A NNALES DE L ’I. H. P., SECTION A
J.-F. V INSON
Fonctions classiques correspondant aux opérateurs quantiques
Annales de l’I. H. P., section A, tome 12, n
o3 (1970), p. 255-261
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Fonctions classiques
correspondant
auxopérateurs quantiques
J.-F. VINSON Institut Henri Poincaré Ann. Inst. Henri Poincaré,
Vol. XII, n° 3, 1970, p. 255-261.
Section A :
Physique théorique.
1. - INTRODUCTION
Depuis l’origine
de la formulationaxiomatique
de laMécanique Quan- tique
unproblème
est resté en suspens. C’est celuiposé
par la détermi- nation des « observablesquantiques » qui
doiventcorrespondre
auxgrandeurs physiques classiques. Certes,
le formalisme de laMécanique Quantique permet
de déterminer les observablesquantiques qui
corres-pondent
aux coordonnéescanoniques
et la substitution des coordonnées par les observables est le seulprincipe
que l’onpeut appliquer :
c’est la«
règle
de substitution ». Mais cetterègle
s’avère insuffisante etambiguë.
En
effet,
à une fonctionclassique
des coordonnéescorrespondent plu-
sieurs observables
quantiques
selon l’ordre danslequel
ondispose
lestermes consistant en
produits
de coordonnées. Le résultat est une consé- quence directe de la non-commutativité des observablesquantiques qui
est un trait essentiel de la
Mécanique Quantique.
C’est ainsi que Messiah[0]
affirme : « Aucune
règle
basée sur lacorrespondance
avec laMécanique Classique
nepeut
résoudre de tellesambiguités...
Il faut donc fixerempiri- quement
la formeprécise... »
Quelques règles
d’association essentiellementempiriques
ont été énon-cées initialement par Dirac
[1],
Von Neumann[2]
etWeyl [3], puis
par Yvon[4]
et Rivier[5]. Enfin, plus récemment,
de nombreux auteurs[6
à12]
à
l’instigation
de Shewell[13]
ont étudié lesrègles
dites d’ordre standard et antistandard et d’ordre normal et antinormal sans toutefoisparvenir
àdéterminer laquelle
de ces différentesrègles
il convenait d’utiliser.256 J.-F. VINSON
Le
problème posé
arepris
récemment del’importance
car si l’onpeut parvenir empiriquement
à associer unopérateur
« convenable » à unegrandeur classique,
leproblème
inverse s’avèrebeaucoup plus
délicatétant donné les différents
opérateurs
de basequi peuvent
intervenir. C’est ainsi que l’habitudeprise
d’introduire de nouveauxopérateurs
hamilto-niens
forgés uniquement d’après
la ThéorieQuantique
rend très difficilela « traduction » de ces
problèmes
en ThéorieClassique.
On ne peutplus
établir de véritable
correspondance
entre unproblème posé
en termesquantiques
et leproblème classique équivalent.
Nous nous proposons d’énoncer une
règle générale
d’association entre les observablesquantiques
et les fonctionsclassiques qui
satisfassele critère d’unicité
(association biunivoque)
etqui,
à toutopérateur
Her-mitien fasse
correspondre
une fonctionclassique
réelle. Nous montrerons,en utilisant le formalisme des états cohérents que cette
règle qui
recouvrela
règle
« d’ordre normal » est uneconséquence
nécessaire de la ThéorieQuantique,
cequi
lui enlève tout caractèreempirique.
II. -
RÈGLE
D’ASSOCIATIONOPÉRATEUR QUANTIQUE-FONCTION CLASSIQUE
Le formalisme des « états cohérents » créé par Glauber
[14]
pours’appli-
quer au
domaine
del’Optique Quantique
constitue uneméthode générale
que l’on
peut
aisémentadapter
à laMécanique [6 b]
de lafaçon
suivante :Soient q
et p les coordonnées d’unsystème dynamique classique
à unseul
degré
de liberté. Introduisons laquantité
a, nombrecomplexe,
Les observables
quantiques et p qui correspondent
auxcoordonnées q
et p
canoniques
vérifient la relation de commutation :Définissons les
opérateurs
â et â +Ils vérifient la relation de commutation
FONCTIONS CLASSIQUES CORRESPONDANT AUX OPÉRATEURS QUANTIQUES 257
On
peut
alors introduire le formalisme des états cohérents norma-lisés a ~
et de lareprésentation diagonale P(a) :
En
particulier
pourl’opérateur
densitéfi
d’unmélange statistique
quan-tique
La valeur moyenne d’une observable
Q
est alors fournie par une « inté-grale
de trace » _Cette
intégrale
de trace entièrement déduite de la ThéorieQuantique
a le
grand avantage
d’êtrepurement algébrique
«effaçant »
ainsi en appa-rence le caractère non-commutatif de
l’opérateur
densitép
et de l’obser- vableQ.
