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Le sens de la vue

Le regard photographique dans la poésie

moderne

Jean-Pierre Montier

Anne Reverseau

Le sens de la vue : Le regard photographique dans la poésie moderne

Paris : Sorbonne Université Presses, 511 p. ISBN-13: 978-2840509509

Pourquoi la publication de l’ouvrage d’Anne Reverseau, Le sens de la vue, est-elle un véritable événement ? Comparons. Lorsqu’en 2002 Philippe Ortel publiait La littérature à l’ère de la photographie, Jacqueline Chambon accueillait sa thèse dans la collection « Rayon Photo », suscitant de trop rares recensions, venues d’une historienne du XIXe siècle (Nicole Edelman), ou de la part du regretté François Brunet, spécialiste des

littératures américaines, lequel écrivait dans Études photographiques : « Si “littérature et photographie” peut parfois sonner comme un cliché, ce livre montre qu'il y va d'un rapport constitutif pour les deux disciplines, dans une aire française où jusqu'à présent on s'était souvent borné à pointer le statut ancillaire de la photographie. » Dix-sept ans après, avec l’ouvrage d’Anne Reverseau, balayées les idées d’un statut ancillaire de la photographie, ou d’une relation entre la littérature et la photographie à l’état de “cliché”. Étayée à présent – et combien pleinement avec cet ouvrage – l’idée d’un rapport constitutif entre l’une et l’autre. L’air de rien, Le sens de la vue accomplit une autre révolution invisible, l’entrée de la photolittérature dans l’institution littéraire, par la grande porte de la collection des Lettres françaises dirigée par Michel Murat, à la Sorbonne Université Presses.

Pourquoi parler de photolittérature plutôt que d’une histoire renouvelée de la poésie moderne ? Parce que, de l’un à l’autre de ces deux ouvrages, la recherche s’est développée, des intuitions ont été étayées, la documentation s’est enrichie (en fait : des archives ont été vues autrement), tout un corpus de paradigmes et de références théoriques s’est copieusement élargi et constitué, si bien que l’ambitieuse entreprise intellectuelle d’Anne Reverseau n’a plus besoin du paravent de l’interdisciplinarité pour être comprise comme pleinement scientifique. Et littéraire. Car deux réflexions viennent immédiatement au lecteur du Sens de la vue. La première est qu’il ne s’agit pas d’une étude plus ou moins monographique, portant sur tel ou tel poète supposé « incontournable » en la matière : même si Cendrars, Mac Orlan, Albert-Birot, Roussel ou Breton sont abondamment convoqués, Rimbaud, Claudel ou Apollinaire ne le sont pas moins. La seconde est que le substrat critique et théorique de référence est désormais suffisamment distancié et assimilé pour qu’Anne Reverseau évite, toujours élégamment, les possibles conflits de préséance entre les options méthodologiques, puisant à la sémiologie lorsque c’est indispensable, à l’histoire de la photographie quand c’est nécessaire ; jouant au besoin des coudes entre le comparatisme et le sécularisme traditionnels en

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littérature. Du reste, l’option consistant à se fonder d’emblée sur les pratiques et les usages concrets des photographies par les écrivains permet, par son empirisme déclaré, d’articuler la pluralité des emplois avec la polysémie de leurs effets.

Cet empirisme serein, cependant, ne se justifiait pas de soi : il convenait d’argumenter les motifs et les conditions nécessitant d’y recourir. Tel est l’objectif de la minutieuse introduction, qui déploie successivement les concepts de vue vs vision, de modernité vs modernisme, qui identifie les lieux ou les espaces de croisement entre littérature et photographie, en prenant systématiquement soin d’ancrer les analyses conceptuelles dans des réalités pragmatiques et historiques bien identifiées, posant finalement la question essentielle : comment procéder ? C’est-à-dire, non pas comment élaborer une théorie générale des relations entre ces deux termes sans véritable commune mesure, mais au moins comment tirer parti rationnellement des travaux publiés depuis une quarantaine d’années, et grâce auxquels l’on dispose d’éléments permettant de penser l’inclination de la littérature en direction de la photographie, en écho avec l’appétence de cette dernière pour la littérature. Faut-il recourir à la notion de dispositif développée chez Arnaud Ryckner ou Philippe Ortel ? Faut-il aussi réarticuler l’image, d’un côté, et de l’autre la photographie, de manière à maintenir en permanence une tension entre les usages, y compris vernaculaires, de cette technique, avec les pratiques proprement littéraires ? Faut-il puiser aux études culturelles, accorder une place centrale à l’ontologie de la photographie, s’en tenir aux acquis portant sur le paradigme référentiel ? Ces hypothèses de travail, ces matériaux conceptuels et les résultats qu’ils permettent d’envisager font l’objet d’une attention constante et d’un emploi aussi souple que fonctionnel, selon les cas abordés et leur spécificité, tout au long de cet ouvrage de plus de 500 pages à l’écriture aussi serrée que la présentation en est aérée, et comportant 120 illustrations (cartes postales, pages de couvertures, images d’archives personnelles d’écrivains, photos de vitrines ou d’expositions…) à la fois très variées et souvent inédites ou rares.

