Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque universelle et
Revue suisse
Bibliothèque universelle et Revue suisse. 1862-1924.
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :
- La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.
- La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service.
CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE
2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :
- des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits.
- des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.
4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.
5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays.
6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.
7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter
L'alpinisme,
quiétait
au siècledernier
une
passion ouun
plaisir
inconnu, aatteint
depuis quelquesannées
un développementextraordinaire
lenombre
des grim-peurs qui, chaque été,s'attaquent
aux
pics les plus re-doutables des diverses Alpes va sans cesse grossissantleur hardiesse aussi.
Iln'y
a presque plus de cimevierge,
et tel sommet, qu'onn'abordait
jadis qu'entrem-blant,
estmaintenant gravi plusieurs
foispar
saison.Il
faut
dire
aussiqu'à
mesure quecroissaient
les exigences etl'audace
destouristes, l'industrie
des guidesprogressait
également elle
est,
comme onsait, réglementée par
desordonnances particulières,
et elle a créé, dans les sta-tionsalpestres
les plus fréquentées,une
classe d'hommestoute
spéciale, dont lestraits
fortement marqués,
dont lapersonnalité robuste
etd'habitude très originale, ne
laissent
pas qued'ajouter
quelque choseaux
joies desascensionnistes,
qu'en même temps ilsprotègent
dePEINTURE ALPESTRE
NOTES
leur
solideexpérience
et deleur
courage à toute épreuve.«
Il
y en a de tous les âges, dit un excellentconnais-seur
de lamontagne,
M. Emile Yung, endécrivant
ceuxZermatt
l
detrès
vieux qui ontbravé
les piresdangers
des
hautes
cimes, et detout
jeunes,prêts
àexposer
leur
viesur
les sommetsinvaincus, parce
qu'il enest
de cesgens-là
comme des marins ils ontl'héréditaire
nostalgie
des épouvantes, unsentiment
passionnépour
leur grande maîtresse,
lamontagne,
non moinsterrible
que lamer
àcertaines heures.
Ils sedistinguent
àleurs
vêtements de laine
grise,
àleurs
corps secs et noueux, àleur
regard
limpide etfranc,
àleur tête
relevéepar
l'ha-bitude detoujours
regarder
vers
le ciel, et àleur
ex-pression
engénéral
modeste et douce. Il va sansdire
que tousn'ont
pas la mêmevaleur,
mais mêmeparmi
ceux qui ne sont pas des guides officiels, ils'en trouve
detrès
suffisantspour
diriger
lesexcursions
cou-rantes.
» La connaissance exactequ'ont
les guidesde
tous les
couloirs,
vires
et cheminées de chaquemon-tagne
diminuebeaucoup,
cela va desoi,
les diffi-cultés et lesdangers
desalpinistes,
dontl'initiative
personnelle setrouve
fortréduite,
et quin'ont qu'à
sui-vre ens'abandonnant
àleurs impressions.
Si les guides forment une classe d'hommes
marquée
de
caractères particuliers,
il en est de même desalpi-nistes. Mais ils ne sont pas tous animés des mêmes
sen-timents,
et l'on peut lesdiviser
en deux catégories biendistinctes ceux qui
considèrent
lamontagne surtout
comme unsport,
et ceux quiy
cherchent
plutôt des impressions denature.
Il
n'y
a pas lieud'insister
beaucoupsur
les premiers1 Emile Yung Zermatt et la vallée de la Viège. In-4". Genève, Thévoz. & Cie.
ce sont des
athlètes
ou desmaniaques,
quigrimpent
pour
grimper,
sansvoir
plus loin. Une coursen'est
ja-maispour eux
qu'un exercice ouune
gageure ils la méditent, ils la complotent avecleur
guide, quiest
un complice. La veille, on les voitrôder,
en sa compagnie,sur
la place du village, avec desairs
deconspirateurs.
Ilssont fort
peinés si l'ons'est
levé assez tôtpour
lesvoir
partir,
avecleur piolet, leur
corde roulée au dos. Mais,surtout,
il ne faut pasleur demander
où ils vontjusqu'à la
dernière
minute, ilsgardent
le secret et ilsfilent
par
lessentiers
de la mi-côte,d'un
long pasrégu-lier,
qui semble lent et quipourtant abat
lesdistances.
Auretour,
ils sonttriomphants,
aussi loquaces qu'ilsétaient taciturnes
au départ ils ont pris quelque cimepar
unrevers
réputé
inaccessible, découvert uncouloir
nouveau, ou, simplement, accompli untour
de force derapidité. Et
ilss'étendent volontiers
sur
lespéripéties
de
leur
ascension, oùleur
vies'est
souvent trouvée enpéril.
