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Rapport de soutenance de la thèse de Gaëtan Escudey, Le couple en droit international privé – Contribution à l’adaptation méthodologique du droit international privé du couple

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Rapport de soutenance de la thèse de Gaëtan Escudey, Le couple en droit international privé – Contribution à l'adaptation méthodologique

du droit international privé du couple

ROMANO, Gian Paolo & Université de Bordeaux

ROMANO, Gian Paolo & Université de Bordeaux. Rapport de soutenance de la thèse de Gaëtan Escudey, Le couple en droit international privé – Contribution à l'adaptation méthodologique du droit international privé du couple. Genève : Université de Bordeaux, 2016, 7 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:137114

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Rapport de soutenabilité

Gaëtan Escudey, Le couple en droit international privé – Contribution à l’adaptation méthodologique du droit international privé du couple

par Gian Paolo Romano Professeur à l’Université de Genève

1. Champ de la thèse. La thèse que présente M. Gaëtan Escudey porte sur un sujet d’actualité certaine et s’inscrit dans le mouvement contemporain de révision des mécanismes traditionnels du droit inter- national privé de la famille, et plus particulièrement du « couple ». M. Escudey propose en effet de re- nouveler la réflexion au départ de ce qu’il appelle « statut conjugal », distinct du « statut individuel » et prenant place au sein du « statut personnel », mais présentant des exigences propres. Le statut con- jugal ainsi entendu vise à la fois le mariage, dans toutes ses variantes – hétérosexuel, homosexuel, mo- nogamique, polygamique – mais aussi le partenariat enregistré, jusqu’aux concubinages, homosexuels et hétérosexuels, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’auteur appelle les « unions informelles ». Si l’usage du terme « conjugal » à l’égard des unions non matrimoniales peut paraître inhabituel, le signataire de ce rapport salue pour sa part un tel emploi, qui se réclame de l’étymologie du terme, « conjugal » renvoyant à un « lien ». Quant aux domaines couverts par la recherche de M. Escudey, c’est d’abord la création dans un Etat de l’union conjugale, au sens reçu dans la thèse, et son accueil – et les con- ditions de son accueil – dans un autre Etat, ou dans d’autres Etats, qui retiennent l’auteur. Celui-ci s’est également intéressé aux effets de l’union mais sans pouvoir s’attarder en détail sur leur variété et leur multitude, dont il préconise d’ailleurs un traitement unitaire, qui devrait, pour lui, idéalement en- glober jusqu’à la dissolution de l’union, qualifiée, à la suite d’Henri Batiffol, de « dernier effet » de celle-ci.

2. Bien construit et soigneusement rédigé, l’ouvrage est classiquement divisé en deux parties, dont la première vise à montrer que l’état actuel du droit international privé du couple n’est pas satisfaisant, qu’il est « inadapté » selon le mot de l’auteur, et la seconde se donne pour objet de reconstruire la matière, de l’« adapter », y compris méthodologiquement – et la symétrie des titres est réussie – de manière à lui restituer cohérence et réduire les situations où la continuité des relations conjugales à travers les frontières ne serait pas assurée. Le manuscrit s’achève sur le « projet d’un règlement européen relatif à la loi applicable et aux autorités compétentes en matière conjugale » qui en recueille les propositions fondamentales.

3. Sans passer sous silence les quelques apports que proviennent d’autres continents, la recherche de M. Escudey, quant à ses repères géographiques, à ses rattachements si l’on veut, est centrée sur l’Eu- rope, spécialement l’Union européenne, même si quelques éléments tirés des droits des pays du Con- seil de l’Europe non membres de l’Union européenne, le droit suisse notamment, et nombre des décisions de la Cour européenne de droit de l’homme, sont pertinemment mis en lumière et analysés.

