresse du roi. »

Mais peut-être demanda-t-elle qui était le roi.

Dans l'invéntaire de sa mère, après décès, il y a un article bien touchant, entre « les commodes de bois d 'amarante, les bonheur-du-jour de violette, les fau- teuils jaunes à fleurs de soie »; c'est une petite garniture de toilette « à usage de poupée », le pot à l'eau, la cuvette de porcelaine de Saint-Cloud, l'ensemble monté d'ar- gent. Voilà tout ce qui reste au rêveur de l'enfance de

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Pompadour : un jeu fragile et qui dura sans doute plus qu'elle, témoin d'heures encore préservées dans la cham- bre d'hiver, près du feu, ou le printemps, proche la fenêtre d'où l'on voyait verdir les hauts arbres du Palais- Royal.

Pour le reste, elle tint sa place entre le carlin et le protecteur, avec préférence sur le dernier, car elle était chérie de Madeleine; qu'on eût gardé son jouet le prouve.

Mme Poisson avait du cœur et gardait de la bourgeoisie la faiblesse d'aimer, le dévouement aussi et ce charmant orgueil maternel qui l'excusera de beaucoup de choses.

Elle dut s'occuper autant qu'elle pouvait de ses petits, plaça, dès qu'elle eut de quoi payer la pension, Abel- François chez M. de la Guérinière, directeur de trois établissements célèbres pour gentilshommes, et où on lui apprit le nécessaire, c'est-à-dire le latin, la danse, l'escrime et l'équitation, plus quelques petites super- fluités de grammaire.

Quant à la fille, « ce bouquet », pour elle rien ne fut

trop cher, ni trop haut. M. de Tourneheim s'y fût ruiné, ce

qui d'ailleurs n'était point à craindre. Comme professeurs

Jélyotte, le Toulousain de l'Opéra, entretenu par les

duchesses, qui se pâmaient en l'écoutant hors de leurs

. loges ; Guibaudet, maître de ballet, spécialiste du menuet,

des contredanses à la mode, Marquise, Originale, Roucou-

leuse, Intime et Belle-Amélie, et qui l'instruisait en

plus au saut, au piqué, au battu, aux demi-pointes de

la Camargo ou de la Sallé, à l'attitude, le portement de

bras, tout ce qui ne s'apprend enfin qu'aux demoiselles

de théâtre; le tragique Crébillon, auteur de Xerxès et de

Rhadamiste, ami de la maisonnée, pour la diction, ainsi

que Jean Sauvé, dit Lanoue, et quant au reste, tout ce

qui ne s'explique pas et qu'on écoute : la conversation,

le tour de l'esprit, le piquant et cette grâce qui n'est que

de France. Pour le charme, voyez Paris.

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Car toujours il faut revenir à lui.

Certes, Pompadour sera composée de talents célèbres, en attendant d'être revue, corrigée par Voltaire et Bernis, parfaite au crible par Versailles, et dans Versailles, les peintures de Le Brun, les statues de Pajou avant le roi.

Mais c'est de Paris qu'elle grandira, qu'elle prendra le ton, l'accent, le caprice et ce goût, qui sera son éternité.

De Paris, qu'elle fleurira avec ses venins et ses roses.

Au retour de Poisson, en 1736, ébahi, il félicitera Madeleine, étreindra fraternellement Tourneheim, sans comprendre qu'il a vu le véritable éducateur de tant de beautés, dès qu'il a franchi la porte d'Enfer, au premier souffle de Paris, au premier égout, à la première fontaine à dauphins, au premier chanteur de complaintes. Ce chef-d'œuvre de quinze années, ce « morceau de roi », aura été construit de ces riens et de ces touts, des regards, en voiture, sur les monuments, les heures vertes aux Tuileries, aux lentes baissées du crépuscule, du va-et- vient des boulevards et de ces nuits d'illuminations où de grands L éclatés et blancs s'effeuillent comme des pétales.... Fait de tout un peuple marchant aux pro- cessions, entre les maisons volantes de draps, de tapisse- ries, les marchés aux parasols écarlates, des corbil- lards royaux roulant vers Saint-Denis, cathédrales à panaches, escortées de tambours de crêpes, et dans lesquels, assis à l'aise sur le cercueil, derrière les draps, et poussant la couronne, quatre fossoyeurs jouaient aux dés.