Beaucoup de personnes necomprennent
pasla
nature
deleur
plaisir iln'est
pas de qualitéesthé-tique,
c'est vrai,
mais iln'en est
ni moinsréel,
ni moinsvif. Sans
parler,
en effet, de la joie qu'il y a dans l'exer-ciceabondant
de ses muscles et de sa force, ou dans la satisfaction de la difficulté vaincue, lesentiment
dudanger
recèle une sorted'ivresse,
qu'ilsconnaissent,
qu'ils
savourent,
et qui a lesattraits
de toutes lesivresses.
Les alpinistes de la seconde catégorie ne sont
peut-être
pas le plusgrand
nombre.Pour
eux, les courses ont un but ilsn'en mesurent
pasl'intérêt
aux
diffi-cultés qu'elles
présentent
ou à larapidité
avec laquelleon les exécute, mais à la
variété,
à la beauté ou àdévelop-pont. Je
n'ai
pas àrappeler
ici lesorigines
du sentiment de la
nature,
qu'ignoraient presque tout
àfait,
par
exemple, les hommes du dix-septième siècle, que
le
dix-huitième
siècle a découvert, qui est devenu, sil'on
peut dire,
un élément denotre
vieintérieure.
Telqu'il
se
manifeste dans les Alpes, ilest
assez complexe;la
sommaire analyse
en est indispensable aubut
que nouspoursuivons.
Lesvrais amateurs
de la montagne, en «ffet,n'y
recherchent
pas la magnificence despaysages,
qui, après tout,
est contestable lapremière
impressionproduite
par
lesrochers déchirés,
lestorrents
tumul-tueux,
les horizonshérissés
de pics,n'a
rien d'agréable,
rien
d'esthétique,
voudrais-je direla sérénité
en estpar
trop absente.
Dureste,
lespremiers écrivains
oupoètes qui ont
décrit la
montagneont toujours parlé
de ses «horreurs;
»le
mot «horrible,
» ou « affreux, »ou même «
hideux,
tombe
à chaqueinstant
deleur
plume, en
sorte
que ce qui lesséduit,
cen'est
pointla
beauté
des choses, mais la forte impression qu'ils enre-tirent.
Lanature
et la qualité de ces impressionsvarient
beaucoup. Les uns sont émus péniblement,d'une
émo-tion que cependant ils seplaisent
àrenouveler. D'autres
c'est peut-être
bien le cas du plusgrand
nombre,s'attachent
àla
montagne,parce
qu'ils yéprouvent
unesorte
debien-être
d'uncaractère très
particulier,
quene
procurent
jamais les paysages de la plaine, oùtout
rappelle toujours
la présence etl'activité
des hommesun
bien-être
quirésulte
dusentiment
de solitude et deliberté
qu'on ne trouve que dansl'air
léger
deshauteurs.
Aussi ne
rechercheront-ils
pasnécessairement
lesgrands
paysages,
lespanoramas
célèbres ils secontenteront
peut-être
même lespréfèreront-ils,
de recoins plus modestes et plus intimes un de ces lacs deneige,
bizarrement
et violemment bleus au miliea des rochersl'âpreté
d'une arête
que surplombent des cimes plushautes la perspective d'un
pâturage marécageux
qu'en-vahit
l'ombre des parois rocheuses dont il est entouréune combe
déserte,
quehantent
de lourds oiseaux, oùfleurissent parmi
des éboulis des fleurs au feuillagemaigre
qui sont d'un éclat si beaubref,
des sitesbornés,
mais d'uncaractère très accentué,
leur
pro-cureront autant
de joies, et d'aussi vives, que les ma-gnificences de l'étendue. Tel nesera
pas le cas desalpinistes
quipréfèrent
les impressionsesthétiques
auximpressions intimes pour ceux-là, rien ne
vaudra
lasplendeur
des spectacles quis'étendent
aux pieds dessom-mets mauvais marcheurs quelquefois,
n'ayant
nil'en-traînement
ni la verve desalpinistes-sportsmen,
ils seré-signeront
cependant à de longues marches pénibles pourarriver
sur
quelque cime isolée ethaute,
d'où ilspuis-sent contempler les chaines voisines étalées sous eux des
tranches
de montagnes superposées àl'infini,
des fleuvescourant
dans la profondeur des vallées, des gla-ciers flamboyants au soleil, aveuglants comme de froids incendies. Et ils aimeront ces paysages,parce
qu'ils ytrouveront
la beauté.II
Il me semble que cette sommaire
analyse
desplaisirs
alpestres
explique enpartie
pourquoi, si lesgrimpeurs
ont
conquis les Alpes, lespeintres
ont encore beaucoup àfaire
pour s'enemparer.
Les impressions de monta-gne, comme nous venons de le voir, ne sont jamais ex-clusivement, ni même essentiellementpittoresques. Elles
ne dépendent pas de la seule
qualité
du paysage,sauf
peut-être
quand ils'agit
d'unpaysage panoramique,
qui,par
son étendue, échappeaux
efforts del'art.
