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Conditionnelles et concessives en arabe de Yafi' (Yémen).

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Academic year: 2021

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Submitted on 21 Mar 2006

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Conditionnelles et concessives en arabe de Yafi’

(Yémen).

Martine Vanhove

To cite this version:

Martine Vanhove. Conditionnelles et concessives en arabe de Yafi’ (Yémen).. Arnold, W. et Bobzin, H. (éds.). ”Sprich doch mit deinen Knechten aramäisch, wir verstehen es!” 60 Beiträge zur Semitistik.

Festschrift für Otto Jastrow zum 60. Geburtstag, Harrassowitz, pp.755-775, 2002. �halshs-00009701�

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2002. Arnold, W. et Bobzin, H. (éds.), "Sprich doch mit deinen Knechten aramäisch, wir verstehen es!" 60 Beiträge zur Semitistik. Festschrift für Otto Jastrow zum 60. Geburtstag. Wiesbaden: Harrassowitz, 755-775.

C ONDITIONNELLES ET CONCESSIVES EN ARABE DE Y AFI ‘ (Y EMEN )

Martine VANHOVE

*

L’intérêt d’Otto Jastrow pour les dialectes arabes du Yémen, même s’ils occupent une position relativement marginale dans ses travaux, ne s’est jamais démenti. Ses publications depuis la fin des années soixante-dix sont là pour en témoigner, de même que les encouragements qu’il n’a cessé de prodiguer aux linguistes qui travaillent dans ce pays. C’est donc avec gratitude que je lui dédie cette modeste contribution à l’hommage qui lui est rendu.

0. Introduction

La région de Yafi‘, au Yémen, est une vaste zone agricole, située à près de deux cents kilomètres au nord-est d’Aden, en territoire montagneux. L’arabe qui s’y parle appartient au groupe dialectal caractérisé par un suffixe d’accompli à base -k- au lieu de -t-, comme les langues sudarabiques modernes et éthio-sémitiques. Yafi‘ représente l’extrême limite méridionale de ces idiomes qui s’étendent du nord au sud dans la vaste zone des hauts plateaux yéménites (Behnstedt 1985, Vanhove 1995). La géographie dialectale, telle que la perçoivent les locuteurs et que le laisse apparaître la comparaison des parlers, distingue quatre dialectes principaux, ceux des districts de Yiharr, Lab‘ûs, al-Mufli et al-Hedd

1

.

Ces variétés d’arabe, comme toutes les autres, sont soumises à un processus de koïnisation plus ou moins prononcé selon l’appartenance sociale des locuteurs. Les femmes d’un certain âge, souvent illettrées, sont encore les gardiennes de la tradition linguistique, mais les jeunes femmes scolarisées, comme les hommes, sont plus perméables, bien qu’à des degrés divers, à la nouveauté et au nivellement linguistique qui atteignent tous les plans de la langue : phonétique, morphologique, syntaxique et lexical (Vanhove 1999).

L’objet de cette présentation est de décrire le fonctionnement des conditionnelles et des concessives dans leurs aspects intonatifs, syntaxiques, sémantiques et discursifs, mais aussi socio-linguistiques, en montrant comment opère la koïnisation dans ce cas particulier de phrase complexe. Il semble en effet que, à l’inverse des facteurs sociaux liés à l’âge et au degré d’instruction, l’origine géographique des locuteurs soit fort peu pertinente pour rendre compte de la distribution des marqueurs de conditionnelles. C’est ainsi que deux de mes interlocutrices de Yiharr, l’une âgée, l’autre jeune, présentent des systèmes différents.

Le corpus utilisé, recueilli sur le terrain en 1994 et 1998, se compose de quarante-deux contes, facéties et légendes hagiographiques, répartis inégalement entre cinq locutrices originaires de trois districts, d’âges et de niveaux d’instruction différents : une paysanne illettrée d’al-Mufli âgée de 54 ans (29 textes), une employée de police de 40 ans environ, originaire de Yiharr (2 textes), trois jeunes infirmières, l’une de 25 ans du district de Lab‘ûs (3 textes), les deux autres âgées d’une vingtaine d’années, originaires de Yiharr (4 textes chacune). Pour les besoins de ce travail, les deux premières seront dénommées « âgées » (A), les autres « jeunes » (J).

* LLACAN, UMR 7594 (CNRS, Université Paris 7, INALCO) - 7, rue Guy Môquet, BP 8, 94801 Villejuif Cedex, France - vanhove@vjf.cnrs.fr.

1 Il s’agit des districts antérieurs au redécoupage administratif des régions du Yémen en 1996. Il faut préciser que les dialectes d’al-Hedd possèdent des caractéristiques qui les différencient nettement des autres (cf. Vanhove 1995).

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Les particules conditionnelles de base sont au nombre de deux : l et in. Les plus jeunes utilisent de surcroît la particule ia, empruntée à l’arabe standard i. Il existe également une particule complexe qui associe à l le verbe kn « être ». J’examinerai d’abord les propriétés textuelles et discursives des conditionnelles avant d’aborder l’étude des valeurs des potentielles et des irréelles (ou contrefactuelles).

1. Rôle des conditionnelles dans les récits de littérature orale

Dans le cadre de l’analyse textuelle, on notera que l’utilisation des phrases conditionnelles dans les récits de littérature orale en dialecte de Yafi‘, comme dans les récits de vie en arabe des bédouins du Néguev (Henkin,

2

2000:13), est limitée aux situations de dialogues et aux discours rapportés au style direct ou indirect. Presque tous les énoncés sont d’ailleurs introduits par le verbe ql « dire »

3

ou un autre verbe de parole. A Yafi‘, comme dans le Néguev, le recours à une conditionnelle se produit à un moment important du récit, lors du déclenchement d’actions ou d’événements nouveaux, ou encore pour souligner un trait saillant du caractère d’un personnage. Ainsi, dans l’exemple ci-dessous, le prince amoureux propose une offre alléchante à la vieille femme pour qu’elle lui rapporte un cheveu de sa bien- aimée, ce qui lui permettra de l’enlever :

(1) l nti a-tsrin b-tgbin l- hah -áarah, ádd- mélyun. (AM)

<si/ tu(f)/ fut-tu vas(f)/ fut-tu apportes(f)/ à-moi/ ce/ le-cheveu/ je donne-toi(f)/ million>

« Si toi, tu vas me rapporter ce cheveu, je te donnerai un million. »

Dans l’exemple suivant, l’usage de la conditionnelle met en relief l’avarice d’un personnage qui, en cherchant des subterfuges pour éviter de tuer une pièce de gros bétail à offrir à ses hôtes, provoquera la colère et la punition du Prophète :

(2) l wúqe xa, ában l-xa, wa in wáqan tamm mi nába mínne-hn. (AM)

<si/ il tomba/ impair/ nous égorgeâmes/ l’impair/ et/ si/ elles tombèrent/ pair/ nég/ nous égorgeons/ de- elles>

« Si ça tombe sur un nombre impair, nous en égorgerons une. Et si elles sont en nombre pair, nous n’en égorgerons pas. »

2. Temporelle versus conditionnelle

Une question classique qui se pose aux descripteurs de la phrase complexe en arabe concerne le statut de certains énoncés à valeur double, temporelle et conditionnelle. Or, il semble bien, contrairement à l’arabe classique (Blachère et Gaudefroy-Demombynes 1975) et à maints dialectes arabes (par ex. Cohen 1975, Ingham 1994, etc.), que l’arabe de Yafi‘ différencie clairement les deux, tant sur le plan morpho-syntaxique qu’intonatif.

