Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. V - n° 3 - juillet-août-septembre 2016 110
d o s s i e r t h é m a t i q u e
Classification moléculaire
des mélanomes et implications thérapeutiques
Molecular classification of melanomas and therapeutic implications
Arnaud de la Fouchardière *
* Département de biopathologie Centre Léon-Bérard, Lyon.
R ÉSUM É Summary
Les mélanomes constituent un groupe hétérogène de tumeurs.
Afi n de progresser dans leur compréhension, il est important d’en appréhender les variables épidémiologiques, embryogéniques, cliniques, histologiques et génétiques. La combinaison de ces données constitue la base de la nouvelle classification histomoléculaire qui doit permettre un traitement adapté à chaque cas.
Mots-clés : Nævus – Mélanome – Mutation – Classification moléculaire.
Melanomas represent a heterogeneous tumoral disease.
In order to progress in their understanding, it is important to visualize their variability regarding epidemiology, embryogenesis as well as clinical, histological and genetic features. The combination of these data is the basis of the new histomolecular classifi cation that leads to the most adapted treatment in each specifi c case.
Keywords: Nevus – Melanoma – Mutation – Molecular classifi cation.
L’ hétérogénéité des mélanomes est présente à de nombreux niveaux. Elle peut concerner la cellule d’origine, car la transformation peut avoir lieu dans un mélanocyte normal de la peau ou dans un mélanocyte situé dans un nævus. Comme nous le verrons, il y a de nombreux types de nævus, porteurs d’anomalies génétiques très diff érentes. Les facteurs favorisant cette tumorigenèse sont également mul- tiples, avec une combinaison de facteurs endogènes prédisposants et de facteurs exogènes parmi lesquels prédomine l’exposition aux rayons ultraviolets (UV). La classifi cation histologique se fonde essentiellement sur l’aspect morphologique (phénotype), avec à nouveau une très grande variabilité dans l’architecture, les types cellulaires et la charge pigmentaire.
Le but fi nal de toutes ces classifi cations est d’apporter une évaluation de leur pronostic et une optimisation de leur prise en charge thérapeutique. Ce concept de médecine personnalisée fait appel à une analyse en biopathologie incluant les dimensions cliniques, histo- logiques et génétiques de ces tumeurs, car la présence d’une mutation seule est insuffi sante pour catégoriser toutes les lésions. Les données scientifi ques concernant ces anomalies sont en expansion constante, et l’objectif de cette synthèse est d’en résumer les principaux axes.
Cet article constitue une mise à jour de la synthèse de 2012 sur le même sujet (1) . On peut mesurer l’étendue des nouvelles données publiées en quelques années.
Rappels sur le système pigmentaire normal
Mélanocytes et système pigmentaire
Au cours du premier trimestre de l’embryogenèse, les précurseurs des mélanocytes (mélanoblastes) migrent depuis la crête neurale pour atteindre diff érents organes cibles : la peau, les follicules pileux, l’œil, les lepto- méninges et certaines muqueuses.
Les mélanocytes normaux, situés dans la zone basale de l’épiderme, ne sont pratiquement jamais adjacents. Leur rôle fonctionnel est de synthétiser de la mélanine et de la transférer sous une forme empaquetée (mélanosomes) via des expansions dendritiques aux kératinocytes avoi- sinant l’épiderme. Une fois dans le cytoplasme des kéra- tinocytes, les mélanosomes sont polarisés, formant un capuchon pigmentaire au-dessus du noyau.
La mélanogenèse est un long processus enzymatique permettant de convertir la L-tyrosine en mélanine.
Il existe en fait 2 types de mélanine : l’eumélanine et
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. V - n° 3 - juillet-août-septembre 2016 111 Anomalies génétiques dans les nævus
Les nævus correspondent à des dépôts de mélanocytes cutanés, le plus souvent issus de la migration anormale de précurseurs au cours de l’embryogenèse. Certains sont visibles dès la naissance (nævus congénitaux, parfois de très grande taille), d’autres sont présents à la naissance mais ne deviennent visibles que plus tard, le plus souvent lors du déclenchement du processus enzymatique de pigmentation. En eff et, ces mélano- cytes ne sont pas en contact avec des kératinocytes et ne peuvent pas transférer leurs vésicules de pigment, lesquelles s’accumulent ainsi dans leur cytoplasme.