Pour être peu développées, les considérations tirées des règles et principes ayant cours aux Etats-Unis, et les quelques lignes consacrées au droit mexicain (p. 195 s.), ne sont pas sans intérêt. La Full Faith and Credit Clause prescrit la reconnaissance inter-étatique (interstate) des actes (publics, quasi- publics) et des décisions judiciaires, et le pouvoir des Etats d’y faire échec, en dehors d’une législation fédérale telle le DOMA, reste aujourd’hui, en l’état de l’interprétation que donne la Cour suprême des Etats-Unis, sujet à caution. Soutenir, comme semble le faire M. Escudey (p. 193, n° 303), que l’Union européenne constituerait un espace « plus intégre » que les Etats-Unis dans le domaine couvert par la thèse n’est alors pas sans audace, la liberté dont jouit un Etat de ne pas reconnaître un mariage ou un partenariat émanant d’un autre Etat paraissant a priori plus importante entre Etats membres de l’Union européenne qu’entre les Etats Unis d’Amérique. Mais il est vrai que les choses pourraient évoluer, sous la pression notamment de l’objectif de créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice » plus encore que sur celui d’éliminer les entraves aux libertés de circulation, et d’établissement, des citoyens et résidents européens (v. infra, n° 10).

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4. Certaines affirmations de l’auteur sur l’état actuel du droit positif, et certaines critiques qu’il adresse à celui-ci, se comprennent surtout lorsqu’elles sont rapportées à l’expérience française. Le législateur hexagonal a procédé, ces dernières années notamment, de manière parcellaire, en édictant des règles de circonstance – exposées en détail par M. Escudey (p. 60 s.) – au gré des grandes réformes législa- tives récentes, sans préoccupation directe de cohérence. Ces critiques sont moins pertinentes à l’égard du droit international privé d’autres Etats, telle la Suisse, qui s’est dotée depuis 1987 d’une loi du droit international privé, dont la dernière réforme qu’elle a subie, concernant le divorce et les effets de celui-ci, entrera en vigueur le 1er janvier 2017, et dont les solutions qu’elle adopte en matière de célé- bration de mariage et d’enregistrement d’un partenariat (aux articles 43 s et 65 a et s.) vont d’ailleurs assez largement dans le sens des idées développées par M. Escudey (v. infra, n° 11).

5. La création de l’union conjugale. Le caractère insatisfaisant du rattachement distributif à la na- tionalité. Visant à « déconstruire » la matière, la première partie se divise en deux titres, dont l’un a pour objet la « méthode conflictuelle » et l’autre la « méthode de la reconnaissance ».

6. S’agissant des conditions de fond pour contracter mariage, suivant un certain nombre d’auteurs avant lui, M. Escudey constate que la règle de conflit classique – celle qui adopte pour rattachement unique distributif la loi nationale de chacun des membres de l’union – est insatisfaisante. Il constate aussi que, sans doute parce qu’elle est insatisfaisante, cette règle est explicitement écartée en France pour ce qui est du partenariat enregistré (Article 515-7-1 du Code civil), qu’elle est écartée en substan- ce aussi à l’égard du mariage homosexuel (Article 202-1 al. 2), et que les exceptions qu’ont introduit le législateur (au sein même de l’Article 202-1), l’administration (moyennant l’instruction générale de l’état civil) et la jurisprudence (moyennant notamment ce que l’auteur appelle, et l’expression est évocatrice, l’« ordre public conjugal d’éviction ») en remettent sérieusement en cause la positivité à l’égard également du mariage hétérosexuel. Il s’en dégage un manque assez frappant de lisibilité et de cohérence du droit positif français.