Chaque type de phrase utilise en effet des particules qui lui sont propres : les conditionnelles sont introduites par l, in, ia et l kn alors que les temporelles le sont par lamma et ses variantes lam et (m)m

4

. On peut, à titre d’exemple, comparer les deux énoncés quasi identiques suivants : le premier, hypothétique, est envisagé sous l’angle d’un rapport de condition, le second, qui clôt la suite de deux conditionnelles dont fait partie l’ex. 1, s’inscrit explicitement dans un rapport temporel de concomitance :

(3) l yigza es-sl l-aswad l thiddid-n. (AM)

<si/ il passe/ la-rivière/ le-noir/ nég/ tu réveilles(f)-moi>

2 Elle se situe explicitement dans le cadre de la « théorie de l’esprit » (les « espaces mentaux » tels que théorisés par Fauconnier 1985/1994), en y intégrant des fonctions référentielles et pragmatiques.

3 Je ne l’ai que rarement conservé dans les extraits utilisés ici.

4 Je n’ai relevé qu’un seul exemple avec mata m « quand ». mat, employé seul, est par contre un marqueur courant de l’interrogation temporelle.

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« si la rivière noire passe, ne me réveille pas ! » (4) lam yigza es-sl l-abya wu haddad-n. (AM)

<quand/ il passe/ la-rivière/ le-noir/ et/ réveille(f)-moi>

« quand la rivière blanche passera, alors réveille-moi ! »

Lorsqu’il y a itération des procès dans les phrases complexes à valeur temporelle (« chaque fois que »), et donc parcours sur une classe de situations, on retrouve un des marqueurs des conditionnelles, en l’occurrence in , mais il ne s’utilise alors qu’en association avec une autre particule, le relateur m « que, quoi » (homonyme de la forme « abrégée » de la particule temporelle ci-dessus et vraisemblablement de même origine) :

(5) in m a5 min gah atamann-h, l-akl u kullu . (JY)

<si/ quoi/ je veux/ de/ chose/ je souhaite-elle/ la-nourriture/ et/ tout/ chose>

« chaque fois que je veux quelque chose, (il suffit que) je le souhaite, la nourriture et tout. »

A l’appui de cette différenciation syntaxique, viennent s’ajouter des contours prosodiques caractéristiques : quels que soient les marqueurs, la variation mélodique de la protase est moindre dans les temporelles que dans les conditionnelles. L’indice intonatif est perceptible à l’audition et se trouve confirmé par l’analyse instrumentale. L’écart moyen entre le début et la fin de la proposition est en effet de 70 Hz pour les premières (avec un maximum à 110 Hz), alors qu’il se situe à 145 Hz pour les secondes (avec des maxima entre 200 et 280 Hz), soit plus du double (voir graphiques). Les quelques exceptions, où les conditionnelles ont une variation mélodique semblable à celle des temporelles, s’expliquent facilement : il s’agit toujours d’énoncés exclamatifs, traduisant la peur ou l’agacement. Ils sont, dès le départ, intonés sur une plage très haute (entre 340 et 380 Hz), ce qui interdit à la locutrice d’effectuer une forte remontée sur la fin de la proposition

6

. En voici deux exemples :

(un faqih vient d’apprendre que l’on cherche des testicules de faqih pour composer un remède ; il prend peur et s’exclame :)

(6) l ltáf-h yóqob-h kúlle-h ! (AM)

<si/ il rattrapa-elle/ il coupe-elle tout-elle>

« s’il l’attrape, il la coupera toute ! »

(un père, agacé que sa fille continue à chanter en présence de son fiancé, menace de la tuer) (7) y x- l m sáketah, qa rs-h. (AY)

<ô/ frère-moi/ si/ nég/ elle se tut/ coupe/ tête-elle>

« Ô mon frère, si elle ne se tait pas, coupe-lui la tête ! »

Il serait intéressant de voir si, dans d’autres dialectes, la mélodie (en plus du contexte sémantique souvent évoqué par les auteurs) ne pourrait pas également être un facteur déterminant pour la compréhension et le décodage des temporelles et des conditionnelles, surtout quand rien dans la syntaxe ne permet de les différencier.

5 La vélaire  alterne, surtout chez les « âgées », librement avec  (non articulé dans cet exemple), mais cette variante provoque une emphatisation compensatoire de la consonne suivante.

6 Il existe un deuxième type d’exceptions. Il s’agit d’énoncés où la protase se termine par un adverbe ou une longue extension du prédicat. En arabe de Yafi‘, ils sont prononcés, sauf cas de mise en relief, sur une plage mélodique basse et peu modulée, quelle que soit leur position dans l’énoncé, se comportant en quelque sorte comme une incise. Il n’en demeure pas moins que la variation entre le début de la protase et le point le plus haut du prédicat (avec ses compléments) reste dans des proportions identiques aux autres conditionnelles. Ceci ne remet donc pas en cause la différence intonative entre temporelles et conditionnelles.

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3. Proposition conditionnelle, thème et topique : prédication et assertion

Haiman (1978), dont l’attention avait été attirée par des similarités formelles et sémantiques récurrentes, dans les familles de langues les plus diverses, entre proposition conditionnelle et

« topic »

7

, concluait son analyse en assimilant l’une à l’autre. Au terme de sa démonstration, il proposait (p. 583 et 585) deux définitions fondées sur des critères logiques :

« A conditional clause is (perhaps only hypothetically) a part of the knowledge shared by the speaker and his listener. As such it constitutes the framework which has been selected for the following discourse. »

« The topic represents an entity whose existence is agreed upon by the speaker and his audience. As such it constitutes the framework which has been selected for the following discourse. »

S’il est vrai, comme le souligne Haiman, que dans de nombreuses langues, la protase exprimant la condition se place ordinairement en tête d’énoncé et que les marqueurs de

« topic » sont parfois identiques aux marqueurs de conditionnelles, cela ne suffit toutefois pas pour faire coïncider « topic » et conditionnelles. Un des problèmes de la démonstration de Haiman vient de ce que, sous le terme anglais, il mêle deux notions : celle de « topique »

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,

« relation sémantique, et non syntaxique, avec la structure actantielle du prédicat » (Caron 2000:19), résultat d’une opération de topicalisation qui consiste à extraposer un terme, toujours un syntagme nominal, en tête d’énoncé, et celle de « thème », au sens logique d’information « connue », mais aussi « donnée » ou même « présupposée » par le contexte ou la situation. Les définitions classiques, sur lesquelles s’appuie aussi Haiman, reconnaissent également ce caractère nominal au thème : « Dans une phrase assertive, on appelle thème le constituant immédiat (syntagme nominal) au sujet duquel on va dire quelque chose (prédicat) » (Dubois et al. 1994:482). Sans nier la différence syntaxique, Haiman accorde la primauté aux paramètres logico-sémantiques. Pourtant, la protase des conditionnelles ne répond pratiquement à aucun des critères retenus par les définitions ci-dessus. S’il y a bien une relation sémantique, elle ne se situe pas au niveau des actants du prédicat, mais au plan de deux prédications, de deux propositions prises dans leur globalité. La protase n’est pas extraposée en tête d’énoncé – c’est même sa place la plus neutre – elle ne constitue pas non plus un syntagme nominal et ne correspond pratiquement jamais

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à du connu, du donné ou du présupposé. La seule caractéristique que conditionnelle et thème pourraient avoir en commun concerne le niveau logique, à savoir « ce à propos de quoi on asserte quelque chose », seul critère retenu par Haiman au détriment des autres. Vouloir à toute force confondre deux fonctions en une seule n’explique pas les différences réelles, qu’elles soient sémantiques ou syntaxiques.

