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L'héroïque et le quotidien : Hannibal et les autres dans les Alpes

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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On ne peut évoquer le passage d’une armée à travers des Alpes1 sans que viennent aussitôt à l’esprit les exemples célèbres d’Hannibal et de Napoléon. Chefs de guerre téméraires, ils ont entrepris ce que leurs contemporains pré- tendaient impossible ou tout au moins périlleux.

Mais il faut aussi reconnaître que, habiles poli- tiques, ils ont pris soin de laisser à la postérité des récits avantageusement rédigés par leurs historiographes attitrés, ou des images que des

artistes plus ou moins complaisants – et sou- vent stipendiés – ont réalisées à la gloire du chef (et non à celle du malheureux fantassin qui a fait tout le trajet sur ses pieds, parfois déchaus- sés). Tous les Valaisans connaissent le tableau dans lequel David a mis en scène un Napoléon fièrement dressé sur son blanc destrier, mon- tant à la conquête du Grand-Saint-Bernard, de l’Italie, et de la gloire, sur fond de soldats en marche. Oubliés le mulet et le malaise du

p a r M i c h e l T a r p i n

Ha n n i b a l e t l e s a u t r e s d a n s l e s A l p e s

L’héroïque et le quotidien

I

1 Ce texte reprend pour l’essentiel, et en la complétant, ma communication présentée au Grand-Saint-Bernard lors du colloque « Les Alpes à la croisée des regards », organisé par la Société d’Histoire du Valais Romand, dont je remercie le président, Jean-Henr y Papilloud, pour son invitation. Les textes mentionnés ne sont pas tous cités : on les trouvera dans TA R P I N, BO E H M, CO G I T O R E, EP É E, RE Y, 2000. Les amateurs y trouveront les textes latins ou grecs originaux correspondant aux traductions données ici. Sauf mention contraire, les traductions sont de l’auteur.

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général, comme les pieds gelés de la troupe. Le faible nombre des épisodes auxquels on pense d’emblée pourrait d’ailleurs laisser croire que l’exploit était rare, ce qui est indispensable à l’héroïsme. Pourtant, à y regarder de plus près, faire passer un col alpin à des dizaines de mil- liers d’hommes est assez vite devenu presque banal. Mon propos est ici de montrer que l’ex- ploit, et plus particulièrement celui d’Hannibal, tient plus au récit qui en est fait qu’à l’acte même.

Pour Hannibal, qui sert de référence à tous ceux qui ont suivi, on sait qu’il avait entretenu une assimilation entre lui-même et Hercule, grand ouvreur de routes nouvelles, et premier héros légendaire à avoir passé les Alpes avec une troupe2. Pourtant, dès l’Antiquité, on contesta la portée de l’exploit. Certains le firent sournoise- ment, comme Dion Cassius (IIIes. après J.-C.), qui rappelle en passant qu’Hannibal était le pre- mier des non-Européens à être passé avec une armée, ce qui sous-entend qu’il n’était en fait pas le premier3. D’autres le firent plus scien- tifiquement, comme Polybe (IIes. avant J.-C.),

qui critique le travail de ses collègues historiens, surtout sans doute Chéréas, Silénos et Sosylos – trois auteurs dont l’œuvre nous est perdue –, et les accuse d’avoir magnifié la geste du Carthaginois sans respect pour la vérité historique4. Plus généralement, il reproche aux autres his- toriens de ne pas s’être documentés – alors qu’il est allé lui-même sur place (sans doute en 151 avant J.-C.) – et d’avoir oublié que les Gaulois étaient passés auparavant à plusieurs reprises, parfois avec femmes et enfants5.

L E S G A U L O I S A V A N T H A N N I B A L

En effet, le premier voyage transalpin des Gaulois aurait eu lieu, selon les sources, soit déjà vers 600 avant J.-C., soit, plutôt, vers 400 avant J.-C. Peu importe pour notre pro- pos6. Malheureusement, les sources ne préci- sent ni les effectifs de ces Gaulois, ni les che- mins empruntés. On admet aujourd’hui qu’ils sont probablement passés en plusieurs fois, et sans doute en se répartissant entre plusieurs cols.

On pourra se reporter aux cartes proposées par L. Pauli pour ce qui est des principales voies de communication transalpines protohisto- riques, sans doute couramment fréquentées par des commerçants7. Pour cet archéologue, par exemple, le Grand-Saint-Bernard aurait été fréquenté dès le Premier Age du Fer, ce qui expliquerait, entre autres, le développe- ment de Châtillon-sur-Glâne. Les sources, lorsqu’elles donnent des indications, montrent que les Gaulois n’auraient pas toujours emprunté les chemins les plus directs aujourd’hui. Ainsi, les compagnons de Bellovèse (un neveu du roi des Bituriges), partis peut-être du centre de la France, seraient passés par le territoire des Tricastins (Vaucluse actuel) et celui des Taurini du Piémont italien, tandis qu’un autre groupe parvenait du côté de Brescia, sans doute à tra- vers un col des Alpes Rhétiques (Tite-Live, 5, 34-5). Que l’épisode soit le fruit d’une recons- truction historique plus tardive n’ôte rien au fait que l’on ait considéré ces voies comme précocement praticables.

I

2 La légende d’Hercule a connu divers développements, qui ont conduit les érudits antiques à imaginer que les Alpes Grées, c’est-à-dire le Petit-Saint-Bernard, tireraient leur nom (de Graius: Grec) du passage d’Hercule, et que certains peuples étaient issus des compagnons du héros abandonnés en route, comme les Lépontiens. PL I N E L’AN C I E N, Histoires Naturelles, 3, 20 (24), 133-134.

3 DI O NCA S S I U S, 13, 54, 10 :

« Premier des non-Européens, autant que nous sachions, [Hannibal]

traversa les Alpes avec une armée. »

4 PO LY B E, 3, 20. Le débat, chez Polybe,

prend prétexte de la geste d’Hannibal pour critiquer de manière plus générale tout un courant historique, qui nous est presque intégralement perdu, mais dont le représentant le plus célèbre est Douris de Samos.

Ce courant visait à donner à l’histoire une teinte tragique, bien éloignée de l’analyse politique, préconisée par Thucydide et bien entendu par Polybe (voir, entre autres, le paragraphe méthodologique en 3, 57). Chéréas est inconnu en dehors de cette citation de Polybe. Le Sicilien Silénos et le Lacédémonien Sosylos avaient accompagné Hannibal.

