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Les migrants ont-ils trop d'assurance ? La couverture santé des migrants entre solidarité et exclusion

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Les migrants ont-ils trop d’assurance ?

La couverture santé des migrants entre solidarité et exclusion

Philippe Batifoulier, CEPN, Université Paris 13

in JM André ed. La santé des migrants en question( s), Presses de l’EHESP, Hygée Editions, 2019

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« Alors quoi, on oublie tout ça ? Les italiens ? Les Polonais ? Les Arméniens ? Les 600 000 tirailleurs sénégalais ? C’est tout le pays qu’a Alzheimer, ou quoi ?!? On est 500 millions de guignols en Europe et on veut nous faire croire que l’on ne peut pas accueillir 1 million de pauvres gens ? Ca fait même pas un par village ! » Lupano & Cauuet « Les vieux fourneaux » tome 5, 2018 p.22 Dargaud Benelux

A peine le pied posé sur le sol français, les migrants se précipiteraient vers l’hôpital.

Désormais, l’hôpital de Bobigny ou l’hôpital nord de Marseille auraient, pour certains, autant d’attraits que la Tour Eiffel ou le Vieux port pour faire venir des hordes de touristes. En condamnant ce prétendu tourisme médical, ce n’est pas uniquement une vision péjorative des migrants, profiteurs et super informés que l’on colporte. C’est aussi le système de protection français que l’on dénigre. Il serait trop généreux, car il attire, mais pas assez solide pour pouvoir prendre en charge les étrangers, surtout s’ils sont pauvres. La forfaiture a un nom : l’Aide Médicale d’Etat (AME) qui est une couverture des soins de santé pour les personnes en situation irrégulière. L’AME a vocation à permettre l’accès aux soins pour les étrangers sans papiers, sous condition de ressources et après examen de leur demande de prise en charge.

L’AME trace aujourd’hui une ligne de démarcation. D’un côté ceux qui en font un étendard du bien-vivre ensemble et de la commune humanité et un rempart contre le rejet de l’autre et la xénophobie. De l’autre ceux qui la présentent comme une procédure ruineuse pour le pays, livrée à la fraude et au trafic de filières mafieuses et court-circuitant la maîtrise des flux migratoires.

L’aide Médicale d’Etat entre fantasme et réalité Un coût faible pour la protection sante des migrants

S’il existe différents registres d’Aide Médicale d’Etat, pour les soins urgents ou à titre humanitaire, l’essentiel du dispositif repose sur l’AME de droit commun, destinée aux étrangers en situation irrégulière et justifiant d’une résidence en France depuis au moins 3 mois. L’AME permet de bénéficier d’une prise en charge des frais de santé quand les ressources ne dépassent pas 8 810 euros annuels (734 euros mensuels) pour une personne seule (ce plafond est de 9 806 euros dans les départements d’outre-mer). Ce seuil est identique à celui de la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire), mais le panier de soins garanti aux bénéficiaires de l'AME est plus réduit, notamment pour les prothèses dentaires et les lunettes mais aussi pour certains médicaments.

Cette AME fait l’objet de nombreux fantasmes. Elle est présentée comme un « gouffre financier » atteignant le milliard d’euros et fonctionnant comme un « puits sans fond »1 et

1 Par exemple http://www.valeursactuelles.com/societe/le-puits-sans-fond-de-laide-medicale-de-letat-48328

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« hors de contrôle ». Les bénéficiaires qualifiés de « clandestins » ou « illégaux » seraient de plus en plus nombreux et considérés comme des individus super-instruits des méandres du système français et fraudant avec aisance pour creuser les déficits.

Œil pour œil, dent pour dent : si des chiffres sont avancés pour convaincre de la nocivité de l’AME, ce sont des chiffres qui vont la défendre.

Le coût de l’AME est de 804 millions d’euros en 20172, soit 0,6 % des dépenses d’assurance maladie. Ce montant est faible au regard de nombreux autres postes de dépenses liées à la santé comme les dépassements d’honoraires (2,8 milliards d’euros) ou le coût du Médiator®

(145 millions de boîtes vendues en 33 ans pour 879 millions d'euros de remboursement de la Sécurité sociale et 1,2 milliards en comptant la prise en charge des « effets indésirables »). La fraude à l’AME est « rare », « ponctuelle » et les montants peu élevés selon les termes employés dans les rapports parlementaires publiés sur le sujet. 54 cas de fraude ont été détectés par l’Assurance maladie en 2014. Le préjudice, chiffré à 130 000 euros, est minime au regard des autres « fraudes », notamment aux 60 à 80 milliards de coût de l’évasion fiscale3.