D'autres
élémentsy
concourent, tels que lapureté
et lalégèreté
de
l'air,
l'intensité
du silence, leplaisir
de la difficulté vaincue, le mélange de fatigue etd'excitation
quirésulte
de la grimpée. Lespeintres
onttoujours
compris, ousenti,
les difficultésauxquelles
ils seheurteraient
ens'attaquant
aux
Alpes, et même,d'une
façon plusgéné-rale,
aux grands
paysages àpart
quelquesaudacieux,
ils ont
recherché,
depréférence,
les sites les plus simples, et cen'est
guère
avec de lanature
superbe
queles
grands paysagistes
du siècle ont composéleurs
plus belles œuvres un bouquetd'arbres,
une pièced'eau,
une
prairie, leur
suffisaient. De tels motifslaissent
du moins place à lapersonnalité,
que lagrande
nature
risque volontiers
d'absorber les simples chosesqu'em-brassaient
leurs
regards
et qu'ilsfixaient
sur
leur
toile seprêtaient
àleur
mélancolieattendrie,
ou àleur
rêve-rie
sereineet, s'il
leur
plaisait
d'introduire
dansleur
œuvre des
êtres
animés, cesêtres
y
rentraient
sans effort ets'y trouvaient
chez eux. Lanature
moyenneest
la plus proche del'humanité.
Dans la
grandeur
dupaysage alpestre,
aucontraire,
il
n'y
a pas placepour
lapersonnalité
del'artiste
il faut qu'il la supprime ou qu'il la voile.D'autre
part,
s'il
veutouvrir
sontableau
à descréatures
vivantes,
hommes ou bêtes, ilest
conduit presquefatalement
àfausser
l'ensemble du spectacle qu'il s'efforce derendre.
Je
touche ici à unpoint
délicatcar
quelques-uns
desmeilleurs
peintres
suisses de cesdernières années
n'ont
pas voulutenir
compte de cette difficulté ainsi M.Eu-gène
Burnand,
qui possède un œil sipénétrant
et des moyens àtant
d'égards
excellents M. Baud-Bovy, quia de la montagne un
sentiment
si justeet
si profond, etd'autres
moinshabiles.
Leurstentatives
dereprésenter
à la fois la montagne et ses
habitants reposent
évidem-ment sur une idée poétique séduisante et spécieuse
qu'il
existe uneharmonie
entre
le paysage et lesêtres
auxquels ilsert
decadre
habituel. Cela estvrai,
sansdoute. Mais, si
une telle harmonie,
dans le cas qui nous occupe, peutprêter
à des effetslittéraires,
enrevanche
elle échappe à lapeinture.
Un peu de réflexion suffit à ledémontrer.
Vous
arrivez
sur
un de ceshauts plateaux
où setrou-vent les meilleurs
pâturages
des Alpes. Vous y voyezdispersé
letroupeau
qui l'habite vaches,taureaux,
vachers.
C'est à peine si vous le distinguez il est perdu, ildisparait
dans l'espace,et, par
delà les petites bêtes quipâturent,
vous percevez lesgrands
fonds derochers
qui coupent la vue, ou les plans plus ou moins éloignés des montagnes. Vous vous approchez les bêtesgros-sissent,
mais jamais elles neprennent,
à beaucoupprès,
l'importance qu'a
un modèle dans unatelier.
Or, lepeintre
quilles copieest
presque inévitablement amené à fausser cette proportion son effortporte sur
le motif centralqu'il
a choisi aux dépens du décor, alors que,dans la
réalité,
le décor l'emporte toujours de beaucoupsur
le motif. C'est là ce qui estarrivé,
par
exemple, à M. EugèneBurnand
pour sonTaureau,
quid'ailleurs
est
une belle œuvre. Le seul moyen,peut-être,
de vain-cre cette difficulté, c'est de laprendre
résolument corps à corps etd'exagérer
departi
pris
l'erreur
qu'onLutteurs.
Il voulaitreprésenter
deuxvigoureux
mon-tagnards s'exerçant
à la lutte dans un pâturage il aplacé ses deux modèles au
premier plan,
qu'ilsremplis-sent, tandis
que desglaciers s'estompent
à peine dansdes
lointains
infinis.D'autres réduisent
encorel'impor-tance
du paysageainsi
M. Bieler qui, dans sesFemmes
de
Savièze,
estarrivé
àdonner l'impression
de lamon-tagne par
la seule qualité de lalumière
dont il a enve-loppé ses figures.III
Il
y
a plus d'un siècle queJean Huber
(1721-1786)et
J.-P.
de la Rive (1753-1817)ont
entrepris
depeindre
la
montagne.
Dans lestableaux
dupremier,
elle nesert
guère
que de cadre éloigné à des scènes de chasse. Dans ceux du second, elleest
vue de loin, elleremplit
les seconds plans tel
est
le cas de sa Vuedu
Mont-Blancet
du
lac
de Genèveprise
du Sécheron,
quiest
peut-être
bienl'œuvre
la plusancienne
qu'on puisseciter.