5 PO LY B E, 3, 48. De manière amusante,

Hannibal, dans le discours que lui prête Tite-Live (21, 30, 8), explique de même à ses hommes que la traversée des Alpes n’est pas insurmontable, puisque les Gaulois l’ont fait récemment. La contradiction interne ne gêne ni Tite-Live ni la plupart des Modernes.

6 On pourra se reporter, par exemple,

à BO C Q U E T1991, pp. 91-156;

GA M B A R I1991 pp. 401-414;

PA U L I1991a, pp. 215-219;

VI TA L I1991, pp. 220-235;

VE R G E R1998, pp. 619-632.

7 PA U L I1991b, pp. 291-309.

Intaille en calcédoine de couleur verte représentant Hercule couvert par la léontè (peau de lion), découverte en 1976 à Martigny (Photo Archéologie cantonale, Martigny)

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(3)

I

8 PO LY B E, 2, 21, 3-5. L’effectif n’est pas

donné, mais ces Gaulois étaient assez nombreux pour affronter les Boïens, révoltés contre leurs chefs, en une dispute fratricide. Or les Boïens formaient un des peuples les plus puissants de Cisalpine.

9 PO LY B E, 2, 23; FA B I V SPI C T O R, fgt. 19b Jacob. = 31b F.

= 30a Chassignet; TI T E-LI V E, Periochae, 20, 9; PL I N E L’AN C I E N, Histoires Naturelles, 3, 20, 138. Le chiffre est énorme et on considère plutôt qu’il représente un inventaire de tous les Romains et alliés mobilisables.

10Je désigne par ce nom l’ensemble des cols de ce secteur des Alpes comprenant la zone Mont Genèvre – Mont Cenis : les discussions pointilleuses à propos des cols voisins qui peuvent aussi être empruntés (Clapier, Petit Mont Cenis, etc.) ne me paraissent pas d’un intérêt majeur et ne concernent en aucun cas notre propos.

11TI T E-LI V E, 39, 22, 6-7; 39, 45;

39, 54-5.

12Très nombreuses sources, parmi lesquelles : PO LY B E, 2, 23; TI T E-LI V E, Periochae, 68, 6-7 (140 000 tués, 90 000 prisonniers); VE L L E I V S

PAT E R C V LV S, 2, 12, 5 (au total plus de 100 000 tués et captifs); FL O R V S, 1, 38 (3, 3), 14 (65 000 tués).

13ZI O L K O W S K I1990, pp. 15-36.

14IIIes. avant J.-C. PE T E R1967, ad.

loc., écrit de lui qu’il était comme l’ombre de Fabius Pictor. A en croire Tite-Live, il ne serait pas très fiable.

Il n’est pas cité par Polybe parmi ses sources, mais il est utilisé par Denys d’Halicarnasse.

Entre 238 et 232 avant J.-C., des Gaulois transalpins vinrent à l’aide des chefs boïens, qu’il rencontrèrent à Rimini8. Ils avaient dû passer par le Brenner, le Plöckenpass, ou éventuelle- ment un col rhétique. La bataille de Télamon, en 225 avant J.-C. voit l’écrasement d’une troupe composée d’Insubres (région de Milan) et de « Gésates » transalpins. La panique provoquée par cette invasion avait conduit Rome à une mobilisation générale, qui aurait dépassé 700 000 hommes9. Aucun chiffre n’est avancé pour ce qui est de l’« immense armée » des Gaulois, mais Plutarque (Marcellus,6, 3;

IIes. après J.-C.) précise que les Transalpins étaient plus nombreux que les Insubres de Cisalpine, soit sans doute plusieurs dizaines de milliers.

Entre 225 et 222 avant J.-C., les Gaulois de Cisalpine louèrent 30 000 mercenaires rho- daniens qui vinrent les rejoindre dans la région de Milan (Polybe, 2, 34, 2). Le Grand-Saint- Bernard paraît alors le col le mieux placé, mais on ne saurait exclure le Petit-Saint-Bernard, moins apprécié cependant durant l’Antiquité.

Ces deux cols aboutissent directement chez les Insubres, qui avaient lancé l’appel à l’aide, et sont donc sans doute à préférer au Mont Genèvre10.

Après Hannibal, des Gaulois franchissent encore en forts effectifs des cols des Alpes orientales. En 186 avant J.-C., un petit groupe tente de s’établir en Vénétie, dans les environs de la future Aquilée11. Ce sont 12 000 hommes en armes, soit, avec femmes et enfants, entre 36 000 et 48 000 individus environ. Enfin, et surtout, en 102/101 avant J.-C., les Cimbres parviennent en Vénétie, très certainement par le Brenner. Ils se concentrent en tout cas dans la haute vallée de l’Adige et sont plusieurs dizaines de milliers. Officiellement, leur nombre varie entre 100 000 et 230 000, tués pour la plupart durant la bataille de Vercelli12. Même en admettant avec A. Ziolkowski13 que les chiffres des tués sont fréquemment triplés, il faut admettre qu’au bas mot quelque 50 000 barbares ont franchi le Brenner – et sans doute des petits cols voisins – en plein hiver, avec femmes et enfants.

H A N N I B A L S ’ É G A R E D A N S L E S A L P E S

Peu après la dernière « invasion » gauloise de 225 avant J.-C., Hannibal réalise la double traver- sée des Pyrénées puis des Alpes. Les effectifs de l’armée punique ont été discutés dès l’Antiquité.

Cincius Alimentus14, rapporté avec des réserves par Tite-Live, évoquait une armée pléthorique de quelque 80 000 fantassins et 10 000 cavaliers.

