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Chez Bébert, Paul LOUIS

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Chez Bébert.

Théophile-Henri MATISSE, oui, c’est mon nom. Et non, je n’use point du pinceau. Moi, ce sont mes yeux que j’use, dans une filature, depuis plus de vingt ans. Depuis plus de vingt ans, chanvre et lin je file et je tisse. Théophile file, Matisse tisse et Henri abuse. J’accompagne le mouvement d’une machine qui va et vient et qui revient sans cesse, tel le sabot d’un rabot rabote. Je dévide et file, je file et je dévide. Je regarde défiler les heures, les jours, les mois, les années. Trop d’heures, trop de jours ainsi se sont égrainés — trop de nuits surtout se sont égarées. Quant aux années ! Tournés puis retournés pour retourner encore et tourner sans fin : les grains du sablier ont eu raison de ma raison. Il n’en reste aujourd’hui qu’un grain de folie. Chaque soir, je le fais rouler sur le comptoir, jusqu’au trottoir.

Chaque soir, depuis plus de vingt ans, derrière l’usine je me défile. Vidé, dévidé, je file droit chez Bébert, un bar à vin des plus prospères — un bar où à jeun jamais l’on ne me vit. Là-bas, sur le zinc, j’enfile verre sur verre, je me déglingue, j’y bois jusqu’à trop bu, m’y fais des trous de mémoire comme des trous d’obus. Au petit matin, ma tête bourdonne encore de mes nocturnes abus. Trop d’abus, trous de mémoire et trous d’obus, j’ai le cerveau comme une écumoire. Durant plus de vingt ans de loyaux services, durant des nuits et des nuits d’errance, à mes boyaux j’ai fait subir bien des sévices. Dans les brumes de l’alcool, certains soirs, j’aperçois l’Ankou qui joue sa danse macabre.

— Qu’importe le glas ! me dis-je. Contre les éternelles semaines, ces perpétuelles beuveries ont été l’oxygène, l’essence même de ma vie ; elles ont été le poumon d’acier qui régulait mes nuits, l’air vicié qui étouffait l’ennui.

Qu’importe ! demain, c’en sera fini. Enfin, je respire ; demain, je m’en vais mourir chez les blouses roses ; d’une cirrhose, m’a-t-on dit. Fini ! mon taudis. Finie ! la prison du quotidien. Finie ! l’usine. Bonne nuit les copains, bonjour le pin et la résine. Oh ! peu m’importe de mourir ; je suis serein, car du fond du trou, je pourrai sourire, puisque du néant, par la porte sans verrou, je pourrai sortir. Et là ! chaque soir, derrière le cimetière, je me défilerai, je filerai droit chez Bébert, un bar à vin qui sans moi ne serait plus prospère.

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