7. On ne peut que reconnaître la pertinence de cette partie de l’analyse et le besoin d’une réforme que l’auteur appelle de ses voeux. On aurait peut-être pu s’expliquer plus avant sur les raisons de la perte de positivité de la règle classique. L’auteur évoque le recul des considérations de souveraineté – dont la notion, polymorphe, est, on le sait, en droit international privé comme ailleurs, délicate à définir – et d’indisponibilité (p. 141). Nous pensons que d’autres raisons, plus concrètes, ont également été à l’œuvre. A l’égard de la règle, bien différente, adoptée en matière de mariage homosexuel, l’auteur évoque « l’hégémonie de la vision du for » qu’elle poursuivrait. Or l’idée profonde qui a inspiré le lé- gislateur français, et qui transparaît des décisions de fond rendues dans l’affaire franco-marocaine (analysées aux pages 113 s.), est nous semble-t-il qu’il serait injuste à l’égard de deux personnes de leur refuser le mariage selon la loi française (donc aussi homosexuel) dès lors qu’elles ont un lien fort avec la société française et qu’elles assumeraient le risque d’un conflit international d’états civils : car leur refuser l’accès à la loi française porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi, au principe d’égal accès aux lois d’un Etat (v. notamment le passage suivant, tiré de la décision de la Cour d’appel de Chambéry : « ces nouveaux droits ont été rendus délibérément accessibles pour des personnes vivant sur le territoire français », et puis encore « ces ressortissants étrangers doivent bénéficier de l’accès à des droits légitimes… », p. 114).

Exemple 1. Citoyen italien résidant en Suisse depuis dix ans, le signataire de ce rapport paie ses impôts en Suisse, il concourt par son travail au bien-être de la collectivité suisse – c’est du moins ce qu’il es- père –, il respecte donc le droit fiscal suisse, il est tenu de respecter le droit de la sécurité sociale suisse, le droit pénal suisse, le droit administratif suisse…. Serait-il juste de le priver du bénéfice du droit privé suisse s’il souhaitait se marier ou se « partenariser » en Suisse d’après, justement, la loi suisse, qui est celle de l’Etat où il réside depuis longtemps, quelles que soient la nationalité et la résidence de sa fian- cée ou de son partenaire, et ce même si son droit national, le droit italien, ne devait pas lui permettre, aux mêmes conditions que la loi suisse, d’accéder, avec la personne de son choix, au mariage ou au partenariat ? La Suisse se garde bien de lui refuser l’accès au droit suisse (article 43 LDIP pour le mariage et article 65a LDIP pour le partenariat enregistré). Ce n’est pas, croyons-nous, du moins pas en premier lieu, une « question d’hégémonie de la vision du for » : la Suisse ne poursuit pas vraiment l’hégémonie de son droit. C’est une question de justice envers les intéressés, personnes privées, c’est

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donc un intérêt privé, au sens de l’intérêt d’une personne privée, que la Suisse vise à satisfaire. Il y a lieu de penser que la Suisse est même obligée par le droit international – résultant de la Convention européenne des droits de l’homme – à offrir le bénéfice du droit suisse du mariage et du partenariat à toute personne qui est domiciliée en Suisse de manière stable. De même, il y a lieu de penser – mais il serait intéressant de savoir ce qu’en pense M. Escudey – que le législateur français aurait violé la Con- vention européenne des droits de l’homme s’il avait refusé le droit au bénéfice des règles françaises sur le PACS d’abord et sur le mariage homosexuel ensuite aux ressortissants étrangers domiciliés sur le ter- ritoire français ou aux ressortissants français domiciliés en France souhaitant se « pacser » avec, ou épouser, une persomme de même sexe ayant la nationalité d’un Etat qui ignore le partenariat ou le ma- riage homosexuel.

8. La méthode de la reconnaissance et ses insuffisances. L’autre grande réserve qu’inspire à M.

Escudey la règle de conflit classique est qu’elle empêche nombre d’unions d’être reconnues à l’étranger. Et là aussi, évidemment, on ne peut que partager la déception de l’auteur face aux graves conséquences qui en résultent, car un refus de reconnaissance fait obstacle à la continuité des relations conjugales à travers les frontières en créant en substance conflit international de statuts. Pour une règle qui se veut asservie à l’harmonie de solutions alors qu’elle risque, au contraire, de créer des dishar- monies, des conflits de solutions, le défaut semble bien être rédhibitoire. C’est précisément pour y parer que s’est développée en droit positif ce que la doctrine a appelé la « méthode de la reconnais- sance ». M. Escudey dit de celle-ci qu’elle est « séduisante », mais il attire aussi l’attention, dans la manière dont elle est agencée aujourd’hui, sur bon nombre d’incertitudes qui l’affecte : d’abord, quant à ce que l’auteur appelle « cristallisation » de l’union (p. 164 s. ; faut-il l’intervention d’une auto- rité ?) ; ensuite, quant à l’exigence d’un lien de proximité avec l’Etat d’origine (p. 168 s.) ; encore, quant aux difficultés auxquelles l’on se heurte lorsque deux situations juridiques incompatibles – en provenance d’un Etat A et B – sont l’une et l’autre présentée pour la reconnaissance dans un Etat C (p.

