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LA PETITE FILLE AUX LEGENDES

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Annie Pierre HOT

LA PETITE FILLE AUX LEGENDES

Roman d'Amour

COLLECTION LITTERAIRE

C R I N O L I N E

Les ÉDITIONS du PUITS-PELU

10, rue Juliette-Récamier - LYON

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CHAPITRE I

« Je me suis écarté de la source vive, aveuglé par un mirage. Le clair murmure du ruisseau limpide m'a remis dans le droit chemin. »

Depuis la veille, la neige silencieusement hostile, tombait en giboulées, si drue que les toits des mai- sons, le clocher trapu de la petite église et la cime des arbres semblaient soudés à la voûte uniformé- ment grisâtre d'un ciel si lourd et si bas qu'il parais- sait prêt à les écraser.

On était au 24 décembre, jour où l'on s'apprête, aux quatre coins du monde, à fêter la naissance de l'Enfant-Dieu. Huit heures venaient de sonner, lors- qu'une auto aux pneus bardés de chaînes stoppa de-

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vant la porte d'un hôtel, plus auberge que palace.

Au-dessus de l'entrée, qu'une lanterne éclairait, une enseigne en métal découpé grinçait, harcelée par la bise. Peinturlurée par un artiste du cru, une tête naïve d'animal, prétendant représenter la plus noble conquête de l'homme, justifiait cette inscription :

AU CHEVAL BLANC

La portière de la voiture fut ouverte et livra pas- sage à une silhouette frileusement emmitouflée d'un long manteau de fourrure. Se détournant, l'inconnue se disposait à prendre sa valise des mains du chauf- feur; mais celui-ci protesta :

— Laissez, laissez, Mademoiselle ! Elle est lourde.

Je vais vous la porter jusqu'à domicile et vous recom- mander à la patronne. C'est une « payse », une brave et digne femme.

Dans un français correct, mais fortement nuancé d'accent nordique, la jeune fille répondit :

— Je suis désolée de vous causer tout ce dérange- ment, et par ce mauvais temps !...

— Bah ! la neige, ça me connaît ! Je regrette seu- lement de ne pouvoir vous conduire plus loin, mais j'ai encore un bon bout de chemin à faire et on m'at- tend chez nous !...

— Oui, c'est Noël ! soupira l'inconnue.

Suivie du chauffeur, elle poussa la porte et entra.

En même temps qu'une bouffée de chaleur bienfai- sante, un bruit confus de voix s'exprimant avec ani- mation lui parvint d'une salle voisine. Quelque peu effarouchée, la voyageuse eut un instinctif mouve-

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ment de retraite. Mais, doucement, son compagnon la retint et dit en riant :

— N'ayez pas peur, Mademoiselle ! Ce sont des gens qui ont bien dîné et qui s'apprêtent à fêter gaî- ment le réveillon !

A ce moment, une accorte matrone, corpulente et haute en couleurs, parut. C'était Mme Martignac, tenancière de l'hôtel. A la vue de la jeune femme, elle s'exclama sur le ton particulier à l'harmonieuse langue d'oc :

— Sainte Vierge !... Par ce temps dehors !... En- trez, Madame !

Puis, reconnaissant le chauffeur :

— Mais c'est le père Martial ! Que faites-vous donc par les chemins à cette heure?

Le brave homme s'avança, posa la valise et, après avoir soufflé dans ses doigts gourds, serra la main de l'hôtesse. Après quoi, désignant la jeune fille :

— Mademoiselle a manqué le car, expliqua-t-il.

Alors, je l'ai amenée jusque-là. Mais je ne peux pas aller plus loin... Il est tard, et, avec ce fichu temps !...

L'inconnue semblait tout intimidée.

— Je vais au château des Causses, dit-elle. Est-ce loin d'ici?

— Ah ! c'est vous la demoiselle que le chauffeur est venu attendre au car de quatre heures? J'ai reçu des instructions à votre sujet. Je dois vous garder jusqu'à demain matin.