Si l’on refuse l’assimilation des propositions conditionnelles à un thème ou à un topique quelle est alors la (ou les) fonction spécifique des premières ? Et quelle est la nature des liens qui unissent la protase et l’apodose des énoncés conditionnelles ? Sont-ils les mêmes quel que

7 Et aussi avec les interrogatives. Il propose l’explication suivante : « The explanation for the similarity of conditionals and questions, it seems to me, is that conditionals (like other topics) are established in a discourse as given facts or entities with a formal device whereby the speaker seeks the agreement of his interlocutor as to their validity. » (Haiman 1978:572). On notera que l’arabe de Yafi‘ (comme le français ou l’anglais) illustre aussi cette convergence entre conditionnelles et interrogatives indirectes en utilisant des marqueurs identiques :

sr xyl sirra-h l ani b-akaab, malyn damm. (JY)

<allez(m)/ regardez(m)/ lit-elle/ si/ je(f)/ conc-je mens/ plein/ sang>

« Allez voir son lit si je mens, il est plein de sang. »

8 Haiman n’envisage que le cas du topique contrastif qu’il englobe dans la même définition que le thème.

9 En tout cas à Yafi‘.

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soit l’ordre des propositions ? Je tenterai d’apporter quelques éléments de réponse pour l’arabe de Yafi‘.

Avant de répondre à ces questions, je voudrai d’abord préciser rapidement en quoi consistent la prédication et l’assertion, en liaison avec les conditionnelles. Tout énoncé complexe, et donc les conditionnelles, se définit par l’existence d’au moins deux prédications, représentées linguistiquement par deux prédicats. Lorsque l’on a affaire à une relation hiérarchique de subordination entre deux propositions, la proposition dite subordonnée, à l’inverse de la principale, « ne peut pas fonctionner telle quelle, comme une phrase simple » (Dubois et al.

1994:365). Ainsi, « si tu viens », en français, ou l olok (« si tu te trompes »), en arabe de Yafi‘, comportent bien chacun un prédicat, mais aucun ne forme un énoncé complet du fait de la présence d’une particule hypothétique. Pour être compris, ils doivent être complétés (l’ordre des propositions est indifférent) par une autre proposition : « je te ferai écouter du jazz » par ex., ou b-tamel inteh (« c’est toi qui tomberas enceinte », voir ex. 8).

Syntaxiquement, la proposition en « si » est donc bien subordonnée à une proposition principale.

S’il y a bien deux prédications, y a-t-il pour autant deux assertions

10

? L’accord semble se faire pour répondre qu’il n’y en a qu’une seule. Là où les opinions divergent, c’est sur la place de cette assertion.

11

Je me rangerai, pour ma part, à celle que Culioli avance pour l’anglais ou le français, car elle me paraît avoir une portée générale : « If marque la construction d’une assertion fictive. [...] Avec if, on construit l’existence de p

12

, en relation avec un second terme, q

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, conséquent au premier. On aboutit ainsi à une relation d’entraînement (p entraîne q : si p, alors q), où l’on ne dit rien de p’ (complémentaire de p). » (Culioli 1999:179). « Si marque que l’énonciateur dit que <r> est le cas. [...] En tant qu’assertion fictive, si... conserve donc la propriété d’engagement subjectif [...]. D’un autre côté, si marque que, parmi les possibles, on en distingue un, auquel on attribue la qualité d’existant. » (ibid., p. 160) Culioli précise que « Fictif ne signifie pas autre chose que

“énoncé à partir d’un repère subjectif imaginaire, décroché du sujet actuel et permettant une représentation complexe” » (ibid., p. 160).

L’utilisation d’une particule conditionnelle, quelle qu’elle soit, permet donc de construire un repère fictif auquel s’articule le reste de l’énoncé. La particule est la trace syntaxique de cette opération qui permet de relier, sémantiquement, deux propositions, en faisant dépendre l’une (l’apodose) de l’autre (la protase).

Ces quelques rapides considérations permettent de postuler que lorsque l’apodose suit la protase,

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c’est la phrase complexe dans son ensemble qui constitue l’assertion. Elle porte précisément sur la relation d’entraînement entre les deux propositions, c’est-à-dire le lien sémantique qui unit les deux prédications constitutives de l’énoncé.

Nous avons donc là une double caractérisation sémantique et syntaxique. Ce ne sont pas les seules.

10 Voir la définition qu’en donne Culioli (1999:158) : « Un sujet asserte quand il produit un énoncé par lequel il tient à se porter garant que l’énoncé désigne ce qui est le cas (donc un certain état de choses), et y réfère au sens où il en fournit la représentation valide et stable. »

11 Pour De Vogüé (1986) par exemple, seule l’apodose serait assertée dans un énoncé comme « si on t’invite, tu viens (un point c’est tout) », car elle seule peut être remise en cause par une négation : « non, même si on m’invite, je ne viens pas ». Elle ne dit rien à ce propos des énoncés où l’apodose comporte un impératif, par définition hors de l’assertion.

12 p représente, dans ce cas, la protase.

13 q est ici de l’apodose.

14 Nous verrons que la situation est différente quand l’ordre des propositions est inverse (§ 4.2).

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4. Proposition conditionnelle, cadre et postrhème

Pour rendre compte d’autres fonctions, discursives celles-là, je me servirai des concepts mis au point par Morel et Danon-Boileau pour l’oral spontané en français et testés depuis sur de nombreuses langues. Ils sont en effet, pour une large part, applicables à des corpus transmis de génération en génération, et donc plus codifiés, comme l’est la littérature orale. On le sait, la part de création personnelle chez le conteur est loin d’être absente et encore moins dans une société comme celle de Yafi‘, où la tradition se perd et où la mémoire est plus facilement défaillante.

Morel et Danon-Boileau ont posé, à maintes reprises

15

, que l’unité d’analyse de l’oral spontané n’est pas la phrase, mais le « paragraphe »

16

défini « comme un ensemble textuel formant une unité de sens : il est obligatoirement régi par un préambule, suivi d’un rhème et, facultativement, d’un postrhème. La fin d’un paragraphe est marquée [en français] par la chute conjointe du fondamental et de l’intensité sur la syllabe finale. »

17

(Morel 1997a:147).

Ils indiquent également que la structure discursive d’un paragraphe peut être constituée de plusieurs de ses composants et que les indices intonatifs admettent un certain degré de variation selon les langues. Sur le point de la finale des paragraphes, l’arabe de Yafi‘ se comporte de manière analogue au français, avec cependant la possibilité que la chute se produise déjà sur l’avant-dernière syllabe.

A l’intérieur du préambule, ils reconnaissent, pour le français, mais là aussi il peut y avoir variation d’une langue à l’autre, cinq constituants discursifs

18

qui, à la différence du thème, peuvent comporter toutes sortes de classes de mots et « qui se succèdent dans un ordre fixe selon leur rôle propre dans la construction du discours » : le ligateur « précise le lien de ce qui va se dire avec ce qui l’a déjà été » (tu vois, écoute, bon, etc.), le point de vue « explicit[e]

l’identité de l’énonciateur dont le point de vue se trouve engagé dans l’énoncé » (moi, à mon avis, pour moi, etc.), le modus dissocié « apprécie le degré de certitude de l’information que l’on s’apprête à délivrer », le cadre « sert à définir le domaine notionnel ou référentiel nécessaire pour l’interprétation de la suite »

19

(par ex. « si on recense le nombre de cafards en France, y a plus de cafards que d’individus »), et enfin le support lexical dissocié (ou disjoint) qui correspond au topique tel que défini plus haut (toutes les définitions entre guillemets et les illustrations sont reprises de Morel 1997a:147 sq.).

4.1 L’ordre protase + apodose

Dans le cas des conditionnelles qui nous occupe ici, l’ordre des constituants syntaxiques le plus fréquent est protase + apodose. Sur le plan discursif, la proposition conditionnelle fournit

15 Par exemple Danon-Boileau et al. (1991), Morel (1995, 1997a, 1997b), Morel et Danon-Boileau (1999).

16 Certains pourraient regretter l’ambiguïté d’une terminologie en partie empruntée à l’écrit. Le problème me paraît mineur, d’autant plus que des définitions précises sont chaque fois données. Et rares sont, de nos jours, ceux que choque le recours à des termes comme « texte » ou « littérature » pour parler de l’oralité.