179 s.) ; enfin, et peut-être surtout, M. Escudey regrette l’« effectivité limitée » de la méthode (p. 185 s.), car elle n’assurerait pas systématiquement la circulation des unions, la continuité des situations juridiques à travers les frontières, en raison entre autres, et peut-être surtout, de la possibilité que l’Etat requis de l’accueil le refuse au nom de l’ordre public.

9. Il faut sans doute saluer l’effort d’approfondissement mené par l’auteur et il faut lui savoir gré d’avoir identifié une série de questions qui gagneraient à être étudiées. L’idée d’un « droit subjectif [des membres du couple] à la continuité de leur statut conjugal » (p. 134) qui « porte une ambition planétaire », et « même en dehors des frontières européennes » (ibidem) est précieuse, et saisissante. Il ne nous paraît cependant pas que les insuffisances dénoncées par M. Escudey doivent conduire à rejeter la méthode mais plutôt à en préciser le régime actuel – qui est, et l’auteur a, sur ce point, parfaitement raison, peu limpide dans bien des matières et pour bien des pays – et réduire les obstacles que ce régime tend à ériger à la circulation d’une union à travers les frontières. Ainsi, l’on ne doute pas que la reconnaissance des décisions judiciaires – le mariage célébré par une autorité et le parte- nariat enregistré par celle-ci procèdent aussi d’une décision, et les reconnaître, c’est aussi reconnaître la décision dont ils procèdent – ne soit de droit positif ni qu’il ne soit opportun. Mais là aussi il faut préciser les conditions de reconnaissance, sous l’angle notamment du lien de proximité avec l’Etat d’origine (compétence internationale indirecte) ; et il faut aussi indiquer comment s’y prendre quand deux décisions incompatibles sont présentées pour la reconnaissance ; et, puisqu’il y a d’autres obs- tacles à la reconnaissance que le défaut de compétence internationale indirecte, l’ordre public notamment, la méthode de la reconnaissance des décisions n’assure pas non plus toujours la recon- naissance des décisions auxquelles elle s’applique pourtant. Si l’on peut constater que la méthode de la reconnaissance n’assure pas encore la reconnaissance, car des motifs légitime de refus de reconnais- sance existent encore, on peut penser que ce n’est pas la méthode qu’il faut taxer d’inefficace, mais bien le régime, qui est encore trop restrictif, et on peut donc penser que ce sont les motifs de refus de reconnaissance qu’il faut s’attacher à combattre, d’abord en les réduisant.

10. C’est bien en effet ce qu’ont commencé à faire les deux grandes cours européennes, dans une série de décisions que l’auteur examine avec précision et pertinence (p. 123 s.). Et c’est l’arrêt Wagner qui fait dire à M. Escudey que « [d]ans la continuité de cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait imposer aux Etats parties au Conseil de l’Europe, au nom du droit au respect de la

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vie privée et familiale, la reconnaissance des unions conjugales constituée à l’étranger afin de ga- rantir la continuité du statut juridique préalablement acquis » (p. 125 ; il est vrai qu’à p. 212, n°

335, l’on trouve, à la suite de l’exposé de la décision Green et Farhat c. Malte, une affirmation moins optimiste). Au sein de l’Union européenne, le constat est semblable, la Cour de justice de l’Union européenne ne se privant pas de la possibilité de contrôler la mise en œuvre de l’ordre public national (p. 127-128). Si c’est surtout la « liberté de circulation » qui est couramment citée, y compris par M.