Cette toile fut, en son temps,une
nouveauté« Ce tableau, d'une vérité parfaite, dit M. Rigaud',
dé-pourvu de tout accessoire, imposant par sa simplicité même, eut un grand succès à Genève, où il fut exposé. Le public eut
d'abord quelque peine à se familiariser avec la teinte foncée
du ciel, à laquelle on n'est pas généralement habitué; mais ce bleu foncé est la représentationexacte de l'aspect du ciel des
hautes Alpes tous ceux qui avaient admiré le Mont-Blanc de
Sallanches certifièrent que la couleur était vraie, et le public
se réconcilia avec le luxe d'outre-mer que l'artiste avait dé-ployé. »
Cette toile se
trouve actuellement
au muséeRath,
àGenève sans doute, les procédés en sont vieillis mais
l'effort
était
si sincère, si loyal, qu'elleattire
encore
leregard.
Les successeurs de de la Rive, àl'exception
du Neuchâtelois Max de Meuron, qui serisque
brave-ment à peindro la montagne vue de la
montagne,-
con-tinuent
longtemps àn'aborder
l'Alpe que de loin d'oùle
caractère décoratif
et composé de laplupart
deleurs
œuvres. Leur sentiment, presque toujours
théâtral
et
artificiel, correspond à celui que
dégagent
les descrip-tions de montagne quiabondent
dans lalittérature
ro-mantique.
Faut-il
rappeler
ici quelques-unes de cesfa-meuses
pages?
Il suffira,je
pense, deciter
Jocelyn
etManfred.
Maisje
ne saisrien
de pluscaractéristique
que la fameuseInvocation
àla
nature,
qui estune
despages les plus
puissantes,
et entout
cas la plus tour-mentée, de laDamnation
deFaust.
Faust
se trouve dans un paysage de forêts et de cavernes et il s'écrieNature immense, impénétrable et fière,
Toi seule donnes trêve à mon ennui sans fin
Sur ton sein tout-puissant je sens moins ma misère, Je retrouve ma force, et je crois vivre enfin.
Oui, soufflez, ouragans criez, forêts profondes1
Croulez, rochers Torrents, précipitez vos ondes
A vos bruits souverains ma voix aime à s'unir.
Forêts, rochers, torrents, je vous adore Mondes
Qui scintillez, vers vous s'élance le désir D'un cœur trop vaste et d'une âme altérée D'un bonheur qui la
fuit.
Je
neprétends
pas, il est à peine besoin de ledire,
que ces vers soient bons il faut la musique
tempê-tueuse
qui les accompagne pourleur prêter
tout leur
sens.Et
le morceau nous donne une idée bienclaire
delà
conceptiontragique qu'avaient
de lanature
alpestre
les hommes de la
première
moitié du siècle. Veut-onmonter
undegré
plus haut ? qu'onrelise
lesvers
ad-mirables
que Shelleyécrivait,
en 1816, dans la vallée de Chamounix« Les champs, les lacs, les forêts, les courants, l'Océan et
toutes les choses vivantes qui habitent dans le dédale de la
terre, éclairs et pluie, tremblement de terre, torrent de feu et
ouragan, la torpeur de l'année quand de faibles orages visi-tent les bourgeons cachés, ou qu'un sommeil sans rêve
s'em-pare de chaque feuille et de chaque fleur à venir, l'élan avec
lequel elles s'échappent de cette léthargie détestée, les œuvres
et les voies de l'homme, leur mort et leur naissance, tout ce qui est ou peut être son partage, tout ce qui se meut et
res-pire, tout avec peine et bruit nait et meurt, se développe, tombe et renaît. Seul, le pouvoir de la nature réside à l'écart
dans sa tranquillité, éloigné, serein et inaccessible et ce
spec-tacle même que je contemple, la terre mise à nu, ces primitives montagnes le révèlent à l'esprit attentif. Les glaciers rampent
comme des serpents qui épient leur proie, roulant lentement
de leurs sources lointaines là, la gelée et le soleil, au mépris
du pouvoir mortel, ont entassé mille précipices, dômes,
pyra-mides et pinacles, une cité de mort, avec ses innombrables tours et ses murs inexpugnables de glace rayonnante. Que
dis-je ? une cité c'est un débordement de ruines, qui des bornes
des cieux roule son éternel torrent De vastes pins jonchentsa
route marquée par le destin, ou, sur le sol déchiré, se tiennentt
debout décharnés et fracassés les rocs, entraînés du plus
loin-tain désert, ont renversé les limites du monde mort et du
monde vivant, à jamais effacées. Le séjour des insectes, bêtes et
oiseaux, devient sa proie leur pâture et leur retraite ont
dis-paru pour toujours tant de vie, tant de joie est à jamais
per-due
La race humaine s'enfuit bien loin, saisie de terreur sesouvrages et ses habitations s'évanouissent, comme une fumée»
devant le courant de la tempête, et leur emplacement n'est plus connu 1 Au-dessous, de vastes cavernes flamboient à la lueur
incessante des torrents emportés, qui, jaillissant en tumulte de
