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Les enjeux socio-spatiaux de la métropolisation de Hanoi (Vietnam)

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Les enjeux socio-spatiaux de la métropolisation de Hanoi (Vietnam)

À partir des années 1970, dans un contexte d’internationalisation des économies, la polarité des grandes villes des pays de l’ASEAN s’est considérablement renforcée. Certaines villes comme Bangkok, Jakarta ou Singapour, sont devenues de véritables relais de la mondialisation et de ses formes régionalisées (Rimmer et Dick, 2009). Dans les pays administrés d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Laos, Cambodge), l’ouverture économique à l’économie de marché à la fin des années 1980 s’accompagne progressivement d’une urbanisation des territoires et d’une métropolisation, notamment au Vietnam, pays fortement engagé dans un processus d’intégration internationale par l’urbain.

Avec 96 millions d’habitants et 35 % d’urbains en 2019, le Vietnam est depuis les réformes du Doi moi* (1986) engagé dans une transition vers l’économie de marché dont la production urbaine devient le principal vecteur dès les années 1990. Membre actif de l’ASEAN depuis 1995 et de l’OMC depuis 2007, le pays s’impose comme un acteur régional incontournable de la mondialisation affichant une croissance économique de 7,05% en 2018 et un PIB/hab de 2304 euros. Le territoire national est bipolarisé avec la capitale politique Hanoi au nord (située à l’apex* du delta du fleuve Rouge) et le centre économique Ho Chi Minh ville au sud (en bordure du delta du Mékong). Au centre du pays, la capitale régionale Danang vient renforcer la structure méridienne du pays, notamment depuis l’élévation de cette métropole émergente au rang de capitale économique du centre du Vietnam.

Pensées comme des vitrines de la transition économique, le développement des métropoles vietnamiennes s’accompagnent d’enjeux sociaux-spatiaux et environnementaux qui donnent à comprendre l’économie politique urbaine vietnamienne ainsi que la place centrale de l’État-parti qui gouverne sans partage sur le Vietnam réunifié depuis 1976. La forte concurrence dans l’accès à la ressource foncière et le creusement des inégalités socio-spatiales se traduisent par une importante conflictualité lisible à toutes les échelles. C’est particulièrement le cas à Hanoi, ville qui, depuis les années 2000, effectue un puissant « rattrapage urbain » (Quertamp, 2010) soutenu et impulsé par l’État-parti décidé à faire de la capitale millénaire le fer de lance de sa politique de « civilisation urbaine » dont dépend sa légitimité.

De capitale d’empire à métropole régionale Hanoi et sa ceinture rurale productive

Édifiée à l’apex du delta du fleuve Rouge en 1010, dans le berceau historique du peuple Kinh, à l’intérieur de la boucle de la rivière, la vieille ville de Hanoi est l’exemple même de la citadelle géomantique. L’expression thanh thi est encore la plus à même d’illustrer la manière dont la ville de Hanoi s’est développée sur une relation entre la citadelle (thanh) et le marché (thi) à partir duquel s’étend une ville extra-muros. La ville de Hanoi d’alors entretient également d’intenses relations avec sa première couronne de villages péri-centraux et pluri-actifs.

Au XVe siècle, le système d’échanges entre les campagnes et la capitale impériale se renforce. Le quartier des « 36 rues et corporations », qui compte une centaine de rues, vend les produits des villages de métier du delta du fleuve Rouge. Ce système d’échanges facilite la mise en place d’un processus d’urbanisation des campagnes et assure les bases de l’essor économique de la capitale.

Alors que la capitale est établie à Hue depuis 1806, la ville, qui prend le nom de Hanoi en 1831, se densifie plus qu’elle ne s’étend pas. Lorsque les Français s’emparent de Hanoi en 1873, le territoire de la ville comprend encore un vaste territoire rural considéré comme faisant partie intégrante de Hanoi. En 1888, la ville devient la capitale de l’Union Indochinoise française. Elle se construit alors sur une distinction très nette entre ce qui est considéré comme urbain et le reste, le monde rural. À partir de 1874, l’espace « urbain » est quadrillé, aménagé, équipé, structuré tandis que les espaces ruraux périphériques sont considérés comme étant à l’extérieur du projet, hors des limites de la ville.