17 Dans un article plus récent, Morel et Danon-Boileau (1999:363) ont un peu modifié cette caractérisation du paragraphe : « il est obligatoirement constitué d’un rhème – et d’un rhème seulement. Il est toutefois dans la majorité des cas initialisé par un préambule, et il est facultativement terminé par un postrhème. »

18 Morel (1997:150) précise dans une note que « Il est bien évident que la structure complète présentée ici est très rarement réalisée dans sa totalité. Il est donc intéressant de noter que lorsque certains constituants du préambule font défaut, ce sont les constituants présents qui “récupèrent” leur fonction. ». Ceci n’est pas sans incidence pour comprendre l’assimilation effectuée par Haiman entre thème, topique et conditionnelle.

19 Je ne peux adhérer à une affirmation, déjà ancienne et que leurs auteurs ne soutiendraient peut-être plus aujourd’hui, qui veut que le cadre « n’entretient pas de relation syntaxique avec le rhème » (Danon-Boileau et al. 1991:117), affirmation d’ailleurs au moins partiellement contredite quelques pages plus loin : « si le fait que le cadre précède nécessairement le thème [devenu « support lexical disjoint » ultérieurement] permet d’emblée de distinguer l’un de l’autre, il demeure que ce sont les marques syntaxiques qui fournissent l’essentiel de la différence. » (Danon-Boileau et al. 1991:120).

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le cadre dans lequel s’inscrit l’énoncé, au sens donné ci-dessus, parce qu’il « définit ce sur quoi va porter la prédication du rhème. Il correspond à la délimitation d’une zone de prédication, d’une métonymie de l’ensemble des rhèmes qui pourraient lui être associés. » (Morel et Danon-Boileau 1999:365). L’apodose, quant à elle, constitue le rhème, repéré par la proposition conditionnelle qui le précède. Tel est le cas dans chacun des exemples ci- dessous :

(8) l olok b-tamel inteh. (JL)

<si/ tu te trompas(m)/ fut-tu tombes enceinte(m)/ tu(m)>

« Si tu te trompes, c’est toi qui tomberas enceinte. »

(9) l nti tédd-ni tyah s-sneh i b rs-u, ddk- yt-ah, al-xbz . (AM)

<si/ tu(f)/ tu donnes(f)-moi/ cette/ la-natte/ qui/ dans/ tête-toi(f)/ je donnai-toi(f)/ et-lui/ le-pain/ ce>

« Si tu me donnes cette natte de ta tête, je te le donnerai, ce pain. »

(10) wa in sirk, alah20, ksir kullu-kum e-alah wu tul-h maaba. (JY)

<et/ si/ vous allâtes(m)/ elle a dit/ cassez(m)/ tout-vous(m)/ les-trois(f)/ et/ tuez(m)-elle/ ensemble>

« Et si vous y allez, dit-elle, cassez-la tous les trois et tuez-la ensemble. » (11) ia gbt21zewgt-ek22 bint inn-ak toqtl-h, l txalli-h t. (JY)

<si/ elle apporta/ épouse-toi(m)/ fille/ que-toi(m)/ tu tues(m)-elle/ nég/ tu laisses(m)-elle/ elle vit>

« si ta femme te donne une fille, il te faudra la tuer, ne la laisse pas vivre. »

Si l’on prend en compte tous les niveaux de l’analyse, on peut donc proposer la définition suivante, pour l’arabe de Yafi‘ :

La proposition conditionnelle, placée en tête, construit un repère fictif et constitue le cadre d’une assertion unique qui porte sur le lien entre deux propositions. Elle est marquée syntaxiquement par une particule spécifique et intonativement par une forte montée mélodique.

4.2 L’ordre apodose + protase

Le corpus fait parfois apparaître, avec l et ia , jamais avec in , l’ordre inverse dans lequel l’apodose précède la protase. Sur le plan intonatif, cet ordre particulier se caractérise par l’absence systématique de pause entre les deux propositions et une prononciation recto tono de la protase postposée, le plus souvent avec une rupture de hauteur et donc sur un registre beaucoup plus bas que l’apodose, ou, plus rarement, quand le paragraphe n’est pas terminé, presque au même niveau que la dernière syllabe que celle-ci, avec parfois une légère remontée sur la dernière ou l’avant-dernière syllabe. Ce type d’intonation est caractéristique des incises ainsi que des éléments en position de postrhème (Morel 1998). A ces traits prosodiques, s’ajoutent des traits sémantiques : la protase postposée revient toujours sur une information donnée antérieurement dans le récit, et notamment dans le rhème, pour la commenter ou la préciser (à la manière d’une incise), ce qui est précisément l’une des fonctions du postrhème : « le postrhème a fondamentalement pour fonction de boucler sur elle-même la prédication, de l’autonomiser par rapport à la suite, et ainsi de conférer à la séquence qu’il vient clore la valeur d’un commentaire qualitatif. » (Morel et Danon-Boileau 1999:366 ; voir aussi Caron 2000:16). Ces deux traits, prosodique et sémantique, permettent donc d’identifier la protase postposée à un postrhème, en l’occurrence fictif, et non plus, comme dans l’ordre précédent, à un cadre servant de repère à l’énoncé complexe. Il est à

20 L’uvulaire q alterne librement avec la vélaire  en arabe de Yafi‘.

21 Le morphème de conjugaison est ici la forme de la koinè. En arabe de Yafi‘, la 2fsg de l’accompli comporte une finale laryngale -h.

22 La diphtongue -ew- est une variante koïnique. Yafi‘ a normalement un .

(9)

chercher ailleurs dans le contexte ou la situation. L’apodose, quant à elle, constitue toujours le rhème de l’énoncé. En d’autres termes, la fonction d’un postrhème fictif est de préciser a posteriori la portée de l’assertion qui ne peut qu’être contenue dans le rhème commenté, dans ce cas l’apodose.

Les trois exemples ci-dessous illustrent cette fonction postrhématique. Dans l’ex. 12, la locutrice précise quel est exactement l’animal impliqué par le verbe « égorger », en (13) les co-épouses du roi ont fait disparaître la dernière en date que son époux recherche partout en vain, en (14) est précisé ce qui va être saccagé. En outre, l’extraposition en tête d’énoncé de l’apodose peut avoir des effets pragmatiques. Elle donne plus de force à l’argumentation et à la conséquence de l’hypothèse, qu’il s’agisse, par exemple, de mettre en relief une menace (ex. 13) ou une crainte (ex. 14) :

(12) ulna23 rana naba l-na l 24 omi. (AM)

<nous dîmes/ nous/ nous égorgeons/ à-nous/ si/ quoi/ mouton>

Nous avons dit : « Nous, nous allons nous égorger (quelque chose), s’il y a un mouton. » (13) ql b-aqtl-kn a-intn ia m qalkn l- wn h. (JL)

<il a dit/ fut-je tue-vous(f)/ les-deux/ si/ nég/ vous dites(f)/ à-moi/ où/ elle>

« Il a dit, je vous tuerai toutes les deux si vous ne me dites pas où elle est. » (14) isrn yitímmn l-na l   ma-n áqfeh hunk. (AM)

<ils vont/ ils finissent/ à-nous/ si/ encore/ chose/ avec-nous/ petit champ/ là>

« Ils iraient tout nous ravager s’il nous restait encore le moindre petit champ là-bas ! »

Lorsque la protase est en fin d’énoncé, ses propriétés discursives et assertives la distinguent des énoncés où elle figure à l’initiale. On peut proposer la définition suivante :

La protase postposée d’un énoncé complexe conditionnel constitue le postrhème fictif d’une assertion unique contenue dans l’apodose. Elle est marquée syntaxiquement par une particule spécifique et se caractérise par une intonation peu modulée et en plage basse. L’apodose demeure le rhème de l’énoncé.