Nous avons souvent eu recours à cetype
de relationlorsque
nousavons établi la nature de la
correspondance
entre la ThéorieClassique
et laThéorie
Quantique
desChamps
enElectrodynamique
Ce
type
de relation est en effetprivilégié pour
établir unecomparaison
avec le calcul d’une valeur moyenne en théorie
classique qui
est donnépar
l’expression
où
les {
=Ci, C2,
...,Ck
... sont les coefficients dudéveloppement
en série de Fourrier du
champ E( { Cj~}).
On
peut
montrer eneffet,
queP(a)
constituel’équivalent
de la fonction derépartition statistique p( { Ck ~ )
cequi
conduit nécessairement à attri- buer à la fonctionQ(a)
de la variablecomplexe
a le rôle de la fonctionF[E( { )] représentant
lagrandeur physique classique.
D’autre part, la discussion que nous avons menée au
sujet
de larepré-
sentation
diagonale
apermis
d’établirqu’elle
était le seul cadrecompatible
avec la Théorie
Quantique
où lesopérateurs
Douvaient sous certaines258 J. - F. VINSON
conditions n’intervenir que sous la forme de la fonction de la variable comDlexe oc
ce
qui justifie l’appellation
de «diagonale »
attribuée à cettereprésentation.
Nous sommes ainsi assurés
qu’il n’y
a pas d’autrefaçon possible
d’associerdirectement un
opérateur quantique
et une fonctionclassique.
Nous proposons donc comme
règle générale
d’association entre les observablesquantiques
et lesgrandeurs physiques classiques
la relationQ est
l’opérateur quantique qui
est associé à la fonctionclassique Q’(p, q)
et
réciproquement.
La
justification
de cetterègle
tient à cequ’elle
est définie en termes«
opérationnels
». Eneffet,
au lieu de faire reposer l’association entreopérateurs
et fonctions sur des considérationsformelles,
elles associel’opérateur
et la fonctionqui,
selon le formalismeséparé
des deux théoriespermettent
d’obtenir une valeur moyenneidentique.
Nous neparlerons
donc désormais d’association
qu’au
sens restreint que nous venons de définir.Montrons que la
règle (3)
recouvre l’ancienne «règle
de substitution ».Soit
l’opérateur
Supposons qu’il
soit « normalement ordonné » c’est-à-dire que, toutes les foisque â
etâ+ agissent successivement,
ils interviennent dans l’ordre« normal »
On
peut
alors écrire la relationEn effet
l’expression ( a Q(â, â+) | 03B1 >
sedécompose
en des termesqui
sont
d’après (1)
de la formece qui autorise, dans ce cas
particulier,
leremplacement
de l’opérationproduit
scalaire par la substitution pure etsimple
des coordonnées classi- ques aux observablesquantiques
associées. Al’opérateur Q’(q, fi)
corres-FONCTIONS CLASSIQUES CORRESPONDANT AUX OPÉRATEURS QUANTIQUES 259
pond simplement
la fonctionQ’(q, p). Réciproquement
cette démonstra-tion prouve que l’observable
quantique
associée à une fonctionclassique peut
être obtenue sansambiguïté
parsimple substitution,
à condition de rangerpréalablement
les coordonnéescanoniques classiques
defaçon
à ce que cette fonction
exprimée
avec les variables a et a* soit normalement ordonnée selon ces variables.La
règle (3)
que nous proposons recouvre donc bien l’ancienne «règle
de substitution » mais elle lui
apporte
cequi
luimanquait
totalement :un critère
supplémentaire qui
lève l’indéterminationquant
à l’ordre danslequel
doivent êtrerangés
lesopérateurs 4 et p
que l’on substitue aux coor-données
canoniques q
et p. Nous pouvons donc définir unerègle
de substi-tution normalement ordonnée
qui
comprenne ce critère. C’est larègle
d’ « ordre normal »
qui
adéjà
été étudiée.III. -
REMARQUES
La
règle
de substitution nepeut s’appliquer
directementqu’aux opé-
rateurs « normalement ordonnés ».
Lorsque
l’on désire déterminer la fonctionclassique qu’il
convient d’associer à unopérateur quantique
onpeut donc,
soitappliquer
directement larègle (3)
avec les difficultés mathé-matiques
que celacomporte,
soit faire intervenir lesopérateurs
â etâ +, prendre
la forme « normalement ordonnée » de cetopérateur
et yopérer
la substitution.
La
règle (3) permet
deprésenter
larègle
de substitution comme unedéduction de la Théorie
Quantique
et nonplus
comme une sorte d’Axiomesupplémentaire.