Escudey, le signataire du présent rapport pense que l’objectif de créer un « espace de liberté, de sécu- rité et de justice » fournisse un fondement plus solide, et donc plus convainquant. La création d’un sta- tut conjugal par un Etat membre A et le refus opposé par l’Etat membre B de le reconnaître débouche inévitablement sur des conflits intra-européens de situations juridiques, qui sont générateurs de dé- sordre juridique – de désordre dans la sphère juridique des personnes privées – et peuvent conduire à des différends irrésolus en Droit, à des dénis intra-européens de justice, à une irruption consécutive de la loi du plus fort, du plus malin, du plus rapide, une résurgence de la loi de nature.

11. Loi applicable aux effets de l’union conjugale. Comme on l’a souligné (n° 1), M. Escudey envisage aussi les effets de l’union conjugale. Quant à ceux-ci, la méthode de la règle de conflit classi- que n’est pas vraiment – nous semble-t-il – remise en cause par lui. Ce qui ne signifie pas que les règ- les de conflits inscrites dans les instruments qui ont cours notamment dans l’Union européenne soient, pour lui, les plus appropriées. M. Escudey constate que la diversité des effets résultant d’une union conjugale a conduit à un « effritement de la catégorie des effets du mariage » (p. 85 s), plus exac- tement, à une pluralité des règles de conflit de lois couvrant la vaste matière des effets de l’union et de sa dissolution. Le droit positif est exposé en quelques pages, sans que l’auteur se préoccupe, con- trairement à ce qu’il a fait en matière de création de l’union, de la compétence des autorités. Sont ainsi synthétiquement présentés la Convention de La Haye de 1978 en matière de régimes matrimoniaux, le Règlement Rome III pour ce qui est de la loi applicable au divorce et les articles 310 puis 309 qui l’ont précédé en France (et quelques applications jurisprudentielles), le Protocole de la Convention de La Haye de 2007 en matière alimentaire jusqu’aux Règlement européens adoptés au mois de juin 2016 en matière de régimes matrimoniaux et conséquences patrimoniales du partenariat enregistré.

12. On peut se demander si le champ que l’auteur a entendu embrasser ne serait pas trop vaste pour qu’il puisse être labouré convenablement. Les effets que génère le mariage ou le partenariat et leur dissolution sont tellement nombreux et hétérogènes – citons, outre les effets personnels et les régimes matrimoniaux et l’obligation alimentaire, les conséquences du mariage et du partenariat sur le patrony- mique des époux, et la prévoyance professionnelle – qu’il est difficile de les envisager comme un tout unitaire. Pour M. Escudey « [l]es différents rattachements [qui se dégagent des règles positives], éla- borés sans logique d’ensemble, ne permettent pas de soumettre à une loi unique des questions aussi étroitement liées que le divorce, la dissolution du régime matrimonial et la prestation compensa- toire ». On peut, certes, dans l’Union européenne, encourager les responsables du processus législatif à rationnaliser l’œuvre législative en la consolidant dans un Code européen du droit international pri- vé. Cela sera sans doute fait, tôt ou tard, car on ne peut pas arrêter le progrès. Mais il y a lieu de penser qu’une fois ces rattachements inscrits dans un Code européen, ils ne seront pas bien différents de ce qu’ont adoptés pour l’heure les différents textes, ce qui est son tour le résultat d’un travail jurispruden- tiel attentif aux exigences de justice vis-à-vis des personnes privées.

Exemple 2. Un couple de citoyens grecs vivant en Grèce – et n’ayant pas de contact significatif avec d’autres pays – se marie en Grèce sans choisir de régime matrimonial. En droit grec, c’est la séparation des biens qui a cours par défaut. Après quelques années, une crise conjugale éclate, à la suite de laquelle Madame décide de se « changer les idées », comme on dit, et de passer quelques temps à Lausanne, chez une tante, en s’inscrivant à l’Université de Genève pour y suivre une formation. La période lémanique est pour elle heureuse car elle y rencontre un Helvète dont elle se rapproche et, après quelques mois, souhaite s’installer avec lui à Genève, où elle trouve un travail. Mais il faut d’abord se défaire du lien conjugal. La Suisse lui ouvre l’accès au tribunal suisse ainsi que le bénéfice du droit suisse (art. 59 et 61 LDIP). Voilà qui semble justifié, le divorce préparant la voie à une nouvelle vie conjugale avec son compagnon dont tout laisse penser qu’elle sera localisée en Suisse de manière pré- pondérante. L’application du droit suisse aux motifs du divorce est encore plus facile à admettre si Monsieur, mari de Madame, accepte de se soumettre lui aussi, pour le divorce, à une telle loi, qui per-