Pendant la période collectiviste, de 1954 à 1989, l’évolution de la ville de Hanoi se fait selon une idéologie largement « anti-urbaine » (Murray et Szelenti, 1988). Là encore, les plans dessinés en partenariat avec les urbanistes soviétiques de Léningrad font table rase des villages périphériques. Plus qu’une simple ville, Hanoi est dorénavant considérée avec sa province et son arrière-pays rural à qui l’idéologie socialiste confère un puissant rôle. Les limites provinciales de Hanoi ont changé à plusieurs reprises entre 1960 et 1989. S’ajoute également un effort d’industrialisation qui structure en partie le territoire de la province de Hanoi. La province de Hanoi passe de 1107 ha en 1960 à 3963 ha en 1989 et regroupe 35,6 % d’urbains tout en maintenant une distinction très nette entre urbain/rural. En effet, la ville d’alors, bien que progressiste sur le plan du logement, n’intègre pas les villages périphériques pluri-actifs dans l’espace urbain et les relations avec l’hinterland (arrière-pays) sont réduites.

À partir de 1995, suite à la libéralisation du marché foncier, la ville commence à s’étendre sur les espaces ruraux. Entre 1992 et 1997, la superficie urbaine est multipliée par deux. Trois nouveaux arrondissements sont créés et l’urbanisation in situ (urbanisation endogène et informelle faisant intervenir des pratiques d’auto-construction sur

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des terres non destinées à être bâties, mais pas exclusivement) qui se développe à proximité des axes de communications ou aux abords des villages d’artisans participe de l’étalement de la nappe urbaine.

Depuis les années 1990, et surtout à partir des années 2000, les périphéries de la capitale connaissent d’importantes restructurations puisqu’elles accueillent un dispositif de production à grande échelle d’ensembles résidentiels, les « nouvelles zone urbaines » (Khu do thi moi). Ces zones de logements, contrôlées et planifiées par l’État, s’intègrent à un réseau d’infrastructures et d’équipements publics et sont financés par les anciennes compagnies d’État actionnarisées (en partie privatisées) et des partenariats public-privé. Le plus souvent pensés comme de véritables produits immobiliers répondant à des critères de rentabilité, ces nouveaux ensembles urbains abritent principalement la petite classe moyenne vietnamienne (environ 15% de la population nationale en 2019) et marquent l’entrée de Hanoi dans l’ « ère de la grande dimension » (Peyronnie, Goldblum, Sisoulath, 2017). Le développement de cette modernité urbaine dans le périurbain se fait le plus souvent aux dépends de villages pluriséculaires abritant une large population agricole et/ou artisanale.

Hanoi et sa nouvelle province élargie

L’élargissement du territoire de la province de Hanoi, qui en août 2008 triple sa superficie et double sa population en annexant la province voisine Ha Tây, a entraîné une reconfiguration socio-spatiale de la région métropolitaine. Désormais, Hanoi est encore plus rurale qu’avant 2008 puisqu’elle compte 25 % d’urbains répartis sur seulement 5 % du territoire provincial. L’annexion de la province d’Ha Tây par celle d’Hanoi a eu comme effet d’accroître la surface urbanisable ainsi que le prix du foncier et d’accélérer le passage à l’urbain de certaines localités.

Cette intégration de vastes territoires ruraux dans la province de Hanoi pose la question de la pertinence de ce processus dans le cadre de la métropolisation en cours. L’incapacité des autorités à créer une structure transversale de gestion de l’aire métropolitaine entraîne ainsi l’absorption de territoires ruraux par Hanoi.

Par ailleurs, cette annexion a également mis en lumière la volonté de l’État central de contrôler la dissidence se développant dans la province d’Ha Tây (Labbé, Musil, 2011). L’intégration de Ha Tây vise à renforcer le pouvoir de Hanoi et de l’État (la province capitale est le siège de l’administration nationale) sur les territoires. Ainsi, l’État se substitue en matière d’aménagement du territoire au Comité populaire de la province de Hanoi. En d’autres termes, le Comité populaire de Hanoi est soumis, en matière d’aménagement du territoire, aux décisions politiques prises au niveau central. Enfin, comme le précisent D. Labbé et C. Musil, l’élargissement de Hanoi répond également au souci de mieux contrôler les investissements qui se dirigeaient de plus en plus vers la province d’Ha Tây (du fait d’un environnement politique opaque où la corruption était omniprésente) au détriment de Hanoi.

L’élargissement du territoire de la ville-province de Hanoi marque le début d’une phase d’accélération de l’urbanisation de la deuxième couronne périurbaine, il dénote aussi de l’effort entrepris par le « centre » pour maintenir son emprise sur les provinces périphériques. D’un point de vue strictement foncier et économique, les nouvelles terres fraîchement intégrées sont autant de réserves foncières pour le développement urbain de la ville-province, seule la partie inondable située dans le corridor vert voit son développement limité (figure 1).