L’AME dite de « droit commun » concerne près de 316 000 bénéficiaires fin 2017. Ce chiffre est relativement stable depuis plusieurs années (il était même légèrement supérieur fin 2015).

On n’enregistre donc pas l’explosion annoncée et on ne voit pas en quoi le dispositif AME serait hors de contrôle. Les statistiques ne sont donc pas accommodantes avec les tentatives de dramatisation et de frayeur budgétaire. De nombreuses fake news circulent à propos de l’AME.

Le non recours et l’insécurité administrative

A l’image de l’ensemble des immigrés qui sont des contributeurs nets aux budgets sociaux (ils contribuent davantage qu’ils ne reçoivent de prestations sociales), les migrants sans papier n’abusent pas plus que les autres de la protection sociale. Ils ne peuvent être suspectés d’abuser d’un système dont ils bénéficient fort peu. En effet, l’une des caractéristiques essentielles de l’AME est qu’elle fait l’objet d’un non recours important.

Le non recours est difficile à chiffrer en matière d’AME car il faudrait connaitre précisément le nombre de personnes sans papiers, éligibles à l’AME. Cependant, des recensements de Médecins du Monde aux études internationales, le non recours apparaît significatif. Par exemple, une étude belge menée par le KCE (l’équivalent de la Haute Autorité de Santé) le chiffre de 10 à 20 % du nombre estimé de personnes en séjour irrégulier. Il est donc clair que le coût de l’AME pourrait être plus élevé.

Si le non recours est important, c’est que l’AME relève du droit « quérable », c’est-à-dire dont il faut faire la demande. Or, on demande beaucoup à ceux qui ont le moins et l’accueil qui leur est réservé est souvent vécu comme un parcours du combattant. La détérioration des services publics et la réduction du nombre de personnes au guichet affectent directement les migrants.

Aux yeux du management des caisses de la Sécurité sociale, seule compte la gestion du temps de l’interaction entre l’agent et le demandeur. 80 % des demandes doivent être traitées en moins de 3 mn, quitte à demander au migrant de revenir si le dossier n’est pas jugé complet4.

2 Il s’agit des crédits consommés dans le cadre de la Loi de finance initiale de 2017. Les chiffres proviennent du rapport fait pour l’Assemblée nationale au nom de la Commission des finances (rapporteure spéciale : Mme V. Louwagie, Députée), juin 2018.

3 Chiffre avancé par l’ONG OXFAM. Le rapport du syndicat Solidaires-Finances publiques la chiffre à 100 milliards d'euros en France.

4 Voir l’enquête à l’intérieur d’une CPAM de Philippe Martin (2016), Les métamorphoses de l’assurance maladie. Conversion managériale et nouveau gouvernement des pauvres, Rennes, Presses universitaires de Rennes et le travail de Céline Gabarro (2012), « Les demandeurs de l’aide médicale d’Etat pris entre

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3 L’objectif est de transformer la file d’attente visible, celle qui attend dehors pour se voir ouvrir des droits, parfois depuis le milieu de la nuit dans le froid, en file d’attente invisible.

Les plages horaires se rétrécissent, le report sur le numérique est la règle alors que les plus modestes préfèrent le contact humain ou n’ont tout simplement pas le choix. La gestion au chronomètre réduit le délai de l’interaction, mais augmente le temps moyen d’instruction du dossier, ce qui fait levier au non recours. Les demandeurs de l’AME doivent constamment faire la preuve de leur bonne foi. On exige donc des preuves et pas seulement des papiers.

Alors que les migrants attendent de l’aide et de la sollicitude de la personne au guichet et se fient à elle pour entrer dans les méandres de l’administration, le management vise à déshumaniser l’accueil.

Il s’en suit une tendance à exiger plus de « pièces au dossier » que nécessaire, produisant un risque d’abus de demande (sur l’état civil et/ou les conditions de résidences ou de ressources).