Enfi n, d’autres nævus dits “acquis” correspondent à des proliférations bénignes issues de mélanocytes normaux.
Altérations de la voie des MAP kinases (RAS-RAF-MEK-ERK)
La voie d’activation des MAP kinases correspond à une voie de signalisation intracellulaire déclenchée par un récepteur de tyrosine kinase membranaire. Cette cas- cade de signalisation aboutit à l’activation de nom- breux gènes régulant la prolifération cellulaire. Elle est fréquemment altérée dans les lésions mélanocytaires bénignes et malignes, sous la forme d’une mutation génétique d’une des tyrosine kinases, aboutissant à une protéine anormalement activée en permanence et insensible aux mécanismes cellulaires de rétrocontrôle.
Mutations de RAS Dans les nævus
Les mutations activatrices de RAS dans les lésions mélanocytaires concernent surtout NRAS, plus rarement HRAS et exceptionnellement KRAS. Pour les 3 formes, les mutations activatrices de type “hot spot” sont situées dans les exons 2 (codons 12 et 13) et 3 (codon 61).
Dans les nævus congénitaux de taille moyenne et géants, on retrouvera de manière quasi systématique une mutation du gène NRAS . Elle est occasion nellement rencontrée dans des nævus congénitaux de petite taille.
Une des premières altérations menant à la transfor- mation maligne pourrait être l’amplifi cation de l’allèle muté (2) .
chromosome 11 (où est situé HRAS ). Des formes mul- tiples associées à des nævus spilus ont été décrites.
Aucun sous-type de nævus n’est pour l’instant identifi é comme étant associé aux mutations de KRAS . Dans les mélanomes
Dans les mélanomes, on observe principalement des mutations activatrices de NRAS . Cette anomalie a été retrouvée dans le mélanome nodulaire, une des variantes les plus agressives de mélanome, mais qui reste encore mal défi nie. Elle semble aussi fréquemment impliquée dans des formes muqueuses, en particulier sinonasales. Les transformations de nævus congénitaux, en particulier géants, ou les colocalisations méningées (nævomatose cutanéoméningée) impliquent quasi systématiquement l’exon 3 de NRAS . Les mutations de l’exon 2 seraient moins agressives sur le plan biologique.
Les mutations de HRAS et de KRAS sont exceptionnelles dans les mélanomes.
Sur le plan thérapeutique, il n’y a pas de consensus pour traiter ces cas. Des essais thérapeutiques sont en cours (3, 4) .
Mutations de BRAF Dans les nævus
Les mutations de BRAF sont fréquentes dans les nævus de petite taille, dont certains sont congénitaux et d’autres décrits comme acquis. Elles sont, dans l’im- mense majorité des cas, de type V600E.
Dans les mélanomes
Les mutations de BRAF sont fréquentes dans les
mélanomes, y compris dans les métastases (environ 40 à
50 % des mutations détectables). Il s’agit principalement
d’une mutation activatrice située sur l’exon 15 (mutation
V600E). Elle est plus fréquente chez des patients jeunes,
ayant subi des expositions solaires intermittentes, avec
des mélanomes de type histologique SSM (Superfi cial
Spreading Melanoma) . Ce dernier est caractérisé par des
images d’ascensions pagétoïdes latérales de grands
mélanocytes pigmentés. En revanche, la mutation V600K
est prédominante dans les mélanomes après exposition
solaire chronique, tels que le mélanome de Dubreuilh
( Lentigo Maligna Melanoma [LMM]), caractérisés par
des mélanocytes lentigineux colonisant les annexes (5) .
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d o s s i e r t h é m a t i q u e
Thérapeutique
La présence d’une mutation V600 constitue un élément majeur pour guider le traitement des formes méta- statiques. Les inhibiteurs de tyrosine kinases spécifi ques (vémurafénib, dabrafénib) sont extrêmement effi caces, mais induisent le plus souvent une résistance secon- daire après quelques temps. La compréhension de cette résistance et de la séquence de thérapeutique optimale (en mono- ou polythérapie) est actuellement au cœur des essais pour améliorer sur le long terme l’effi cience de cette action antitumorale.