5. Les potentielles

5.1 Aspects sociolinguistiques

Les potentielles sont marquées syntaxiquement par trois particules différentes : l, in et ia, mais seules les jeunes locutrices utilisent cette dernière,

25

qui est, selon toute vraisemblance, un emprunt à la koinè.

26

Celle-ci apparaît au cours des deux premiers tiers des séances d’enregistrement, au moment où la vigilance des locutrices sur le contenu formel de leur discours est encore suffisante. L’emploi de ia va d’ailleurs de pair avec une plus grande abondance de traits koïniques dans d’autres domaines de la langue comme la suppression des conjugaisons, des mots dialectaux ou la restitution des diphtongues disparues du parler.

23 L’occlusive uvulaire sourde q alterne librement avec la fricative uvulaire sonore .

24 Dans une proposition nominale locative, la particule l est immédiatement suivie du localisateur , lit.

« chose » ou  , lit. « encore chose » (ex. 14). C’est souvent le cas au Yémen (Piamenta 1990:443, Watson 1993:362), alors même que les dialectes utilisent d’autres localisateurs, en l’occurrence f « dans ; il y a » à Yafi‘.

25 Ce trait sociolinguistique n’est pas propre aux jeunes filles, puisque les hommes de Yafi‘, même âgés, font aussi usage de cette particule.

26 Blanc (1970) fait la même hypothèse pour le parler des bédouins du Néguev. On notera que le rapport de fréquence entre in et ida, dans ce dialecte, semble s’être inversé, à peine 15 ans plus tard (Henkin 2000:10), en faveur de la forme koïnique (cf. note 28).

(10)

Il existe également d’autres différences en fonction des classes d’âge. Sur le plan phonétique d’abord, les « jeunes » connaissent, en plus de l, des réalisations plus standardisées, soit avec une diphtongue, soit avec une autre voyelle longue : law et l

27

, que les « âgées » n’utilisent pas. Par contre, sur le plan morpho-syntaxique, ces dernières sont les seules à avoir des apodoses avec une forme accomplie, au demeurant minoritaires, dans les énoncés avec l.

Quant à la particule in, si elle marque encore 24% des potentielles chez la femme âgée d’al- Mufli, elle est d’un emploi très rare chez les « jeunes »

28

(2 ex. seulement). Il semble en effet que les jeunes locutrices perçoivent la particule in comme trop dialectale et tentent au maximum de l’éliminer au profit de ia, ressentie comme plus koïnique et non marquée socio-linguistiquement. Par ailleurs, on notera que l’accompli dans les apodoses, largement majoritaire avec la particule in, mais déjà moins fréquent avec l chez les « âgés » (37,5%

des énoncés verbaux), est inexistant chez les « jeunes », sauf une fois après une protase introduite par la particule koïnique ia (voir ex. 36). Ceci tendrait à montrer que les

« jeunes » ont éliminé l’accompli des apodoses dans la variété dialectale, mais qu’elles sont en train de récupérer cette forme verbale dans la variété prestigieuse (où elle a perduré).

5.2 Valeurs et contraintes morpho-syntaxiques

5.2.1 Dans une potentielle, la condition posée dans la protase est envisagée comme possible par le locuteur, mais aussi nécessaire et suffisante à la réalisation de la prédication contenue dans l’apodose. Son caractère inéluctable est acquis si p devient réalité. Il ne semble pas que le choix de l’une ou l’autre particule conditionne une valeur plutôt qu’une autre, car toutes sont susceptibles d’exprimer cette même notion de potentiel inéluctable. Par contre, il n’est pas impossible que certaines particules aient un degré de spécialisation sémantique supérieur à d’autres. Ainsi le potentiel inéluctable est la seule valeur susceptible d’être associée à in et ia, alors que l, nous le verrons, a d’autres emplois. Cette spécialisation sémantique permet de fournir un argument en faveur de l’idée que ia est l’équivalent koïnique de in et non de l chez les « jeunes ».

Au plan morpho-syntaxique, on remarquera que seule la particule l admet, dans la protase, les deux formes verbales de base (accompli et inaccompli) et, une seule fois, le futur (cf. ex.

1) ainsi que des propositions nominales. Il faut cependant noter que l’accompli est largement majoritaire dans ce cas (85% des protases verbales). Après in et ia, le corpus n’a fourni que des accomplis. Pour ce qui est des apodoses, la variété est la règle, avec de légères différences selon les particules, peut-être dues aux limitations des données. Avec l, on trouve des inaccomplis (34%), des impératifs et des prohibitifs (22%), des accomplis (18%), des futurs (12,5%) et des propositions nominales à valeur équative (12,5%). On retrouve les mêmes formes verbales après ia (l’accompli y est cependant très rare, avec un seul exemple), mais aucune proposition nominale. Après in, c’est le futur qui n’est pas apparu. Il ne semble pas que l’usage d’une forme verbale plutôt qu’une autre joue un rôle dans les valeurs associées aux potentielles. Tout au plus, peut-on penser que l’inaccompli permet de souligner l’aspect non réalisé du procès.

27 La voyelle longue  est l’aboutissement normal, en arabe de Yafi‘, de la diphtongue aw,  étant une variante plus koïnique qui tend à se répandre dans une grande partie du vocabulaire, même chez les femmes âgées. Cette variante diphtonguée de la particule et l’inexistence d’une variante avec un i- préfixé (il commune à maints dialectes) en arabe de Yafi‘ tendraient à confirmer l’hypothèse d’une origine law (cf. Watson 1993:362) au détriment de i. (Piamenta 1990:443, suivant Stumme, déjà contesté par Landberg 1909:466).

28 C’est aussi la particule la moins fréquente en arabe de Sanaa. Watson (1993:367) précise, au vu de sa plus grande fréquence d’occurrence dans les proverbes et les textes plus anciennement recueillis par Rossi (1939) et Goitein (1970) que « (’i)l was once the more common conditional particle ». La particule koïnique aurait là aussi gagné sur la particule dialectale (voir note 26).

(11)

Les combinaisons entre les différents types de protases et d’apodoses sont résumées dans le tableau ci-dessous :

l in ia

Protase Apodose Protase Apodose Protase Apodose

acc. inacc. acc. inacc. acc. inacc.

acc. acc. acc. acc. acc. acc.

acc. PN acc. PN

acc. futur acc. futur

acc. impér./proh. acc. impér./proh. acc. impér. /proh.

inacc. inacc.

inacc. acc.

inacc. impér.

futur inacc.

PN inacc.

PN futur

PN impér.

Voici quelques exemples, en plus des précédents, pour illustrer les combinaisons relevées :

(15) meta m kn yihur l  ba-h ane, inteh kun gurr i-on, gurr i-on. (AM)

<quand/ eau/ il fut/ il apparaît/ si/ chose/ avec-elle/ serpent/ tu(m)/ sois(m)/ tire(m)/ l’assiette/ tire(m)/

l’assiette>

« Quand l’eau apparaîtra, s’il y a en elle un serpent, toi, tire l’assiette, tire l’assiette ! »

(Dans le conte, les deux protagonistes parlent par allusions. La femme est en train de puiser de l’eau et découvre son aisselle poilue. Par ses propos l’homme lui signale, outre l’indécence de sa tenue, l’impossibilité qu’elle aura à trouver un mari si le bas de son anatomie est dans le même état que son aisselle.)