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met d’obtenir la dissolution plus rapidement, et plus simplement, que le droit grec. Mais quid de la loi applicable au régime matrimonial ? Que Madame puisse influer par l’effet d’un changement unilatéral de domicile – de Grèce en Suisse – sur le droit applicable au régime matrimonial, et donc à la liquidation de celui-ci consécutive au divorce, qu’elle puisse prétendre à la participation aux acquêts du droit suisse (c’est le régime par défaut en Suisse) alors qu’au moment du mariage, rien ne laissait pré- sager que le droit suisse aurait vocation à s’appliquer, et que Monsieur, qui n’a aucun contact avec la Suisse, puisse être soumis à une telle loi, et à un tel régime, c’est là nous semble-t-il une solution que l’on n’oserait pas sérieusement recommander (et qui n’est de droit positif, ni en Suisse ni d’après le Règlement régimes matrimoniaux). La dissociation entre loi du divorce et loi du régime matrimonial, dans ce cas comme dans bien d’autres, obéit à des exigences de justice.

13. Le besoin d’une « adaptation méthologique ». La reconstruction. C’est pour pallier aux insuf- fisances à la fois de la méthode conflictuelle et de la méthode de la reconnaissance que, sur le plan des conditions de fond de l’union conjugale, M. Escudey propose de faire bon marché des règles de conflit classiques à rattachement distributif. C’est l’un des objets de la deuxième partie. L’idée est, sur ce point, de rester dans la « méthode conflictuelle » mais en la faisant évoluer – en substance, pour lui, en modifiant le « rattachement » pertinent – afin de satisfaire à l’objectif poursuivi par la « méthode de reconnaissance » (p. 223 s).

14. Dans la mesure où l’auteur suggère qu’un Etat soumette à sa propre loi les conditions de fond et de forme de l’union formalisée devant ses autorités, cette approche correspond déjà très largement au droit positif de bien de pays, et donc une consécration législative contribuerait à la lisibilité de celui-ci, à son accessibilité pour les justiciables, et représenterait un progrès. Le fait que le rejet ferme de la lex loci celebrationis que M. Escudey formule au début de son étude (p. 48) soit suivi par l’adhésion à la lex auctoris peut peut-être surprendre car le changement que promet une telle approche quant à la loi qui est désignée, n’est pas vraiment perceptible, la loi du lieu de célébration étant bien la loi de l’auto- rité célébrante. A l’objection consistant à souligner que le rattachement au lieu de célébration ne per- met pas de rendre compte du mariage consulaire célébré conformément à la loi de l’autorité mais en

« lieu » étranger (p. 281), on pourrait rétorquer que l’on peut bien considérer un tel mariage comme

« réputé » célébré dans l’Etat de l’autorité. Mais il est vrai que le terme « célébration » n’est pas approprié à l’égard de certaines unions formelles, le partenariat notamment.

15. Notons aussi que M. Escudey conçoit qu’un Etat puisse conserver les règles de conflit de lois clas- siques et mettre en œuvre donc une loi matérielle étrangère (p. 323 s.). Cette deuxième hypothèse, pré- sentée comme secondaire (p. 308), fait rebasculer dans la méthode que la thèse se propose pourtant combattre. La préoccupation de M. Escudey sur ce point consiste à ne pas contraindre un Etat à se soustraire à ses obligations internationales résultant de conventions – bilatérales notamment – qui pourraient prescrire l’observation de la loi nationale de chacun des intéressés (v. la liste de celles conclues par la France à p. 324). Mais faut-il alors empêcher les Français résidant en France d’épouser une personne de même sexe venant du Cambodge, du Madascar, de Pologne, de Tunisie, de Kosovo, etc. ? Ce n’est pas ce vers quoi s’est orienté le droit positif en France à la suite de l’affaire franco- marocaine évoquée plus haut (n° 7). D’ailleurs, si la soumission à la loi de l’autorité que propose M.