ces secrets abîmes, se rencontrent dans la vallée et un fleuve
majestueux, le sang et la vie de terres éloignées, roule pour
toujours ses eaux retentissantes aux vagues de l'Océan,
exha-lant ses fugitives vapeurs dans l'air qui l'environne. »
Cela
est
moins vague et plusserein,
maisc'est
tou-jours,
en somme, la montagne des tempêtes, destorrents
irrités,
des sapins déracinéspar
levent
oupar
l'ava-lanche,
suggestive de pensées violentes oudésordon-nées. Eh
bien, àcela près
que la puissancetechnique
des
artistes
quil'ont
comprise de mêmen'égale
point celle des poètes,c'est
bien là lesentiment
des toiles quitapissent
les musées de Genève, deLausanne
et deNeu-châtel. Presque
toujours lespeintres
se supposent éloi-gnés deleur
« sujet, »qu'ils
ont
choisitrès
vasteet
qu'ils
arrangent
demanière
àreprésenter
à la fois,sur
des plans successifs,
tout
ce que peutoffrir
la montagne destorrents,
des cascades, des vallées, des chalets, desrochers,
des sapins, donttoujours
quelques-uns sontcassés, tordus
oudéracinés,
avec desarrière-fonds
deglaciers,
de sommets ou dechaînes.
Qu'on mepermette
derappeler
le tableau-type de ce genre-làl'Orage
à
la
Handeck,
de Calame, quirévolutionna
le Salon de1839, et dont Eugène
Rambert
aécrit
la descriptiondétaillée et
explicative que voici« C'est dans un de ces bouts du monde que le peintre nous
transporte. Un dernier pâturage, moins fait pour être brouté
par des troupeaux que pour servir de repaire à des animaux farouches, s'abrite entre des murailles de granit. Ce sol est encore fécond partout où l'herbe trouve un asile, elle croit
serrée, mais toujours fine et fraîche, et de fiers sapins qui n'ont rien à envier à ceux des basses montagnes prouvent que ce
n'est pas la nourriture qui manque dans les fentes où s'enfon-cent leurs racines. Ce qui manque, c'est la place. Un torrent et
les blocs tombés des hauteurs disputent au pâturage le peu
d'espace qui reste libre au fond de l'étroite vallée. Dans ce désert, le combat de la vie se présente sous ses aspects primi-tifs. A combien de chances fatales y sont exposées de frêles
existences Mais, si la victoire est malaisée, elle est d'autant
plus glorieuse, et ceux qui la remportent ne sont pas de vul-gaires lutteurs. Les uns, comme ces folles herbes, se contentent
de peu
il
leur suffit d'un trou entre deux pierres les autres, comme ces sapins gigantesques, sont des champions qui nere-doutent ni le frimas ni la tempête.
» Par un jour de soleil, ces vieux arbres et ces humbles
pe-louses auraient leur grâce et leur rayon'; ce serait le suprême sourire de la nature, un dernierEden aux confins du chaos. Mais le peintre-poète n'a pas voulu qu'il en fût ainsi. Aux horreurs
de cette solitude, il a ajouté celles de l'orage. On sait ce que
peut être un orage dans les gorgesdes hautes Alpes. Les nuées, battues par l'ouragan, y tombent comme l'avalanche et y
rou-lent comme les torrents. Tantôt elles viennent entasserleurs masses accumulées contre une muraille qui les arrête tantôt elles se précipitent et s'empelotonnent les unes sur les autres
pour passer ensemble par quelque défilé trop étroit. C'est ce
dernier effet qu'a rendu Calame. Elles ont rempli la vallée. Tout à l'heure, la nuit était presque complète entre ces sombres parois et sous ce dais plus sombre encore mais un premier rayon de soleil laisse entrevoir des sommités déjà libres, et le vent, qui redouble de violence, travaille à balayer les nuages.
La noire armée se précipite en désordre elle fuit et se rompt
à toutes les saillies des corniches, tandis que les sapins, pliant ensemble sous la rafale, secouent sur le sol détrempé leurs branches flexibles et leurs barbes chenues. »
Les toiles les plus connues de
François
Didayrentrent
dans
la mêmetradition.
Lui aussi aime àreprésenter
la montagne
vue de loin (Lelac
desQuatre-Cantons,
vu deshauteurs
de l'Axenberg)et,
quand il essaie deserrer
de plusprès l'intimité
des Alpes, il seplaît
àplacer
aupremier
plan quelque motif épisodique quidis-trait
l'attention
du paysage, oubien
ilrecherche
les« effets
d'orage,
»
comme dans ses toiles intituléesChênes
battus
par
la tempête,
Lac
orageux,
Chemin
entre
le
Grimselet la
Handeck,
etc. Ces toiles décora-tives ettrès
composées ont été fort goûtées enleur
temps
et,
quoiqu'elles le soient beaucoup moinsaujour-d'hui,
les successeurs de Calame et de Didayreviennent
encore
quelquefoisaux traditions
crééespar
ces deuxéminents
artistes.