Plus tard, la cour s'aigrira de tant de réussites en un être, de cette perfection acquise avec une souplesse, un tact infinis, qui négligeaient le mot entendu jadis rue Fesse-l'Amour ou près de la Morne. Mais ce que cette femme apportait à l' « Inamusable », dans son Opéra machiné, c'était ce qu'il ne savait pas, qu'il n'avait même pas deviné au cours de ses escapades en fiacre ou dans les pompeux défilés derrière le jour tremblant des

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carrosses : les dimanches familiaux au bois de Boulogne, les vielleuses et leurs cordons bleus, le peuple de France, sa joie, ses morts, sa colère, ce commis qui rentre tenant à la taille sa belle en bonnet et qui l'embrasse sur la bouche, un soir de lur-e sans lanternes, un soir éternel de Paris.

MONSIEUR CHARLES-GUILLAUME LE NORMANT

Donc, il rentrait, ce François Poisson, nullement surpris de retrouver les siens en vie et de brave mine, nullement étonné non plus du nombre nouveau d'amitiés qu'il lui faudrait faire. Le bonhomme n'était point curieux et ne questionna pas Madeleine. Mieux, il poussera bientôt la riante humeur jusqu'à loger chez Tourneheim, bien entendu avec sa femme : c'est là qu'on lui adresse ses lettres. En attendant, et bien qu'il fût indésirable, on le recevait en père prodigue, peut-être, avouons-le, parce qu'il revenait bien renté, on ne sait comment et par qui. Le fait est qu'il commandait aussitôt, à son habitude, un mobilier fort luxueux à Jacques Flamand, tapissier, sans compter une petite maison rue Richelieu qu'il fera raser pour en bâtir, sur le même terrain, une autre plus vaste. Il faut ajouter que les factures étaient réglées par « le Nigaud », qui méritait ici son surnom.... En tout cas, c'est dans ce quasi- palais, le 4 mars 1741, nanti de salons tout neufs, qu'avait lieu la cérémonie du contrat unissant sa Jeanne-Antoi- nette à M. Charles-Guillaume Le Normant d'Etiolés, neveu du dévoué Tourneheim qui en pleura. Et Poisson aussi.

Ce Charles-Guillaume était, à vingt-quatre ans, un

jeune homme tout en silhouette, mal fait, maigriot, petit,

très sous la tutelle. Il y avait neuf ans, il avait servi de

garçon d'honneur à la petite, encore fillette, lors des

noces d'un sien cousin, le comte d'Estrades. Il paraissait

n'en avoir point reçu le coup de foudre. Il n'explosa que

sous permission, mais alors il outrepassa la mesure,

posant dans ce siècle galant, mais peu conjugal, aux

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Amadis et aux Galaor. On le vit battre son père de menaces, parce qu'il ne montrait point d'enthousiasme, et le faire morigéner par l'oncle. A ses façons de résis- tance, celui-ci se fâchait tout net en exhibant son testa- ment : qu'on fît grise mine à son choix et il allait trouver son notaire, au pis se mariait lui-même et se promettait force enfants. Le Normant père céda, la lippe amère;

il descendait, et s'en montrait fier, d'un de ces bourgeois de Calais qui s'étaient sacrifiés en chemise et la corde au cou lors du siège en 1347. Mlle Poisson arrivait là comme une difficile arête, avec des parents qui ne se montraient court vêtus que pour se coucher, sans penser plus loin. Mais on ne tient pas tête aux célibataires Crésus, surtout quand ils prennent de l'âge.

Ce printemps donc, malgré l'aigreur de la saison et d'une partie des assistants, M. Perret, clerc de famille, en habit noir, donna lecture du contrat.

Il était plus beau que le marié.

L'oncle dotait : 83 600 livres, plus les espérances

en parts de fermes générales, « logeait, nourrissait,

entretenait en son hôtel les futurs et leurs domestiques

au nombre de cinq, leurs équipages et leurs chevaux »,

plus — galanterie — le château d'Etioles, près de Corbeil,

afin que l'objet de toutes ces grâces pût y jouir des jours

de l'été et boire le lait de ses vaches. De son côté,

Mme Poisson, attendrie, donnait les bijoux et les pierres

qui lui venaient de la même bienfaisante main. Poisson

promettait l'ex-maison de la rue Saint-Marc saisie par

l'Etat, que personne n'avait étrennée, sauf ces messieurs

de la justice, et qu'on lui rendrait, disait-il, sur sa bonne

foi. Malheureusement, un certain Danois, Vederkop,

qu'on a vu plus haut, surgissait en fâcheux, prétendait

la garder pour lui, l'ayant payée de ses écus contre de

l'amour.... Le mari modèle concluait en disant que ces

gens du nord étaient Iroquois et le Vederkop fut blâmé

de se montrer si peu Parisien. Cependant, les violons

sonnaient déjà, et le jeudi 9 mars, « à l'église Eustache »,

la bénédiction était donnée à Charles-Guillaume trans-

porté et à Jeanne-Antoinette, « Reinette ».