(16) l ali-o mil asfal-o ma add yai m-o. (AM)

<si/ haut-toi(f)/ comme/ bas-toi(f)/ nég/ personne/ il veut/ eau-toi(f)>

« Si ton haut est pareil à ton bas, personne ne voudra de ton eau. »

(17) in íribk il-m u ráddk l-abrq sálam, knah bént- arwt-ok w in kásark l-abrq áttk m ma-k. (AM)

<si/ tu bus(m)/ l’eau/ et/ tu rendis(m)/ la-cruche/ bon état/ elle fut/ fille-moi/ fiancée-toi(m)/ et/ si/ tu cassas(m)/ la-cruche/ tu laissas(m)/ quoi/ avec-toi(m)>

« Si tu bois l’eau et que tu rends la cruche en bon état, ma fille sera ta fiancée, et si tu casses la cruche, tu laisseras tout ce que tu as. »

(18) lainna-h ia t b-tmuwwt axwn-h l-ann, il-áwld29. (JY)

<parce que-elle/ si/ elle vécut/ fut-elle tue/ frères-elle/ les-deux/ les-enfants>

« Parce que si elle vit, elle tuera ses deux frères, les enfants. »

Avec les conditionnelles introduites par in, lorsque l’apodose est une proposition nominale, celle-ci est obligatoirement introduite par le connecteur fa « alors, et » (comme en arabe classique, cf. Blachère et Gaudefroy-Demombynes 1975:452) :

(19) aléf l-ek tat i-ígarah in gk u l-wáraq mifítteeh, fa aná b ámdo, u in gk u l-wáraq mhéleleh fa ana tábn (AM)

<je jure/ à-toi(m)/ sous/ l’arbre/ si/ tu vins(m)/ et/ les-feuilles/ ouverte/ et/ je(m)/ avec/ éloge/ et/ si/ tu vins(m)/ et/ les-feuilles/ flétrie/ et/ je(m)/ malade>

« Je te jure sous cet arbre que si tu viens et que les feuilles sont ouvertes, c’est que j’irai bien, et si tu viens et que les feuilles sont flétries, c’est que je serai malade. »

29 Terme de la koinè, Yafi‘ utilise plus couramment ewleh-

(12)

J’ai relevé un seul cas où une apodose verbale est introduite également par fa, après une protase elle-même introduite par l. Il s’agit d’un énoncé provenant de la locutrice âgée de Yiharr. Mais contrairement aux propositions nominales, la présence de fa n’est pas obligatoire chez cette locutrice (cp. ex. 7). Cet usage est à comparer avec l’arabe classique où fa est aussi présent quand l’apodose exprime un injonctif, un optatif ou un impératif (Blachère et Gaudefroy-Demombynes 1975:452) :

(20) l bilk fa aob zíbb-uk. (AY)

<si/ tu urinas/ je coupe/ pénis-ton>

« Si tu pisses, je te coupe le zizi ! »

Enfin, il est possible de déduire contextuellement une valeur de potentiel dans certains énoncés composés de deux prédications, mais sans particule conditionnelle dans la protase.

L’utilisation de tels énoncés est limitée à ceux apparus en dernière position, après une ou plusieurs propositions conditionnelles, elles-mêmes introduites par in. Cette interprétation sémantique est renforcée par l’intonation qui est identique à celle des conditionnelles avec marqueur syntaxique. Seule la locutrice âgée et illettrée d’al-Mufli en a fait usage et encore, rarement

30

. Dans la protase, le verbe peut être précédé par l’exposant temporel kn « être » conjugué (ex. 21) et dans l’apodose par le connecteur fa (ex. 22). La présence de kn n’est pas obligatoire, et celle de fa, dans l’unique exemple du corpus, pourrait avoir été provoquée par le parallèle instauré avec l’apodose précédente qui en comporte un. A défaut d’un travail d’élicitation, on ne peut exclure néanmoins totalement que kn dans la protase ou fa dans l’apodose seraient à considérer comme des marqueurs mutuellement exclusifs de phrases conditionnelles. L’ordre des propositions dans les quelques exemples relevés est protase + apodose :

(21) u in ráddk l- il-abrq sálam, knah bént- arwut-uk. kunk kássark il-abrq áttk m ma-

k. (AM)

<et/ si/ tu rendis(m)/ à-moi/ la-cruche/ bon état/ elle fut/ fille-moi/ fiancée-toi(m)/ tu fus(m)/ tu brisas(m)/

la-cruche/ tu laissas(m)/ quoi/ avec-toi(m)>

« et si tu me rends la cruche en bon état, ma fille sera ta fiancée. Si tu brises la cruche, tu laisseras tout ce que tu as. »

(22) u in gk u l-wáraq mhéleleh fa ana tábn. gak il-wáraq hábarah, fa ana mtk. (AM)

<et/ si/ tu vins(m)/ et/ les-feuilles/ flétrie/ et/ je(m)/ malade/ tu vins/ les-feuilles/ elle tomba/ et/ je(m)/ je mourus>

« et si tu viens et que les feuilles sont flétries, c’est que je serai malade. Si tu viens et que les feuilles sont tombées, c’est que je serai mort. »

5.2.2 Chez les « âgées » comme chez les « jeunes », la particule l permet également de former ce qu’on nomme traditionnellement irréelles du présent, c’est-à-dire des potentielles où le locuteur évalue la réalisation de la condition comme impossible (ex. 23) ou fausse (ex.

24), car il sait d’avance (que cela ait été signalé auparavant dans le récit ou qu’il sache que c’est impossible culturellement) que la condition ne peut être remplie. Mais, le lien de conséquence qui unit les deux propositions demeure potentiellement réalisable. C’est la réalité de ce lien qui est pris en charge par l’énonciateur et, par conséquent, asserté. Seul le contexte contraint à une telle interprétation car rien dans la syntaxe ne les différencie des énoncés précédents. La valeur d’irréelle du présent est rare dans le corpus :

(un homme, tombé enceinte dans le genou après avoir pris par erreur le remède contre la stérilité destiné à sa femme, vient d’accoucher loin de chez lui. La honte, provoquée par l’anticipation de la réaction de ses voisins, l’empêche de ramener sa fille au village)

30 Elles seraient au contraire fréquentes dans l’arabe de Sanaa (Watson 1993:368).

(13)

(23) l xata-ha li l-qaryeh iqln kf gb-oh a u hu abel, wuled. (JL)

<si/ je pris-elle/ vers/ le-village/ ils disent/ comment/ il apporta-lui/ ce/ et/ il/ il fut enceinte/ il accoucha>

« Si je la ramenais au village, ils diraient : comment il a mis au monde ça, comment a-t-il pu être enceinte et accoucher ?! »

5.3 Le problème de la personne du sujet de la protase

Lorsqu’on examine la nature du sujet dans les protases des potentielles, on est frappé par une répartition qui semble se dessiner en fonction de la particule et de la forme verbale utilisée dans l’apodose. Cette répartition est de surcroît différente selon les classes d’âge. Etant donné qu’il est possible que l’explication du phénomène soit contingente, à savoir liée aux limites du corpus considéré ici (une centaine d’énoncés), je n’avancerais que très prudemment, et à titre d’hypothèse à vérifier sur un échantillon plus large, que, lorsque le verbe de la protase est à l’accompli, la personne du sujet, la nature de la particule et la forme verbale de l’apodose sont dans un rapport de conditionnement réciproque. Il pourrait d’ailleurs ne s’agir que d’une tendance de la langue, soit vers une généralisation, soit vers une régression et qui, nécessairement, pourrait tolérer des exceptions. Les faits observés sont résumés dans le tableau ci-dessous (les chiffres renvoient aux 1

ère

, 2

ème

et 3

ème

personnes) :

« âgées » « jeunes »

verbe de l’apodose particule Sujet de la Protase particule Sujet de la protase

acc. l 1, 2, 3 l

inacc./prohib. 3 1, 2

impér. 3

acc. in 1, 2 ia 3

inacc. 3 3

A la lecture de ce tableau, l et ia apparaissent largement complémentaires chez les

« jeunes » du point de vue du sujet de la protase (1

ère

et 2

ème

personnes pour l, 3

ème

personne pour ia), alors que la répartition est plus complexe chez les « âgées » : l semble être la particule générale quand le verbe de l’apodose est à l’accompli, alors que in est limitée aux personnes du discours (1 et 2), mais toutes deux peuvent fonctionner avec un sujet à la 3

ème

personne et un verbe à l’inaccompli dans l’apodose. Il pourrait s’agir là d’un discriminant socio-linguistique supplémentaire entre les classes d’âge.