— Jusqu'à demain matin? murmura la jeune fille dont le visage refléta une émotion soudaine.

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Surprenant ce trouble, le père Martial intervint :

— Bien sûr que vous seriez mieux au château ! Mais Madame Martignac est une bonne maman, et elle va vous installer de son mieux pour la nuit...

Pas vrai, Rosine?

L'hôtesse semblait à son tour toute chavirée en constatant la détresse qui se lisait dans les yeux de la voyageuse.

— Mais certainement ! répondit-elle. Ne vous in- quiétez point, Mademoiselle ! Une nuit, c'est vite pas- sé, et, demain, le chauffeur des Causses reviendra vous chercher.

Ce disant, elle se baissait pour prendre la valise.

L'inconnue tendit la main au père Martial.

— Vous avez été très obligeant, Monsieur, et je vous remercie. Ne voulez-vous pas prendre quelque chose de chaud avant de repartir?...

Le brave homme serra la petite main longue et fine. Il parut touché de l'aimable proposition, qu'il déclina cependant.

— Ce ne serait pas de refus, dit-il, mais je suis déjà en retard. Merci quand même, Mademoiselle, et bonne chance ! Au revoir, Rosine !

Puis, il reprit la route, sous la rafale de neige, ce- pendant que Mme Martignac introduisait l'inconnue, non dans la salle commune où les bruyants dîneurs achevaient leur repas dans une atmosphère de tabac et d'alcool, mais dans une petite pièce retirée, ser- vant de bureau, où flambait un magnifique et récon- fortant feu de bois.

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A cette vue, la voyageuse parut moins soucieuse.

Elle s'approcha de l'âtre et tendit à la flamme ses mains rougies par le froid.

— Vous allez dîner ici, tranquillement, Mademoi- elle. Je vais faire préparer dans votre chambre une bonne bourrée de fagot bien sec.

Debout devant la cheminée, la jeune fille hocha la tête.

— Je suis très ennuyée de ce contretemps, dit-elle.

— Eh bé ! cela promènera le père Julien... Oui, c'est le chauffeur de Mme de Brévat et, ma foi, il aime bien descendre jusqu'ici... C'est plus gai que là-haut.

— C'est triste, le château ?

Mme Martignac, penchée sur les landiers, y posait en croix quelques morceaux de bois. En soufflant, elle se redressa et, s'aidant des pincettes, repoussa un tison qui s'était échappé du brasier.

— Triste ? répondit-elle évasivement. Bien sûr, ce n'est point Paris... d'où vous venez, sans doute ?...

— J'y suis passée; mais j'arrive de beaucoup plus loin... Je viens d'Allemagne.

Les deux poings sur les hanches, la bonne Mme Martignac dévisageait avec un ébahissement nulle- ment contrefait cette toute jeune fille, presque uhe enfant, qui venait de si loin dans ce pays perdu. Elle qui n'avait jamais dépassé Saint-Flour, à quatre- vingts kilomètres d'Entraygues, mesure bien comp- tée !

— Et vous allez habiter aux Causses ?

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— Oui... jusqu'à Pâques..

La voyageuse hésita, puis :

— Vous connaissez Mlle de Brévat?

— Très peu. Elle est de l'âge de ma fille Angèle.

Elles ont fait leur communion ensemble... Mais, vous comprenez, c'est pas des gens de notre condition.

— Vieille et authentique noblesse, paraît-il ?

— La vieille noblesse, c'est pas ça qui manque dans la contrée ! Heureusement, il y en a qui sont moins fiers que Mme la comtesse... et plus riches pourtant !...

Mme Martignac eut soudain l'impression d'avoir trop parlé, elle poursuivit :

— Maintenant, c'est pas tout ça ! Je vais vous apporter à manger. Vous pourrez ensuite monter dans votre chambre, aussitôt qu'elle sera chaude.