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Le soir même, ils connurent leur première nuit à l'hôtel Tourneheim, près des Capucins. On ne sait si les Poisson bénirent aussi l'heureux couple. En tout cas, ils ne tardèrent point à les suivre dans un logis plus bel encore que louait dans son enthousiasme l'inépuisable protecteur, l'hôtel dit de Gesvres, rue Croix-des-Petits- Champs.

De la sorte, une fois de plus, on vit la vertu récom- pensée.

REINETTE D'ÉTIOLES

Pourquoi le mariage, dira-t-on?

Par sagesse. Ce siècle, d'apparence léger, goûtait fort peu les femmes libres. Jeanne-Antoinette entra là toute froide, livrant honnêtement un corps charmant, bien appliqué, voire docile à des audaces dont, plus tard, se vantera le pauvre mari. Elle payait l'honorabilité, sans compter certaines rougeurs et le droit de regarder en face. Soulavie, qui la hait, dit qu'elle agissait par tri- cherie, ayant été vouée au roi dès neuf ans par l'entremise de la Lebon, et que la mère s'en louait. Tourneheim, d'ailleurs, y aurait mis la main, et Poisson, dès qu'il reparut. D'où les maîtres extraordinaires, le luxe des raffinements et cet art de la comédie poussé à l'extrême, femme devant être toutes les femmes, ce qu'un temps elle paraîtra.

La vérité, qu'elle l'eût vu ou non dans les fêtes, à l'épais de ses bataillons, pris dans l'or d'un carrosse, ou à Versailles derrière la foule, au grand couvert, fût-ce même en image au creux d'une assiette, c'est que Rei- nette appartenait au roi. Elle avait grandi avec ce mythe.

Elle y avait songé en gravant ses pointes et en taillant ses

pierres fines, en portant la voix dans le masque comme

l'exigeait Sauvé, dit Lanoue, surtout en se mirant au

fond des miroirs, ces vrais conseilleurs, qui savent si

bien murmurer aux filles. Qui l'eût retenue? On l'y

poussait. Sa famille ne l'avait point élevée en vestale,

et si l'on se rendait à la messe c'était comme tout le

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beau monde, pour donner l'exemple aux laquais, qui eux-mêmes n'y croyaient plus. Certes, à Noël on payait ses places aux églises, mais pour entendre certains instrumentistes imitant sur l'orgue, à s'en pâmer, le rossignol. La piété ne convenait qu'à la canaille ou à certains milieux démodés, riches de présidents caducs, d'antiques dames portant la marmotte à trente ans, sur lesquels régnait, solitaire, la triste Marie Leczinska, maintenant poussée de côté, ne pouvant plus servir, avec sa fistule, ses chiens papillons et ses neuf enfants.

On se flattait, chez les avertis, de ne croire qu'aux philo- sophes et encore au diable, parce qu'il ressemblait à M. de Voltaire.

Autour d'elle, tout parlait du roi, certes à cause de la prophétie, surtout parce que, depuis des mois, dans l'inti- mité, il avait, en levant son verre, porté un toast à l'In- connue. Et l'Inconnue ne s'était point fait attendre : c'était Mme de Mailly-Nesle, une grande laide qui s'habillait bien et poussait la sottise jusqu'à aimer de i passion le roi. Lui-même l'avait prise sans la choisir, avec pudeur et sauvagerie, et encore un reste de gêne qui le poussait plus tard, en la chassant, à garder ses sœurs pour son lit. Ainsi, n'avait-il que peu à parler.

A la première, d'ailleurs, on l'avait forcé, l'honnête Le Bel, son valet de chambre, le tenant aux bras.

Après, il s'était jeté de lui-même et le cardinal Fleury osant lui représenter le cri des gazettes, il lui répondait :

« Je m'en f.... »

Sur ce mot, chez les Poisson, on espérait tout.

Pourtant, « certains jours, raconte Bernis qui la savait bien, Jeanne-Antoinette abandonnait, trouvant la dis- tance trop vaste ». Ils ne s'apercevraient jamais de leurs étoiles étrangères. Si l'on y revenait, elle se forçait à rire des lèvres : « Je ne trahirai jamais mon mari, sauf, peut- être, avec le roi. ' » Sur quoi, son bêta l'embrassait et la laissait libre.