$1 : Projet d’aménagement du grand Hanoi et périphéries rurales

Hanoi et son aire métropolitaine

Depuis les années 2000-2010, le processus d’ouverture dans lequel est engagée la région métropolitaine favorise le développement des provinces des environs de Hanoi. Progressivement se développent des centres urbains et industriels en dehors de la province qui tentent d’attirer les investisseurs. Les terres le long des infrastructures routières ou encore à proximité de l’aéroport sont en effet recherchées par les investisseurs. Ces derniers cherchent également à profiter de conditions fiscales optimales, notamment en ce qui concerne l’accès au foncier et le contrôle de la production industrielle (conditions environnementales de production par exemple).

Sur le plan spatial, la zone métropolitaine qui se met en place est structurée à plusieurs échelles et organisée à partir des centres principaux d’Hanoi et Hai Phong. Une série de villes moyennes de rang provincial ceinturent Hanoi dans un rayon de 40 à 60 km (Bac Ninh, Hoa Binh, Bac Giang, etc.), et toutes sont entourées d’espaces périurbains et de desakotas*. Ces espaces urbains regroupent au total plus de 11 millions d’habitants. Comme le montre la figure 2, une aire métropolitaine se dessine progressivement, notamment à partir de la fin des années 1990 où un triangle d’urbanisation se distingue peu à peu (Hanoi, Hai Phong, Nam Dịnh).

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Encadré 1 : La région métropolitaine de Hanoi en chiffres (2016)

L’ensemble de la région du delta du fleuve Rouge dans lequel s’inscrit la ville de Hanoi est maillé par un réseau bien équilibré de villes et bourgades urbaines qui remplissent avant toute chose un rôle structurant pour le pouvoir politique. Les villes, toutes catégories confondues, sont très bien réparties sur le territoire du delta. Leur fonction administrative et politique dans un territoire où le contrôle de l’eau est historiquement lié au contrôle de la population explique en partie cette distribution presque géométrique.

$2 : Population urbaine aire métropolitaine de Hanoi (2013)

La région métropolitaine de Hanoi en chiffres (2016) Surface : 24 314,7 km2

Population approximative : 17, 6 millions d’habitants Terres agricoles et forestières : 1 702 233 ha

Terres résidentielles : 147 775 ha

Terres vacantes et non utilisées : 165 028 ha

Terres réservées pour la sécurité alimentaire de la région : 454 000 ha Villes et bourgades urbaines : 136

Part de la population urbaine : 30 %

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La métropolisation émergente de Yangon et ses conséquences socio-spatiales

Il est difficile de parler de Yangon comme d'une métropole* au même titre que Paris, Londres ou New York, bien qu'elle en possède de plus en plus les attributs (Matelski et Sabrié, 2019). Longtemps considérée comme une « ville en marge de la mondialisation » (Franck et Goldblum, 2007), la métropolisation* de Yangon, comme celle d’autres villes d’Asie du Sud-Est (Phnom Penh, Vientiane par exemple), est aujourd’hui qualifiée de « métropolisation émergente » (Peyronnie et al, 2017) ou de « métropolisation en mode mineur » (Franck et al., 2012).

Yangon compte 5 millions d'habitants en 2014 et devrait atteindre 10 millions en 2020. Avec la démocratisation progressive du régime, elle connaît un étalement urbain sans précédent. Les villes nouvelles créées entre 1960 et 1980 sont de plus en plus intégrées à son tissu urbain, tandis que la multiplication des véhicules personnels, l’accroissement démographique, ainsi que l’absence d’une politique urbaine et de transports entraînent embouteillages et étalement urbain (Sabrié, 2014). La croissance démographique est un des facteurs de l’urbanisation accélérée de Yangon au même titre que sa croissance économique.

Capitale politique de la Birmanie de 1852 à 2005, Yangon demeure la capitale économique, suivie de très loin par Mandalay, la deuxième ville du pays par sa population et son économie. Au même titre que d’autres toponymes, son nom – Rangoun – est devenu « Yangon » en 1989, la junte militaire ayant souhaité effacer les noms coloniaux. Traditionnellement, les réseaux de transports nationaux convergeaient vers Yangon. La majeure partie des autoroutes desservent toujours Yangon, mais passent également par la nouvelle capitale politique créée par la junte militaire : Naypyidaw. Le plus grand aéroport du pays demeure à Yangon, avec 6 millions de passagers en 2018, c’est la principale porte d'entrée du pays. Yangon, de par ses infrastructures (un port central et un port en eaux profondes à 30km au sud du centre-ville, un aéroport international, une autoroute 4 voies entre Yangon et Mandalay, etc.) et son attrait touristique croissant, polarise les flux de personnes (touristes, hommes d’affaires, promoteurs immobiliers). Son dynamisme économique participe aussi de l’augmentation de l’immigration depuis les campagnes. À noter également que la conteneurisation* de ces deux ports témoigne de l’insertion du pays dans les échanges internationaux.