Escudey est également suivie par ces autres pays, c’est que les conventions bilatérales deviendraient obsolètes et on peut penser qu’elles seraient tacitement abrogées.

16. C’est avec beacoup de raison que M. Escudey propose de fixer de manière claire les conditions de compétence internationale des autorités (p. 310 s.) et ce afin d’éviter le tourisme matrimonial et d’évi- ter aussi et peut-être surtout qu’un Etat soit obligé d’accueillir une union créé dans un Etat qui, n’ayant pas de lien avec les intéressés, n’avait pas de légimité internationale pour la créer. Les critères qu’il envisage à cet égard – résidence habituelle depuis un an et nationalité d’un seulement des intéressés – sont non seulement raisonnables (quoique la durée d’une année de la résidence habituelle puisse prêter à controverses) mais correspondent largement au droit positif de bien des pays.

Exemple 3. On peut tout au plus se demander si, par exemple, un Américain et une Japonaise qui se sont rencontrés à Paris, où ils ont séjourné quelques semaines, ne pourraient pas, quelques années après, se marier devant le maire de Paris, ville qui symbolise la naissance de leur union. La règle suisse de

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compétence internationale de l’officier de l’état civil (art. 43 al. 2) le leur permettrait à la condition que le mariage célébré en Suisse soit reconnue dans l’Etat de la nationalité ou du domicile de chacun. De manière intéressante, M. Escudey rejette une telle approche en raison des difficultés de mise en œuvre qu’elle pourrait soulever, qui sont en effet parfois dénoncées par les auteurs suisses eux-mêmes.

17. S’agissant des effets de l’union conjugale, M. Escudey forge la notion de « résidence conjugale » que nous trouvons pour notre part de grand intérêt. On peut peut-être observer qu’un certain nombre d’époux ou de partenaires enregistrés continuent de vivre aujourd’hui, après la création de l’union et pendant une période conçue comme temporaire mais qui peut se prolonger, dans des Etats différents, et qu’en l’absence d’enfants, il peut paraître artificiel de chercher, dans tels cas, certes minoritaires, une « résidence conjugale », si bien qu’une solution subsidiaire mériterait d’être développée.

Exemple 4. Un ami suisse de Neuchâtel a convolé, il y a trois ans, avec une citoyenne turque. Après le mariage, qui a eu lieu en Turquie, il a maintenu son poste de référendaire à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, où il vit encore aujourd’hui. Professeure assistante à l’Université de Galatasary, elle a jusque-là vécu en Turquie. Où se trouve leur « résidence conjugale » ?

18. Quant aux unions informelles, le rattachement à la loi de l’autorité ne devrait pas, pour M. Escu- dey, trouver à s’appliquer (p. 389 s.). Si cela peut paraître assez logique, on peut penser que même en l’absence d’autorité, une loi de création pourrait être dégagée, à l’instar de ce qui se passe pour les per- sonnes morales créées sans le concours d’une autorité. Quoiqu’il en soit, si le régime des unions formelles et des unions informelles est différent, il convient de tracer une ligne de partage précise. Or il arrive, dans certains pays, que l’union ne fasse pas l’objet d’une célébration au sens propre du terme, car elle se constitue du fait de la vie en commun prolongée pendant une certaine période, mais qu’une annonce, y compris par courrier, aux autorités compétentes soit nécessaire pour qu’elle soit productive de certains effets. Il serait intéressant de savoir si de telles unions sont encore formelles ou si elles sont déjà informelles. M. Escudey évoque comme exemples d’unions informelles les « mariages mu- sulmans purement consensuels » (p. 248) qui souvent, d’après du moins l’expérience du signataire de ce rapport, font l’objet d’une communication aux autorités (dans le délai prescrit par la loi). Il en va de même des mariages coutumiers de certains Etats de l’Afrique de l’Ouest, le Ghana par exemple.