L'hiver, à Paris, elle menait la vie des jeunes femmes fortunées, prenait après le chocolat sa leçon de harpe, « qui fait jouer joliment la main », lisait les nouvelles manu-

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scrites ou le Mercure jusqu'au dîner. Elle partait de là vers 4 heures en mille courses : au Palais-Marchand, au Chagrin-Turc, laissait des billets partout, écrivant ici, rêvant là, dans sa désobligeante « azurée comme un firmament ». Quand le jour baissait, faisant toucher aux Tuileries, elle voyait les révérences, les grands habits, le bassin rond, soupait chez le Suisse, ou se rendait à l'Opéra, à la Comédie, les soirs élégants ; sinon, usait ses nuits interminables au Cours-la-Reine, « ses nuits blan- ches pleines de symphonies, d'illuminations, de jeux », et allait rechercher le premier soleil, selon l'usage, au pont de Neuilly, mangeant des marrons et buvant du ratafia. Fiévreuse déjà, faisant malgré tout des enfants, un petit garçon qui mourra bientôt, une petite Alexandrine, chers à son cœur, mais qui n'arrêteront rien de ce miracle sans cesse riant, mouvant, dansant, cette jeune déesse dont parlait la ville et dont se paraient les théâtres des petits châteaux, cette Mme d'Étiolés, la bouche encore rouge et le teint sans fard, ronde et mince comme une bague, jouant de son époux idolâtre ainsi que de son Gilles de carton, et applaudie à grands gants des nobles qui la méprisaient en espérant bien l'obtenir, et des poètes amateurs de beautés et de bons repas.

Elle montait à chaque saison, chantait Armide chez Mme d'Angevilliers où « la veuve Mailly », l'admirant, lui sautait au cou avec des larmes, se faisait peindre en Jour par le sieur Nattier, entrait enfin au premier des bureaux d'esprit : au royaume Saint-Honoré, chez Mme Geoffrin.

La petite Tencin, chétive et géniale, lui en tenait la porte, moitié romancière avec son Comte de Comminges et ce Siège de Calais où l'incolore Charles-Guillaume Le Normant devait retrouver les siens. On connaissait l'aventurière, religieuse aux champs, amante d'un frère, disait-on, qu'elle avait poussé au chapeau, et qui avait laissé un enfant proprement devant une église. En che- veux blancs, elle tenait un salon dans lequel la Geoffrin avait fait ses classes. Là encore point de morale, mais

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une intelligence à faire peur, une hauteur « à aller aux nues », dans la misère avec cela et n'offrant à ses gueux d'écrivains, aux étrennes, qu'une aune de velours à culotte. Elle émigrait avec ses dentus chez sa voisine, abandonnant son cul-de-sac de l'Oratoire où l'hiver on entrait en barque. Voisine aussi des chers Poisson, elle y jouait les fées marraines, emportait le tout, mère et fille chez cette même Geoffrin qu'elle détestait, sentant l'héritière.

Devant la grande bourgeoise, alourdie dans sa robe sombre, le visage gros, l'œil tranchant au fond de la coiffe, Reinette perdait contenance, mais la Tencin la remettait, lui soufflant qu'elle était fille d'un laquais bien que les rois léchassent ses mains. Heureusement, l'unique enfant de ce phénomène surgissait, radieuse, folle et pleine de sens, à peine de six ans plus âgée que Jeanne-Antoinette : le « Beau Matou, la future reine des Lanterelus », la marquise de la Ferté-Imbault.

Grâce à elle, on oubliait la pauvre Poisson « si décriée, qu'il semblait impossible de suivre cette connaissance ».

En revanche, Mme d'Étioles, « charmante, d'une tenue parfaite, méritait bien des politesses ». De là, un grand embarras pour « séparer » les visiteuses. Le problème était difficile.... Un mal terrible arrangeait tout, madame mère souffrant d'un cancer. On la laissa au bourreau, M. de Paris, qui soignait ces sortes de choses, et l'on accueillit Reinette le lundi et le mercredi, avec Boucher, le gai causeur, La Tour, le chagrin, Joseph Vernet, peintre des marines, Van Loo, Bouchardon, Rameau, Montesquieu, Fontenelle. On y voyait, on y entendait toute la cour, celle qui avait de l'esprit, et toute la terre.

La petite d'Étiolés ne perdait rien, ni du vaste salon à glaces, ni de la conversation des maîtres. « Jolie, bien faite, naturelle, parfaitement bonne, chantant à mer- veille, douée de tous les talents pour séduire, elle plaisait beaucoup aux vieux philosophes. » Cette blonde per- fection flattait Geoffrin, caressait Imbault, soupirait « du bonheur d'être là, dans l'aréopage », disant : « Que vous êtes heureuse! » à la mère; à la fille : «Quel choix! Vous

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vivez constamment avec ce charmant duc de Nivernais, cet aimable abbé de Bernis, vous les avez tous! Et moi, j'ai toutes les peines du monde à en posséder un pour souper. Mon oncle Tourneheim les ennuie avec sa finance. » Aussi, « priait-elle » en grâce la Marquise de l'autoriser à lui rendre très souvent visite, dans l'espoir

« d'y prendre de l'esprit et des bonnes manières. Car, ajoutait-elle, la compagnie de mon oncle est de braves gens, mais de fort mauvais ton ».