En terme d’urbanisme, les quartiers (appelés « districts ») de Yangon connaissent un début de spécialisation fonctionnelle* avec un centre-ville historique qui s'internationalise de plus en plus et abrite un Central Business District* (CBD), le siège de la Yangon Stock Exchange et celui de nombreuses entreprises et firmes internationales. Dans la forme, la verticalisation* des bâtiments du centre-ville de Yangon fait fi du paysage bouddhique, notamment en élevant des immeubles au-dessus du dôme des pagodes et le paysage urbain s’uniformise selon un modèle partagé par d'autres métropoles mondiales, alors que la ville est initialement un « palimpseste » (Humain-Lamoure et Laporte, 2017) identitaire, culturel et urbanistique de toutes les époques qu’a connues la Birmanie. Des logiques de conservation et de patrimonialisation* dont les populations sont exclues sont également à l’œuvre, particulièrement dans la ville historique.

À Yangon, les quartiers septentrionaux adjacents au centre-ville abritent une population aisée, mais pas exclusivement. Plus généralement, dans Yangon, la privatisation de l’espace public est croissante : la ville, qui initialement était accessible aux piétons (malgré la mauvaise qualité des trottoirs et le manque d’aménagement piétonnier), l’est de moins en moins. Çà et là dans la ville, se développent des gated communities*, parallèlement à la construction de nombreux immeubles d’habitation au standing de luxe afin de répondre à la demande internationale croissante. La gentrification*en cours dans le CBD associée à l’internationalisation du centre-ville relègue spatialement les populations les plus pauvres en périphérie et dans des zones d’habitat informel.

La métropolisation émergente de Yangon s’accompagne donc d’une croissance des inégalités socio-spatiales (Sabrié, 2019a et 2019b) que les difficultés d’accès au logement des populations pauvres venues des campagnes ou d’autres villes illustrent. La question de l’intégration des habitats informels périphériques et de la mise en place d’une politique urbaine absente au XXe siècle devra aussi être posée rapidement.

Marion Sabrié

Encadré 2 : La métropolisation émergente de Yangon et ses conséquences socio-spatiales $. La métropolisation de Yangon

La fabrique urbaine : diversité des acteurs et enjeux de la « conversion foncière » Libération de terre (giay phong dat) et conversion foncière au Vietnam

Le besoin des villes vietnamiennes en ressources foncières ne ralentit pas et la recherche de nouvelles terres à convertir se poursuit toujours en 2019. Au Vietnam, officiellement, le peuple tout entier jouit du droit de propriété

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de la terre (quyen so huu), l’État-parti détient les droits de gestion de la terre, et les individus, les foyers ou les organisations bénéficient du droit d’utilisation de la terre (quyen su dung) pour une période limitée (baux emphytéotiques* de 20, 50 ou 90 ans en fonction du type d’utilisation du sol). Dans ce contexte, la conversion des terres est officiellement cadrée par un système de planification largement hérité de la période d’économie centralisée même si depuis les années 2000 d’importantes réformes ont été opérées en vue d’adapter la gestion foncière aux impératifs de l’économie de marché. Ainsi, alors que les années 1990 marquent les débuts de la libéralisation du marché foncier, les années 2000 se distinguent par des efforts de déconcentration, voire de décentralisation en ce qui concerne la question foncière, au niveau provincial.

Une « terre sans prix »

En application de la loi foncière de 2003, l’administration provinciale fixe le prix de la terre (gia nha nuoc) qui servira de base lors du versement des compensations liées aux « expropriations ». Ce prix est systématiquement très inférieur au prix du marché (gia thi truong), ce qui fait dire à Laurent Pandolfi (2001) dans sa thèse de doctorat que la terre est « sans prix ».