Les pièces exigées pour obtenir un même droit sont variables selon les départements et même selon les CPAM. Comme l’a souligné le défenseur des droits, les mesures anti–fraudes, où des demandeurs sont sanctionnés pour omission et parfois sans être prévenus peuvent avoir des conséquences dramatiques5:

Une prise en chargé retardée : une absurdité sanitaire et économique Pour les migrants sans-papiers : plus de besoins mais plus de barrières

La maladie est une épreuve physique et morale. L’AME, comme toute assurance santé, sert à ce qu’elle ne soit pas aussi une épreuve financière qui viendra s’ajouter aux nombreuses épreuves que traversent les sans-papiers. Pourtant, les obstacles administratifs et managériaux qui sont dressés devant eux pour obtenir l’AME retardent la prise en charge des soins.

La prise en charge différée est un problème de santé individuel. Ne pas être soigné à temps car le soin est trop cher ou inaccessible détériore l’état de santé. La dépense de santé est indispensable au bien-être individuel et à la participation à la vie sociale. Les obstacles aux soins que doivent affronter les étrangers en situation irrégulière ne sont pas que des problèmes pour eux. Ils le sont pour toute la collectivité en altérant la santé publique car les maladies s’aggravent quand elles ne sont pas traitées rapidement. La mise en place de traitements précoces permet de réduire le nombre d’infections secondaires (pour le VIH par exemple) et ainsi d’éviter que la maladie ne se propage. Les barrières à l’accès aux soins sont aussi des problèmes de finance publique. Traiter une pathologie seulement quand elle devient une urgence est une hérésie économique. Des soins retardés sont synonymes de hausse des coûts des soins médicaux, auxquels s’ajoutent des coûts administratifs croissants quand le traitement est pris en charge par l’hôpital plutôt que par la médecine de premier recours.

L’aberration médicale se conjugue alors avec l’absurdité économique.

Ne pas être assuré ne réduit pas que les soins superflus mais touche aussi les soins essentiels.

Au nom d’une croyance en une fraude généralisée qui pourtant n’existe pas, on organise des restrictions à l’accès aux soins qui ont vocation à réduire la dépense publique mais qui produisent l’effet inverse.

Du fait de leurs conditions d’existence, les migrants sans papiers sont particulièrement exposés à la maladie. C’est avant tout parce qu’ils sont pauvres qu’ils sont malades et pas parce qu’ils sont migrants. Leur état de santé est notoirement détérioré par les conditions de vie et de logement difficiles, dans des « baraquements » en périphérie des centres urbains. Le productivisme et gestion spécifique », Revue européenne des migrations internationales, 28 (2), pp. 35-56, Université de Poitiers

5 Défenseur des droits : Lutte contre la fraude aux prestations sociales :à quel prix pour les droits des usagers ?, Rapport, septembre 2017.

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4 mal logement et les changements de logement augmentent les problèmes de santé (mentale notamment) et les difficultés d’entrée sur le marché du travail, ce qui a un impact sur la santé.

Les restrictions d’accès de toute sorte sont sources de marginalisation qui s’ajoutent aux processus de stigmatisation et discrimination. Les facteurs socio-psychologiques viennent exacerber la détérioration de l’état de santé tout en aggravant les délais de prise en charge 6 Les barrières à l’accès aux soins ont un effet amplificateur pour les migrants. Pour chacun d’entre nous, la pauvreté, l’exclusion, le mal logement et un moindre accès à l’emploi ont des effets négatifs sur l’état de santé. Comme les migrants sans-papiers sont particulièrement ciblés par ces pathologies sociales, ils sont en première ligne des besoins de santé. Du fait de leur histoire personnelle, des conflits prolongés et des crises humanitaires qu’ils ont parfois vécus, des conditions d’accueil et de vie qu’ils rencontrent en France et du rejet dont ils sont souvent les victimes, ils sont davantage perméables au développement des maladies. Pourtant, alors qu’ils ont davantage besoin de soins, ils se heurtent à davantage de difficultés pour obtenir une couverture santé. Accéder à l’AME est beaucoup plus compliqué que d’obtenir une carte vitale.

Pour une solidarité positive : la fusion de l’AME et de la Sécurité sociale

Cette différence organisée entre la carte vitale et l’AME est à l’origine de nombreuses difficultés pour les migrants mais aussi pour la collectivité dans son ensemble. L’AME est un système administratif parallèle à la Sécurité sociale et déroge à la volonté d’universalisation de la protection santé. En effet, toute l’histoire de la Sécurité sociale a consisté à achever la couverture santé de toute la population pour permettre à tous les résidents de bénéficier de la même couverture de base. Ceux qui en étaient dépourvus (épouses aux prémices de la protection sociale, étudiants et enfants qui peuvent demander dorénavant leur carte vitale) ont été intégrés dans un système commun, la Sécurité sociale, ce qui permet de garantir l’équité de la protection maladie7.

Toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière a droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie… Tout le monde sauf les sans-papiers. L’AME est un loupé de l’universel. Si cette séparation organisée entre la carte vitale et l’AME relève davantage de la politique d’immigration que des affaires sociales, elle a aussi un impact considérable sur la couverture santé et l’accès aux droits.

L’AME se présente comme un régime à part pour une catégorie d’individus séparée des autres et qu’il est facile de montrer du doigt. Les migrants sont des cibles de choix quand il s’agit de dénoncer l’assistanat et la fraude sociale. La séparation entre la carte vitale et l’AME nourrit une vision binaire du monde : d’un côté ceux qui profitent de l’assistanat et de l’autre ceux qui doivent faire des efforts financiers pour renflouer les caisses. C’est l’existence de protections à géométrie variable qui favorise la comparaison et développe une vision péjorative de la couverture santé des migrants

Le système AME est insuffisant pour ses bénéficiaires. Le panier de soins couverts est inférieur à celui de la CMU-C ; les multiples barrières à l’accès aux droits conduisent à des retards de soins préjudiciables à l’état de santé ; le labyrinthe administratif produit du découragement et le management des droits sociaux conduit à l’exclusion.

6 Voir la contribution de J. B. Combes dans cet ouvrage.

7 Seule la couverture de base, celle de la Sécurité sociale, est uniforme. La couverture santé opérée par les assurances santé complémentaires (mutuelles et autres) est variable selon les clients et n’a pas pour mission de réduire les inégalités.

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5 Mais l’AME est aussi insupportable pour les autres qui fantasment sur l’AME en la prenant pour une aide à laquelle ils n’ont pas droit. Les migrants, quand ils arrivent à se faire ouvrir des droits, peuvent bénéficier d’une couverture à 100% avec dispense d’avance des frais si le revenu est inférieur à 734 euros mensuels. Les autres, notamment au niveau du SMIC, n’ont droit à rien et doivent payer des tickets modérateurs, forfait, franchises, dépassements d’honoraires qui pèsent sur leur budget. Ils acquittent des primes d’assurance complémentaires santé de plus en plus élevées. La fragmentation des protections peut alors leur paraître insupportable et crée une suspicion qui s’exprime par la thématique médiatique de la fraude, alors que les sans-papiers ne peuvent frauder un dispositif qu’ils ne demandent pas ! Ces inégalités de protection sapent le lien social et produisent de l’exclusion, qui s’exprime aussi aux guichets des caisses de la Sécurité sociale.

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Les problèmes de l’AME ne sont pas ceux de l’immigration mais ceux de l’absence d’intégration. En isolant une population des autres, il devient facile de s’interroger sur la légitimité de leur prise en charge. L’obsession à s’interroger sur le coût de la couverture AME est liée à la volonté d’isoler un groupe social particulier et à le sortir de la société comme se elle n’était pas composée d’égaux ou de semblables.

L’AME en tant que dispositif séparatiste, distinct du régime commun de Sécurité sociale, fait levier à une logique instrumentale. Si le coût de la couverture santé des sans-papiers était plus élevé, faudrait-il pour autant renoncer à les prendre en charge ? Leur sort doit il dépendre du calcul coût-avantage ? Il est tentant de dissoudre la question éthique dans une logique d’efficacité et de justifier la prise en charge de la santé des migrants au nom de la sécurité financière des systèmes de santé. Il vaut mieux en effet prendre en charge la maladie aujourd’hui pour ne pas qu’elle coûte plus cher demain. Ou encore, on peut les prendre en charge par peur de la contagion, parce que la santé des « pauvres » est nécessaire pour assurer la sécurisation des « riches ».

Le problème ne peut être réduit à celui de la rentabilité de la dépense, mais repose sur une approche de la santé en termes de « droits fondamentaux ». En fusionnant l’AME et la Sécurité sociale, on garantit un droit inaliénable qui protège la dignité de tout être humain. Si l’AME doit disparaître, c’est au nom de la visée d’un régime commun de protection santé dans le cadre d’une solidarité positive où tous ont les mêmes prestations.

Références

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