Elleprésente
en outrel’avantage
d’être tout à faitgénérale.
En effet la méthode que nous avons
appelée
«règle
d’ordre normal » suppose que tous lesopérateurs quantiques peuvent
être mis sans diffi- culté sous la forme normalement ordonnée. Or il existe toute une classed’opérateurs
de formeoriginelle simple
dont la forme normalement ordon- née nepeut
êtreexplicitée
à l’aide d’unesimple
fonction desopérateurs â
et
â+
mais nécessite le recours à la théorie des distributions.Cependant
lecalcul
de ( a
par une autre méthode aboutit à une fonctionQ(a) régulière.
Cela tient à ce que les états cohérents forment une base « sur-complète »
cequi
entraîne lapluralité
desreprésentations Q((x)
deQ.
Ilfaut toutefois bien
souligner
que les différentes fonctionsQ(a)
associéesau même
opérateur
Q conduisent à des valeurs moyennesidentiques lorsqu’elles
sont insérées dansl’intégrale
de trace.Glauber
[14]
a montréqu’à
toutopérateur fi
ilpeut
n’être associée260 J.-F. VINSON
qu’une
seule fonctionQ(a)
à conditiond’exiger
queQ(oc)
soit une fonctionentière de a et a*. Or l’on
peut
affirmer que toutegrandeur physique
classi-que peut
s’exprimer
sous la forme d’une fonction entière des coordonnéescanoniques.
Pour éviter
l’ambiguïté
dans l’association recherchée il faut donc s’as- treindre à rechercherparmi
la classe des différentesreprésentations Q(a)
de
l’opérateur Q
la fonctionqui
soit une fonction entière des variables aet oc*.
La «
règle
d’ordre normal »comporte
donc encore des lacunes et desambiguïtés qui
nepeuvent
sedissiper
que par référence à larègle générale qui
recouvre larègle
d’ordre normal sans se confondre avec elle.En
pratique
on utilisait souvent unerègle
desymétrisation [0]
dontShewell
[13]
a montréqu’elle
étaitéquivalente
à larègle
de Rivier[5].
Cependant
Mehta[6 b]
a montré dans un article où il étudie lespropriétés
de
cinq règles
d’association que larègle
de Rivier était très différente de larègle
d’ordre normal. Lasymétrisation
ne doit donc intervenir que sur desopérateurs déjà
constitués selon larègle (3)
et seulement dans le cas d’unsystème
departicules identiques.
Nous n’avons
envisagé jusqu’ici qu’un système dynamique classique
àun seul
degré
de liberté. L’extension de larègle (3) lorsque
l’on considèreplusieurs degrés
de liberté neprésente
pas de difficultés. Il suffit d’intro- duire à laplace
des étatscohérents |03B1k B
d’un seul moderepéré
par l’in- dice k les états cohérentsglobaux
I V. - CONCLUSION
Il convient de
rappeler
que l’existence de fonctionsclassiques
associéesbiunivoquement
auxopérateurs quantiques
ne prouve en rien l’identité entre le formalisme de la ThéorieClassique
et celui de la ThéorieQuan- tique.
En effetl’intégrale
de trace(2)
n’établitqu’une analogie
entre lesdeux formalismes et ne peut être considérée comme une
simple transposi-
tion. La distinction fondamentale réside dans le fait que les états cohérents
ne forment pas une base
complète
contrairement aux étatsclassiques
etque, d’autre
part,
lareprésentation diagonale P(a)
del’opérateur
densitép
ne peut pas, en
général,
être assimilée à une fonction derépartition
deprobabilité classique c].
261 FONCTIONS CLASSIQUES CORRESPONDANT AUX OPÉRATEURS QUANTIQUES
L’existence d’une
règle
d’associationgénérale
entre lesopérateurs
quan-tiques
et les fonctionsclassiques
permet donc seulementd’obtenir,
lors-qu’elle existe,
la « traduction » d’unproblème quantique
en termes classi-ques. Ceci est
cependant
d’un intérêtcapital
pourpermettre
d’insérer dansun
problème quantique
des conditions aux limitesqui
sont données sousforme
classique.
Il devient alorspossible
d’étudierprécisément
dansquelles
conditions la
Mécanique Quantique
et laMécanique Classique
se raccor-dent.
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[15] J.-F. VINSON, Comptes Rendus Académie des Sciences de Paris, a) 267, 1968, 1219 ; b) 267, 1968, 1282 ; c) Cohérence optique classique ei quantique. Dunod, Paris, 1969.
[16] K. E. CAHILL et R. J. GLAUBER, Phys. Rev., 176, 1968, 1857.
Reçu le 29 septembre 1969.