FAIRE FACE AUX MALENTENDANCES : METTRE EN ŒUVRE LES STRATÉGIES DE COMPENSATION
Par Jérôme Goust (1)
À l’heure actuelle, la principale et souvent la seule réponse à la malentendance est l’appareillage auditif. Bien sûr, elle est dans l’immense majorité des cas au cœur de la compensation des malentendances.
Les immenses progrès réalisés en une vingtaine d’années ont fait reculer ce monde du silence dans lequel nos parents plongeaient bien plus tôt. Mais cette monoculture de l’appareillage est dommage car cette condition prothétique est nécessaire, mais trop souvent insuffisante. Et il est regrettable que l’ensemble des autres stratégies de compensation soient négligées.
« I have a dream »… rêvons ensemble de ce que serait cette communication optimale, où les technologies seraient véritablement au service du cerveau humain pour la meilleure entente.
Pour que la réalité s’approche de ce rêve, voyons ce qui se passe… et ce qui pourrait mieux se passer.
Devenir malentendant, ce n’est pas seulement avoir une baisse de perception, qui serait compensée par un appareillage comme des verres correcteurs. Certes nous entendons avec nos oreilles et c’est à ce niveau là que le bât blesse. Mais si nous entendons avec nos oreilles, nous comprenons avec notre cerveau, et c’est toute une chaîne qui se met en route pour passer du message qui arrive à l’oreille au sens du message qui lui est attribué par le cerveau. Pour obtenir la meilleure compensation possible à cette baisse de qualité du message entrant, il va falloir utiliser toutes les capacités externes (matériel technique) et interne (chaîne neuronale d’interprétation des messages).
Que se passe-‐t-‐il ?
Notre cerveau est quelque chose de fabuleux. Lorsque la malentendance s’insinue, il met en place des mécanismes instinctifs de compensation qui mobilisent un certain nombre de capacités. Il s’agit d’abord de compensations positives.
La capacité d’attention fait tendre l’oreille. La capacité d’adaptation mobilise la
suppléance mentale. Celle-‐ci compare le message entrant avec toutes les informations mémorisées: visuelles, olfactives, tactiles, gustatives, etc.
Mais peu à peu des compensations négatives s’y ajoutent : des sons ne sont plus référencés dans le fonctionnement quotidien et s’enfouissent dans la mémoire comme des archives qui descendraient au 5e sous-‐sol.
Mais le plus grave est le repli sur soi, déclenché par le principe de plaisir énoncé par Freud : « Le fonctionnement mental a pour but la recherche du plaisir et l’évitement du déplaisir ».
Pour éviter le déplaisir et la frustration engendrés par la baisse d’audition, nous cherchons inconsciemment à éviter ces situations où nous ne maîtrisons plus la
communication. La perte de l’intimité (chuchotement dans le noir) et de la spontanéité sont les premières conséquences, avant même d’avoir réalisé que nous devenons malentendant. C’est dire la gravité de ce repli sur soi qui démarre inconsciemment… et l’importance de déceler le plus tôt possible la baisse d’audition et de tenir compte de tous ces aspects pour y faire face.
Que faire ?
Actuellement, la monoculture de l’appareillage se limite la plupart du temps à l’équation : un homme = un audiogramme = une (ou deux) prothèse !
L’audiogramme est un indicateur de niveau qui doit renvoyer à la vie quotidienne. Il faut examiner dans quelles situations on a du mal à comprendre… et quelles sont les
situations importantes : par obligation dans la vie professionnelle, ou par choix dans la vie sociale ou privée.
Chacun(e) d’entre nous a une vie qui lui est propre et vit la malentendance par rapport à sa vie, pas celle de son conjoint ou de son voisin !
Cette analyse des situations permet de se pencher sur sa vie et de se battre pour conserver une communication optimale pour ce qui est important.
Cela se fera en se concentrant sur les situations importantes avec les moyens techniques appropriés : induction magnétique pour télévision ou téléphone, sonneries lumineuses…
et exercices mentaux pour tout.
À partir de là, on peut mettre en œuvre le plus grand nombre de stratégies de compensation : techniques avec les appareils auditifs et les aides techniques, les
aménagements de domicile ou de poste de travail, orthophonique avec la lecture labiale à partir d’un certain niveau de baisse auditive, psychologique en mobilisant ses
capacités mentales (voir plus loin auto-‐rééducation), sociale en ne cachant pas sa malentendance, et la disant aux autres pour qu’ils la prennent en compte.
C’est l’ensemble de ces stratégies qui permettra de maintenir la communication optimale.
Aides techniques : un plus inégalable*
Les appareils de corrections auditives ont fait des progrès prodigieux, en particulier avec le traitement numérique du son. Mais quelle que soit leur qualité, ils traitent le son tel qu’il arrive au micro : diminué par la distance, déformé par l’environnement, brouillé par les bruits parasites.
Les aides techniques permettent d’améliorer considérablement la qualité du message entrant en le prélevant au plus près de la source, voire à la source. C’est ainsi que
fonctionnent la transmission par induction magnétique (dite boucle magnétique) ou par les émetteurs récepteurs à infra-‐rouge ou HF.
Ces matériels nécessitent des prothèses auditives munies d’un position «T» activée (ou de son équivalent pour les micros HF).