On voit le jeu. Les deux Geoffrin s'y laissaient prendre.

Au 1 er janvier 1744, à sa toilette, au grand matin, Mme de la Ferté-Imbault, notre maligne, voyait arriver Jeanne-Antoinette avec son époux pour lui souhaiter la bonne année, mais avec « un tel aria de respects » que l'amie flattée la grondait, la trouvant gentille, et en sou- riait, à leur départ, vers son lit bleu.

Un an plus tard, le 1 er janvier 1745, la marquise de Pompadour recevait à Versailles les vœux des princes du sang chapeau bas, et toute l'Europe, « ce qui, écrit le Beau Matou, me fit bien rire ».

Elle n'ajoute point de quelle façon....

C'est d'Étioles qu'elle partit pour les amours.

Étioles, château des plus élégants, sinon des plus grandioses, siégeant sur la hauteur dominant la Seine et donnant, par la découverte des arbres, sur la jolie vallée de Corbeil.

Reconstruit aujourd'hui, il montrait, dans un tableau de Carnavalet, la façade blanche à fenêtres, le perron court et riant des habitations de l'époque. Le village tournait autour, avec, jetées dans la verte tapisserie de Sénart, toutes sortes d'autres demeures voisinant et rivalisant de charme et de luxe : Crosnes, Brunoy, Montgeron, Draveil et, vers le sud : Soisy, Cranayel.

A deux lieues de là, par-dessus l'eau, il y avait Choisy, qu'on appelait Choisy-le-Roy depuis 1739, où Sa Majesté l'avait acquis de M. le duc de la Vallière.

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Mais la campagne est bien dangereuse à qui n'a connu que Paris, surtout si elle est encore Paris. Malgré les visites du président de Montesquieu, de Voltaire, tâtant le vent et rimant déjà « la divine Étioles », ces gaies allées et venues de voitures emplies d'amis, ces soirs d été où l'on lisait Richardson tout haut en la comparant à Paméla, même le petit théâtre charmant, équipé pour elle, avec ses nuées, la châtelaine avait des loisirs et des rêveries qui la menaient, en robe lâche, sous les arbres. Au loin, dans ces languissants crépuscules que l'on retrouve dans Oudry, aboyaient les chiens. Un frémissement de chevaux galopant, de rumeur de foule, et ce halètement deviné d'une bête aux abois qui fait taire, en même temps, les oiseaux, heurtaient une minute le silence. Les par- fums même semblaient attendre. Puis, tout cela tournait brusquement avec les cors. Une note, un écho.... Un merle reprenait sa flûte, la brise courbait les brins d'herbe, emportait la chasse du roi....

LUI

Il venait là de Choisy, sa « petite maison », où le règlement portait : « Six lits de femmes. Point de maris », partant à l'aube, à la rosée, en un temps de trot, les carrosses sur un bac passant la Seine. Puis, l'on retrou- vait les chevaux et la meute à la forêt où l'on se lançait

« à crever », lui toujours le premier, lâchant son monde, tombant parfois et se relevant, si dur, que les bêtes n'en pouvaient plus ainsi que les hommes, Tous les châte- lains des environs avaient le droit de suivre autant qu'ils pouvaient, même les boùrgeois. Par respect, ils se te- naient loin, tout éblouis, voyaient comme dans un ta- bleau, à l'infini, les habits bleus, les gentilshommes de vénerie et les lieutenants, les valets de limiers, les pages, les piqueux, l'officier de toile, les palefreniers, les gardes suisses et françaises et les rabatteurs, toute cette fantas- magorie touchée de vert, d'or sur les galons, quasi sous- marine, comme si les chênes pressés gardaient l'eau, tournaient les chasseurs en dieux de bassin. Dans les

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coquillages des carrosses, les dames de la cour sui- vaient, portant le lampion d'étiquette et vêtues d'azur, la favorite du temps la première, le sourcil froncé sur l'horizon. Les curieux, le tricorne en main, regardaient toujours, exorbités, quelquefois balayés par l'ouragan des courses, le bruit haletant des sabots, le hurlement des chiens d'Écosse blancs et roux, se coiffant l'un l'autre, et les sonneurs de trompe soufflant, aidés par le marquis de Dampierre :

C'est le roi qui a choisi Pour son repos ce lieu-ci; Le chagrin et le souci Sont toujours bannis d'ici ; On a prévu tout ceci Quand on l'a nommé Choisy.