Tite-Live (21, 38, 2-4) considère, sans doute avec raison, que Cincius avait compté aussi les Gaulois et Ligures qui s’étaient joints à Hannibal dans la plaine du Pô. Il ajoute que, selon ses sources, les effectifs varient entre 20 000 fan- tassins pour 6000 cavaliers et 100 000 fantas- sins pour 20 000 cavaliers : les deux paraissent excessifs. Les chiffres de Polybe sont beaucoup plus raisonnables, puisqu’il compte 90 000 fan- tassins et 12 000 cavaliers au départ de l’Espagne (3, 35, 1), 50 000 fantassins et 9000 cavaliers après le passage des Pyrénées (3, 35, 7) et 38 000 fantassins et 8000 cavaliers survivants après le passage du Rhône (3, 60, 5). Le chiffre donné par Polybe au passage du Rhône est d’autant plus intéressant que Cincius Alimentus, qui avait été prisonnier d’Hannibal, disait avoir entendu le Punique dire qu’il avait perdu 36000 hommes après la traversée du Rhône : un chiffre du même ordre. Il a donc pu y avoir une confu- sion dans les sources, sans doute de la part de Cincius. Par ailleurs, Hannibal aurait placé une inscription sur une colonne au cap Lacinia, près de Crotone, sans doute dans le temple d’Héra (Polybe, 3, 33, 18 et 56, 4), sur laquelle il aurait indiqué être arrivé dans la plaine du Pô avec 12 000 Africains, 8000 Ibères et 6000 cavaliers, soit 26 000 hommes au total, contre les 46 000 que comptait Polybe au moment de pénétrer dans les Alpes, soit quelque 40 % de perte dans les Alpes, ce qui n’est pas in- cohérent en regard des pertes subies dans les Pyrénées, et correspond au taux de perte donné par Polybe pour la traversée des Alpes, et sans doute déduit de l’inscription. Ce fastidieux décompte a l’intérêt de nous montrer que les Carthaginois n’étaient sans doute pas plus

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nombreux que les Gésates qui avaient passé les Alpes sept ans auparavant, et surtout qu’Hannibal avait eu des pertes effroyables, puisqu’il avait laissé près des trois quarts de ses hommes (morts ou déserteurs) en cours de route : c’est un record.

Alors, où est l’exploit ? Ce n’est en tout cas pas la vitesse qui a pu paraître exceptionnelle.

Hannibal a mis dix-sept ou dix-huit jours pour franchir la crête des Alpes, et au total cinq ou six mois d’Espagne à la plaine du Pô, alors que son frère cadet Hasdrubal n’aura besoin, en 207 avant J.-C., que de deux mois pour amener 60 000 hommes en Italie, dont peut-être quinze jours pour traverser les Alpes15. Nous ne disposons pas de données précises sur le temps passé par Hasdrubal dans les Alpes, mais les sources insistent sur la facilité de la traversée, alors que l’effectif était supérieur de 30 % à celui d’Hannibal. A titre d’indica- tion, on retiendra que Scipion (le père du futur Africain), avait eu le temps de redescendre à Marseille, de naviguer jusqu’à Gênes, et de se rendre à Pavie pour attendre Hannibal, pendant que ce dernier passait les Alpes.

Certaines sources évoquent le fait qu’Hasdrubal a profité de la route ouverte en pleine nature par son aîné, mais ce propos est de toute évi- dence tendancieux et vise à éviter à Hannibal la honte de n’avoir pas pu réussir ce que son frère cadet a réalisé. Dans les faits, nous savons qu’Hannibal disposait d’un certain nombre d’atouts. Il avait pris soin d’envoyer des explo- rateurs en reconnaissance, et ceux-ci avaient repéré le chemin et affirmé qu’il était difficile mais praticable, alors qu’ils l’avaient eux- mêmes accompli, sans doute en plein hiver 219/218 ou au plus tard au printemps 218 avant J.-C., en tout cas dans la neige16. Les ambassadeurs qu’il avait envoyés en Cisalpine ont pu faire l’aller-retour dans des délais très raisonnables. Les ambassadeurs gaulois de Cisalpine avaient promis de l’aide et garanti la possibilité de traverser17. La saison n’a pu gêner Hannibal qu’en fin de parcours, quand la neige a commencé à tomber. L’hostilité des Gaulois pouvait être désarmée, comme Hannibal

lui-même avait su le faire avec les Allobroges, et comme le fit Hasdrubal, qui avait négocié son passage.

A se concentrer sur la question un peu artifi- cielle de l’identification du col emprunté par Hannibal, la recherche historique a un peu négligé un passage de Dion Cassius (IIIe s.

après J.-C.) et une remarque d’Ammien Marcellin (IVe s. après J.-C.), qui précisent un point sous-entendu par Tite-Live. La méfiance du chef punique, qui lui permet d’échapper à l’em- buscade gauloise, ou du moins d’en limiter les dégâts18, le conduit aussi à se défier des guides gaulois et apparemment de ses propres explorateurs. Si nos sources ne disent mot de ces derniers, même pas pour expliquer leur

« disparition », c’est sans doute qu’ils n’ont pas pu jouer le rôle qui aurait dû être le leur dans les Alpes. Dion Cassius écrit qu’Hannibal, par méfiance, quitta le chemin prévu :

Ha n n i b a l , e n s e h â t a n t d e q u i t t e r c e s l i e u x [les rives du Rhône] pour se rendre en Italie, s e m é f i a i t d e s r o u t e s p l u s d i re c t e s e t s’ e n d é t o u r n a , m a i s e n d u ra u n e s i t u a t i o n t r è s p é n i b l e s u r l’ i t i n é ra i re q u’ i l p r i t . Ce s m o n - tagnes-là sont en effet très escarpées, et la neige, qui était tombée en abondance, accumulée par l e ve n t d a n s l e s g o r g e s , l e s f i t s o u f f r i r t e r r i - b l e m e n t , a i n s i q u e l a g l a c e , p r o d u i t d’ u n gel intense; et beaucoup d’entre ses soldats péri- rent par suite du mauvais temps et du manque de vivres, tandis que beaucoup d’autres ren- t ra i e n t c h e z e u x . Il y a u n r é c i t s e l o n l e q u e l il aurait fait lui aussi demi-tour, s’il n’avait pas trouvé que la route qu’il lui aurait alors f a l l u p a rc o u r i r é t a i t p l u s l o n g u e e t m o i n s aisée que celle qui restait [devant lui]. C’est b i e n p o u r c e t t e ra i s o n q u’ i l n e f i t p a s d e m i - t o u r, m a i s q u’ i l re m p l i t l e s Ro m a i n s d’ é t o n - n e m e n t e t d e c ra i n t e e n a p p a ra i s s a n t s o u - d a i n a u d é b o u c h é d e s Al p e s19.

Ammien Marcellin est moins clair, mais indique bien qu’Hannibal a laissé ses guides et emprunté une route nouvelle :

C o n s i d é ra n t n é a n m o i n s l’ i n t é r ê t g é n é ra l , i l [ c’ e s t - à - d i r e Pu b l i u s C o r n é l i u s S c i p i o n , p è re d e l’ A f r i c a i n ] e n g a g e a s o n f r è re à s e

I

15DIODORE DESICILE(Iers. avant J.-C.), 25,

19, 1 = TZ E T Z E S, Histoires, 1, 49-52.