Dans l’espace délimité par la boucle magnétique, la personne malentendante ayant mis ses appareils sur position «T» perçoit comme si le son était à proximité immédiate. Au niveau personnel, l’induction magnétique est utilisable pour la télévision, la radio, la hifi, le téléphone. Les micros HF permettent de garder une bonne qualité de communication même dans le bruit, bien meilleure que les micros directionnels des prothèses. De plus en plus de dispositifs de ce type existent dans les lieux publics : guichets (en particulier à la SNCF), salles de réunion et de spectacle. La loi sur l’égalité des chances des personnes handicapées les rend obligatoires sur tous les lieux recevant du public, à l’horizon 2010 pour les équipements neufs, et 2015 pour les anciens. Proposer des appareils auditifs avec une position «T» fait donc partie de l’obligation de moyens que doivent mettre en oeuvre les professionnels de santé que sont les audioprothésistes.
NB : les alarmes lumineuses (flash) ou vibratoires fonctionnent différemment puisqu’il s’agit alors de soulager l’audition en reportant l’attention sur la vision ou le toucher.
Pour une auto-‐rééducation assistée
Nous sommes la 1e génération dans l’histoire de l’humanité à bénéficier de ces progrès techniques ! Mais pour qu’ils soient pleinement efficaces, il faudrait que notre cerveau les utilise pleinement… C’est-‐à-‐dire que nos capacités mentales soient totalement mobilisées, ce qui n’a rien à voir avec le niveau d’étude. Avec l’appareillage, notre cerveau se trouve tout d’un coup en situation de gérer et de mettre en cohérence
plusieurs univers sonores : celui acquis à la naissance, celui de la baisse d’audition avant l’appareillage… et ce nouvel univers intermédiaire qu’apporte l’amplification
personnalisée des appareils.
Ce n’est pas gagné ! C’est d’autant plus difficile que les capacités d’attention et d’adaptation sont affaiblies (en particulier par l’âge), et que la baisse d’audition a cheminé insidieusement depuis longtemps.
Il faudrait solliciter méthodiquement le cerveau pour qu’il retrouve des automatismes de reconnaissance entre ces 3 univers sonores.
Vers une auto rééducation assistée
Il s’agit de réaliser des exercices volontaires pour « reparamétrer » notre disque dur et les connexions oreille-‐cerveau. Il faut solliciter notre cerveau pour qu’il mette en correspondance ce qui est enregistré et la nouvelle forme sous laquelle c’est perçu.
Divers types d’exercices peuvent être mis en oeuvre.
Tout d’abord l’écoute passive qui permet à notre cerveau d’aller explorer sa mémoire sans obligation immédiate de résultat.
Notre mémoire conserve intacte les moments de plaisirs sonores de notre jeunesse, « les idoles de nos 20 ans ».
En les réécoutant en boucle, notre cerveau va, à l’insu de son plein gré, apprendre à reconnaître les nouveaux sons comme équivalents à ces musiques et ces chansons gravées en nous-‐mêmes.
La mémoire identifie les paroles qu’elle connait par coeur, puis la voix, la musique, etc.
Cette reconnaissance s’accompagne de retours de souvenirs d’images et de sensations diverses liées à des personnes, des lieux…
De même l’écoute passive de la radio est favorable à cette restauration du sens. Une station verbale comme France Infos, avec ses infos en boucle, est très profitable. Un autre exercice consiste à écouter des livres enregistrés pour malvoyants en lisant le texte correspondant.
D’autres exercices, comme la lecture en double, peuvent solliciter notre cerveau. De la même façon, une fois retrouvée une bonne compréhension, on peut susciter
l’habituation au bruit en introduisant des bruits de fonds pour les mêmes exercices. Il faudrait que de telles méthodes d’auto -‐rééducation puissent s’effectuer avec
l’accompagnement d’un(e) orthophoniste.
Cela ne concerne pas que les malentendants profonds ou les implantés cochléaires, mais devrait être proposé à toute personne malentendante rencontrant des problèmes pour maîtriser le nouvel univers sonore de l’appareillage.
Tout cela concerne principalement le récepteur (malentendant). N’oublions pas, dans un monde où l’individualisme triomphe, que pour communiquer il faut être (au moins) deux…
Faire face à la malentendance, c’est aussi retrouver le chemin de l’écoute, parler pour l’autre.
En résumé : vivre ensemble en bonne entente.
(1) Jérôme GOUST (www.l-‐ouie.fr)
Malentendant appareillé depuis 1974, implanté cochléaire en 2004, il travaille avec l’association « Vie quotidienne et audition » sur la globalité des problèmes d’audition : de la prévention au dépistage et à la compensation.
Chargé d’enseignement à l’École d’Audioprothèse du Cnam, il a été coordinateur du bus de l’audition (2004-‐2008) et président de la Journée Nationale de l’Audition (2000-‐
2002)
Il est l’auteur de « Pour mieux vivre la malentendance au quotidien » -‐ « Guide des aides techniques pour les malentendants et les sourds» -‐ «audition et
vie professionnelle » -‐ « Vie quotidienne et audition » propose des actions de formation aux professionnels (audioprothésistes, professionnels de la santé au travail, travailleurs sociaux) et des actions de sensibilisation en entreprise et en direction du grand public.
1° trimestre 2009-‐63