Il fautnoter
cependant qu'ilsaccep-tent
plusvolontiers
lanature
telle qu'elle est, sansre-courir
àl'aide
des oragesc'est
ainsi que M.Albert
Lu-gardon
a supeindre
laWengern-Alp
en plein soleil, avec une simplicité simagistrale
que sa toilesemblerait
absolument vraie,
sil'horizon
tropvaste qu'elle
em-brasse
n'avait
forcél'artiste
à secontenter d'une
pers-pective parfois contestable.
IV
En
terminant
sa longue biographie de Calame, quiest,
je
crois,
ce qu'on aécrit
de plus compendieuxsur
lapeinture alpestre,
EugèneRambert exprimait
le vœu que cettepeinture
se développât « dans le sens del'intimité.»
La jeune école suisse,
surtout
la jeune école genevoise,qui est la plus active et la plus
riche,
sembledevoir
réa-liser
ce vœu, sans qu'il soit encore possible demarquer
où laconduiront
ses progrès dans ce sens. C'est là, dureste,
une évolutiontout
indiquée,car
ellecorrespond
à celle qui s'accomplit ence
moment mêmedans
le goûtnature
comme une forcehostile, tragique, toujours
agi-tée, dont les tempêtesreproduisent
celles deleurs
âmes. Ils nela méprisent
pas au repos. Lesarbres leur
plaisent,
même quand ilsn'ont
pas étédéracinés
par
l'orage.
Ilsaiment
la pleinelumière,
dont leslibres
jeux
paraissent
la préoccupationprincipale
despay-sagistes actuels.
Ilsaffectionnent
la simplicité, onpourrait
dire
la bonhomie, des sitestranquilles
et limités, quibercent
l'esprit
etcharment
leregard
sans
lefatiguer.
Aux mauvaisvers
de Berlioz queje
citaistout
àl'heure
et quiexpriment
si bien la conceptionromantique
de lanature,
je
voudrais
opposer ceux-ci,qui sont
charmants,-
de M.Jules Lemaitre, car
je
ne connais
rien
quirende
avec plus degrâce
et plus devérité
lesentiment
que lagénération contemporaine
cherche
ettrouve
dans lespaysages.
Mais là-bas, au pays, la terre est maternelle;
La Nature a chez nous la grâce et l'ondoiement,
Quelque chose qui flotte et qui se renouvelle, Et des vagues contours le mystère charmant.
Elle a le bercement infini du murmure
Et les feuillages fins dissous dans l'air léger.
Elle a les gazons frais sous les molles ramures
Et les coins attirants où l'on vient pour songer.
Elle a dans ses couleurs, dans ses lignes fuyantes,
Des indécisions qui caressent les yeux,
Et j'aime à lui prêter des pitiés conscientes,
Et je me ressouviens du jour de nos adieux. Je sentais bien, là-bas, que je vis de sa vie
Et que je suis né d'elle, et qu'elle me comprend. C'est une volupté que cette duperie.
Et je veux vous revoir, ô ciel changeant et tendre,
Coteaux herbeux, petits ruisseaux, coins familiers.
Saules, je vous désire et je veux vous entendre, Chuchotement plaintifdes tremblants peupliers.
On
allèguera,
sans doute, que lanature
alpestre
nese
prête
guère à un telsentiment.
Erreur Lanature
est
ce que nous sommes, ce que nous la faisons.Et
d'ailleurs,
l'Alpen'est
pastoujours
«horrible
» ou « hideuse, » selon lesexpressions
despremiers touristes
qui la
découvrirent.
Elle a des recoins aussi paisibles,aussi doux, aussi
caressants
que les sites les plusgra-cieux de la plaine elle favorise les mêmes rêveries elle
inspire
les mêmes tendresses elle est aussi berceuse et aussi pitoyable, sivraiment
lanature,
quelle qu'ellesoit, nous
rend
un peu del'intérêt
ou de l'affection que nous luiportons.
Et
vraiment,
onserait
tenté
de lecroire,
devantcertaines
toiles de M.Rheiner,
qui aétudié avec une
tendresse
bien compréhensive les abords de la chaîne du Salève oudevant
les meilleures étudesde M.
Albert
Gos, qui, avec des moyens moinsheureux,
mais avec un sens poétiquetrès
développé,s'est
coura-geusement
attaqué
auxhautes Alpes;
ou,surtout, devant
certains
lacs demontagne,
que Mlle Annie Hopf arepro-duits avec
autant
de puissance et devérité
que desen-timent.