6. Les contrefactuelles (ou irréelles du passé)

Les contrefactuelles, ou irréelles du passé, sont définies traditionnellement par leur valeur sémantique comme des conditionnelles qui ne sont pas vraies ou qui ne sont pas susceptibles de le devenir. Les prédications des deux propositions sont, par essence, irréalisées, irréalisables, impossibles, ou fausses, et l’énonciateur s’engage sur l’irréalité, le caractère factice, du lien qui les unit. Sur le plan modal, on est dans le domaine du non-vrai.

31

Pour Dik (1997:396) « If S is certain that the protasis is false, the result is an Irrealis construction ».

Sur le plan discursif, seul l’ordre protase + apodose est apparu. Tout comme les potentielles, les contrefactuelles constituent alors le cadre de l’énoncé, auquel s’articule le rhème formé par la protase. La différence entre les deux types de conditionnelles ne se situe donc pas au plan discursif, elle est seulement d’ordre logico-sémantique et, éventuellement, syntaxique.

Il existe, en arabe de Yafi‘, une particule complexe spécialisée dans l’expression des contrefactuelles. Placée en tête de protase, elle est composée de la particule déjà étudiée pour le potentiel, l, suivie du verbe kn « être », à l’accompli. Son utilisation entraîne la présence

31 Voir par exemple, Dik (1997:396) et Givón (1990:828-32).

(14)

obligatoire de ce même verbe kn, toujours à l’accompli, en tête de l’apodose. Par ailleurs, l, employée seule, peut aussi, chez les « jeunes », introduire cette valeur.

6.1 Aspects sociolinguistiques

En dehors de la variation phonétique déjà notée (law ou l au lieu de l), les « jeunes » se distinguent des « âgées » par un moindre degré de grammaticalisation de la particule complexe. Chez les premières, l’élément verbal kn de la protase varie obligatoirement en genre, nombre et personne, comme en arabe classique ou en arabe égyptien par exemple (cf.

Ingham 1994:139), alors qu’il est figé à la 3msg de l’accompli chez les « âgées » (voir les ex.

25 à 28 ci-dessous). On peut donc supposer que les « jeunes » utilisent une forme koïnique de la particule complexe dans la protase. Par contre, quelle que soit la classe d’âge, kn se conjugue dans l’apodose.

6.2 Morpho-syntaxe

Le verbe de la protase est à l’accompli dans tous les exemples du corpus, tandis que celui de l’apodose est à l’inaccompli (ex. 24) ou au futur (ex. 25). Les « jeunes » utilisent aussi l’accompli (ex. 26), mais le petit nombre d’exemples ne permet pas de savoir si cette possibilité leur est exclusive. La protase, peut également être une proposition nominale (ex.

27) :

(24) l kn dárk kúnku ag min tigh. (AM)

<si/ il fut/ je sus/ je fus/ je viens/ de/ avant>

« Si j’avais su, je serais venue plus tôt. »

(25) l kn dárna y bínt- kínna a-nilq-. (AM)

<si/ il fut/ nous sûmes/ ô/ fille-moi/ nous fûmes/ fut-nous accueillons-toi(f)>

« Si on avait su, ma fille, on t’aurait accueillie! »

(26) law konk qatalku-h min awwal m kn aal l- a t-taab kull-oh. (JY)

<si/ je fus/ je tuai-elle/ de/ premier/ nég/ il fut/ il trouva/ à-moi/ ce/ la-fatigue/ tout-lui>

« Si je l’avais tuée dès le départ, tous ces ennuis ne me seraient pas arrivés. » (27) l e-li l kn m ma- m n el-áyyt m knah téy. (AM)

<il a dit/ le-troisième/ si/ il fut/ nég/ avec-moi/ eau/ source/ la-vie/ nég/ elle fut/ elle vit>

« Le troisième a dit : si je n’avais pas eu l’eau de la source de vie, elle n’aurait pas vécu. »

Les rares énoncés avec l exprimant le contrefactuel proviennent tous des « jeunes ». Ils ne sont interprétables ainsi que grâce au contexte et au contenu sémantique des propositions :

(quelqu’un prétend avoir cousu un talus avec une aiguille, le héros ne croit pas à une telle absurdité et y répond par une autre absurdité en identifiant un animal à un végétal)

(28) law xayya-oh bi l-ibreh qa tab- ed-digileh. (JY)

<si/ il cousit-lui/ avec/ l’aiguille/ déjà/ veau-moi/ la-graine>

« S’il l’avait cousu avec l’aiguille alors mon veau serait la graine ! »

Si l’apodose n’est pas exprimée, la protase introduite par l prend une valeur exclamative et implique une idée de regret quant à la non-réalisation du procès. Celle valeur est répandue dans de nombreuses langues, dont le français et l’arabe classique (Blachère et Gaudefroy- Demombynes 1975:466) :

(29) law ift32 marab-hom ikr en-nabi al-hom. (JY)

<si/ tu vis(f)/ accueil-eux/ invocation de Dieu/ le-Seigneur/ sur-eux>

« Si tu avais vu comme ils m’ont accueilli, Dieu les protège ! »

32 Variante koïnique, Yafi‘ a normalement le verbe r et un suffixe d’accompli -(i) pour la 2fsg.

(15)

7. Les concessives

Par concession, on entend « la construction d’un conflit entre ce qui est effectivement le cas et ce qui était normalement attendu (quelle que soit l’origine de cette attente), c’est-à-dire, d’un conflit à propos du référentiable (valeur référentielle de fait et valeur référentielle imaginaire que l’on anticipe) » (Culioli 1999:177). A la différence des conditionnelles, l’expression d’une concession « provoque l’inclusion de p’ [= le complémentaire de p] parmi les cas qui entraîne q » (ibid, p. 179).

Au sein de la concession, Morel distingue trois types de systèmes « qui correspondent à trois valeurs distinctes dans la construction du discours » (Morel 1996:6) : la concession logique, la concession rectificative et la concession argumentative. Seuls les deux premiers systèmes sont apparus dans le corpus de Yafi‘. La concession logique « suppose une vision préétablie de la relation entre deux éléments mis en présence, ou du moins un accord tacite entre les locuteurs sur cette relation » (ibid., p. 7), la concession rectificative « présente un infléchissement de la relation sous-jacente » (ibid., p. 10), les rectifications pouvant porter sur un terme linguistique, la portée de l’assertion ou le point de vue du locuteur.

Dans de nombreuses langues, les particules conditionnelles, en composition ou non avec d’autres particules permettent de former des énoncés concessifs. Yafi‘ ne fait pas exception, mais, dans le corpus utilisé ici, il n’y a qu’un faible nombre d’énoncés de cette sorte. Trois types d’emplois différents ont cependant été relevés.