Encadré 3 : Une « terre sans prix »

En effet, les provinces fixent annuellement le prix des terres sur leur territoire. C’est ce prix qui sera utilisé lors de la récupération des terres agricoles en vue de leur conversion. Afin de faciliter la récupération des terres à moindre coût et les accords entre les autorités et les investisseurs, ces prix sont artificiellement maintenus très bas. Ils peuvent en effet être jusqu’à 50-60 % moins élevés que ceux pratiqués sur le marché libre. Ce système permet, entre autres, aux investisseurs de profiter de l’acquisition de parcelles à faible coût pour ensuite les revendre, une fois viabilisées, au prix du marché.

La récupération des terres recouvre deux formes : obligatoire (hien dat) ou négociable (thoa thuan). Par thoa thuan, les autorités vietnamiennes entendent que, contrairement aux expropriations obligatoires, des négociations relatives aux modalités d’expropriation sont envisageables. L'expropriation obligatoire ne s'applique qu'aux opérations de « libération » de terrains pour cause d'intérêt national, d'intérêt public et pour les besoins de la défense et de la sécurité nationale. La seconde forme d'expropriation (négociable) est appliquée aux projets qui poursuivent des buts économiques ou commerciaux. Dans ce dernier cas, l’investisseur négocie directement les modalités de la récupération foncière avec les habitants.

Dans les deux situations, des problèmes apparaissent et ralentissent considérablement le processus d’urbanisation. Selon un rapport officiel du gouvernement (rapport 304/BC-CP), 70% des revendications des populations contre l’État et son administration sont relatifs aux problèmes fonciers. Le manque d’équité dans le traitement des « expropriations », la faiblesse des compensations ou encore la forte corruption qui préside les mécanismes de récupération/compensation cristallisent de plus en plus les tensions. Les sujets de discorde sont nombreux. Les habitants se sentent floués lorsque leur terre agricole est compensée sans prise en compte de la localisation, lorsque celle-ci change soudainement de statut une fois « expropriée » et voit donc sa valeur augmenter considérablement ou tout simplement lorsqu’ils apprennent que leur terre a été revendue plusieurs dizaines de fois plus cher sur le marché libre.

L’urbanisation par le haut : décentralisation et collusions public-privé

Face aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux du développement urbain, l’État-parti a entrepris à partir des années 1990/2000 un processus de décentralisation visant à redonner davantage de marge de manœuvre aux collectivités locales, provinces en tête (encadré 4). Les pouvoirs locaux doivent alors mettre en application les plans de développement actés au niveau central, notamment ceux du puissant ministère du Plan et de l’Investissement qui élabore des plans de développement socio-économiques (SDEP). Bien que la « rigueur » des collectivités locales dans la réalisation du plan soit discutable, l’État central continue de veiller, et ceci tout particulièrement dans le périurbain de Hanoi.

Encourager le développement provincial

Les provinces semblent avoir carte blanche pour aménager leur territoire. Parmi les avantages dont elles disposent pour mener à bien cette mission de premier ordre, elles décident notamment de la nature et de la durée des droits d’usage du sol en conformité avec la loi et, surtout, elles bénéficient d’« assouplissements » en ce qui concerne les mécanismes d’investissement. Ainsi, les provinces peuvent approuver les projets de moins de 35 millions d’euros ou de moins de 22 millions pour la construction d’infrastructures. Les licences d’investissements pour des investisseurs étrangers voulant construire des zones urbaines de moins de 9 millions d’euros, ou des parcs et

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zones industriels de moins de 35 millions d’euros, sont également délivrées par les provinces. Notons toutefois que les provinces découpent volontiers les projets en tranches (M. Mellac et al, 2010) afin de s’assurer leur contrôle. Les provinces gèrent elles-mêmes les appels d’offres afin de sélectionner les investisseurs en charge de la réalisation de tel ou tel projet du plan. Les districts et les communes ne sont pour autant pas complètement oubliées de ces aménagements législatifs puisque les investisseurs, s’ils le veulent, peuvent également passer par ces niveaux afin d’entamer les négociations et les discussions propres au bon déroulement du projet.