Vous y serez plus tranquille. Dame ! c'est la Noël, et c'est toujours un peu bruyant chez nous, cette nuit-là !

Quelque peu ragaillardie par l'affabilité de son hôtesse, la jeune fille s'assit près du feu. Elle avait enlevé son manteau et son petit béret, découvrant une masse de cheveux d'or clair dont les boucles ve- naient mourir sur le marbre de la nuque. Elle avait le' teint laiteux spécial aux Scandinaves. Réellement jolie ? Peut-être pas au sens académique du mot ; mais ce qui donnait de l'agrément à son visage aux pommettes haut perchées, c'était la chaleur de ses yeux bleu foncé qui trahissaient, en dépit de sa pré- sente tristesse, de la gaîté naturelle et de l'enthou-

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siasme accumulés. Ses membres longs, sa taille élan- cée, la faisaient paraître grande et, de toute sa per- sonne, se dégageait un charme très particulier.

Mais, ce soir-là, une ombre voilait les beaux yeux bleus.

Quelle jeune fille de son âge ne se fût pas trouvée dépaysée si loin des siens, surtout à cette époque où les réunions de famille sont prétextes à réchauf- fer, sous le signe de la Nativité, une intimité que l'éloignement ou la fièvre des affaires contribuent à émietter ?

Pour la première fois, Helga Jafferson allait pas- ser les fêtes de Noël loin d'un père et d'une mère qu'elle adorait. En cette nuit d'allégresse, elle dor- mirait dans une petite auberge de campagne, seule au milieu d'inconnus !

Elle était fille d'un ingénieur suédois et l'aînée de cinq enfants. Intellectuelle et sportive, elle parta- geait son temps entre l'Université, le canotage ou le

« Stadion ».

Depuis six mois, elle avait quitté sa famille, d'abord pour un séjour d'un trimestre en Angleterre. Elle s'était ensuite rendue directement à Cologne et de- vait terminer par la France son circuit à l'étranger, afin de se familiariser avec les subtilités de notre langue, dont elle possédait d'ailleurs à fond la syn- taxe et le vocabulaire.

Au château des Causses, elle venait au pair, com- me en Angleterre et en Allemagne, pour ne pas obé- rer trop lourdement le budget familial.

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Helga eût préféré passer les fêtes de Noël à Colo- gne où, déjà, depuis trois mois, elle s'était fait de nombreux amis; mais la famille du professeur chez qui elle séjournait s'en allait, pour toute la durée des vacances du jour de l'An, à Ludwigsbourg, dans le Wurtemberg, chez les grands-parents. Ne pou- vant les y accompagner, elle avait annoncé son arri- vée au château des Causses, où elle était attendue en principe pour la fin de l'année.

Cependant, bien que très courageuse et habituée à se débrouiller seule, Helga n'avait pas prévu l'in- cident qui devait l'immobiliser à quelques kilomètres du but de son voyage et, devant ce contretemps, elle se trouvait quelque peu désemparée.

L'hôtelière, revenant avec un plateau chargé d'ap- pétissantes victuailles, coupa court à ses rêveries moroses.

A vingt ans, la faim reprend toujours ses droits.

Aussi, lorsque Helga se vit confortablement instal- lée près du feu, devant un potage fumant et fleu- rant bon, elle ne pensa plus qu'à réparer ses for- ces.

— Mangez sans vous presser ! conseilla Mme Mar- tignac. Personne ne viendra vous déranger !

— Vous êtes bonne, Madame ! répondit Helga en souriant.

L'hôtelière hocha la tête.

— Bah ! j'ai des enfants, moi aussi... Vous savez, les mères, dans tous les pays, sont les mêmes, pas vrai? La vôtre ne traiterait-elle pas bien ma fille.

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si le hasard voulait qu'un jour elle arrivât comme ça chez vous?...

A ce rappel de sa maman, la jeune fille sentit de nouveau les larmes mouiller ses paupières.