16PO LY B E, 3, 34, 4-6 : « C’est pourquoi

il s’attachait à cet espoir [l’hostilité des Gaulois à l’égard de Rome], et promettait toutes sortes de choses, en prenant soin d’envoyer des ambassadeurs chez les chefs des Celtes, ceux qui habitent de ce côté [du point de vue de Polybe, qui est à Rome], et ceux qui habitent dans les Alpes. Il ne lui paraissait possible de mener la guerre en Italie contre les Romains que s’il par venait à traverser les difficultés du terrain pour arriver dans les endroits prévus, et qu’avec l’aide et l’alliance des Celtes pour l’entreprise qu’il s’était fixée. En revenant, ses envoyés lui apprirent la bonne volonté et l’attente des Celtes, et lui dirent que le passage des reliefs des Alpes était pénible et particulièrement difficile, mais pas impossible. Il tira ses troupes de leurs quartiers d’hiver à l’approche du printemps ».

AP P I E N, Hispanica (= Hist., 6), 3, 13 :

« Il envoya des ambassadeurs aux Gaulois et fit examiner les passages des Alpes ». Polybe insiste en outre sur le fait qu’Hannibal ne bénéficiait d’aucune aide surnaturelle, mais qu’il avait fait en professionnel son travail de commandant (3, 48).

17PO LY B E, 3, 44, 5-7 : « Quant à lui,

après avoir rassemblé ses troupes, il introduisit les roitelets de l’entourage de Magilos – ceux-ci, en effet, étaient venus vers lui depuis la plaine du Pô – et il fit expliquer à la foule par un interprète ce qu’ils avaient décidé. Dans ce qui fut dit alors, parmi les choses propres à assurer la confiance du grand nombre, la première était la vue évidente des ressources de gens qui étaient venus à eux et qui promettaient leur aide pour la guerre contre les Romains; ensuite, ce qui leur paraissait digne de foi, qu’ils seraient guidés à travers de tels endroits, où ils ne manqueraient de rien de nécessaire pour faire une marche à la fois rapide et sûre vers l’Italie ».

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rendre en Espagne afin de contenir Hasdrubal, p a re i l l e m e n t s u r l e p o i n t d e d é b o u c h e r d e l à - b a s . Ha n n i b a l e n f u t i n f o r m é p a r d e s transfuges et, en homme à l’esprit prompt et h a b i l e , s o u s l a c o n d u i t e d’ h a b i t a n t s d e l a r é g i o n d e Tu r i n , i l a r r i va , p a r l e Tr i c a s t i n et les confins du pays des Voconces, aux défi- l é s d e s Tr i c o re s . L o r s q u’ i l e n f u t s o r t i , i l emprunta une autre route, jusqu’alors infran- c h i s s a b l e . Il s e f ra y a u n p a s s a g e à t ra v e r s une roche d’une hauteur immense, qu’il réus- sit à dissoudre en la consumant par de puis- s a n t e s f l a m m e s e t e n y ve r s a n t d u v i n a i g re , p u i s i l s u i v i t l e c o u r s d e l a D u ra n c e re n d u d a n g e r e u x p a r d e s t o u r b i l l o n s e r ra n t s e t o c c u p a l e p a y s é t r u s q u e20.

Il situe ce moment avant la remontée du cours de la Durance, ce qui paraît surprenant et obli- gerait à supposer un chemin compliqué entre le Drac et la Durance, en passant par les

« confins des Voconces », soit entre la haute Drôme et le Buech. Cela contredit Tite-Live, pour qui les difficultés ont commencé plus tard. En effet, c’est après avoir remonté la Durance qu’Hannibal se heurte aux indigènes.

A cette occasion, Tite-Live signale en passant (21, 32, 10) que le Carthaginois envoie des éclai- reurs gaulois en reconnaissance. Il a donc alors quitté le chemin indiqué par les Cisalpins et par ses propres explorateurs et doit se résoudre à chercher son chemin au jour le jour.

On comparera avec le résumé par Appien de la traversée d’Hasdrubal :

Pe n d a n t c e t e m p s , Ha s d r u b a l , a ve c l’ a r m é e q u’ i l a va i t re c r u t é e c h e z l e s Ce l t i b è re s , p a r - v i n t e n It a l i e . L e s Ce l t e s l’ a y a n t a m i c a l e - ment accueilli, il traversa les Alpes par le che- m i n o u v e r t p r é c é d e m m e n t p a r Ha n n i b a l , r é a l i s a n t e n d e u x m o i s c e q u i e n a va i t p r i s s i x à Ha n n i b a l21.

Silius Italicus décrit un voyage qui tient plus du tourisme que de l’expédition à hauts risques : Et déjà, l’hiver approchant de sa fin, la sai- s o n c o m m e n ç a i t à s’ a d o u c i r. D è s l o r s , a va n - çant d’un pas rapide à travers les campagnes c e l t e s , i l a d m i re l e s Al p e s q u i f u re n t d o m p - tées, l’escarpement des passages ouver ts dans

l a m o n t a g n e , i l re c h e rc h e l e s t ra c e s d e s p a s d’Hercule et compare les routes ouver tes par s o n f r è re à c e l l e q u e l e d i e u o s a e m p r u n t e r.

Puis, une fois arrivé au sommet, il vint s’as- seoir au bivouac d’Hannibal : « Quels murs, d i t - i l , q u e l s m u r s , j e t e p r i e , Ro m e d re s s e - t - e l l e a s s e z h a u t p o u r q u e , m a i n t e n a n t q u e m o n f r è re a va i n c u c e s m u ra i l l e s , i l s re s t e n t d e b o u t ? »22.

La prière finale valorise opportunément l’ex- ploit d’Hannibal que le voyage d’Hasdrubal démentait trop évidemment.

Il y a donc de toute évidence une exagération volontaire dans le récit du passage d’Hannibal.

Il se trouve que ses propres historiographes et ceux du parti romain avaient des intérêts convergents. Les premiers faisaient d’une erreur tactique – quitter un chemin balisé dans les Alpes – la preuve de l’héroïsme, et distin- guaient ainsi le passage d’Hannibal de celui, somme toute banal, des Gaulois qui l’avaient précédé. Les seconds devaient justifier l’im- pressionnante séquence de défaites qui ont marqué l’arrivée du Punique en Italie23. En fai- sant d’un ennemi, certes général hors pair, l’équivalent du demi-dieu Hercule, ils expli- quaient que leurs meilleurs généraux n’aient rien pu faire jusqu’à l’intervention de Fabius Maximus. Hasdrubal, qui disposait de troupes supérieures en nombre, visiblement moins usées par le trajet, et qui était arrivé plus vite, eut le malheur de se faire massacrer à peine par- venu en Italie, lors de la bataille de Sena Gallica, où il dut affronter les deux armées consulaires simultanément. Il n’était donc nul besoin d’hé- roïser le cadet autant que l’aîné.