Encadré 4 : Encourager le développement provincial

Depuis la nouvelle loi foncière de novembre 2013, la planification fait l’objet d’un certain nombre de modifications qui, en apparence, semblent bousculer le schéma traditionnel top-down de la planification vietnamienne. Alors qu’avant 2013, au niveau local, elle n’était qu’une déclinaison d’un vaste plan socio-économique édicté au niveau national, la nouvelle loi prévoit une planification par régions socio-socio-économiques. Mais, au Vietnam, les régions socio-économiques ne sont en aucun cas des entités administratives disposant d’un statut juridique quelconque. Ainsi, la région de Hanoi n’a ni prérogatives, ni autonomie et ce découpage sert davantage à éviter les incohérences de développement entre les provinces. Ces modifications peuvent être analysées comme une ébauche de décentralisation (ou plutôt de déconcentration), elles peuvent tout aussi bien s’apparenter à un leurre politique permettant au pouvoir central de conserver son emprise tout en donnant l’impression de s’ouvrir. Moins officiellement, les institutions déconcentrées de l’État, profitent de leur mainmise sur la gestion foncière pour mettre en place des systèmes de collusions entre elles et les investisseurs. Ce mécanisme permet parfois de financer le développement urbain, notamment lorsque l’accord informel prévoit la participation gracieuse de l’investisseur à une partie de l’aménagement public en échange de l’approbation de son projet (terres contre infrastructures). Le même mécanisme crée aussi des stratégies d’enrichissement personnel liées au détournement de biens et de fonds publics. Différents types de montages financier (BOT : Build Operate Transfert, BT : Build Transfert) existent effectivement et font intervenir la puissance publique en partenariat avec les forces du marché (PPP : Partenariat Public Privé). Pour réaliser ces projets dont l’envergure peut parfois être très importante, des structures de gestion transversale ont été mises en place : les PMU (Project Management Unit).

Notons également qu’au niveau provincial, les arrangements et les connivences avec le secteur de la promotion-construction sont tels qu’avant août 2008, la province d’Ha Tây approuvait plus de projets de développement résidentiels que la province de Hanoi (Labbé, Musil, 2011). La lourdeur des procédures administratives pour acquérir des terrains et des licences d’investissement, et la nécessité d’avoir des contacts dans la machine politico-administrative expliquent en partie que de nombreux investisseurs se soient tournés vers la province d’Ha Tây, province résolument plus « conciliante ».

L’urbanisation par le bas ou comment les habitants négocient leur place dans la métropolisation

L’urbanisme de grandes opérations, du fait du changement d’échelle qu’il implique, tend à occulter les autres formes d’urbanisation qui participent au déploiement spatial de l’aire métropolitaine. À l’échelle de la commune, les arrangements et autres pratiques opaques en matière de gestion foncière nous rappellent que les administrateurs habitent la commune dans laquelle ils ont des responsabilités et qu’ils sont même parfois impliqués étroitement dans des projets d’investissements. À cette échelle, la pratique du foncier dit « non officiel » (occupation illégale de terre) illustre également la manière dont l’administration contourne la loi. Selon la loi foncière de 2013, l’attribution de droit d’usage du sol nécessite que l’occupation du terrain soit conforme au plan d’utilisation déterminée par les autorités locales. Dans les faits, cette mesure est négociable et constitue un des leviers d’enrichissement des membres de l’administration locale. Dans les villages de métier du périurbain de Hanoi, la nécessaire extension des espaces de production génère des stratégies d’occupation illégales des terres qui peuvent toutefois être tolérées par l’administration locale en échange d’une certaine « bienveillance » facilitée par la corruption ou tout simplement par l’implication des membres de la communauté villageoise dans des réseaux de solidarité appelant des obligations réciproques. Par exemple, dans les villages de métier les plus performants, certains artisans ont créé de petites zones artisanales informelles après avoir reçu l’accord des autorités locales. Lorsque ce type d’urbanisation par le bas entre en concurrence avec l’urbanisation imposée par le haut, il peut arriver que l’accès aux terres soit rendu impossible pour les villageois, ces derniers sont alors contraints de quitter leur village pour s’installer dans des sites industriels éloignés.

Cette forme d’urbanisation informelle n’est pas sans poser de nombreux problèmes, particulièrement dans les zones de fortes densités démographiques où la pression sur les terres est élevée. Le manque de place aggravé par la concurrence dans l’accès aux terres entraîne des stratégies spatiales telles que le comblement des mares ou les constructions sur les espaces agricoles. Outre les problèmes environnementaux que cela pose, l’urbanisation in situ

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interroge également la capacité des autorités à prendre en compte les modalités de l’occupation de l’espace par les villageois. À cela, il convient de rajouter le fait que la ville de Hanoi a toujours conservé un caractère mi-urbain/mi-rural s’expliquant par sa capacité à intégrer les villages dans la ville qui en s’émancipant sont progressivement devenus des villages urbains.