7.1 La concession logique

7.1.1 La particule l tout d’abord, chez une locutrice « âgée », permet de construire des propositions à valeur de concession logique. L’intonation est la même que dans les potentielles avec protase à l’initiale de l’énoncé. C’est donc le seul contexte logico- sémantique qui permet de distinguer les unes des autres. Au plan syntaxique, on notera que le verbe de la protase est à l’accompli dans les deux exemples du corpus :

(en principe, en cherchant toute une vie, on finit par trouver, mais le locuteur affirme le contraire)

(30) y x- erwe end-ek, ana ana-ok ra l gessk taduwwar zamn-ok kull-oh ma taaal li ha ed-duwa. (AM)

<ô/ frère-moi/ calme-toi(m)/ chez-toi(m)/ je(m)/ je conseille-toi(m)/ vois(m)/ si/ tu restas(m)/ tu cherches(m)/ temps-toi(m)/ tout-lui/ nég/ tu trouves(m)/ à/ ce/ le-médicament>

« Ô mon frère, calme-toi ! Je vais te donner un conseil : même si tu continuais à chercher toute ta vie, tu ne trouverais pas ce médicament ! »

Si la protase est postposée, il s’agit, au plan discursif, d’un postrhème. Dans l’exemple ci- dessous, elle est prononcée recto-tono et vient commenter les remerciements du locuteur :

(en principe, s’il arrive un malheur, on ne remercie pas Dieu. Pourtant, alors que Dieu a rendu la terre stérile, l’homme n’en continue pas moins à lui rendre grâce car Dieu fait ce qu’il veut de ce qui lui appartient)

(31) l-ámdi l-ak y ah, hah l-ar ár-ak, l éllk-h. (AM)

<l’éloge/ à-toi(m)/ ô/ Dieu/ ce/ la-terre/ terre-toi(m)/ si/ tu pris(m)-elle>

« Merci mon Dieu, cette terre est ta terre, même si tu la prends. »

7.1.2 Chez la même locutrice, il a également été noté un emploi de in pour exprimer une

concession réduite incidente au sujet de la proposition, valeur que Morel classe dans la

concession logique. Ce type d’énoncé a pour effet de « gommer toutes les conditions de

validation autres que celles réalisées dans la principale » (Morel 1996:85). L’intonation sur la

concession est modulée haut - bas - haut et la syllabe finale est la plus haute de tout l’énoncé

(comme dans la protase initiale des potentielles). Dans l’exemple ci-dessous, la concession

signale que tous les sujets possibles ont été examinés pour être rejetés, à l’exception d’un seul

(16)

(« ton frère »). Par conséquent, l’information donnée ne s’adresse qu’au frère de celui qui est enterré dans la maison :

(32) qlah y leb x-k, w in x-k, u hah d-dr, min tet sába adfh u sába qfl. (AM)

<elle a dit/ ô/ demandeur/ frère-toi(m)/ et/ si/ frère-toi(m)/ et/ ce/ la-maison/ de/ sous/ sept(f)/ couvertures/

et/ sept(f)/ verrous>

« Elle a dit : demandeur, ton frère, si c’est bien ton frère, se trouve dans cette maison sous sept couvertures et sept verrous. »

7.2 La concession rectificative

La concession rectificative est exprimée, dans le parler d’une jeune fille et d’une femme âgée, au moyen d’une locution complexe atta (u) l ,

33

associant une particule temporelle

atta « jusque », éventuellement une conjonction de coordination u « et » et la particule conditionnelle l « si », suivie d’un verbe à l’accompli ou à l’inaccompli. Dans les deux énoncés relevés, l’ordre des propositions est apodose + protase. L’intonation, très modulée, est différente des deux types de concession logique ci-dessus. Elle commence sur une plage assez haute (330 Hz), monte à mi-parcours de l’énoncé jusqu’à 450 Hz, redescend lentement pour ne tomber brutalement que sur la dernière syllabe, à 200 Hz :

(un fils refuse de déterrer le corps de son père, quitte à perdre sa part d’héritage) (33) ql lah l ana ma aqdr tta l34 kn m l-. (AM)

<il a dit/ à-lui/ non / je(m)/ nég/ je peux/ jusque/ si/ il fut/ nég/ à-moi

« Il lui a dit : Non ! moi, je ne peux pas, même si je n’ai rien. » (34) y rabb abal atta u law agb walad, ifl se ba-. (JY)

< ô/ Dieu/ rends-moi enceinte/ jusque/ et/ si/ j’apporte/ garçon/ enfant/ taille/ doigt-moi>

« ô Dieu, fais-moi tomber enceinte, même si je n’ai qu’un fils de la taille de mon doigt. »

8. Conclusion

Fondamentalement, l’étude du corpus montre que c’est le choix du marqueur conditionnel qui détermine les valeurs sémantiques (potentielle ou contrefactuelle) des conditionnelles en arabe de Yafi‘. Toutefois, il peut arriver que d’autres facteurs, d’ordre logico-sémantique, dominent la marque syntaxique et entraînent une interprétation différente de celle qui lui est le plus généralement associée. C’est le cas de la particule l qui, en dehors du potentiel, peut aussi être utilisée dans des conditionnelles à valeur d’irréel du présent ou de contrefactuel et dans les concessives. Les formes verbales ne semblent jouer aucun rôle dans ce domaine.

Elles se limitent à l’expression des valeurs aspecto-temporelles qui leur sont propres. On notera tout de même une corrélation très forte (mais non strictement obligatoire pour l) entre la présence d’un marqueur de conditionnelle et l’usage de l’accompli dans la protase.

Il faut également souligner la fonction distinctive assumée par les systèmes intonatifs. Ils permettent, en plus de la marque syntaxique, de distinguer temporelles et conditionnelles, concessives logiques et rectificatives. A cela s’ajoutent les différences intonatives entre cadre et postrhème, liées à l’ordre des propositions. Des études similaires mériteraient d’être menées pour d’autres dialectes arabes afin de vérifier si un trait intonatif distinctif entre temporelle et conditionnelle n’est pas plus répandu, notamment en l’absence de marques syntaxiques spécifiques.

On retiendra également de cette brève analyse, que l’ordre des propositions n’est pas sans incidence sur l’interprétation qui doit être faite de l’énoncé, tant au niveau de l’assertion qu’au niveau discursif. Selon que la protase est ou non en tête, l’assertion portera sur

33 Elle est aussi utilisée par les hommes.

34 C’est le seul cas où l’on voit apparaître, chez une locutrice âgée, une forme phonétique plus koïnique de la particule l.

(17)

l’ensemble de l’énoncé ou sur l’apodose seulement, et l’on aura affaire soit à un cadre, soit à un postrhème.

Sur le plan socio-linguistique, les deux classes d’âges présentent des systèmes suffisamment différents pour justifier l’hypothèse d’une koïnisation en cours qui atteint plusieurs aspects de la phrase double conditionnelle : les particules, les formes verbales, et peut être aussi la répartition des personnes du sujet en fonction des deux éléments précédants. Les « jeunes » ont en effet quasiment éliminé l’accompli dans les apodoses et, dans le seul cas où cette forme verbale est apparue, la locutrice a eu besoin d’employer une particule focalisante, yani

« c’est-à-dire » :

(35) ia yibset i-oqrah yani oxt- mtat. (JY)

<si/ elle se dessécha/ le-basilic femelle/ c’est-à-dire/ soeur-moi/ elle mourut>

« Si le basilic femelle se dessèche c’est que ma sœur est morte. »

Outre les variantes phonétiques plus standard de la particule dialectale l qu’elles utilisent, les

« jeunes » tendent à éliminer la particule du potentiel in au profit d’une autre particule, ia, issue de la koinè. En cela, les jeunes locutrices de Yafi‘ semblent être en train suivre la voie tracée par d’autres dialectes arabes, notamment au Yémen.

Abréviations A âgées acc. accompli conc concomitant ex. exemple f féminin fut futur impér. impératif inacc. inaccompli J jeunes

L Lab‘us lit. littéralement m masculin M al-Mufli 

nég négation

PN phrase nominale proh. prohibitif

sg singulier Y Yiharr Références bibliographiques

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