— N'en doutez pas, répondit-elle.

Puis, son regard s'accrochant à une image visible pour elle seule, elle ajouta :

— J'ai deux sœurs et deux frères qui, ce soir, doivent mener grand tapage à la maison.

Mme Martignac soupira. Quoi qu'elle fît, cette soi- rée de réveillon serait bien triste pour la jeune étran- gère.

— Faut essayer de ne pas trop penser, dit-elle.

C'est mauvais et ça n'avance à rien de ruminer les vilaines idées. Vous devez être fatiguée et vous allez sûrement bien dormir. Demain matin, vous serez d'aplomb pour fêter la Noël au château !

Ce disant, Mme Martignac sortit pour allez à ses occupations. Il lui fallait préparer la chambre de l'étrangère et dresser la table du réveillon pour ses clients habituels. Elle n'avait pas de temps à per- dre.

Restée seule, Helga commença à manger. Elle avait faim, car, depuis le déjeuner au wagon-restau- rant, elle était restée sans rien prendre, comptant arriver au château des Causses pour l'heure du dîner. Le chauffeur de la comtesse de Brévat devait l'attendre à sa descente du car de quatre heures ; mais la tempête de neige ayant occasionné un long

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retard au rapide de Paris, elle était arrivée en gare d'Aurillac après le départ de la correspondance.

Un employé, auprès de qui elle s'informait d'un hôtel convenable pour y passer la nuit, lui désigna un automobiliste qui venait d'amener des voya- geurs.

— Tenez, Mademoiselle, v'là votre affaire ! Le père Martial est un brave homme qui ne va pas demander mieux que de vous emmener jusqu'à En- traygues. C'est son chemin. Une fois là, vous trou- verez bien le moyen de vous débrouiller.

Pressenti, le père Martial avait accepté d'emblée.

Ayant installé confortablement la voyageuse, il dé- clara :

— Je vais vous déposer à l'auberge du « Cheval Blanc ». Vous serez là en sûreté, si vous êtes obli- gée de passer la nuit.

Ce fut en vain qu'Helga offrit de régler son voya- ge. Le brave homme refusa tout net. Aussi bien, te- nant malgré tout à le remercier, elle lui glissa un peu d'argent dans la main avant de descendre de voiture.

— Ce sera mon cadeau de Noël pour vos enfants, puisque vous en avez trois, paraît-il.

Confus et touché, le bonhomme n'insista pas.

— Vous me prenez par mon faible, dit-il. J'accep- te pour les gosses, et je vous remercie !

Tout en dégustant l'omelette savoureuse de Mme Martignac, la jeune étrangère se remémorait ces in- cidents de voyage et elle se sentait à demi rasséré-

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née par le cordial accueil de l'hôtelière et de son conducteur bénévole.

Mais, tout de suite, une question se posa. Trou- verait-elle le même accueil au château où elle était attendue ?

N'allait-elle pas être bien isolée entre la châte- laine et sa fille?

Par la pensée, l'exilée se représentait sa mère, ses frères et sœurs préparant la veillée de Noël à la- quelle, pour la première fois, elle serait absente.

« Si maman savait que je suis seule dans une petite auberge de village ! » soupira-t-elle.

Dans la salle commune, les pensionnaires, le dîner achevé et la table débarrassée, avaient engagé l'iné- vitable belote.

Au dehors, tout était calme, de ce calme inté- gral qui ouate la campagne par les longs soirs de neige.

Une demi-heure passa.

Soudain, sur la route, trouant le silence, on en- tendit le ronflement sourd d'un moteur. Quelques instants plus tard, la porte de l'hôtel s'ouvrait, lais- sant paraître un grand gaillard, le col de la cana- dienne relevé, dont le visage était à moitié dissimu- lé par un cache-nez de laine.