Les conséquences sociales et environnementales de la métropolisation et de l’urbanisation Augmentation des inégalités socio-spatiales

L’urbanisation in situ décrite ci-dessus est alimentée, en grande partie, par l’arrivée de migrants rejoignant la métropole dans l’espoir d’y trouver un emploi. Localisés de préférence dans les zones périurbaines ou dans des zones de rejet en centre-ville (à l’extérieur des digues par exemple), ces migrants échappent pour l’essentiel aux recensements. On parle de populations « flottantes »* pour caractériser cette frange de la population installée en ville sans y avoir le droit (c’est à dire sans permis de résidence : so ho khau). Ces migrations rural-urbain, permises par l’assouplissement des règles liés à l’enregistrement résidentiel censées contrôler les déplacements de population et l’accès à la ville, sont impulsées par l’accroissement des disparités entre la ville et la campagne et la concentration des fonctions de commandement. Les migrants choisissent la ville afin d’améliorer leurs conditions matérielles d’existence en pensant pouvoir accéder à l’emploi et à des services publics de meilleure qualité.

Mais la réalité des migrants non-enregistrés s’accompagne d’une grande vulnérabilité et précarité à laquelle les individus essayent de répondre par des stratégies de contournement et d’adaptation. Comme l’a montré Marie Gibert (2014), le recours aux prête-noms, aux rattachements familiaux ou à la corruption (pour mettre un jour un carnet de résidence, acheter la tolérance de la police ou payer les amendes) constituent les stratégies de ces populations pour se maintenir en ville. Outre le fait que les migrants flottants ne bénéficient pas du même accès aux services publics que les résidents légaux, leur situation de vulnérabilité s’accroit encore lorsque, pour la réalisation d’un projet urbain, les autorités décident de récupérer le terrain qu’ils ont acheté illégalement (sans titre de « propriété »). Dans cette situation, après avoir résisté comme il le pouvait et ralentit la réalisation du projet, le foyer est forcé de quitter les lieux sans aucune compensation. L’habitat précaire, une fois détruit, se redéploye plus loin, en grande périphérie puisque les foyers n’entendent généralement pas quitter la métropole. C’est donc une véritable question de droit à la ville et de relégation socio-spatiale d’une partie de la population dont il s’agit.

Enfin, les lieux de l’exclusivité environnementale et les zones de rejet (par exemple la zone inondable de Phuc Tan au centre de Hanoi) sont clairement identifiés par les habitants et l’étude des migrations intra-urbaines donnent à voir une géographie des inégalités environnementales et écologiques ainsi qu’une ségrégation sociale entre migrants.

De fortes distinctions s’opèrent alors entre les membres de ce groupe social constitué d’étudiants, de travailleurs du secteur informel ou du secteur formel. Les modes d’habiter des migrants oscillent entre la location à la nuit de chambres occupées à plusieurs, de location de chambre au mois, de la location d’un lit dans un dortoir aménagé par un résident ou encore d’une chambre chez un résident.

S’il existe un rapport hiérarchique et de domination entre les résidents et les migrants, il semble également qu’une distinction s’établisse entre les migrants Kinh et les migrants d’origine montagnarde (ethnies minoritaires).

Par ailleurs, à la disparité de développement entre espace rural et espace urbain s’ajoute de profondes inégalités de traitement entre la zone urbaine et les espaces périurbains qui accueillent désormais les entreprises les plus polluantes et les migrants non enregistrés cherchant à se loger à moindre coût. Ces communes périurbaines, en raison de leur statut rural, ne bénéficient en effet pas d’infrastructures sociales efficientes et adaptées à leurs réalités démographiques mais font pourtant face à des problématiques urbaines.

$3 : Diminution des espaces en eau autour du lac Yen So (district de Hoang Mai) Vulnérabilité urbaine et dégradation écologique

Dans le delta du fleuve Rouge, le risque d’inondation est le résultat de l’association d’un élément aléatoire hydrométéorologique (la crue du fleuve) et d’un élément socio-économique (la vulnérabilité de l’occupation du sol à la présence de l’eau), ces deux éléments ayant des implications variables dans l’espace (Gilard, 1998, 2015). La particularité vietnamienne réside dans le fait que les mesures entreprises par les différents gouvernements se sont toujours focalisés sur la composante « aléa »* au dépend de la « vulnérabilité »*. Ainsi, depuis la fin des années 1990, l’étalement de la ville de Hanoi se fait en partie en dehors des espaces endigués. La pression foncière ajoutée au sentiment de sécurité face aux inondations (du fait de l’allongement de la période de retour de la crue susceptible

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de passer par-dessus les protections anti-crues) ont aggravé considérablement la vulnérabilité des installations humaines.