D E S R O M A I N S S U R

L E S T R A C E S D ’ H A N N I B A L Un des éléments qui ont contribué à la légende du chef carthaginois est le fait que les Romains avaient évité de le poursuivre dans les Alpes, et n’y passèrent que bien après. Mais, là encore, il faut relativiser le contraste. D’une part le ter- rain de montagne était très peu propice aux manœuvres de la légion, d’autre part, nous

I

18PO LY B E, 3, 52-53; TI T E-LI V E, 21, 34-35.

Mais on peut soupçonner dans ce récit aussi une certaine complaisance à l’égard d’Hannibal. Il se méfie, mais n’est pas vraiment capable d’affronter les indigènes et reste une nuit coupé de ses hommes avant de pouvoir reprendre le dessus avec de lourdes pertes.

19ZO N A R A S, 8, 23 (DI O NCA S S I V S, 14), trad. André-Louis Rey.

20AM M I E NMA R C E L L I N, 15, 10, 11, trad. David Epée.

21AP P I E N, Hannibalica (= Hist., 7) 8, 52,

221.

22SI L I V SITA L I C V S, Punica, 15, 502-510, trad. David Epée.

23AM P E L I V S(IIes. après J.-C.), 28, 4 :

« Hannibal, qui avait suivi son père pendant neuf ans en Espagne, fut fait général alors qu’il n’avait pas quinze ans, accumula les victoires pendant trois ans en Espagne, et, après avoir rompu le traité par la prise de Sagonte, vint en Italie à travers les Pyrénées et les Alpes; il triompha de Scipion à Liternum, de Tibérius Claudius sur la Trébie, de Flaminius au [lac] Trasimène, de Paulus et Varron à Cannes, de Gracchus en Lucanie et de Marcellus en Campanie ».

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l’avons vu, Scipion, sans son armée, il est vrai, avait fait le tour des Alpes aussi vite qu’Hannibal les avait traversées. En outre, les risques de pertes paraissaient plus importants dans la montagne qu’en mer24. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’Hannibal n’a choisi cette voie que pour créer un effet de surprise et éviter d’af- fronter des Romains avant d’être en Italie.

Pour les Romains, dont les intérêts se situaient alors en Italie, la traversée des Alpes ne pré- sentait pas d’intérêt particulier. Lorsqu’ils iront en Espagne ou même en Provence, la voie de mer sera plus rapide et plus confortable.

Inversement, dès que la traversée des Alpes présentera un intérêt stratégique quelconque,

ils s’y risqueront, avec moins de pertes qu’Hannibal. En 171 avant J.-C., le consul Caius Cassius Longinus emmène son armée – soit sans doute deux légions d’environ 5000 hommes – rejoindre le Danube depuis Aquilée, par les Alpes Juliennes ou les Alpes Carniques.

En 154 avant J.-C., le consul Quintus Opimius mène une armée au secours des comptoirs marseillais. Parti de Plaisance, il passa, nous dit- on, par les sommets des Appenins pour par- venir dans l’arrière-pays de Nice. Il faut sans doute comprendre qu’il a emprunté soit la voie côtière – peu commode – par Vintimille, soit un col des Alpes méridionales pour prendre à revers les indigènes. Ce pourrait même être

I

24C’est sans doute ce que veut dire

PO LY B E, 3, 58, 6, que je

comprends comme D. Roussel :

« Les voyages par mer comportaient alors mille périls et les voyages par terre étaient encore bien plus dangereux », alors que J. de Foucault traduit l’inverse. Dans la mesure où Polybe est en train d’expliquer pourquoi le voyage d’Hannibal paraissait incroyable, la première traduction paraît plus justifiée.

Bourg-Saint-Pierre

(Photo André Kern, Médiathèque Valais – Martigny) I

(7)

le Mont Genèvre puis la voie de Digne au Var.

La mention des Appenins serait une erreur de Polybe due à une confusion entre deux mas- sifs montagneux peu distincts vus de Rome.

Cependant, dans les mêmes années, Polybe avait reconnu la route d’Hannibal, qu’il juge peu confortable mais praticable : il connaissait donc le secteur. La confusion s’expliquerait bien si Opimius était passé par la Ligurie et les Alpes Maritimes, là où Appenins et Alpes se rejoignent.

Entre 125 et 121 avant J.-C., des armées romaines venues à l’aide de Marseille, en conflit chronique avec les Sallyens de Provence, se heurtent à plusieurs reprises aux Voconces

(Drôme et nord Vaucluse) et aux Allobroges (entre le Rhône et l’Isère). C. Jullian soup- çonnait, d’après l’ordre des peuples vaincus, que les armées romaines étaient passées par le Mont Genèvre25. A vrai dire, nos sources ne donnent pas d’indication précise, et ce point est encore discuté26, mais l’opposition farouche des Voconces et des Allobroges s’expliquerait mieux si des armées romaines étaient passées chez eux, et surtout si ces peuples avaient pu craindre d’être dépos- sédés de leurs revenus routiers27. Enfin, il n’est pas exclu que l’une ou l’autre de ces immenses armées romaines massacrées par les Cimbres et les Teutons dans les environs de Lyon en 109, non loin d’Agen en 107 et à proximité d’Orange

I

25JU L L I A N1993, p. 11.

26GO U D I N E A U2000, p. 55;

SO R I C E L L I1995, pp. 29-30.

27Voir le célèbre article de VA NBE R C H E M

1956, pp. 199-208 = VA NBE R C H E M

1982, pp. 67-78.

Pain de sucre

(Photo Benedikt Rast, Médiathèque Valais – Martigny) I

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en 105 avant J.-C., ou même celle qu’avait amenée Marius et qui triompha des Teutons en 102 avant J.-C. à Aix-en-Provence, soient passées par les Alpes. Les sources sont mal- heureusement muettes à ce propos.

Par la suite, la traversée en grands effectifs devient pratiquement banale, quelle que soit la saison. En 77, Pompée ouvrit – c’est lui qui l’affirme – une nouvelle route dans les Alpes, en massacrant force Gaulois28: les pertes sont chez les indigènes et non chez les voyageurs.