Ayant soigneusement refermé la porte sur une rafale de flocons larges comme des fleurs de nénu- phars, il se dirigea tout droit, en habitué, vers le petit bureau. Sur le point d'y pénétrer, il s'immo- bilisa, la main sur la clenche. Au travers des rideaux

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de la porte vitrée, il observait, surpris, évitant le moindre bruit qui pût signaler sa présence.

Helga, ayant achevé son repas, s'était rapprochée de l'âtre et, sans se douter de l'attention dont elle était l'objet, laissait couler ses larmes trop long- temps contenues. Mais ce n'était pas tant ses pleurs qui intriguaient le nouveau venu que l'étrange ma- nège auquel elle se livrait.

Sur ses genoux, elle maintenant un coffret ou- vert. Elle y plongeait la main et en retirait une poi- gnée de poussière grise qu'elle répandait sur le feu.

Puis, ayant refermé religieusement la boîte, elle fixait ardemment le foyer.

L'inconnu se disposait à entrer quand surgit Mme Martignac.

— Oh ! par exemple, Monsieur le marquis !... Eh bé, en voilà une surprise !... A cette heure-ci... et par ce temps du diable !...

Un doigt sur les lèvres, l'interpellé la fit taire;

puis, se rapprochant d'elle, lui dit entre haut et bas :

— Bonsoir, Madame Martignac !... Vous oubliez que c'est Noël, voyons !... J'aurais dû être là deux heures plus tôt; mais les chemins sont impratica- cables. Aussi, je viens vous demander à dîner. Cela va me réchauffer un brin. Si je grimpais tout de suite là-haut, il serait trop tard. J'aurais toujours le temps d'y arriver pour l'office de minuit !

La patronne riait, habituée sans doute aux fan- taisies du châtelain.

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Celui-ci se pencha à son oreille et, de la pointe du menton, lui désignant le bureau, s'informa :

— Qui est cette charmante petite?

— Charmante en vérité, Monsieur le marquis ! C'est une étrangère qui se rend au château des Causses.

— Eh bien! «la pôvre », elle ne va pas s'amu- ser tous les jours !

— C'est justement ce que je me suis dit ! avoua Mme Martignac en riant.

— Mais comment se fait-il qu'elle soit chez vous?

— Le chauffeur du château l'attendait à l'arrivée du car, mais son train ayant eu du retard, elle l'a manqué. C'est le père Martial, vous savez bien, le garagiste d'Espalion, qui l'a déposée ici en s'en allant. J'ai des instructions pour la garder cette nuit. Le chauffeur reviendra la prendre demain à la première heure.

Les yeux fixés sur la porte du bureau, le jeune homme semblait réfléchir.

— Pouvez-vous me présenter ? demanda-t-il.

Malicieuse, l'hôtelière répliqua tout de go :

— Vous savez bien, Monsieur Arnaud, c'est une enfant de vingt ans tout au plus et qui est sous ma sauvegarde... ce soir, tout au moins !

Le châtelain se mit à rire.

— Eh là ! quelle drôle d'idée vous vous faites de moi, Madame Martignac ! Je ne suis pas un ogre et, après tout, cette petite prend ma place ici ! Où

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vais-je dîner, maintenant? Surtout pas dans la grande salle avec vos enragés joueurs de belote !

Sans attendre la réponse de l'hôtelière, il ôta sa canadienne, se campa devant le miroir, grand comme la main, du portemanteau et rectifia soigneusement l'ordre de sa chevelure, sous l'œil narquois de la te- nancière.

— Eh bien ! je vais voir, dit celle-ci.

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CHAPITRE II

A l'entrée de Mme Martignac, Helga fit prompte- ment disparaître dans sa valise le mystérieux cof- fret.

— Avez-vous bien dîné, Mademoiselle? s'inquiéta la brave femme, les mains dans les poches de son tablier.

— Parfaitement, Madame.

— Si c'est vrai, comme on dit, que la joie vient du ventre, on ne le croirait guère en vous regar- dant ! Vous pleurez, il me semble?

Helga rougit et détourna les yeux.