Mutations de C-Kit
Les mutations de C-Kit ont été initialement identifi ées dans les tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) avec une excellente réponse aux inhibiteurs de tyrosine kinases spécifi ques (imatinib, nilotinib). Un screening moléculaire plus large a trouvé leur présence dans quelques mélanomes métastatiques. Finalement, c’est surtout dans le groupe des mélanomes acrolentigineux (notamment dans des populations asiatiques) et dans les localisations muqueuses que cette mutation a été identifi ée. Pour pouvoir faire l’objet d’un traitement, ces mutations de C-Kit doivent être considérées comme biologiquement “activatrices” de la voie RAS (5) . Gènes de fusion
De nombreux types de protéines de fusion ont été récemment décrits dans les lésions mélanocytaires rat- tachées au groupe de cytologie spitzoïde. On retrouve la plupart des réarrangements d’oncogènes codant pour des récepteurs de tyrosine kinases déjà identifi és dans d’autres types de cancers solides (en particulier pulmonaires). Ainsi, des fusions incluant la portion intra- cytoplasmique (active) de la tyrosine kinase des gènes ALK , ROS1 , NTRK1 , MET , RET et BRAF
1ont été retrouvées avec des fréquences variables et une nette prédomi- nance des 3 premiers (6) . Par ailleurs, ces anomalies sont présentes à la fois dans les lésions bénignes, atypiques et malignes avec une fréquence identique pour chaque protéine de fusion (fi gure) . Il s’agit donc d’un élément purement théranostique et non pronostique. En eff et, la plupart des études in vitro ont montré la sensibilité des cellules tumorales aux diff érents inhibiteurs spé- cifi ques des gènes de fusion (crizotinib et ALK/ROS1 , par exemple). En pratique, ces situations avec inten- tion de traiter sont exceptionnelles, car ces mélanomes spitzoïdes sont de bon pronostic (même quand le relais ganglionnaire est atteint), et les métastases viscérales sont peu nombreuses. Il est intéressant de noter que
les caractéristiques morphologiques semblent en par- tie associées aux diff érents sous-types moléculaires de tumeurs spitzoïdes (cf. HRAS ) avec, par exemple, des aspects volontiers infi ltrants et mal limités en profondeur, présents dans les tumeurs avec réarrangement d’ ALK . Mutations des protéines G ( GNAQ/GNA11 ) Les mutations des protéines G défi nissent le groupe des tumeurs mélaniques de type “bleu”. Ces muta- tions activatrices de type “RAS-like” peuvent toucher les gènes GNAQ et GNA11 . Elles sont mutuellement exclusives, de type “hot spot” sur les exons 4 ou 5, avec une nette prédominance de l’exon 5. Ces mutations surviennent non seulement dans toutes les formes cutanées de nævus bleu, mais aussi dans les lésions pigmentaires uvéales ou méningées. Dans les modèles murins, ces mutations induisent la diff érenciation et la migration d’un nombre augmenté de précurseurs des mélanocytes.
Dans les nævus
Les mutations sont identiques dans toutes les formes de nævus bleu (commun, cellulaire, en plaque) et des mélanomatoses dermiques (nævus d’Ota, nævus d’Ito). Il pourrait cependant exister des variations de fréquence entre GNA11 (surtout dans la région du scalp, en parti culier aux tempes) et GNAQ (autres régions, en particulier la région sacrée).
Dans les mélanomes
Les mutations des protéines G sont des événements précoces qui sont retrouvés dans les rares mélanomes dus à la transformation d’un nævus bleu. De nombreux événements moléculaires secondaires sont également observés dans ce type de mélanome, en particulier l’inactivation biallélique de BAP1 (situé en 3p21), sou- vent visualisée soit par une perte d’expression de BAP1 en immuno histochimie, soit par une monosomie du chromosome 3 par hybridation génomique compa- rative (CGH) [ou du moins la perte du segment conte- nant BAP1 ]. Cette anomalie de BAP1 est associée à un risque accru de métastase hépatique. Dans ce contexte, les techniques pangénomiques telles que la CGH per- mettent de séparer les profi ls dits de classe I, de bon pronostic, sans monosomie 3 et avec un isochromo- some 6p, des profi ls dits de classe II (avec monosomie du chromosome 3), de mauvais pronostic. Ce pronostic est aggravé en cas de perte du bras 1q, gain du 8p ou duplication du 8q (7) .
Ce type de mélanome doit être considéré à part sur le plan thérapeutique. Son traitement reste mal codifi é (des essais thérapeutiques sont en cours). La biologie
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