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Balzac, Saché, ou le nid de coucou

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Academic year: 2022

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MARIE-THÉRÈSE HUMBERT

Balzac, Saché, ou

le nid de coucou

Photographies

PIERRE SCHWARTZ ET FRANÇOIS LAGARDE Aquarelles

LINE SIONNEAU

COLLECTION MAISON D'ÉCRIVAIN

Christian Pirot

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Marie-Thérèse Humbert est née en 1940 à l'île Maurice, qui porta autrefois le beau nom d'Isle de France. C'est apparemment une personne raisonnable, qui a été professeur de lettres pendant des années, mère de cinq filles. Elle a néanmoins commis volontairement trois romans, À l'autre bout de moi, Grand Prix des Lectrices de Elle en 1979 (édit. Stock), puis Le Volkameria (1984, édit. Stock) et Une Robe d'Écume et de Vent (1989, édit. Stock), ces derniers romans constituant le diptyque du Volkameria. Pour étrange que puisse paraître le mot volka- meria, elle ne l'a pas inventé, c'est un mot bien français, qu'elle a trouvé chez Balzac — d'où ce livre qu'elle a accepté d'écrire afin d'acquitter sa dette à l'égard du romancier. Marie-Thérèse Humbert, qui a quitté son île natale en 1959, est installée dans le Berry depuis plus de vingt ans et se sent à moitié Berrichonne, à moitié Mauricienne, une drôle de situation qu'elle affronte tant bien que mal en voyageant par l'écriture dans sa maison d'Ardentes ancrée en lisière de forêt. Elle prépare un quatrième roman où elle jure qu'il n'y aura pas de volkameria, mais sait-on jamais ?

Tous droits de reproduction strictement réservés

© Christian Pirot 13, rue Maurice-Adrien 37540 St-Cyr-sur-Loire Dépôt légal : mars 1991 ISBN 2-86808-052-7.

ISSN 1151-5945.

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Une maison vers laquelle quelqu'un mar- che... voilà une image qui a toujours exercé sur moi un charme dont je n'arrive pas à définir l'ori- gine — une image qui m'enchante. Dans ce livre il s'agira surtout de cela, une marche, une très longue marche. Plus que de la description d'un lieu — où l'on finira bien par arriver au bout du chemin — il s'agit du récit d'un itinéraire.

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DÉCOUVERTE I

La lumière vibre à peine, fraîche comme une eau

I L ME l'avait demandé comme s'il s'agissait de la chose la plus simple, la plus aisée du monde.

Raconter ma découverte de Balzac, puis suivre l'écri- vain dans une maison, l'y redécouvrir à travers ce lieu.

Le titre de l'ouvrage — un petit ouvrage de rien du tout, un jeu d'enfant, m'affirmait-il — serait : Une maison de Balzac. Qu'auriez-vous imaginé en entendant parler de maison? Moi, mon imagination dévoyée m'a aus- sitôt fait voir l'écrivain dans une petite maisonnette quelque part en Touraine, portes un peu dégondées, glycine défleurie, roses trémières pourrissantes, vigne vierge qui s'épuise. C'est une maison on dirait complè- tement abandonnée. Il est seul et il écrit L'Enfant Maudit ou La Recherche de l'Absolu. Bientôt il fera tout à fait jour, alors il se sent fatigué, se dit que l'heure

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est venue pour lui d'aller se coucher. Il pose sa plume d'oie — remarquez le petit détail qui fait vrai —, il se lève péniblement... et Christian Pirot me dit : « Le château de Saché, tu connais ? Tu vois où c'est?»

Un château ! Moi, parler d'un château ! Adieu petite maison aux portes dégondées, adieu glycine, adieu roses trémières... Raide, droit, net comme un devoir de bon élève en thème latin, j'ai toujours éprouvé une méfiance irraisonnée à l'égard de ce type de gosse.

Tandis que Pirot répétait : « Mais oui, Saché en Tou- raine, si tu veux on va t'accompagner pour te faire voir le château », je me sentais comme un arbre dont on coupe les racines. Ma déception était telle que je n'ai pas bronché, mon sourire est resté fixé sur mes lèvres, je m'accrochais désespérément à Balzac, à sa silhouette lourde, solide, j'ai voulu oublier le reste...

J'aime Balzac, comprenez-vous. De plus, cela faisait longtemps que je cherchais le moyen de m'acquitter d'une dette contractée à son égard.