— Vous allez pouvoir monter chez vous, mainte- nant. Je dois servir ici le dîner d'un jeune châtelain des environs que je ne peux installer avec les gars du pays.

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Prête à céder la place, l'étrangère s'était levée;

mais, déjà, sur le seuil, son regard venait de croi- ser celui d'un jeune homme souriant qui s'inclinait avec l'aisance d'un gentleman.

— Je m'excuse, Mademoiselle, de cette interrup- tion, dit-il; je serais navré de vous faire fuir.

Puis, aussitôt, il se nomma :

— Arnaud de Jussac.

Aussitôt, Mme Martignac enchaîna :

— Monsieur le marquis a l'habitude de dîner ici quand il vient à Entraygues; alors, je pensais...

— Certainement, Madame; j'ai fini.

Elle voulut se retirer; mais Arnaud intervint :

— Je ne consentirai point, Mademoiselle, à vous faire quitter ce bon feu. Si je savais ne pas vous déranger, on pourrait me servir quand même?

Il eût été difficile à Helga de refuser. D'ailleurs, l'aisance aristocratique d'Arnaud de Jussac, sa sim- plicité naturelle, sa gaîté communicative, l'avaient déjà conquise. La présence de ce jeune homme allait apporter une diversion salutaire au marasme de ses pensées.

— Je m'en voudrais, Monsieur, répondit-elle avec son charmant sourire enfin retrouvé, de vous con- traindre à changer vos habitudes. Vous ne me déran- gez nullement !

Cependant que Mme Martignac se hâtait de débar- rasser la table, les deux jeunes gens s'observaient.

Helga détaillait la haute stature du marquis de Jus- sac, son élégance discrète. Il y avait dans son atti-

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tude une certaine nonchalance solide et souple que donnent une taille au-dessus de la moyenne et des épaules larges et carrées. L'air de vigueur tranquil- le, l'œil clair, le sourire prompt, il respirait le bon- heur de vivre.

L'hôtelière se retira, emportant les reliefs du dîner d'Helga.

De la porte, elle dit :

— Dans quelques minutes, ce sera prêt, Monsieur le marquis.

Dès que les jeunes gens furent seuls, Helga reprit sa place au coin du feu. Arnaud s'assit de l'autre côté de l'âtre.

Songeant soudain qu'elle avait omis de se pré- senter :

— Je me nomme Helga Jafferson, dit l'étrangè- re. Je suis Suédoise.

— Helga ! un vrai nom de légende ! s'enthousias- ma Arnaud, presque un nom de fée, de reines scan- dinaves, vierges du passé, du présent et de l'ave- nir.

Il posait sur la jeune fille un regard doux et cares- sant.

Il ajouta :

— Mais, ce soir, la petite fée est triste, il me sem- ble?

Un léger frémissement des lèvres consigna l'émo- tion d'Helga.

— Un peu, répondit-elle; mais c'est bien naturel, n'est-ce pas? Un Noël si loin des siens !

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— Vous étiez déjà venue en France? s'informa le marquis.

— Non ! c'est la première fois. Je me rends au château des Causes pour perfectionner mon fran- çais et permettre à Mlle de Brévat de parler avec moi l'anglais, et peut-être aussi l'allemand, si elle le désire.

Arnaud pensait qu'il était impossible de résister au charme de son accent pittoresque et s'extasiait sur la virtuosité avec laquelle elle triomphait des mots difficiles.

Il eut un sifflement admiratif.

— L'anglais et l'allemand !... Rien que ça ?...

— Dans notre pays, nous devons parler beaucoup de langues, surtout quand on veut se faire une situa- tion.

Helga souriait, comme pour s'excuser de ce qui aurait pu paraître un peu pédant.