César, en 58 avant J.-C., passe en urgence avec cinq légions (au bas mot 25 000 hommes29), sans doute par le Mont Genèvre30, peut-être après un essai par le Petit-Saint-Bernard31, et en bataillant contre les indigènes. Il passera de nouveau les Alpes durant l’hiver 53/52 avant J.-C., peut-être sans troupes, pour faire face à la révolte de Vercingétorix, puis à son retour en Italie en 50 avant J.-C., suivi, durant l’hiver, par au moins deux légions32. Passons sur d’autres exemples qu’il serait inutile d’énu- mérer. Mais on sait qu’en 43 avant J.-C., à la suite de la bataille de Modène (en avril), qui

vit la défaite partielle de Marc-Antoine et la mort des consuls en charge, les Alpes prirent une allure de boulevard33. Marc-Antoine prit la fuite vers la Gaule, sans doute par les Alpes Maritimes, précédé de son frère Lucius, et suivi de son ami Ventidius, avec trois légions.

Il était poursuivi, à pas lents, par Décimus Brutus, qui emprunta sans doute le Petit-Saint- Bernard (il était passé par Ivréa) avec sept légions. Peu après, Marc-Antoine, qui avait reçu l’adhésion des troupes de Lépide rentra en Italie avec dix-sept, ou plutôt onze légions.

Ainsi, entre le printemps et le début de l’été, plusieurs dizaines de milliers de soldats ont franchi les Alpes dans les deux sens sans dif- ficultés majeures. Les routes alpines, à l’époque, n’étaient pas encore carrossables, puisque le Mont Genèvre fut aménagé par Cottius quelques années plus tard, le Petit-Saint-Bernard par Auguste, ainsi que la voie de la côte, si l’on en croit le monument de La Turbie, et le Grand- Saint-Bernard, sans doute par Claude. Les conditions n’étaient donc pas si différentes de celles qu’avait rencontrées Hannibal.

H A N N I B A L C O M M E

P R O T O T Y P E L I T T É R A I R E

Les passages de ces armées romaines ne don- nent pas lieu à des récits héroïques. Tout au plus souligne-t-on parfois que les conditions furent difficiles. Ainsi, lorsque Marc-Antoine quitta en hâte Modène pour rejoindre Lépide à Fréjus, il dut faire avancer à marche forcée une armée qui n’avait pas de quoi se nourrir (Plutarque, Antonius, 17, 6). En revanche, les panégyriques dont nous disposons, et qui, à l’exception de celui qu’avait écrit Pline-le-Jeune en l’honneur de Trajan, sont tous du IVe s.

après J.-C., reviennent à une pratique du récit héroïsé. Cette évolution est d’autant plus inté- ressante que les Alpes sont alors régulièrement traversées par des troupes importantes, et que les routes ont été aménagées depuis longtemps.

Le récit épique de la traversée des Alpes appar- tient donc, de manière patente, au registre de la rhétorique et de la propagande impériales.

I

28VA R R O N(Iers. avant J.- C.), chez SE R V I V S, Aeneis, 10, 13;

SA L L U S T E(Iers. avant J.- C.), Epistulae, 4 = Historiae, II, 98 M., 4; CI C É R O N

(Iers. avant J.- C.), De lege Manilia, 11, 30; LU C A I N(Ier s. après J.- C.), 8, 808-810; AP P I E N, Bellum ciuile, 1, 13, 109.

29Les calculs d’effectifs, lorsque par chance nous disposons du nombre de légions concernées, restent passablement imprécis, car l’effectif théorique de 6000 hommes de la légion césarienne paraît avoir été un maximum plutôt qu’un nombre fixe.

J’ai adopté arbitrairement un chiffre de 5000 hommes environ, en considérant que, dans ce cas, les légions étaient neuves. Par la suite, certaines légions subiront parfois des pertes telles qu’elles ne pourront participer à la campagne pendant un an.

30RI C EHO L M E S1899, 29, p. 309,

JU L L I A N1993, p. 202; PR I E U R1969, p. 117; VA NBE R C H E M1982, 81, p. 193; ZA N O T T O1986, p. 25; RÉ M Y, BA L L E T, FE R B E R1996, p. 57.

31WA L S E R1986, p. 12; WA L S E R1994,

p. 27; LE T TA1976, p. 60.

32Mais Plutarque (Caesar, 32, 1), suivi par Appien (Bellum Ciuile, 2, 4, 32) parle de « seulement 5000 fantassins et 300 cavaliers ».

33Je renvoie au dossier publié dans TA R P I N, BO E H M, CO G I T O R E, EP É E, RE Y

2000, pp. 108-112. Voir aussi SY M E

1967; BO T E R M A N N1968, pp. 109-130.

L’empereur Maximien, co-régent de l’Empire avec Diodétien (286-305 après J.-C.) Monnaie découverte en 1979 à Martigny (Photo Archéologie cantonale, Martigny) I

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Il suffira d’en citer un exemple particulièrement significatif, un panégyrique de Maximien Hercule, qui évoque le passage du Mont Genèvre par Maximien et des Alpes Juliennes par Dioclétien, alors que les deux empereurs conver- geaient sur Milan durant l’hiver 290/291 : C ’ é t a i t a u m o m e n t o ù n o s re g re t s e t n o t re a m o u r s u i va i e n t vo t re m a rc h e e n p l e i n s o l - stice d’hiver, à travers ces crêtes des Alpes toutes vo i s i n e s d u c i e l , d o n t l a n a t u re a f a i t u n re m p a r t à l’ It a l i e , à t ra ve r s c e s ro c h e r s e t l ’ é p a i s s e u r d e s g l a c i e r s p l u s d u r e q u e l e s ro c h e r s , o ù n o u s s o n g i o n s q u e vo u s s u b i s s i e z l’ i n j u re [ d e s i n t e m p é r i e s ] à l a q u e l l e vo t re v a i l l a n c e d e m e u r e i n s e n s i b l e3 4. Ta n t f u t g ra n d e l a f a c i l i t é a v e c l a q u e l l e v o u s a v e z f ra n c h i c e s o b s t a c l e s q u i p o u r d’ a u t re s e u s - s e n t é t é à c e m o m e n t i n s u r m o n t a b l e s e t t ra - ve r s é , l u i , l e s Al p e s Ju l i e n n e s , t o i , l e s Al p e s Cottiennes, comme des plages abandonnées par la marée sur des rivages découverts. Et main- tenant, que l’on nous vante les exploit d’au- t re f o i s e t q u e l’ o n s’ é t o n n e q u e l e f a m e u x Ha n n i b a l s e s o i t f ra y é u n c h e m i n à t ra ve r s les Alpes au prix de mille effor ts et de per tes c o n s i d é ra b l e s p o u r s o n a r m é e . Vo u s , i n v i n - c i b l e s e m p e re u r s , vo u s a ve z , p o u r a i n s i d i re seuls, ouver t devant vos pas divins les routes des Alpes fermées par les neiges d’hiver, comme j a d i s He rc u l e e m m e n a , s a n s u n c o m p a g n o n , à t ra ve r s c e s m ê m e s s o m m e t s , l e s d é p o u i l l e s d e l’ Hi b é r i e35.