Alors, bravement j'ai dit oui. Et j'ai continué pen- dant des semaines à fermer les yeux sur ce château si mal venu, à imaginer Balzac dans toutes sortes de maisons biscornues, je m'étais remise à lire ses ro- mans, je me suis plongée dans sa correspondance. Je connaissais bien l'écrivain, assez peu l'homme, il m'a d'abord fallu combler cette ignorance.

Voilà comment je me suis trouvée embringuée dans cette affaire, et maintenant, vous voyez, je marche vers Saché. La vie, c'est comme ça, il vous faut toujours accepter le pire avec le meilleur. Le pire, j'en

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ai déjà parlé. Le meilleur, c'est Balzac, une de mes plus ferventes admirations. C'est peut-être aussi cela : un bel automne du temps de la Genèse ; un matin timide, si timide, si tendre, qu'il vous semble que la mer de l'aube, d'infiniment loin au-delà des terres, s'est avancée jusqu'ici, que cette palpitation en vous, c'est une palpitation de vagues. La lumière vibre à peine, fraîche comme une eau. Je ne sais pas l'heure, comme toujours j'ai oublié ma montre — ce qui complète bien le tableau ! Il doit être très tôt, en tout cas, cette lumière qui vibre est encore oblique. J'ai laissé ma voiture sous un saule argenté à Pont-de- Ruan, et à présent, comme lui autrefois, je marche.

Flagrant délit d'inconstance. Je m'étais tellement juré, cette fois, de ne pas m'arrêter en route ! Ne me semblait-il pas avoir suffisamment exploré les abords de Saché, respiré à satiété cette campagne muette et son odeur d'humus ? Pensez donc, je m'étais immobi- lisée durant des heures, posée sur les choses comme un insecte qui n'a rien à faire sinon cela : butiner, pal- per, escalader brin à brin chaque touffe d'herbe, se laisser porter par la brise. En pure perte. On aurait dit que le lieu me rejetait, pas une phrase il ne m'offrait, pas un mot pour commencer ce livre ! J'avais fini par sombrer dans une sorte de torpeur qui me semblait le début d'une maladie infectieuse. Et, ce qui est vrai- ment mauvais signe, j'avais senti renaître en moi l'Inquiétude, l'ancienne, celle qui m'a suivie toute

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mon enfance, toute mon adolescence : n'étais-je pas une étrangère ? ne le serais-je pas toujours, partout ? Je le savais pourtant depuis longtemps, seuls les lieux que j'invente ou réinvente me sont perméables, alors comment parlerais-je de quelqu'un en m'appuyant sur un lieu réel ?

Je revenais toujours au même regret : s'il s'agissait encore de cette petite maison que j'avais d'abord ima- ginée, égarée dans la campagne, discrète, pouilleuse comme je les aime... Mais un château ! Je l'avoue à ma honte, jamais jusque-là je n'avais de moi-même fait un détour pour visiter un château. Ma préférence est toujours allée à ce qui est caché, à ce qui exige d'être découvert, et les châteaux se voient de trop loin pour mon goût, ils me semblent trop solides, trop orgueilleux. Seuls trouvent grâce à mes yeux les plus délabrés, ceux qui paraissent oubliés des hommes et dont les murs s'effondrent, je ne les aime qu'ainsi, rendus à l'humilité par la nature qui, peu à peu, en reprend possession, réimposant son ordre à elle.

D'ailleurs, par une sorte de dépravation du goût, ce sont les maisons les plus étranges, souvent même les plus laides, qui m'attirent, celles dont les volets sont délavés, les jardins à demi-abandonnés, plus elles sont banales, plus elles me fascinent. Quand je m'ex- clame devant une maison, en affirmant que j'aimerais y vivre, je provoque presque toujours la consternation de mon entourage : « Quoi ? Cette maison-là ? Tu es sûre ? » On examine de nouveau la maison, puis on me regarde, on se tait. On a compris depuis long-

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temps qu'il ne servirait à rien de me faire remarquer la banalité de la bicoque et son aspect désolé, ce qui m'a plu, n'est-ce pas justement cela ? La banalité et l'abandon d'un lieu, c'est pour moi comme une page vierge sur laquelle je pourrais me récrire, je me prends à rêver à la vie que j'y mènerais, à celle que j'y serais. Une autre.

Je me rappelle avoir ainsi rêvé durant des années devant une petite maison de garde-barrière d'une in- croyable laideur, une bicoque désolante, isolée dans la campagne à des lieues de la ville. Je m'y voyais, et cette vision de moi là, dans ce lieu tranquille que seuls troublaient les rumeurs de la forêt proche, le roulement cahoteux d'un train, m'enchantait.