Elle précisa :

— J'arrive de Cologne où j'ai passé au pair trois mois dans une famille, après avoir séjourné tout l'été en Angleterre, également au pair. C'est pourquoi je me trouve loin des miens à cette époque où l'on aime à se réunir; mais j'ai voulu achever mon sta- ge à l'étranger avant de rentrer définitivement en Suède... Vous connaissez Mlle de Brévat?

Arnaud eut un sourire indéfinissable, repoussa du pied un charbon qui venait de rouler sur le plan- cher et répondit :

— Tout dépend de ce que vous entendez par ce

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qualificatif... Pas du tout votre genre, par exem- ple !... Oh ! mais, là pas du tout !

Il avait dit cela si drôlement qu'Helga fut prise d'un accès d'hilarité. Mme. Martignac, qui, au même instant, entrait, portant de nouveau un plateau abon- damment garni, s'exclama :

— A la bonne heure ! Je savais bien que Mon- sieur le marquis saurait vous dérider ! Il n'a pas son pareil...

Les deux jeunes gens échangèrent un regard amusé; puis, le marquis riposta :

— Ce n'est pas ce que vous pensiez tout à l'heu- re, sans doute, Madame Martignac, puisque vous hé- sitiez à me présenter à Mademoiselle Jafferson.

L'hôtelière eut peur de discerner dans ces paroles un soupçon de reproche. Elle crut l'avoir froissé.

Aussi bien, le marquis, qui s'apercevait de son trou- ble et en devinait la raison, ajouta-t-il en regardant Helga :

— Nous nous chicanons parfois, Madame Marti- gnac et moi; mais, au fond, nous sommes amis.

Rassurée, la brave femme respira.

— Oh ! pour ce qui est d'un homme simple et serviable, sûr et certain que Monsieur le marquis est bien estimé chez nous... et dans toute la con- trée !

Puis, ne tenant pas, sans doute, à broder plus longtemps sur ce thème, Mme Martignac, ayant tout ordonné sur la table, se retira, non sans avoir jeté un coup d'œil à la cheminée.

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De nouveau, Arnaud et Helga se retrouvèrent en tête à tête. La petite suédoise fit un mouvement pour sortir à son tour; mais, aussitôt, le marquis, qui venait de prendre place à table, se leva :

— Si ma présence vous incite à quitter cette piè- ce, dit-il, je m'en vais sans dîner, et ce sera votre faute ! Ma conversation vous importune à ce point?

— C'est plutôt la mienne qui peut vous paraître ennuyeuse. Je parle si mal !

Tout en se rasseyant, Arnaud s'exclama :

— Si mal ! Vous parlez très bien, au contraire ! Certes, il y a votre léger accent, mais les mots qu'il déforme s'en trouvent comme harmonisés d'une mu- sique originale que je juge personnellement char- mante. Cette réserve faite, il est incontestable que vous possédez à fond notre langue difficile, et je n'arrive pas à croire que ce soit votre premier séjour en France.

— C'est pourtant la vérité, répondit Helga qui s'était rapprochée de la cheminée. J'ai appris le français à Upsul, mon pays natal, avec un profes- seur, votre compatriote : Mme Cléry. Elle est retirée, maintenant, mais elle vit toujours dans notre ville et habite tout près de chez nous. Chaque semaine, le mardi et le vendredi, elle me recevait et nous par- lions seulement le français.

— Ainsi, tout s'explique... Mais, alors, que comp- tez-vous apprendre avec cette chère Sibylle de Bré- vat?

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— Comment appelez-vous les choses difficiles de la langue?

— Les bizarreries, les subtilités.

— Les subtilités, c'est cela. Mme Cléry a toujours insisté pour que je vinsse en France. C'est elle qui, par l'intermédiaire d'une de ses amies, directrice d'institution à Lyon, m'a envoyée chez Mme de Bré- vat. La comtesse désire que sa fille apprenne l'an- glais, mais sans aller en Angleterre.

Arnaud s'esclaffa.

— Je crois, en effet, qu'elle ne laisserait pas sa fille s'en aller si loin sans elle !... Pensez donc !...