Édifiée à l’apex du delta du fleuve Rouge, Hanoi est une ville évidemment marquée par la présence de l’eau. Les changements de cours du fleuve ont laissé çà et là des lacs, des étangs et des mares. Suite à l’augmentation des densités de population dans le delta (1300 hab/km2 en 2009), et plus encore dans le centre de

Hanoi, ces espaces lacustres disparaissent progressivement sous les remblais, ce qui aggrave les inondations et les risques de subsidences*. Par exemple, le lac Tây à Hanoi a perdu depuis les années 1990 une cinquantaine d’hectares, tandis que le lac Truc Bach a vu sa surface diminuer de 25% sur la même période. On estime qu’entre 1990 et 2004, la surface des plans d’eau est passée de 850 à 547 ha (Nguyen Van, 2015). Certaines études font état d’une baisse de la superficie des espaces lacustres de – 94% entre 1885 et 2005 pour le centre ancien et la ville coloniale.

La ville de Hanoi, située à une centaine de kilomètres des côtes du golfe du Tonkin, ne subit pas aussi gravement l’augmentation du niveau de la mer tel que Ho Chi Minh ville où 40 % de la surface de la ville seront sous les eaux si le niveau de la mer augmente d’un mètre d’ici 100 ans. Néanmoins, la remontée d’eau saumâtre dans les rizières de l’arrière-pays de Hanoi, le passage de typhons et tempêtes tropicales dévastatrices ou encore le phénomène d’affaissement de la ville (du fait de la surexploitation des sols et de la ressource en eau) participent de la fragilité de Hanoi. D’après Vu Khac Dang (2014), la rive nord du fleuve Rouge au niveau de la ville de Hanoi présente une vitesse d’affaissement de 68 mm/an.

Par ailleurs, la croissance urbaine s’accompagne de pollutions en tous genres (atmosphérique, fluviale, lacustre, sonore etc.) qui s’expliquent par la faiblesse de la gouvernance environnementale, la motorisation accélérée des déplacements urbains et la part encore importante de la ville informelle.

70 % des gaz à effet de serre présent dans l’air des grandes villes vietnamiennes sont dus à la circulation et principalement aux émissions de PM (micro particules particulièrement dangereuses en raison de leur petit diamètre inférieur à 2,5 microns) largement imputables aux scooters. À Hanoi, on compte en effet 5 millions de scooters pour 7 millions d’habitants. Face à cette situation, les autorités prévoient d’interdire les scooters dans la capitale d’ici 2030.

Les cours d’eau et autres plans d’eau servent également de déversoirs pour les eaux usées des habitants dont l’habitation n’est pas reliée à un système d’évacuation des eaux parce que ce dernier n’existe pas ou parce que l’habitation est informelle. Le cas de la rivière Tô Lịch illustre cette situation. La rivière de 12,6 km qui traverse la ville du nord au sud compte 15 émissaires d’égouts urbains et une centaine d’évacuations informelles. Selon le Département des ressources naturelles et de l’environnement de Hanoi, le Tô Lich reçoit plus de 100 000 m3 d’eaux usées par jour dont près des 2/3 provient des activités domestiques et agricoles (les eaux usées d’origine agricole ont une très forte teneur en nitrogène et en bactéries qui s’explique principalement par l’utilisation d’intrants chimiques) et 1/3 de l’industrie (Duchère, 2018). Les activités des villages d’artisans (laque sur papier du village de Cot, teinturerie de Buoi, joaillerie de Dịnh Công, etc.) et les grandes usines de piles, de tabac, de pneus ou d’ampoules situées le long de la rivière participent très largement à la pollution du cours d’eau. Selon les indicateurs (ammonium, phosphate, carbone organique, pH...voir figure 4), les teneurs dépassent de 5 à 80 fois les normes vietnamiennes établies par le ministère de l’Environnement et des ressources naturelles.

$4 : La pollution de la rivière Tô Lich

OMC, Organisation mondiale du Commerce. PIB, produit intérieur brut.

Baux emphytéotiques : bail immobilier de longue durée (20, 50 ou 99 ans) selon lequel le preneur (c’est à dire l’emphytéote) détient le droit de jouissance sur le bien, tandis que le propriétaire (l’Etat, dans le cas vietnamien) perçoit une redevance annuelle en l’échange de l’abandon de ses droits de propriété. Néanmoins, la plupart du temps, l’Etat-bailleur impose un certain nombre de conditions d’utilisation des sols que le preneur ne peut qu’accepter. Au terme du contrat, le propriétaire recouvre la pleine propriété de son droit et décide alors de la nouvelle affectation du sol.

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