Mais il va de soi : toujours les maisons devant les- quelles j'ai tant rêvé me déçoivent lorsque j'y pénètre.

Voilà pourquoi je préfère les regarder du dehors, en imaginer les occupants, leur attribuer des existences singulières. Au départ de chacun des romans que j'ai écrits il y a eu une maison devant laquelle je suis passée ; de chacune, subtilement recréée, ont jailli une sorte de chant qui leur était propre, des visages que j'ai senti le besoin d'interroger, chacune m'a révélé un univers. Il n'est pas exclu que la maison de garde-barrière dont j'ai parlé devienne un jour le cen- tre magique d'un roman. Mais pour cela, je le sais, il ne faut surtout pas que je la visite. Je dois, au contrai- re, m'en éloigner, permettre au rêve de s'étendre au-dessus d'elle, de la transformer à sa guise pour en faire en quelque sorte une essence de maison, unique.

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On voit peut-être mieux à présent dans quelle ga- lère je me trouvais embarquée. Bien que le château de Saché n'ait rien de hautain, on ne peut quand même pas prétendre qu'il corresponde à ce qui m'ins- pire. Certes, il ne s'offre pas au regard de bien loin, mais il ne semble pas qu'il ait jamais connu l'aban- don, pas une pierre ne se détache des murs, le jardin qui l'entoure est parfaitement entretenu, c'est cons- ternant. Le plus triste pour moi, c'est qu'il n'était pas du tout question de me rêver ou de rêver à la vie de personnages imaginaires, ce qui, soit dit en passant, revient au même. Il s'agissait d'entrer à l'intérieur du château, d'accepter que chaque objet fût en un lieu précis, que les habitants, disparus depuis longtemps, fussent ceux-là mêmes qui y vécurent. La déroute de l'imaginaire. Quant à placer mon cher Balzac dans ce château, Balzac l'excentrique, le prodigue, l'incorri- gible bâtisseur de châteaux en Espagne, cela me semblait une hérésie. Tout était trop calme ici, trop austère, l'homme volubile et remuant que je voyais n'allait pas du tout avec la demeure.

D'ailleurs comment parler de ce château comme d'une maison de Balzac ? Saché appartenait à Jean de Margonne qui l'avait hérité lui-même de sa famille, l'écrivain n'y vint jamais qu'en hôte. Aucun des meubles, aucun des tableaux qu'on y voit, n'a été choisi par lui. Et si l'on envisage la vie tourmentée de Balzac, les choses se compliquent encore. Il semble plutôt qu'il ne se fixa jamais nulle part, il se réfugie ici, puis là, à peine arrivé il lui faut repartir, s'échap-

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per ailleurs. Pour moi dont l'enfance fut blessée par de continuels déménagements — pas pour aller bien loin, certes, mais assez quand même pour que toujours, installée dans une maison, j'aie rêvé de la précédente —, la vie du pauvre Honoré représente un effrayant tournoiement, pour tout dire elle me donne le vertige.

Et pourtant... Comme ponctuant cette existence de nomade sans cesse poursuivi par le rêve d'un lieu où enfin s'arrêter, enfin atteindre la paix inaccessible, il y eut les séjours de l'écrivain à Saché, une bonne douzaine, peut-être davantage, parfois deux séjours par an, surtout au cours de l'été. A Saché, toujours Monsieur de Margonne fut prêt à accueillir l'adoles- cent, puis l'homme que dévorait son génie. Et, irra- diant la vie de Balzac, il y eut aussi son grand amour pour la Touraine, où il venait se reposer parfois, et, le plus souvent, travailler.

Passe pour la Touraine puisque l'écrivain y est né.

Mais Saché ? Pourquoi Saché, puisque Balzac, dans sa correspondance, avoue si peu de sympathie à l'égard de Margonne ? S'il allait à Saché, n'était-ce vraiment que pour la commodité qu'il avait de s'y rendre ? Est-il possible que, par pur intérêt, un hom- me aussi sensible que Balzac à l'atmosphère des mai- sons — et les hôtes, quand même, y contribuent pour une large part ! — se fût rendu ainsi, durant des années, dans un château qui ne ressemblait en rien aux appartements somptueux, un peu fous, qu'il oc- cupait lui-même ? Je me trouvais là devant une véri-

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