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Discrètement, une note de la conclusion (p. 468) donne la clé méthodologique de l’ensemble : « Nous nous situons dans la perspective des recherches récentes en histoire de l’art qui insistent sur […] la circulation des images comme un retour de balancier après des années de théories de l’image ». Il n’est pas certain que ces recherches très documentées, patiemment fondées, fécondes et intelligemment exposées par Anne Reverseau attirent l’attention d’une histoire de l’art photographique actuellement davantage tournée vers les théories de la communication ou la sociologie politique – mais après tout il suffit probablement d’attendre un nouveau « retour de balancier » –. En revanche, elles sont absolument passionnantes, et même fondamentales, pour l’histoire littéraire et culturelle.

Il suffit pour s’en convaincre d’examiner le minutieux balayage déployé par l’organisation des quatre chapitres composant l’ouvrage, lesquels répondent méthodiquement à la question de fond énoncée par son titre : en quoi la vue est-elle celui de nos sens que la littérature ne sollicite qu’en opacifiant son origine sensible ? Et inversement, en quoi le sens qui se construit dans l’acte littéraire n’en relève-t-il pas moins d’une représentation mimétique qui remet en circuit, recharge notre rapport visuel au monde sensible ? Le fait d’avoir placé le terme ambivalent de « sens » dans le titre du livre et au cœur de son projet de recherche permet à Anne Reverseau de nouer en permanence l’empirique et le théorique. Le chapitre 1 part des pratiques de la photographie chez quelques poètes du tournant du XXe siècle (le portrait, le voyage, la correspondance, le détournement, l’album, le document, etc.) : c’est à la fois ancrer ces usages dans la sociologie sensible de l’époque et délimiter aussi les biais grâce auxquels ces nouvelles images sont devenues peu à peu des matériaux littéraires. Le chapitre 2, sur la base du même corpus d’auteurs, déploie les imaginaires littéraires de la photographie, dans leur utilisation tant polémique (contre la fiction, le lyrisme, l’art) que protensive (en direction de nouveaux imaginaires, techniques, scientifiques, métaphysiques). La reconfiguration du visuel qui en résulte est exposée au chapitre 3, avec ses conséquences sur la nature même de l’image poétique (de l’image « américaine » de Fargue aux machines à faire apparaître le hasard surréaliste, en passant par l’ekphrasis illimitée de Roussel). Le chapitre 4 déroule avec brio la question fondamentale : en quoi l’irruption de la photographie dans la littérature, et en particulier la poésie, permet-elle de poser – plus vigoureusement que d’aucun autre point de vue – la question de la modernité, du moderne, du modernisme. Il s’agit alors de pointer aussi bien les continuités paradoxales entre le romantisme et l’avant-garde, que de manifester les enjeux politiques ou esthétiques propres aux voies – traversières ou antagonistes – empruntées, soit collectivement, soit individuellement : car cette étude rigoureuse et informée possède entre autres mérites celui de remettre au premier plan un Blaise Cendrars, dont l’inventivité personnelle égala celle des surréalistes. Le Sens de la vue, à plusieurs titres, fait donc événement.

Jean-Pierre Montier est professeur à l’université Rennes 2 et spécialiste des rapports entre littérature et

photographie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la question, dont récemment les volumes collectifs Transactions photolittéraires, dir Jean-Pierre Montier, Rennes PUR, 2015, et L’écrivain vu par la photographie, actes du colloque de Cerisy, dir. David Martens, Jean-Pierre Montier & Anne Reverseau, Rennes, PUR, 2016. Il est également le fondateur du site portail PHLIT (répertoire de photolittérature ancienne et moderne) : www.phlit.org.

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