Si les paysagesalpestres
restent
moinsfavo-rables
à lapeinture
intime que les paysages de plaine,ce
n'est
pasparce
que lamontagne
manqued'intimité,
c'est pour
uneautre
raison,
d'ordre
plus technique, qu'il est facile de comprendre. Les paysages de plaine, en effet, sont composés de détails en sommesimilaires,
dont chacun ressemble aux
autres,
et
peut,par
consé-quent,être
séparé desautres
sansrien perdre
pourcela ni de son
caractère,
ni de sa signification. Teln'est
pas le cas de la montagne, infiniment plusvariée
d'as-pects, et dont les détails ne sont jamais que desépi-sodes, des
fragments inséparables
del'ensemble
auquel ilsappartiennent.
Qu'est-ce,par
exemple,qu'un
frag-ment de cascade, détaché du décor qui l'encadre ?
Qu'est-ce
qu'un
coin depâturage,
sans lesparois
rocheuses qui lesurplombent
ou lesarrière-plans
qui l'accompagnent ?Des
morceaux
isolésd'un paysage alpestre perdent
leur
sens etleur saveur,
comme desbribes
de mélodies pri-vées deleur
accompagnement et lespectateur
auquel unartiste
lesprésente
esttoujours
tenté
d'observer
qu'il
n'est
pas la peined'aller chercher
à deux millemètres d'altitude
des motifspareils,
et souvent moinsheureux,
à ceux quiabondent
au niveau de lamer.
On le voit, si
l'intimité
que les jeunesartistes
suissess'efforcent d'introduire
dans lapeinture alpestre
cor-respond au goût
général
del'heure
actuelleet
cons-titue
unprogrès,
elle nesuffira
point àrelever
legenre
au niveauqu'a
atteint
lepaysage
contemporain.Il
reste autre
chose àtrouver,
quelque chosed'incer-tain,
de pas encore défini, quepressentent certains
esthéticiens
etcertains
artistes,
mais dont aucunn'a
en-core affirmé la formule définitive. Unexcellent critique
genevois, M.Paul
Seippel, afort
bien posé la question 1« Dans les terrains d'alluvion de la plaine, l'intérêt se
con-centre sur la vie organique, les plantes, les arbres, l'homme
et ses travaux. L'attention se porte peu sur la structure du sol
monotone et constamment masqué par un rideau de verdure.
Sur l'Alpe apparait l'ossature terrestre. La végétation s'efface
par degrés pour mourir sous le linceul des neiges éternelles mais, de la base au sommet, la montagne vit d'une vie formi-dable, dont les heures sont des siècles. On peut entendre la nuit les battements de son pouls. Ses flancs, veinés de ruis-seaux, sont sans cesse en
travail;
des rocs s'éboulent, le gla-cier poussé vers la vallée se déchire avec de sourds craque-ments toute la masse s'effrite par l'usure du temps; les fleuvesemporteront sa poussière au loin.
» Là-haut, l'histoire de notre globe est inscrite en caractères
visibles, au pli des couches géologiques, soulevées, cassées,
tordues en tous sens; et ce passé de la terre évoqué par les belles formes sculpturales des roches, la peinture alpestre pour-rait nous la redire si elle s'occupait moins des sapins, des
fleurettes et des petits chalets avec leurs petites vaches.
» Tout l'effort de la peinture actuelle porte sur l'étude des
jeux de la lumière, dans leur infinie diversité. Nulle part ils
ne sont plus variés, plus surprenants que dans les hautes val-lées. D'heure en heure le spectacle change.
» Quelle richesse d'effets dans une journée d'orage, le soir
sur-tout, lorsque le soleil, perçant les nuages, darde d'obliques
faisceaux lumineux mouvants comme des projections
électri-ques Les pentes gazonnées, fraîchement lavées par l'averse,
prennent des tons éclatants d'émeraude au pied des rochers luisants comme des armures. De larges taches d'ombre
pas-sent un pan de montagne se voile, un autre émerge en pleine clarté sur fond noir. Puis le vent du soir s'élève et
ba-laie les nuages. La vallée s'est obscurcie, mais les cimes
nei-geuses rayonnent encore un instant dans la splendeur du couchant, roses sur le bleu profond du ciel. L'ombre les gagne et la livide pâleur de la mort les revêt d'une auguste sérénité,
alors que sur leurs fronts glacés s'allume la chapelle ardente
des étoiles.
» Sans doute, dans la nature alpestre, il est des choses qui
échapperont toujours à l'expression plastique par l'excès même
de leur grandeur. Le peintre doit faire un choix. Mais, s'il veut nous donner une image, même affaiblie, des changeants et
su-blimes spectacles qu'il a sous les yeux, il doit s'efforcer de
forma-tions géologiques, et ce qui change, les rapides caresses de la
lumière, l'instant fugitif des états d'atmosphère. »
Ces lignes
pourraient servir
decommentaire
à uneimportante
partie
del'œuvre,
déjà considérable, d'unpeintre, bernois d'origine,
mais que l'école genevoiseest
endroit
derevendiquer,
M.Ferdinand
Hodler.