On remarquera l’utilisation de deux épisodes précis pour bâtir la comparaison en faveur des empereurs : Hannibal et Hercule. Le passage du Punique rejoint le voyage du demi-dieu dans l’histoire héroïque des Alpes. Et l’on sait que pour les Romains l’histoire se confon- dait aisément avec le mythe. Hannibal avait utilisé le mythe d’Hercule pour construire sa propre légende, à tel point que les Anciens attribuaient à chacun de ces héros un col par- ticulier36.Hasdrubal, en passant, recherche les traces du fils de Zeus en même temps que celles de son frère, et évoque les murs invin- cibles de Rome qui résistent à celui qui a

rompu la muraille des Alpes37. Hannibal avait tenté de montrer qu’il valait, voire dépassait le Grec. Maximien et Dioclétien le dépassent à leur tour. Lorsque Constance II affronta l’usurpateur Magnence, établi à Aquilée, en 352-353, il dut passer les Alpes Juliennes.

Julien, le futur « Apostat », ne manque pas de signaler que l’empereur en personne décou- vrit un chemin inconnu pour contourner les positions ennemies :

Tu t e m e t s e n c a m p a g n e d e t a p e r s o n n e , e n p a y s d é c o u v e r t , b i e n q u e t u a i e s d a n s l e v o i s i n a g e u n e v i l l e c o n s i d é ra b l e . C e n’ e s t p o i n t s e u l e m e n t p a r d e s i n j o n c t i o n s q u e t u p o u s s e s l e s s o l d a t s à l a p e i n e e t a u d a n g e r, t u l e u r d o n n e s l e s i g n a l p a r t o n i n i t i a t i v e personnelle. Tu découvres un sentier inconnu d e t o u s ; t u e n v o i e s p a r l à u n d é t a c h e m e n t d’ h o p l i t e s c a p a b l e s d e t e n i r l i e u d e l’ a r m é e e n t i è re ; q u a n d t u t’ e s a s s u r é q u’ i l e s t a u x p r i s e s a v e c l’ e n n e m i , t u a r r i v e s a v e c l e g r o s d e t e s t r o u p e s e t , p a r u n m o u v e m e n t e n v e - l o p p a n t , t u r e m p o r t e s u n e v i c t o i r e c o m - p l è t e3 8.

I

34Panegyrici Latini, 3, 2, 4 (Galletier) = 11, 2, 4 (Lassandro), trad. E. Galletier.

35Ibidem, 3, 9, 3-5 = 11, 9, 3-5, trad. E. Galletier.

36PL I N E L’AN C I E N(Ier s. après J.-C.), Histoires Naturelles, 3, 17, 123 :

«[...] puis Augusta Praetoria des Salasses, près de deux portes des Alpes, les Alpes Grées et Poenines – on raconte que les Carthaginois passèrent par ces dernières, et Hercule par les Alpes Grées – » (trad. David Epée). Voir aussi AM M I E NMA R C E L L I N, 15, 10, 9-10.

37SI L I V SITA L I C V S, Punica, 15, 502-506, cité ci-dessus.

38L’E M P E R E U RJU L I E N(IVes. après J.-C.), Orationes, 1, 32 (39b-c; 48 H), trad. J. Bidez.

L’empereur Julien l’Apostat (361-363 après J.-C.) Monnaie découverte en 1993 à Martigny (Photo Archéologie cantonale, Martigny) I

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Le modèle d’Hannibal, là encore, n’est pas loin, puisque l’empereur ouvre une voie nouvelle.

Il se place ainsi dans la continuité d’Hercule, d’Hannibal et de Pompée « le Grand ».

Le christianisme, enfin, a su réinterpréter la traversée des Alpes, en montrant Théodose en larmes et en prières au sommet des Alpes avant d’affronter Eugène et Arbogast sur le Frigidus, en 394. L’empereur n’est plus le nouvel Hercule, mais celui que Dieu sou- tient face à l’impossible (et aux païens !), et qui en triomphe par sa piété.

Eu g è n e e t Ar b o g a s t a v a i e n t f a i t l e s p r é p a - ra t i f s n é c e s s a i re s p o u r l e s a r m é e s ra n g é e s e n ordre de bataille dans les plaines; ils avaient o c c u p é l e s v e r s a n t s é t r o i t s d e s Al p e s e t d e s points de passages obligés, après avoir dressé p l u s a v a n t d e s e m b u s c a d e s . Q u o i q u’ i l s f u s - sent inférieurs en nombre et en forces, ils l’em- portaient néanmoins par le seul dispositif de l a g u e r re . C e p e n d a n t T h é o d o s e , é t a b l i a u s o m m e t d e s Al p e s , p r i v é d e n o u r r i t u re e t d e s o m m e i l , s e s a c h a n t a b a n d o n n é p a r l e s s i e n s e t i g n o ra n t q u e s e s e n n e m i s l u i b l o q u a i e n t l e p a s s a g e , p r i a i t , s e u l , l’ u n i q u e Se i g n e u r

Jésus-Christ qui peut tout accomplir, le corps é t e n d u p a r t e r re , l ’ e s p r i t f i x é s u r l e c i e l . Pu i s , a p r è s a v o i r p a s s é u n e n u i t s a n s s o m - m e i l p o u r n’ a v o i r c e s s é d e p r i e r e t a p r è s a v o i r l a i s s é d e r r i è re l u i d e s l a c s d e l a r m e s témoignant en quelque sor te du prix dont il a v a i t d û p a y e r l e s e c o u r s c é l e s t e , i l p r i t l e s a r m e s s e u l e t a v e c c o n f i a n c e , s a c h a n t q u’ i l n’était pas seul; il donna par un signe de croix l e s i g n a l d u c o m b a t e t i l s e l a n ç a d a n s l a b a t a i l l e , b i e n d é c i d é à l’ e m p o r t e r m ê m e s i p e r s o n n e n e v o u l a i t l e s u i v re3 9.