19. Projet de règlement. Le projet de règlement qui clot l’ouvrage fait regretter qu’il n’y ait pas plus de thèses qui, comme celle de M. Escudey, s’achèvent sur une proposition normative concrète. Un cer- tain nombre de questions figurant dans le texte courageusement développé par M. Escudey font déjà l’objet d’instruments européens (« Rome III », Protocole de la Haye auquel renvoie le Règlement obligations alimentaires, les Règlements sur les régimes matrimoniaux et sur les conséquences patri- moniales du partenariat enregistré…). M. Escudey s’écarte de telles règles sur nombre de points, en proposant de soumettre les « effets » à une loi unique, le terme « effet » étant définit de manière très large (à l’article 1 : englobe-t-il également l’effet de l’union sur le patronyme de ses membres ?).

Relevons d’emblée qu’un tel projet ne comporte des règles de compétence internationale que pour la création de l’union (article 7), non pas pour les effets ou la dissolution, à l’exception d’une règle de

« renvoi de compétence juridictionnelle » (article 23). Relevons aussi que l’application d’une loi unique aux effets du mariage et aux motifs et aux effets du divorce serait à notre avis une regression plutôt qu’un progrès dans la justice des relations privées internationales (v. supra, n° 10 ; on voit mal pourquoi les protagonistes de l’Exemple 2 ne pourraient pas s’accorder pour l’application de la loi suisse pour le divorce alors qu’à défaut d’accord à l’égard du régime matrimonial, ce serait la loi grecque qui devrait le régler). L’éventail des lois éligibles (prévu à l’article 12) nous paraît inutilement restrictif en ce que la nationalité d’un des membres de l’union, pourtant suffisante à la fois au regard de la loi suisse de droit international privé, de la Convention de la Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et du Règlement européen adopté au mois de juin 2016, ne le serait d’après le

« projet Escudey ».

Exemple 5. Mon ami le plus cher est citoyen français vivant en Suisse. Il a épousé, en 2010, une ressortissante turque (que je lui ai d’ailleurs présentée). Ils vivent à Zurich, où ils se sont mariés. Aucun n’a acquis la nationalité de l’autre. Ils ont fait en France, avant de se marier, un contrat de mariage, soumis au droit français, et une telle élection de droit est admise du point de vue du droit international

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privé suisse et français (telle qu’il résulte de la Convention de La Haye de 1978), mais ne le serait pas d’après le « projet Escudey ».

20. Il n’en demeure pas moins que le « projet Escudey » comporte un certain nombre de solutions novatrices, parmi lesquelles nous releverons l’article 9 mettant à la charge de l’autorité une obligation d’information et l’article 11(2) – du plus haut intérêt – qui soumet le droit d’un Etat de ne pas recon- naître l’union créé dans un autre Etat à la « condition que les membres du couple présentent des liens plus étroits avec cet Etat qu’avec celui dans lequel l’union a été constituée » : ce comparatif de proxi- mité auquel invite M. Escudey permettrait de manière fine et élégante de réduire les cas de défaut de reconnaissance et de conflit international de statut qui en résulte.

21. Conclusion. Par l’importance du sujet dont il traite et l’ampleur de l’information qu’il maîtrise, par la latitude du champ qu’il couvre et la réflexion et aussi, inévitablement, la contradiction qu’il suscite, par l’acuité des besoins de révision et de réforme qu’il constate et le courage des propositions qu’il avance pour satisfaire à de tels besoins, le manuscrit de M. Escudey, qui invite à une relecture critique, et salutaire, du droit international privé du couple, est, de toute évidence, digne d’être sou- tenu. Le signataire du présent rapport tient à le féliciter de l’avoir écrit, et achevé, et aussi son entou- rage de l’y avoir aidé, en même temps qu’il remercie sincèrement l’Université de Bordeaux, et en particulier la Professeure Sandrine Sana Chaillé-de-Néré, de l’avoir associé à la soutenance.

Genève, 21 novembre 2016 Gian Paolo Romano Université de Genève

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