M. Hodler
n'est
guère
connu,hors
de nosfrontières,
que
par
des compositions symboliques quiont été
expo-sées au Champ de Mars et au Rose-Croix, et qu'ilre-garde
lui-même comme sonmeilleur
titre
à lanotoriété.
A
l'en croire,
iln'est
paysagiste
que d'occasion,parce
qu'il faut bienprofiter
de lanature,
puisqu'elle estlà,
parce
qu'il est pénible derester
enfermé dans sonate-lier
pendant l'été,
etparce qu'une
fois qu'on estdehors,
lorsqu'on est
peintre,
quepourrait-on faire
de ses deuxyeux
et de sesdix
doigts sil'on
nepeignait
pas ? Malgré cela, et quoi qu'il en dise, il a l'étoffed'un grand
paysa-giste,
et lestableaux alpestres
qu'il nous a donnéslais-sent
bien loin derrière eux, par leur hardiesse et leurnouveauté,
tout
ce que legenre
aproduit
cesdernières
années, à
l'exception
decertaines
belles toiles, plus connues, de M. Baud-Bovyet
de quelques-unes de cellesde M.
Eugène Burnand,
queleurs
qualités solidessauvent
de la
banalité.
M. Hodler neparait
pas sepréoccuper
de théories il les
réalise d'instinct, grâce
à samer-veilleuse faculté de
création.
Peintre
jusqu'aux moelles,maître
de son outilautant
qu'on peutl'être,
ilregarde,
et il
exprime
ce qu'il voit, sans efforts nirecherche,
avec cette
naïveté, aujourd'hui
sirare,
qui est le don le plusprécieux
del'artiste.
Il
ne se demande pas si lemotif
quil'intéresse
estintime
oupanoramique, s'il
est
s'agira
d'un épisode de la viealpestre,
comme dans uneAvalanche,
que les musées suissesauraient
dû sedisputer,
et qui, enattendant
sonheure, reste
en rou-leau dansl'atelier
de l'auteur un morceau demaître,
pourtant,
dépourvu detout romantisme, malgré
lesujet,
d'une netteté
de vision etd'une
puissanced'exécution
également saisissantes.
Tantôt ce sont des vuesplon-geantes,
comme ce paysage desLacs
deThoune et
deBrienz,
véritable tour
de force qui promène leregard
sur
tout
un coin de la Suisse, avec unesûreté, une
vi-gueur,
un éclat, avec un sens des modalités lumineuses qu'aucun des devanciersn'a
possédé. Ou bien, il s'atta-que à laJungfrau,
et la dresse si solidement que, sansavoir recherché l'impression,
il larend
telle qu'onl'éprouve
àInterlaken,
devant
la cimeharmonieuse
etgéante.
Avec un effort de plus,je
crois, ets'il
don-nait
dans ce sens de toute sa volonté, M. Hodlerferait
faire
à lapeinture alpestre
unprogrès
égal
à
celui qu'elle dut, en son temps, à Calame.V
On voit que, si
l'avenir
de lapeinture alpestre
n'est
pas
assuré,
iln'est
du moins pas désespéré, commecertains
esthéticiens seplaisent
à lerépéter.
Et
vrai-ment,
lesvaillants artistes
qui seconsacrent
à cegenre
sihasardeux
sans querien
arrête
lapersévérance
deleur
effortméritent
bien des éloges.Il
nefaut
pasoublier, en effet, qu'en plus des difficultés techniques que nous avons indiquées, ils
ont
àvaincre
encore des difficultés d'unautre
ordre ils sont auxprises,
chaqueSouvent, c'est
par
de longuesmarches
qu'ils seprépa-rent
autravail,
et ils ne peuventl'aborder
que les membres lassés. Souventaussi, l'orage
ou lesbrouillards
rendent leur
course vaine et font deleur
journée unejournée
perdue.
Aux qualités dupeintre,
ils sont forcésd'unir
celles del'alpiniste,
parfois même celles de l'ex-plorateur ensorte
que les déceptions del'artiste
nesont
pas les seules qui les menacent.Peut-on
doncs'étonner
devoir
l'écolealpestre
se développer pluslentement
que lesautres
écoles de paysage ? Elle se dé-veloppepourtant,
malgré tout,
cherchant
laborieuse-ment son
équilibre,
luttant
contre
les obstaclestechni-ques et
matériels
quiembarrassent
sa voie elle se dé-veloppe avec lesprogrès
del'art,
dont elleest
unebranche,
avec lesentiment
de lanature,
avec le goût de la montagne et, à voir le chemin qu'elle aparcouru
depuis l'époque oùJean Huber,
J.-P.
de la Rive, et Maxde
Meuronl'abordaient
entâtonnant,
àvoir
l'attrait
qu'elle