Là encore, le modèle du Carthaginois est pré- sent. On se rappelle en effet qu’une tradition tenace évoquait un dieu qui aurait guidé Hannibal dans sa course. Le moment de médi- tation au sommet du col est aussi un épisode incontournable.

C O N C L U S I O N

En somme, la construction du mythe d’Hannibal, entamée de son vivant et sans doute à sa demande, a fourni par la suite des procédés nécessaires à la valorisation d’un acte certes peu aisé, mais certainement pas impossible. On remarquera au passage que l’héroïsation ne s’applique qu’aux traversées auxquelles le chef a pris part personnelle- ment, et jamais aux déplacements de troupes, même importantes, sous l’autorité d’un subor- donné. Dans les faits, Gaulois et Romains n’ont jamais éprouvé de grandes difficultés à tra- verser les Alpes. Nos sources ne mention- nent qu’une seule fois un empereur bloqué en Gaule, et l’empêchement tenait appa- remment à un temps particulièrement exé- crable40.

Hannibal devait sa gloire au fait qu’il était le premier non-Européen dans les Alpes, qu’il inventait une stratégie nouvelle et qu’il avait si souvent vaincu Rome. Ce n’est pas un hasard si David, pour magnifier encore l’ex- ploit de Bonaparte, a choisi de faire figurer sur un rocher, au pied du futur empereur, le nom, presque effacé, du Punique, inscrivant le « petit caporal » dans la continuité de l’un

I

39OR O S E, Historia aduersus paganos, 7,

35, 13-15, trad. David Epée.

40Il s’agit de Constance II, bloqué par un hiver rigoureux, peut-être lors de l’usurpation de Népotianus : AU R É L I V S

VI C T O R(IVes. après J.-C.), Liber de

Caesaribus, 42, 5.

L’empereur Théodose 1erle Grand (379-395 après J.-C.) Monnaie découverte en 1993 à Martigny

(Photo Archéologie cantonale, Martigny) I

(11)

des plus grands généraux de l’Antiquité. La comparaison était d’ailleurs un parallèle à tiroir, puisque Hannibal était souvent com- paré à Alexandre le Grand, dont la gloire, comme conquérant, ouvreur de routes nou- velles et libérateur, était bien établie41. La propagande antique étayait ainsi la propagande moderne.

Ainsi s’explique aussi la passion des Modernes pour la question, somme toute assez secon- daire, de l’identification précise du col emprunté par Hannibal, alors même que nous ne pou-

vons pas dire par quels cols sont passés les Gaulois avant lui ou même après lui, et avec des effec- tifs parfois supérieurs, ni, bien souvent, ceux qu’ont empruntés les armées de Rome. La publicité accordée au Carthaginois a conduit nombre d’historiens à tenter d’identifier en vain un col dont Tite-Live (21,38) dit que déjà de son temps on ne savait plus exactement où il se trouvait, sans bien réaliser que le récit sur lequel ils s’appuyaient était une construc- tion littéraire et non un compte rendu d’ex- ploration géographique42.

I

41Il est probable que la comparaison avec Alexandre, topos littéraire classique, avait été développée dès le vivant d’Hannibal, qui se posait en libérateur des Italiens et récupérait un système de propagande exploité par le Macédonien et par ses successeurs comme Pyrrhus. La comparaison entre Hannibal et Alexandre était un lieu commun dans l’Antiquité, et pouvait être conclue habilement par le rappel qu’Hannibal avait été vaincu par Scipion. C’est la solution adoptée par Lucien de Samosate dans un de ses Dialogues des morts. Mais Lucien prend bien garde de conclure qu’Hannibal méritait légitimement la troisième place, derrière Alexandre et Scipion.

42LA N C E L1992, qui commente le voyage

d’Hannibal, note en outre que l’on a tenté en vain de reproduire la destruction de blocs de roche à l’aide de vinaigre et de feu, comme l’aurait fait Hannibal pour s’ouvrir la voie.

L’invraisemblable vient ici au secours du roman.

Route versant italien, en amont de Saint-Rémy (Médiathèque Valais – Martigny)

I

(12)

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VANBERCHEM1956

VANBERCHEM1982 BOCQUET1991 BOTERMANN 1968 GAMBARI1991

GOUDINEAU2000 JULLIAN1993 LANCEL1992 LETTA1976 PAULI1991a PAULI1991b PETER1967 PRIEUR1969

RÉMY, BALLET, FERBER1996 RICEHOLMES1899

SORICELLI1995 SYME1967 TARPIN, BOEHM,

COGITORE, EPÉEet REY, 2000

B i b l i o g r a p h i e

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VERGER1998 VITALI1991 WALSER 1994 WALSER1986 ZANOTTO1986 ZIOLKOWSKI1990

(14)

Les légendes ont la vie dure et fasci- nent encore, bien des siècles après leur nais- sance. C’est ainsi qu’un écrivain américain, Richard Haliburton décide de franchir le col du Grand-Saint-Bernard à dos d’éléphant, croyant ainsi imiter Hannibal.

En juillet 1935, il arrive à Martigny avec son éléphant, prénommé Dolly et entreprend l’as- cension du col. Accueilli par une foule bigar- rée et joyeuse à chaque étape villageoise, l’étrange équipage est accompagné par des ribambelles de curieux. Le rythme de croisière de Dolly avoi- sine les 3 km/heure; en trois jours, l’éléphant

et son cornac sont à l’Hospice. Une séance de photographies immortalise l’exploit et, après une nuit de repos, Haliburton et Dolly attei- gnent Aoste le 23 juillet 1935 à 11 heures, avant de quitter les Alpes... et de rejoindre Hannibal dans les mémoires.

Raymond Schmid, (1900-1978) a suivi toute l’équipée. Il en a rapporté près de 200 images qui racontent à la fois le côté festif et jubila- toire de cette randonnée pas comme les autres, et celui, plus officiel de la rencontre - au som- met - d’un éléphant et d’un chien du Grand- Saint-Bernard.

p h o t o g r a p h i e s d e R a y m o n d S c h m i d

P a s s a g e d u c o l d u G r a n d - S a i n t - Be r n a r d e n é l é p h a n t

p a r R i c h a r d Ha l i b u r t o n

Un éléphant

au Grand-

Saint-Bernard

(15)

Départ d’Orsières I

(16)

Arrivée à Liddes I

Bourg-Saint-Pierre I

(17)

Départ de Bourg-Saint-Pierre I

A l’Hospice I

(18)

Route du Col I

Références

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