Traverser le Channel !

— Elle n'est pas moderne, la comtesse?

De nouveau, le marquis se mit à rire.

— Pas précisément !... Elle est d'un conformisme un peu poussiéreux et d'une sécheresse un tantinet jacobine.

Puis, comme s'il craignait d'avoir été trop loin, il ajouta :

— Ce qui ne l'empêche pas d'être, au demeurant, une femme charmante.

Tandis qu'il se restaurait sans hâte, la conversa- tion se poursuivait.

Peu à peu, Helga sentait s'évaporer sa tristesse, comme la rosée aux premiers rayons du soleil, cepen- dant qu'Arnaud, sans en avoir l'air, cherchait vai- nement des yeux le mystérieux coffret.

Pendant qu'alternaient questions et réponses et

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qu'ils faisaient plus ample connaissance, il guettait l'occasion de satisfaire sa curiosité. Or, comme si elle pressentait son désir, Helga orientait sans cesse l'entretien vers des sujets qui l'éloignaient de plus en plus du but qu'il poursuivait.

A cette heure, il savait une foule de choses con- cernant la jeune étrangère, touchant ses goûts, ses études ou ses projets d'avenir; mais, de toute cette documentation, il retenait surtout une chose : c'est qu'elle allait séjourner plusieurs mois au château des Causses.

Arnaud de Jussac avait la réputation, très justi- fiée du reste, d'être l'homme à sucès, non seulement dans ce pays rouergat, où tous les châtelains le guet- taient pour leur progéniture, mais à Paris, dans le cercle assez vaste de ses relations, il était très re- cherché. Nullement fat, il ne tirait aucune vanité de ses conquêtes, trop faciles à son gré. Il en plai- santait au contraire, ce qui faisait le désespoir de sa famille, dont le plus grand désir était de le voir prendre femme.

Cependant, cette jeune étrangère tranchait nette- ment sur le lot assez considérable des jeunes filles, avec ou sans particule, qu'il rencontrait dans le monde. Elle lui apparaissait vive, spontanée, simple et brillante tout à la fois, comme si elle avait su prendre et faire siennes tout ce que les méthodes et les caprices de l'éducation moderne ont de sain et de pratique. En fait, elle lui en imposait quelque peu, encore qu'il ne se le fût point avoué, raison

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pour laquelle il n'osait point parler de ce qui, pour- tant, l'intéressait au premier chef.

Dès qu'il eut terminé son repas, il revint prendre place près de l'âtre. Il ne semblait nullement pres- sé de partir. Surprenant à nouveau le regard assom- bri de la jeune fille rivé sur le foyer, il se décida tout à coup et demanda :

— Veuillez m'excuser si je suis indiscret, mais puis-je savoir ce que vous répandiez tout-à-l'heure sur ce brasier?

— Puis, en riant :

— Quelque poudre magique pour conjurer le mau- vais sort ?...

Helga rougit jusqu'à la racine des cheveux, mais soutint néanmoins son regard.

— Peut-être, répondit-elle.

— Pouvez-vous satisfaire ma curiosité ? Elle hocha négativement la tête et, de nouveau, fixa la flamme.

— Non ?... insista Arnaud. Vous m'intriguez de plus en plus.

— Vous vous moqueriez et je ne pourrais le sup- porter... Il s'agit d'une légende... une légende de notre folklore, une vieille coutume de chez nous.

— Vraiment? Alors, dites vite ! Mais Helga hésitait.

— Vous ne rirez pas? fit-elle enfin... Bien sûr?...

Cela me ferait beaucoup de peine, car je crois à la vertu de ces légendes.

Emu plus qu'il ne voulait le paraître par cette foi

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Edité et imprimé par la Sté d'Imprimerie et d ' E d i t i o n s du Puits - Pelu, JACQUIER et CIE 10, rue J.-Récamier, 10

LYON Dépôt légal N° 218, premier trimestre 1958

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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