Toujours, maintenant, un phaéton fou suivait, coupait la chanson, revenait, bouchait la perspective et fuyait au bout des lorgnettes. Un phaéton d'Opéra, trop léger, peint d'azur quand sa conductrice était en rose, peint de rose quand elle s'habillait d'azur. Les dames murmu- raient au fond des « gondoles ». Ce phaéton insolent chassait le roi autant que le cerf, le débouchait, le rame- nait, fouetté de branches, suant bon et perdant sa poudre, jusqu'à l'hallali, curieux un instant, l'œil allumé. A la mort, il frôlait une dernière fois le berlingot où Louis se taisait, écoutant Châteauroux parler avec Mme de Chevreuse. La vitre claquait de grelots, du trot bref de chevaux soupe de lait, d'un jeune rire....

« Cette petite d'Étioles! disait Chevreuse, elle est plus jolie que toujours! » Sur quoi, la Châteauroux, souriante, d'un pied de satin lui cherchait l'orteil et le lui broyait, ce qui faisait pâmer l'autre.

« Vous ne savez donc point », la gourmandait le soir au- près de son lit la favorite, « qu'on veut donner au roi cette fille-là? »

En conséquence, « cette fille-là » était avisée de ne

plus paraître. Ce qui redoublait ses accès de fièvre et ces

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alanguissements qui la prenaient, le soir, malgré la dou- ceur des étés, en écoutant sonner les cors :

Si vous êtes curieux De ce qu'on fait en ces lieux, Il faut vous adresser mieux;

Je n'ai de langue, ni d'yeux, Que pour respecter les dieux....

Elle eût voulu le fuir qu'elle le trouvait partout, que partout on le lui vantait; à Chantemerle, chez son amie Mme de Villemur, mariée à un financier comme elle, mais qui n'en recevait pas moins des ducs; chez M. de Montigny, où elle soupait avec le président Hénault, le familier de Mme du Deffand, qu'adorait la reine et qui se prenait d'étonnement « de cette petite d'Étioles, une des plus jolies femmes que j'ai vues »; auprès de ce M. de Bridge « le bel homme », écuyer de Sa Majesté, tout à coup étourdi d'être préféré, reçu, caressé par ce ravissant oiseau bourgeois attaché à lui au point que, malgré ses dires, on le lui donnait pour amant, et Louis XV le lui dira, sans comprendre, lui, ni les autres, qu'ils n'avaient de visages et de voix pour cette femme que frangés d'une impalpable lumière, odorant d'un parfum secret. Le cousin Binet aussi était du cénacle, ce cher cousin valet de chambre qui Le tou- chait, savait cent traits de lui, de son angora blanc dansant au vinaigre des quatre fleurs, des biscotins distribués aux volières des toits, ces îles d'évasion qu'il se construisait et où il tournait des confitures et soignait des fleurs.

Par ce valet, tout un Homme lui apparaissait, vu de la

serrure, inconnu, aimable aux intimes, patient aux petits,

l'hiver grelottant et soufflant son feu pour ne point trou-

bler ses domestiques. Timide à la frénésie, à l'épouvante,

sous l'air d'un dieu, et venu par la solitude de l'orphelin à

une enfance égoïste, éternelle, méfiante et pleine d'ennui, à peine égayée par le plaisir, la brutalité de la chasse et

des crevailles de nourriture. A trente ans, neuf fois

père, amant obligé par les médecins qui lui trouvaient

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« la couleur jaune » à force de demander la nuit le devoir et de tuer les mouches le jour. Sans cesse harcelé de femmes, de La Popelinière à la Rochechouart, tenu pour l'instant à poigne par sa favorite la duchesse de Châ- teauroux, une déesse de plafond peinte sous les traits de la Force et qui vous le traitait de haut en bas, s'accor- dant contre signature et le tuant d'héroïsme et de renom- mée. « Sa Majesté n'en voulait point tant », disait Binet, goûtant l'habitude et ces journées bien mesurées qui le menaient de visages accoutumés, de messes dites et de * conseils, à son « Secret », où il entassait les paperasses comme un tabellion de province, tripotant du mystère avec frénésie et soupant aux retours de chasse avec des fidèles, sans tambours ni hallebardes annonçant la

« viande du roi ».

Elle écoutait et le voyait mal, obstinée, en petite fille du peuple, à l'hermine, aux flots de velours, à la couronne sur les lis. Ce Louis XV-là n'était pas le sien, pas encore....

Elle tremblait lorsque le cousin lui rapportait qu'il parlait d'elle, là-bas, dans cette chambre à palmiers d'or qui sentait l'ambre et où n'entraient que des gens courbés.

Comment prononçait-il d'Étioles, de sa voix toujours enrouée ?

LE BIEN-AIMÉ

Elle continuait d'être habile, visitait, avec des airs de protégée, Mme de Sassenage, femme du menin du dauphin, qui vivait au château de Versailles, et la vieille marquise de Saissac qui n'y venait plus, mais était une tante du duc de Luynes, ce que la reine n'oubliait pas.

Et aussi cette bonne duchesse de Chevreuse, au pied écrasé, qui, la prenant par le menton, comme en son enfance, avait plaisir à la nommer aux cercles de cour,

« cette charmante, qui était Poisson ».... Bernis, l'abbé

musqué, la voyait enfin chez sa cousine d'Estrades. Le

marquis de Valfons la déclarait « à ravir, pleine de ta-

lents ». Le duc de Duras jouait avec elle Dorante et Riche-

lieu l'applaudissait avec des : « Ha! Ha! »

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Elle en était là, à écouter tomber son nom, pour la première fois, dans l'abîme de cour, lorsqu'elle fut mal d'un retour de couches à l'annonce de la maladie du roi à Metz. Elle « en pensa mourir », avoua-t-elle à Ferté-Im- bault qui s'étonna d'un tel loyalisme. Au vrai, cette alerte qui valut à Louis le surnom de Bien-Aimé, venait

« d'un épuisement d'amour », dit Barbier, dont il ne s'était point privé en campagne avec la déesse Force....

Mais Paris crut revoir les jours d'autrefois, les peurs qu'il lui avait fait, enfant, fiévreux dans ses cheveux d'hyacinthe. Il courut en foule aux églises et tourna neuf fois autour de la châsse de sainte Geneviève. Sur quoi, le Bien-Aimé se rétablit après des pleurs et des confessions, la reine retourna chez elle et Châteauroux reprit espérance, bien qu'on l'eût sifflée sur les routes et traitée de « grande haquenée ».

Paris, au premier courrier qui lui apportait la guérison, baisait et l'homme, et le cheval. La ville entière n'était plus qu'une immense enceinte pleine de fous, de cloches sonnantes et de Te Deum. Les fusées et les soleils péta- radaient place de Grève. Sur le Pont-Neuf et en d'autres endroits, on distribuait du cervelas, des pains, autour de charpentes où musiquaient des musiciens. On chan- tait :

Grand roi, que tu nous es cher !

et l'on vendait à haute criée des vers de Piron qui louaient, avec des détails, ses clystères.

Imaginez la rentrée du vainqueur lui-même!

Mme d'Étioles dut la voir, pressée dans la multitude, comme la Châteauroux exilée....

Un bourdonnement lointain, coupé de silences pesants

où battaient les cœurs, et soudain, dans le premier bruit

des sabots, le galop des gardes sur le pavé, les tambours

roulant tous ensemble, les clairons stridant au-delà des

épées droites, un éclair à la pointe, et, centre des flam-

beaux perdant leurs plumes d'étincelles, contre le noir

de novembre, le grand carrosse d'argent du sacre, géant,

cahotant de dieux, d'amours, de guirlandes, tournant

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sous les fleurs jetées, les bravos, les cris, ses huit che- vaux encensant d'orgueil, emportant un homme assis, le cordon bleu sur la poitrine, un diamant à son chapeau et qui saluait du profil.

Il était si beau, qu'il semblait l'Apollon de ses jardins.

« Ah! qu'il est doux d'être aimé! disait-il. Qu'ai-je fait pour le mériter? »

Il suivait les rues sous des rafales, des pleurs d'adora- tion si hauts, qu'un seigneur de la suite, ému, jetait l'argent à pleines mains, sans que personne le ramassât.

A la grand-messe, à Notre-Dame, il s'en fallait de peu que ce fût lui qu'on louât par-dessus les orgues, les enthousiastes s'accrochant aux vitraux, aux sculptures, malgré les ordres, enlaçant les piliers pour le voir, minus- cule, en habit de velours brun ciselé, coiffé à l'oiseau, la reine en robe brodée d'or, chargée de réseaux d'or, et Mesdames en blanc de petit deuil, Madame Sixième étant morte, mais brillantes de pierreries.

Aux Halles, Mme Cocasse, en paniers noirs et grands bijoux, lui sautait au col, suivie de ses camarades magni- fiques, poudrées à neuf par Ponponnet. Elle lui lisait un discours fort gai, écrit au revers d'un bel éventail de nacre peint et décoré de lis :

« Sire le roi, j'ons l'honneur d'être, sous vot' respect, les députées des dames poissardes de vot' bonne ville de Paris. Je venons à la queue des autres pour vous faciliter (sic). Ceux qui l'ont fait devant nous, pour sûr, l'ont mieux fait, ayant la langue bian mieux dorée, pas moins, je l'ons bian pendue. L'un vaut l'autre. »

Le roi touché se donnait à Paris quatre jours, usant ses nuits sous la pluie, qui mouchait les chandelles, à par- courir les quais, dormant fort mal aux Tuileries et sor- tant rompu du dîner à l'Hôtel de Ville commencé à 3 heures, terminé à 7 [heures dans des musiques d'Opéra, cependant que ses sujets pillaient le fruit. Après quoi, il subissait encore les jésuites, dans leur maison professe, à Saint-Antoine. Il commençait à s'ennuyer, languissant de ses habitudes, songeant à Châteauroux.

Pour en finir, il la reprit.

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« Par ma foi, dit une poissarde, puisqu'il a ramené sa guinche, qu'il prenne garde : il ne trouvera plus un Pater sur tout le pavé de Paris ! »

D'avoir cru le perdre, Reinette l'aima d'un coup

« violemment, d'une inclination à la folie, qu'elle ne pouvait plus contenir », elle le confiera à Voltaire. Orgueil, intérêt, ambition, tous ces motifs s'amoindrissaient. Il le lui fallait dans les bras, sur le cœur, quitte à se perdre, à en mourir. Les Poisson s'en épouvantaient, la voyant moins belle. Le mari lui-même s'en aperçut. Mais Tour- neheim le rassura.

Tout semblait perdu, au moins à l' entracte,f quand la déesse Force mourut, brûlée de trop de peurs d'hier et de trop de joies d'aujourd'hui. Elle s'en allait dans la gloire, rappelée du roi au péril de son âme, voyant « le foutriquet » Maurepas, qui l'avait chassée, lui porter des lettres de l'Amant à genoux. Sa ruelle était pleine de monde, de prêtres en surplis et du désespoir de son « oncle » Richelieu qui l'avait placée sur le trône. Sa sœur Mailly,

« sainte Mailly», qu'elle avait piétinée, trahie, sanglotait derrière sa porte. Elle était la seule sincère.

Louis XV eut des transports qui surprirent; mais les initiés se rassuraient, se souvenant de ses désespoirs pour la mort de la Vintimille. Il pleurait facilement, se plaisait au sombre, aux pourritures, et se régalait de cimetières. Il fallait laisser le torrent couler, respecter les soupirs qu'il poussait, clos dans les lourds rideaux de son lit. De plus, la douleur l'attaquait au foie. Au premier appétit, il en sortirait.

Pourtant, Sa Majesté persistait, pleurait en compagnie, organisait des soupers de deuil. Pire : elle parlait de

« châtiment du Ciel »....

Tout s'oublia pour le mariage du dauphin.

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C'était un brave garçon déjà gras, très Polonais, adorant sa mère et dévot. Son père, qui l'avait chéri, le délaissait un peu aigrement, s'en sachant blâmé, aussi parce que ce lourdaud lui succéderait et lui rappelait en tout temps combien l'heure passe. De plus, en lui, qui ne goûtait ni chasse ni femmes, il ne retrouvait rien de soi. Le dauphin s'éprendrait d'abord par devoir, puis par satisfaction, de sa rousse infante, jetant des cris quand elle mourrait et poussant la fidélité jusqu'à montrer des pleurs et le dos à sa nouvelle épouse de Saxe.

Il n'en était pas là, mais restait bougon, l'air muet, embar- rassé d'un jeune père trop brillant et d'une mère trop malheureuse. Entre les deux, ayant du cœur, il se ren- frognait, ne montrait ses peines qu'à Dieu, s'écartait du monde. Le peuple, qui l'avait tant désiré, ne le sou- haitait plus, disant qu'il tournait au jésuite. Ce qui n'empêcha point ce même peuple de courir aux fêtes et mener grand bruit, la tête renversée, pour voir croître et mourir dans le ciel nocturne les poissons dauphins rendant des étoiles et les palais de feux, tout en dansant aux carrefours.

Justement, on entrait dans le Carnaval et tout poussait à la folie : les masques courant et cette alliance espagnole plus forte encore pour nous que l'union de Madame Pre- mière avec Don Philippe. En cette année 1745, Paris se doubla de salles de bal sur toutes ses places, d'arcs de triomphe de feuillage emplis de verres de couleur, de galeries de pampres et de pilastres en vrai marbre.

Partout des cris vers les écussons, les médaillons de la famille et ces grandes figures de bois doré enflant des trompettes ou répandant des cornes de fruits. Au soir, tout s'illuminait, sentait la feuille. On courait aux distri- butions de viande et de vin. Chaque quartier tournait des rondes, les pieds entravés de guirlandes, avec des inco- gnitos de la cour masqués de soie qui riaient beaucoup, et trouvaient aux fillettes la gorge blanche. Sur le tout,

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MADAME DE POMPADOUR (Dessin de C. Cochin, Bibl. Nal.

Imprimé en France.

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